L’EARL des Fougères a adhéré le 13 octobre 2000 à la société coopérative agricole Coopagri, aux droits de laquelle est venue la société Triskalia.

Par acte du 16 avril 2012, l’EARL s’est engagée à apurer le solde débiteur de son compte courant d’adhérente, arrêté au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, en cédant à la société Triskalia la créance qu’elle détenait sur la coopérative laitière Colarena, à due concurrence de 200 euros par mois à compter de ses apports de lait d’avril 2012 puis de 600 euros par mois à compter d’avril 2013.

Prétendant que le solde débiteur arrêté au 30 novembre 2011 n’avait pas été entièrement apuré en dépit de la cession de créance et que la poursuite des relations avec l’EARL des Fougères, transformée en GAEC S&C Filatre (le GAEC), avait engendré de nouveaux impayés en dépit d’une mise en demeure du 22 juin 2017, la société Triskalia l’a, par acte du 2 mai 2018, fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Vannes.

Estimant que l’action en paiement de la créance cédée ne pouvait être dirigée contre le GAEC qui ne garantissait pas la solvabilité du débiteur cédé, le premier juge a, par jugement du 16 décembre 2019 :

déclaré irrecevable l’action en paiement de la société Triskalia à l’encontre du GAEC et portant sur la créance cédée au titre de l’acte du 16 avril 2012,

condamné le GAEC à payer à la société Triskalia la somme de 1 240,64 euros au titre du solde débiteur du compte courant d’adhérent hors cession de créance,

dit que cette somme est augmentée des intérêts contractuels au taux de 9,60 % l’an à compter du 1er mars 2018,

sursis à l’exécution des poursuites et autorisé le débiteur à se libérer de sa dette au terme d’un délai de 24 mois,

dit que, pour l’intégralité de cette période, les sommes dues produiront intérêts au taux légal non majoré,

rappelé que la présente décision suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier pendant ce délai,

dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens seront supportés par moitié par la société Triskalia et le GAEC,

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

La société Triskalia a relevé appel de cette décision par déclaration du 3 février 2020.

Le 20 mai 2020, l’EARL Ferme de Nonguais (l’EARL) est intervenue à l’instance d’appel, en déclarant se trouver aux droits du GAEC.

Le 24 mai 2022, la société coopérative agricole Eureden (la société Eureden) est quant à elle intervenue à l’instance d’appel, en déclarant se trouver aux droits de la société Triskalia par suite d’une opération de fusion à effet au 1er janvier 2020, sans toutefois former elle-même de demandes et sans que l’EARL ne conclut contre la société Eureden.

Par arrêt du 27 janvier 2023, la cour a :

ordonné la réouverture des débats, avec révocation de l’ordonnance de clôture,

invité la société Eureden et l’EARL à tirer les conséquences, dans leurs prétentions respectives, de la perte de personnalité morale de la société Triskalia,

fixé la date de la nouvelle ordonnance de clôture à la conférence du 23 février 2023,

dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du jeudi 2 mars 2023.

Faisant valoir que la créance de l’EARL sur la société Colarena n’avait été cédée qu’à concurrence des sommes dues par cette dernière et que, du fait de ce que le GAEC avait cessé de lui livrer sa production laitière, elle serait en droit d’agir contre l’EARL en règlement du solde du compte arrêté le 30 novembre 2011 quand bien même celle-ci ne garantirait pas la solvabilité du débiteur cédé, la société Eureden a alors demandé à la cour de :

infirmer le jugement attaqué,

condamner l’EARL à lui payer la somme de 14 689,32 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % l’an depuis le 1er mars 2018 sur le principal de 12 999 euros,

débouter l’EARL de toutes ses demandes,

condamner l’EARL au paiement d’une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ayant formé appel incident pour soutenir que la totalité de la créance, en ce inclus sa fraction née de la poursuite des relations postérieurement au 30 novembre 2011, serait prescrite, l’EARL a quant à elle demandé à la cour de :

déclarer irrecevable l’action en paiement de la société Eureden à son encontre,

en conséquence, débouter la société Eureden de ses demandes,

à titre subsidiaire, accorder un moratoire de 24 mois et, à défaut, un échelonnement de sa dette sur 24 mois,

en tout état de cause, débouter la société Eureden de ses demandes,

condamner la société Eureden à lui régler une indemnité de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée, ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la société Eureden le 27 janvier 2023 et pour l’EARL le 24 février 2023, l’ordonnance de clôture prononcée le 23 février 2023 ayant été révoquée et une nouvelle l’ordonnance de clôture ayant été rendue à l’audience du 2 mars 2023, avant l’ouverture des débats.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur le solde du compte précontentieux

Par acte dénommé ‘autorisation de règlement cession de créance’ en date du 16 avril 2012, l’EARL des Fougères, sociétaire de la coopérative Triskalia, s’est engagée à désintéresser cette dernière de sa créance par le versement d’acomptes de 200 euros par mois à compter d’avril 2012 puis de 600 euros par mois à compter d’avril 2013 jusqu’à parfait paiement, et, pour se faire, a autorisé la société Colarena, à laquelle elle fournissait sa production de lait, à verser directement les sommes mensuelles de 200 euros à compter d’avril 2012 puis de 600 euros à compter d’avril 2013, et ‘a cédé et transporté à Triskalia, à concurrence des sommes qui lui sont dues, la créance qu’elle détient sur Colarena à concurrence de la somme mensuelle de 200 euros à compter de ses apports de lait d’avril 2012 puis de 600 euros à compter de ses apports d’ avril 2013 et ce jusqu’à parfait paiement’.

Cette créance, arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, a été affecté à un compte courant de sociétaire ‘précontentieux’ dont le solde restait, au 31 janvier 2018, débiteur de la somme de 13 355,09 euros, dont 11 980,97 euros en principal.

L’acte du 16 avril 2012 ne peut s’analyser en une délégation de paiement, et moins encore en une simple indication de paiement, puisqu’il emporte explicitement cession de la créance d’apports de lait détenue par l’EARL sur la société Colarena, avec subrogation de la société cessionnaire dans les droits et actions dérivant de cette créance ‘dont Triskalia disposera à compter de ce jour comme d’un droit lui appartenant en toute propriété’.

Il résulte toutefois des termes exprès et non équivoques de l’acte que cette cession portait certes sur les créances d’apports futurs de lait, mais n’était réalisée qu’à concurrence des sommes dues par la société Colarena à l’EARL.

Il s’en évince que, quand bien même l’EARL cédante ne s’était pas engagée à garantir à la coopérative cessionnaire la solvabilité de la débitrice cédée, la société Triskalia, qui n’a acquis la créance de l’EARL à la société Colarena qu’à due concurrence des sommes dues par cette dernière au regard des apports de lait effectivement réalisés, conserve la qualité pour agir en paiement du solde débiteur du compte précontentieux dont les modalités d’apurement convenues n’ont été honorées ni par des versements directs de l’EARL, ni par des règlements de paye de lait de la société Colarena, qui a cessé ses paiements en 2016 du fait qu’elle n’était plus livrée en lait, et non en raison d’une prétendue insolvabilité au demeurant non démontrée.

C’est donc à tort que le premier juge a, au seul motif de l’absence de clause de garantie de solvabilité du débiteur cédé, déclaré l’action exercée par la société Triskalia contre l’EARL en paiement de la créance cédée irrecevable.

L’EARL soutient par ailleurs que l’action de la société Eureden serait aussi irrecevable comme prescrite, plus de cinq ans s’étant écoulés entre l’acte du 16 avril 2012 et l’assignation du 2 mai 2018, et les règlements opérés par la société Colarena jusqu’en 2016 ne pouvant être regardés comme une reconnaissance du droit du créancier par le débiteur interruptive de prescription puisqu’ils émanent d’un tiers.

La société Eureden fait cependant à juste titre observer qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance.

Il en résulte que, les modalités d’apurement de la dette convenues par l’acte du 16 avril 2012 ayant été honorées jusque courant 2016, l’assignation du 2 mai 2018 a bien été délivrée avant l’expiration du délai de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

Au surplus, le créancier se trouvait dans l’impossibilité d’agir tant que l’échéancier de remboursement de la dette contractuellement convenu était respecté par les règlements du débiteur cédé, de sorte que, conformément à l’article 2234 du code civil, le délai de prescription n’a pu courir avant 2016.

L’action de la société Eureden est donc en tous points recevable.

D’autre part, si, comme le relève l’EARL, l’acte du 16 avril 2012 n’arrête pas le montant de la créance dont il échelonnait le paiement, celle-ci a été isolée dans un compte spécial ‘précontentieux’ et arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros.

Or, l’adhésion à la coopérative agricole emporte, pour le sociétaire, engagement de se conformer à ses statuts et à son règlement intérieur, impliquant notamment l’acceptation des modalités de fonctionnement des comptes courants d’associés dénommés ‘comptes coopérateurs’ et l’établissement de relevés de compte adressés mensuellement à chaque sociétaire pour notification des sommes dues par lui à la coopérative , sur lesquels figurent au débit et au crédit les opérations réalisées pour chaque activité pendant une période déterminée entre la coopérative et le sociétaire.

Il ressort également de l’article 7-9 des statuts qu’en cas de non-paiement d’un solde débiteur à la date d’exigibilité figurant sur l’un quelconque des relevés de compte mensuels adressés à l’associé coopérateur , il serait appliqué des intérêts de retard mensuels sur les sommes dues en principal, à un taux plein de 0,8 % par mois (soit 9,6 % par an) se substituant au taux minoré à l’issue d’une période de deux mois débutant à compter du premier jour du mois suivant celui où tout débit en principal est comptabilisé.

À cet égard, la société Triskalia produit les relevés du compte de l’EARL sur lequel a été affecté la créance arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, faisant apparaître les intérêts statutaires facturés périodiquement à l’EARL ainsi que les règlements effectués par la société Colarena.

Ces relevés n’ont jamais été contestés par l’EARL, laquelle ne suggère à présent qu’en termes généraux et non étayés par une offre de preuves que les comptes de la coopérative seraient confus et imprécis.

Il convient par conséquent, après réformation du jugement attaqué, de condamner l’EARL à payer à la société Eureden, au titre de du solde du compte précontentieux, la somme de 13 355,09 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 11 980,97 euros à compter du 1er mars 2018.

Sur le solde du compte d’activités générales

La société Eureden soutient par ailleurs que le compte d’activités générales de l’EARL présentait, du fait de la poursuite des relations du sociétaire avec la coopérative , un solde débiteur de 1 240,64 euros arrêté au 31 janvier 2018.

Au titre de son appel incident, l’EARL soutient que l’action en paiement de cette créance serait prescrite, celle-ci ne s’étant plus approvisionnée auprès de la société Triskalia ‘de longue date’.

Il ressort cependant du compte d’activité générale produit et des factures incluses dans la production de cette pièce n° 7 qu’une prestation de conseil ‘Agro Planiterre’ a été facturée le 30 juin 2015 pour un montant de 862,80 euros TTC exigible le 28 juillet 2015, qu’une prestation de déclaration PAC a été facturée le 31 juillet 2015 pour un montant de 120 euros TTC exigible le 25 août 2015, et qu’une prestation de laboratoire a été facturée le 31 août 2015 pour un montant de 139,20 euros TTC exigible le 25 septembre 2015, si bien que, compte tenu des intérêts statutaires de retard et de la déduction d’un avoir, le compte était débiteur d’une somme de 1 240,64 euros, dont 1 018,03 euros en principal, au 31 janvier 2018.

Il s’en évince que le délai de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, courant à compter de la date d’exigibilité de ces factures, n’était pas expiré au jour de l’assignation du 2 mai 2018.

L’action en paiement du solde de ce compte est donc recevable.

Dès lors, l’EARL, qui n’a jamais contesté les relevés de ce compte et était, comme précédemment souligné, statutairement tenue de s’acquitter du solde débiteur de celui-ci, sera condamnée au paiement de la somme de 1 240,64 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 1 018,03 euros à compter du 1er mars 2018.

Sur le délai de grâce

Il n’y a pas matière à accorder un délai de grâce à l’EARL, laquelle a déjà bénéficié des larges délais de la procédure pour s’acquitter d’une dette à présent ancienne.

Le jugement attaqué sera donc également réformé sur ce point.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Eureden l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’EARL, qui succombe, supportera seule les entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 16 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Vannes, sauf en ce qu’il a condamné le GAEC S & C Filatre au paiement de la somme de 1 240,64 euros au titre du solde débiteur du compte d’activités générales ;

Déclare l’action en paiement du solde du compte précontentieux recevable ;

Condamne à ce titre l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 13 355,09 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 11 980,97 euros à compter du 1er mars 2018 ;

Déclare l’action en paiement du solde du compte d’activités générales recevable ;

Condamne à ce titre l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 1 240,64 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 1 018,03 euros à compter du 1er mars 2018 ;

Condamne l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l’EARL Ferme de Nonguais aux dépens de première instance et d’appel ;

Cour d’appel Rennes 2e chambre du 12 Mai 2023
RG : 20/00811