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Vente d’un domaine agricole : effet de l’engagement de l’acquéreur substitué de louer le bien acquis à un preneur agréé par la SAFER


Lorsque le substitué prend l’engagement de louer le bien acquis à un preneur agréé par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural dans les conditions prévues par l’article R. 142-1, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.

Selon l’article L. 141-1, II, 2°, du Code rural et de la pêche maritime, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) peuvent se substituer un ou plusieurs attributaires pour céder des biens ruraux, terres, exploitations agricoles ou forestières, soit par une promesse unilatérale de vente, soit par une promesse synallagmatique de vente.

Aux termes de l’article R. 142-1, alinéa 2, du même code, les SAFER peuvent céder ces biens à des personnes qui s’engagent à les louer à des preneurs agréés par la SAFER, à condition que cela permette l’installation, la réinstallation ou le maintien d’agriculteurs, ou la consolidation d’exploitations viables selon les critères régionaux.

Lorsque le substitué s’engage à louer le bien à un preneur agréé par la SAFER selon l’article R.142-1 alinéa 2, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.

Source

Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 22-23.678, FS-B

Nullité du bail rural : le preneur n’a pas droit à l’indemnité au titre des améliorations apportées au fonds

Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 23-11.688, FS-B

Le preneur dont le bail a été annulé peut-il prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds ? Non, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 11 juillet.

Pour ordonner une expertise judiciaire en vue de l’évaluation de l’éventuelle indemnité due aux preneurs sortants en application de l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime, l’arrêt d’appel, rendu sur renvoi après cassation, retient que, même en cas d’annulation d’un bail rural signé par l’usufruitier sans le consentement du nu-propriétaire, le preneur est recevable à solliciter le bénéfice d’une telle indemnité (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-23.457).

Parce qu’il avait constaté la nullité des baux, l’arrêt critiqué est cassé.

Pour le juge de cassation, il résulte de l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article L. 411-69, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime, que le preneur dont le bail a été annulé et est donc censé n’avoir jamais existé ne peut prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue par le second de ces textes.

Il faut retenir que le preneur dont le bail a été annulé ne peut pas prétendre à l’indemnité, prévue à l’article L. 411-69, pour les améliorations apportées au fonds loué par son travail ou ses investissements. Cette indemnité n’est due qu’à l’expiration régulière d’un bail valide, et non en cas de nullité rétroactive du bail. En résumé, la nullité du bail fait obstacle au versement de l’indemnité de sortie pour améliorations, car le bail annulé est censé n’avoir jamais existé juridiquement.

Source : Entreprise agricole > Baux ruraux Date : 18 juillet 2024

PLANS DE CAMPAGNE DITS ILLEGAUX : ANNULATION DU TITRE DE RECETTES

Par un arrêt avant dire droit n° 22NT00179 du 1er juillet 2022, la cour a, avant de statuer sur la requête de la Société coopérative agricole (SCA)  » Les Vergers d’Anjou  » ordonné une expertise afin de déterminer, après examen de l’ensemble des pièces détenues par la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , si ces pièces permettent d’identifier, et dans quelle mesure, les personnes ou entreprises, destinataires finaux, des aides perçues au titre des  » plans de campagne  » entre 1998 et 2002.

L’expert a remis son rapport le 4 décembre 2023.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 février 2024 et 17 mai 2024, la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , représentée par Me Berkani, maintient les conclusions de sa requête d’appel par lesquelles elle demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis le 25 juin 2018 par le directeur général de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue d’obtenir le remboursement de la somme de 3 705 767,46 euros correspondant à un montant global d’aides versées dans le cadre du  » programme Plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, augmenté des intérêts moratoires et à la décharge de cette somme ;

2°) d’annuler le titre de recettes émis le 25 juin 2018 ;

3°) de la décharger de la somme de 3 705 767,46 euros que le titre de recettes a pour objet de recouvrer ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’expert a confirmé les difficultés d’ordre matériel qu’elle avait mises en avant pour retrouver l’intégralité des archives susceptibles d’attester des flux financiers afférents au versement des aides  » Plans de campagne  » aux producteurs en raison notamment de la très grande ancienneté du versement des aides, de la disparition de l’Union des Vergers de France par laquelle les aides ont transité, et de la disparition des archives de l’Union des documents relatifs à l’exercice 1998-1999 ;

– l’expert a en outre relevé les difficultés d’ordre comptable liées à l’asymétrie des dates de clôture des exercices comptables et au versement échelonné des aides ;

– ces difficultés doivent être prises en considération au stade de l’identification des bénéficiaires finaux des aides et du montant dont chacun a pu bénéficier ;

– en dépit de ces difficultés, les conclusions de l’expert confirment que les producteurs membres de la SCA Les Vergers d’Anjou ont bien été les destinataires finaux des aides :

o bien que le montant reversé à chaque producteur n’ait pu être  » attesté  » par l’expert comptablement à défaut de mention explicite sur les bordereaux de règlement du montant des aides incluses dans les sommes versées à chaque producteur, l’expert a conclu que les éléments produits étaient de nature à permettre de comprendre le cheminement des aides issues des  » plans de campagne  » depuis l’ONIFHLOR jusqu’aux producteurs via le comité économique agricole du Val de Loire, l’Union des vergers de France et la SCA ;

o en vertu de la jurisprudence de la CJUE, l’aide illégalement accordée ne peut être récupérée auprès de l’organisation de producteurs que si l’Etat établit que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été versée à ces derniers ;

o l’identification des producteurs qui ont bénéficié des aides issues des  » plans de campagne  » et du montant qu’ils ont perçu s’effectue de manière pragmatique et l’utilisation d’une méthode de calcul peut être admise, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, dès lors que le producteur est présumé être le destinataire final des aides ;

– dès lors qu’elle n’est pas la bénéficiaire finale des aides dont la restitution est réclamée par le titre litigieux, ce titre méconnaît le droit européen tel qu’interprété par la CJUE ;

– les conclusions de l’expert révèlent l’absence de justification des sommes réclamées par FranceAgriMer.

Par des mémoires, enregistrés les 28 mars 2024 et 24 mai 2024, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête de la SCA  » Les Vergers d’Anjou  » et à ce qu’il soit mis à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’expertise n’a pas permis d’établir que la SCA Les Vergers d’Anjou a effectivement versé les fonds aux producteurs, dès lors que la SCA a procédé à une reconstitution théorique, réalisée à partir d’une règle de trois.

Vu :

– les autres pièces du dossier ;

– l’ ordonnance du 4 janvier 2024 , par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais de l’expertise réalisée par M. A… à la somme de 8 853,94 euros toutes taxes comprises.

Vu :

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D portant modalités d’application de l’ article 93 du traité CE A61DBBD8B146A7526679B0B4F47C9163 ;

– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 8D97F606DDD05BB17DF0F493C29A4705 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D ;

– la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 99A73B968F65CC22A362FE27CD50415D relative aux aides dites  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;

– l’arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l’Union européenne ;

– le code de commerce ;

– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 BE71313B3E61C870AE3C669452A7AE85 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Lellouch,

– les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

– et les observations de Me Sanguinette, substituant Me Berkani, représentant la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , et de Me Alibert, représentant l’établissement FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l’établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites  » plans de campagne  » étaient versées par l’ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d’une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d’Etat instituées en méconnaissance du droit de l’Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 25 juin 2018 à l’encontre de la société coopérative agricole (SCA) « Les Vergers d’Anjou » un titre de recettes d’un montant de 3 705 767,46 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées dans le cadre des  » plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCA  » Les Vergers d’Anjou  » relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce titre de recette et à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par le titre exécutoire.

Sur le bien-fondé de la créance :

2. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne du 28 janvier 2009 citée au point 1 :  » (…) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l’initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles « . Aux termes, toutefois, du point 49 de cette même décision :  » (…) il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l’aide n’ait pas été transféré par l’organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l’aide sera l’organisation de producteurs « . La Commission européenne conclut au point 84 de sa décision que :  » L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière « . Et il résulte du point 85 que les Etats ne peuvent procéder à la récupération des aides illégales auprès des organisations professionnelles sans chercher à démontrer que ces organisations professionnelles auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers.

3. Il résulte du point précédant qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend récupérer les aides en litige, non auprès des producteurs membres d’une organisation de producteurs, mais de l’organisation de producteurs elle-même, de démontrer que les aides n’ont pas été transférées par celle-ci à ces producteurs mais conservées par elle. Cette règle en vertu de laquelle la charge de la preuve de la conservation des aides par l’organisation de producteurs pèse sur l’autorité administrative doit être combinée avec celle suivant laquelle s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Or, pour que l’autorité administrative soit susceptible de déterminer l’identité de la personne ayant bénéficié des montants d’aides, il importe qu’elle dispose de données, qui ne peuvent lui être fournies que par la SCA Les Vergers d’Anjou en sa qualité d’organisme venant aux droits et obligations de l’Union Les Vergers de France.

4. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise, que les aides aux exportations lointaines, issues des plans de campagne 1998 à 2002, versées par l’ONIFLHOR, transitaient par le Comité économique du Val de Loire, qui reversait les fonds à trois organisations de producteurs, dont la SCA Les Vergers d’Anjou, lesquelles les reversaient à leur tour intégralement à l’Union des Vergers de France, chargée notamment de mettre en œuvre des actions commerciales en faveur des producteurs, financées notamment par les fonds des plans de campagne. En 2008, l’Union commerciale Les Vergers de France a été dissoute sans liquidation, entraînant la transmission universelle de son patrimoine à la SCA Les Vergers d’Anjou, qui en était à cette date la seule associée.

5. La SCA Les Vergers d’Anjou fait valoir qu’une fois les opérations commerciales réalisées, l’Union des Vergers de France restituait les aides aux producteurs, grâce aux marges dégagées par ces opérations, et sous forme de complément de prix du règlement des ventes en fonction de la part que leurs productions représentaient dans la commercialisation, par l’intermédiaire des organisations de producteurs membres de l’Union. Au soutien de ces allégations, la SCA Les Vergers d’Anjou a produit, pour la première fois en appel, quatre tableaux qu’elle a établis à partir des données dont elle disposait, dans lesquels elle a reconstitué les aides indirectement versées aux producteurs dans le cadre du programme  » plans de campagnes  » au titre des exercices 1999-2000, 2000-2001, 2001-2002 et 2002-2003, pour un montant total de 1 405 848,93 euros. La SCA a ainsi identifié, pour chacun de ces quatre exercices comptables, les producteurs individuels bénéficiaires en indiquant précisément, par producteur nommément identifié, le montant de l’aide qui leur a été chacun reversé en fonction de la quantité de fruits qu’ils avaient eux-mêmes apportés. Il résulte de l’expertise ordonnée avant dire droit qu’il s’agit d’une reconstitution théorique du cheminement des aides intégrées dans les prix de vente unitaires sur les bordereaux de règlement, qui ne font cependant pas explicitement mention du montant de l’aide ainsi reversée. Bien que l’expert ait indiqué qu’il n’avait pas les moyens de vérifier l’origine des informations contenues dans ces tableaux, sauf à les rapprocher de tous les bons de calibrage, ce qu’il n’a pas estimé possible de faire, il a toutefois, pour chacun des quatre exercices concernés, et en s’appuyant à chaque fois sur un exemple de variété de pomme, détaillé le circuit de ces aides. Si l’expert judiciaire n’a pas été en mesure, à défaut de flux financiers matérialisés ou directement identifiables, de vérifier la réalité du reversement individualisé aux producteurs des sommes figurant sur les tableaux, il a toutefois attesté de l’existence, constatée par huissier de justice, des documents qui ont servi à les élaborer et a pu observer qu’il existait une méthode de calcul de prix définitifs aux organisations de producteurs et aux producteurs individuels qui tenait compte des aides de campagne, en s’appuyant notamment sur les extraits de procès-verbaux du conseil d’administration de la SCA Les Vergers d’Anjou produits par cette dernière. Au terme de l’analyse approfondie à laquelle il s’est livré, l’expert n’a pas remis en cause le fait que les aides ont bien été reversées aux producteurs en complément du prix de vente des fruits. Il a conclu son rapport en confirmant l’existence d’un calcul intégrant les aides issues des plans de campagne dans le prix de règlement des ventes aux producteurs individuels et en a déduit que  » cette méthode appliquée pour déterminer les prix de vente tend à démontrer que les aides étaient indirectement restituées aux producteurs adhérents de l’Union « . Au regard de l’ensemble de ces éléments, en se bornant à relever qu’aucun document comptable ne retrace les flux financiers des aides, FranceAgriMer ne peut être regardée comme renversant la présomption de perception par les producteurs finaux, que la SCA a précisément identifiés, des aides illégalement versées. FranceAgriMer ne peut ainsi être regardée comme apportant la preuve que les aides n’auraient pas été reversées aux producteurs individuels identifiés dans les tableaux au titre des quatre exercices mentionnés ci-dessus et à hauteur des sommes qui y sont indiquées par la SCA requérante, correspondant à un montant total de 1 405 848,93 euros.

6. En revanche, compte tenu de la disparition des archives de l’Union des Vergers de France des documents relatifs à l’exercice 1998-1999, il est constant que la SCA Les Vergers d’Anjou n’a pas été en mesure d’identifier les producteurs individuels bénéficiaires des aides versées dans le cadre du programme des plans de campagne au titre de cette période. Pour cette période, et en application des principes rappelés au point 3, FranceAgriMer pouvait estimer que les aides d’Etat n’avaient pas été transférées aux producteurs et que la SCA Les Vergers d’Anjou, qui s’est vu transmettre l’ensemble du patrimoine de l’Union des Vergers de France, devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des aides illégales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Les Vergers d’Anjou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à son encontre en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance et à ce qu’elle soit déchargée de la somme correspondante.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :  » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens « .

9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l’essentiel, la somme de 8 853,84 euros toutes taxes comprises au titre des frais d’expertise.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCA Les Vergers d’Anjou, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que FranceAgriMer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCA Les Vergers d’Anjou et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à l’encontre de la SCA Les Vergers d’Anjou est annulé en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 18 novembre 2021 est annulé en ce qu’il est contraire à l’article 1er.

Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de FranceAgriMer pour un montant de 8 853,84 euros toutes taxes comprises.

Article 4 :FranceAgriMer versera à la SCA Les Vergers d’Anjou une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 :Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 :Le présent arrêt sera notifié à la Société coopérative agricole Les Vergers d’Anjou, à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cour administrative d’appel Nantes 3e chambre 28 Juin 2024 Numéro de requête : 22NT00179

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

03/07/2024

Clara LAVIELLE
Rédactrice en chef de la revue Droit des sociétés

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

L’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant la renonciation à la revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Par ailleurs, la renonciation faite lors de l’apport effectué à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.

Aux termes des statuts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), l’épouse commune en biens de l’un des deux fondateurs du groupement « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté […], consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC », et « ne requiert pas la qualité d’associé ».

Suivant un procès-verbal d’une assemblée générale, cette épouse a été agréée, à sa demande, en qualité d’associée à concurrence de la moitié des parts dépendance de la communauté de biens existant entre elle et son époux. Lors de deux assemblées générales postérieures à cet agrément, l’existence du GAEC a été prorogée et les comptes approuvés. L’époux et co-fondateur du groupement a assigné ce dernier en annulation de ces assemblées.

Par un arrêt du 4 mars 2022, la cour d’appel d’Amiens a jugé que l’épouse du co-fondateur du GAEC n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé du groupement et, partant, a déclaré nulles et de nul effet les assemblées générales, constaté la dissolution du groupement et ordonné sa liquidation conformément aux statuts (CA Amiens, 4 mars 2022, n°19/00756).

Par cet arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, sauf en ce qu’il a reconnu recevable la demande formée par le co-fondateur du groupement.

En premier lieu, elle valide le raisonnement de la cour d’appel s’agissant de l’interprétation des deux clauses statutaires litigeuses, jugeant que bien qu’elles ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du Code civil, elles établissent que l’épouse du coassocié a « renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». Elle rappelle ainsi, d’une part, qu’un conjoint peut renoncer à revendiquer la qualité d’associé et, d’autre part, que cette renonciation présente un caractère définitif (Cass. com. 12 janv. 1993, n° 90-21.126). Mais, plus que cela, elle précise également que l’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant l’absence de revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Cette souplesse dans l’interprétation de la renonciation à la revendication de la qualité d’associé, favorisant l’esprit plutôt que la lettre des dispositions statutaires y afférentes, se situe dans le droit fil d’un arrêt du 21 septembre 2022 ayant reconnu la validité d’unerenonciation tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer (Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26.203).

En second lieu, contrairement à la cour d’appel, la Haute Juridiction juge qu’il résulte de l’ancien article 1134 du Code civil – qui constitue, pour rappel, le siège de la force obligatoire du contrat reprise aujourd’hui à l’article 1103 du même code – que « la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité ». Partant, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur les seules dispositions statutaires afférentes à cette renonciation pour dire que l’épouse du co-fondateur du groupement n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé et que l’assemblée l’ayant agréée est nulle ; il convenait qu’elle recherche si les deux associés n’avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à son entrée dans le groupement. S’il était déjà acquis que « renoncer à la revendication […] n’équivaut pas nécessairement à abandonner définitivement la possibilité d’entrer dans la société » (Cl. Farge, N. Jullian, N. Kilgus et R. Mortier, « Parts sociales non négociables : les dangers de l’article 1832-2 du Code civil » : JCP N n° 43, 2022, 1244), puisque celui qui a renoncé à revendiquer la qualité d’associé peut la réclamer « à l’occasion d’un autre apport ou d’une autre acquisition opérée ultérieurement à raison des parts nouvelles souscrites ou acquises [avec], éventuellement […], l’agrément des coassociés dans les termes de l’article 1832-2, alinéa 3, du Code civil » ou « grâce à la cession d’une partie des droits sociaux en cause que lui consentirait son époux, sous réserve le cas échéant d’un agrément par les associés stipulé dans les statuts » (JCl Civil Code, art. 1832 à 1844-17, fasc. 10), il est désormais admis qu’en dehors de ces hypothèses, l’unanimité des associés lui reconnaisse à sa demande, postérieurement à sa renonciation, cette qualité.

Au regard des réponses inédites apportées par la Cour de cassation dans cet arrêt, il le fait nul doute que les questions soulevées lors du 118e Congrès des notaires de France tenant à l’utilité de l’article 1832-2 du Code civil, dans un contexte global où nombre d’auteurs militent pour la suppression de cette disposition (A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l’article 1832-2 du Code civil, in Mél. M. Germain : LexisNexis, 2015, p. 697 ; E. Naudin, Champ d’application de l’article 1832-2 du code civil : pour une approche restrictive : JCP N 2015, n° 44, 1193), refassent surface… 

Source

Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B

BAIL RURAL – Statut du fermage et du métayage – Domaine d’application – Nature et superficie des parcelles – Moment d’appréciation – Date de conclusion du bail ou de renouvellement du bail –

RESUME

En application de l’article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement
Cassation


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUIN 2024

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 avril 2022), le 31 juillet 1989, [Z] [R] et [W] [F], son épouse, ont consenti à M. [N] un bail rural à long terme pour une durée de dix-huit ans à compter du 1er avril 1989 portant sur diverses parcelles dont l’une a été divisée en six parcelles suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009.

2. Par acte du 26 mai 2010, un partage est intervenu entre les héritiers de [Z] [R] et [W] [F], et M. [R] s’est vu attribuer une parcelle issue de la division de l’une des parcelles données à bail suivant le document d’arpentage précité.

3. Il a reçu, par acte du 10 septembre 2010, une donation de son frère portant sur deux autres parcelles incluses dans ce document.

4. M. [R] a délivré congé pour les trois parcelles précitées à M. [N] par acte du 28 mars 2019 à effet au 30 septembre 2019, se prévalant du régime des petites parcelles.

5. M. [N] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [N] fait grief à l’arrêt de constater la validité du congé, alors « que des parcelles données à bail ayant une superficie inférieure au seuil maximum fixé par arrêté du préfet du département relèvent du statut du fermage si elles sont issues d’une division du bien loué intervenue depuis moins de neuf ans ; que le statut du fermage demeure applicable jusqu’à l’expiration du bail renouvelé au cours duquel la division du fonds donné à bail est intervenue, de sorte que la condition de délai de neuf ans, qui commence à courir à partir de la date de la division, doit être appréciée à la date du renouvellement de ce bail ; qu’en retenant, pour dire que les parcelles A [Cadastre 3], A [Cadastre 4] et A [Cadastre 5] échappaient partiellement au statut du fermage et valider le congé délivré le 28 mars 2019 pour le 30 septembre 2019, qu’il résultait de l’acte de partage du 10 septembre 2010 que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] avait été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objet du congé, suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009, de sorte qu’à la date de la délivrance du congé, la condition de neuf ans était remplie, après avoir constaté que le bail s’était tacitement renouvelé 1er avril 2016, ce dont il résultait qu’à cette date, la condition de neuf ans n’était pas remplie, la cour d’appel a violé l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-1 et L. 411-3 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-47 et L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime :

7. Selon le premier de ces textes, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.

8. Aux termes du premier alinéa du second texte, après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l’autorité administrative fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d’une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3. La nature et la superficie maximum des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location sont celles mentionnées dans l’arrêté en vigueur à cette date.

9. Aux termes du deuxième alinéa de ce second texte, la dérogation prévue au premier alinéa ne s’applique pas aux parcelles ayant fait l’objet d’une division depuis moins de neuf ans.

10. L’indivisibilité du bail cessant à son expiration, dès lors que le bail renouvelé est un nouveau bail, la nature et la superficie des parcelles susceptibles d’échapper aux dispositions d’ordre public relatives au statut du fermage doivent être appréciées au jour où le bail a été renouvelé (3e Civ., 1er octobre 2008, pourvoi n° 07-17.959, Bull. 2008, III, n° 142).

11. Il en résulte que le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement.

12. Pour valider le congé, l’arrêt retient que la division s’entend, en l’espèce, du morcellement d’une parcelle par le biais d’une division parcellaire et non d’un simple allotissement dans le cadre d’une procédure de partage, et que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] a été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objets du congé, suivant document d’arpentage établi le 30 novembre 2009, et énonce que, si la division parcellaire est intervenue durant la durée initiale d’exécution du bail, un congé ne peut être donné qu’à l’issue d’un délai de neuf ans à compter du renouvellement de celui-ci, mais que, si la division intervient, alors que le bail a déjà été renouvelé, alors le délai de neuf ans commence à courir à compter de la division parcellaire.

13. Elle en déduit qu’à la date de la délivrance du congé, le 28 mars 2019, la condition de neuf ans qui a commencé à courir avant la fin de l’année 2009 était remplie, dès lors que cette division était intervenue alors que le bail rural était déjà renouvelé, échappant ainsi au principe d’indivisibilité.

14. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le bail en cours s’était renouvelé le 1er avril 2016, soit moins de neuf ans après la division intervenue par acte de partage du 26 mai 2010, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 avril 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Douai autrement composée ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.

Cour de cassation 3 juin 2024 Pourvoi n° 22-18.861

Droit rural – Quels circuits de proximité pour une commercialisation au « juste prix » ? – Etude par Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté

Droit rural n° 6-7, Juin-juillet 2024, dossier 29

Quels circuits de proximité pour une commercialisation au « juste prix » ?

Etude par Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté maître de conférences à l’université de Poitiers

À la croisée des questions agricoles et alimentaires émergent, sur l’ensemble du territoire, des initiatives en rapport avec les circuits de proximité au « juste prix ». Ces formes d’innovations sociales interrogent le domaine et la logique de marché du droit applicable à la commercialisation des produits agricoles. Le législateur reconnaît et accompagne des démarches expérimentales spécialement depuis la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

1. – La question du prix dans les relations commerciales agricoles est un serpent de mer jamais vaincu : les crises se succèdent et se ressemblent. La structure des marchés agricoles est défavorable au producteur. L’asymétrie entre une offre atomisée et une demande concentrée, plus ou moins marquée selon les filières, conduit souvent à priver l’agriculteur de tout pouvoir de contre-proposition. Le « puissant » est tenté d’obtenir des conditions contractuelles iniques au premier rang desquelles un prix peu rémunérateur voire insuffisant à couvrir les coûts de production. Le consommateur est invité à faire preuve de solidarité, à orienter son acte d’achat vers des produits à forte valeur ajoutéeNote 1 (en espérant qu’elle ruisselle sans entrave) ou, mieux, vers des filières à juste répartition de la valeur ajoutée. L’affichage social de type rémunérascore et les labels de commerce équitable nord-nordNote 2 ont le vent en poupe.

2. – Mais les consommateurs engagés disposant d’une capacité à payer suffisante ne constituent pas le gros des caddies. Le consommateur moyen est volatil, sans compter toutes celles et ceux qui peinent à se nourrir. L’inflation du prix de l’alimentation et l’augmentation de la pauvreté en France menacent l’accessibilité à tous les mangeurs des produits agricoles de qualité. La crise agricole en percute une autre, la crise sociale, qui invite à une approche croisée des questions du prix des produits agricoles, trop bas, et du prix des produits alimentaires, trop élevé. En la matière, les règles de droit son fortement polarisées : les pouvoirs publics s’attachent tantôt à la rémunération des producteurs, tantôt au pouvoir d’achat des consommateurs.

3. – Pour lutter contre les prix agricoles trop bas, le législateur prétend restaurer l’équilibre des relations commerciales par la contractualisation pluriannuelle obligatoire. Constamment en chantier, tiraillé entre libéralisme et interventionnisme, son corpus est formé d’un entrelacs de textes éclatés entre le Code rural et de la pêche maritime et le Code de commerce, parfois peu intelligibles, souvent inefficaces. À bien des égards le droit des relations commerciales agricoles s’apparente à un pistolet à eau face au brasier. La liberté des prix et de la concurrence demeure une loi d’airain et, dans ce petit jeu de tir à la corde entre amont et aval, la main invisible autant que les pouvoirs publics échouent à arbitrer, peut-être par crainte de l’effet inflationniste que pourraient avoir des mesures trop vigoureusesNote 3 .

4. – En miroir, pour lutter contre les prix trop élevés de l’alimentation, les pouvoirs publics s’emploient à soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs par des mesures le plus souvent provisoires qui visent tantôt à stimuler leur capacité à payer, tantôt à bloquer certains prix. Le « panier anti-inflation », mesure phare à défaut d’être lumineuse, reposait sur l’engagement moral des enseignes de grande distributionNote 4 qui s’auto-proclament volontiers défenseurs des intérêts du consommateur, avec l’assentiment plus ou moins assumé des pouvoirs publics. Pour les mangeurs les plus précaires enfin, celles et ceux qui ne peuvent pas consommer au sens économique du terme, l’État organise un système d’aide alimentaire de nature caritative. Au final, producteurs et consommateurs partagent le même risque de dépendance aux acteurs de la transformation et de la distribution alimentaires et subissent la même impuissance du droit à agir, directement ou indirectement, sur le niveau des prix dans un système d’économie libérale.

5. – En réaction certains s’organisent pour imaginer des circuits de commercialisation « au juste prix », juste prix au sens thomiste du terme c’est-à-dire raisonnablement profitable à chacun et au bien communNote 5 . La plupart de ces initiatives visent à réarmer la relation producteur/consommateur au moyen de nouvelles filières qui reposent sur une double proximité géographique et organisationnelle. Pour y parvenir, elles réagencent tout ou partie des trois dimensions classiques d’une filière agro-alimentaire : un collectif d’acteurs, un processus logistique et une chaîne de valeurNote 6 . À s’en tenir aux marchés privés alimentaires on peut citer, en vrac : AMAP, jardins partagés, fermes urbaines, épiceries solidaires, coopératives citoyennes de distribution alimentaire, caisse commune de l’alimentation… Leur diversité fait obstacle à la systématisation. On observe cependant un dénominateur commun : toutes sont des innovations, c’est-à-dire « des processus collectifs multi-acteurs qui émergent dans les territoires pour répondre [au moyen de nouvelles modalités de coordination]Note 7 à des besoins sociaux non satisfaits dans le contexte actuel des marchés et des politiques [publiques] »Note 8 . Elles constituent un modèle de transformation sociale concurrent du droit. Là où le droit repose sur une démarche descendante, obligatoire, globale et rétive à l’incertitude, l’innovation sociale repose sur une démarche ascendante, de libre initiative, locale et expérimentale. Quels rapports entretiennent-ils ? La relation entre droit et innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix mérite d’être interrogée.

6. – L’innovation sociale, c’est faire autrement avec l’existant, c’est puiser dans les ressources juridiques disponibles les instruments nécessaires à la construction de circuits de commercialisation d’un genre nouveau. Nous envisagerons en premier lieu les instruments juridiques pour l’innovation en rapport avec les circuits de proximité au juste prix. Le législateur, spécialement depuis la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, n’est plus indifférent à ces processus de transformation initiés par la base. En contexte de transition agroécologique la règle de droit a évolué pour mieux prendre en compte tout à la fois la méthode expérimentale et ses résultats. Nous envisagerons en second lieu le cadre juridique de l’innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix.

1. Les instruments juridiques pour l’innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

7. – Les possibilités et impossibilités juridiques d’agir, dit autrement le catalogue d’instruments disponibles, dépendent du cadre de régulation dans lequel s’inscrivent les nouveaux modèles économiques et agencements d’acteurs. Or, par hypothèse, le législateur a toujours un temps de retard en sorte que les innovations se coulent parfois mal dans les qualifications et régimes en vigueur. Les innovateurs doivent composer d’abord avec la valse-hésitation liée à la détermination du droit applicable aux circuits de proximité au juste prix. Ils doivent composer ensuite avec la logique de marchéNote 9 , dont ils cherchent à s’extraire, qui sous-tend l’ensemble du droit des relations commerciales agricoles.

A. – Composer avec le droit applicable aux circuits de commercialisation

8. – Un circuit de proximité se présente comme une chaîne plus ou moins longue de contrats translatifs de la propriété d’un produit agricole destiné à être consommé brut ou transformé. Tout contrat de vente de produits agricoles livré sur le territoire français est en principe soumis aux dispositions des articles L. 631-24 et suivants du Code rural et de la pêche maritime qui instituent une contractualisation écrite et pluriannuelle obligatoire. Dans quelle mesure s’applique-t-elle aux circuits de proximité qui poursuivent l’ambition de parvenir à un juste prix pour tous ? La réponse est en pratique essentielle car ce corpus, pensé pour des filières déséquilibrées et trans-territoriales, est largement inadapté à ces initiatives locales. Dans un avis rendu le 30 janvier dernierNote 10 , la commission d’examen des pratiques commerciales a rappelé qu’en l’absence de dispositions légales le prévoyant, la proximité géographique entre les acteurs impliqués ne suffisait pas à échapper à l’obligation de contractualisation. En l’état les exemptionsNote 11 , qui concernent certains contrats et certains acteurs considérés par le législateur comme « non pathologiques », peinent à embrasser la proximité organisationnelle, certains nouveaux agencements d’acteurs que l’on observe sur le terrain.

9. – L’obligation de contractualisation ne s’applique pas aux ventes directes au consommateur. Comment traiter les AMAP, groupements d’achats citoyens et autres coopératives de consommateursNote 12 qui proposent un modèle de distribution social et solidaire ? Tout dépend des modalités d’intervention du collectif intermédiaire, très variables en pratique. Soit il intervient en qualité d’opérateur transparent via un contrat de mandat, de courtage ou encore une stipulation pour autrui. La relation contractuelle se noue directement alors entre producteur et consommateur. L’exception de vente directe s’applique. Soit il réalise des opérations d’achat-revente et l’exception de vente directe ne s’applique pas. La taille et les motivations de l’acheteur importent peu. Si un décret fixe un seuil générique de chiffre d’affaires en-dessous duquel le « petit » producteur est exempté de contractualisation (C. rur., art. R. 631-6 I) il n’existe pas, en regard, de seuil générique susceptible d’exempter le « petit » acheteur.

10. – L’obligation de contractualisation ne s’applique pas non plus aux cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées. On imagine que le législateur, familier des approximations rédactionnelles, a voulu désigner par-là les acteurs de l’aide alimentaire, ceux qui fournissent des aliments aux personnes en situation de vulnérabilité (CASF, art. L. 266-2). L’activité d’aide alimentaire peut être réalisée librement en dehors de toute habilitation. Le texte n’y faisant pas référence, il n’y a pas lieu de réserver l’exception caritative aux seules structures habilitées. Certains acteurs de l’aide alimentaire, portés par une volonté d’accès digne à l’alimentation, cherchent à s’extraire de la gratuité et imaginent des dispositifs hybrides qui heurtent la représentation binaire du législateur : le caritatif d’un côté, le marchand de l’autre. Les épiceries sociales et/ou solidaires par exemple demandent une participation financière aux personnes en situation de précarité. Les épiceries solidaires, ouvertes à tous, ne bénéficient certainement pas de l’exception caritative. Le doute est permis s’agissant des épiceries sociales : les denrées achetées servent à la préparation de repas certes, mais par les bénéficiaires eux-mêmes.

Les innovateurs doivent composer ensuite avec la logique de marché qui sous-tend l’ensemble du droit des relations commerciales agricoles.

B. – Composer avec la logique de marché

11. – Les initiatives en rapport avec les circuits de proximité au juste prix sont nombreuses à vouloir sortir d’une logique concurrentielle, d’une logique de marché. Dans un système juridique qui repose sur la liberté des prix, elles peuvent en théorie librement attribuer au produit agricole une valeur autre que la mercuriale, intégrant les besoins et capacités respectives du vendeur et de l’acheteur et possiblement aussi l’utilité sociale des modes et conditions de production. Mais l’affaire n’est pas toujours simple. Elle dépend au premier chef des contraintes économiques supportées par chacune des parties en présence. On sait par exemple que les initiatives d’accès digne à une alimentation durable qui font le choix d’un approvisionnement direct en local peinent à imaginer des « stratégies solides de financement » (clients solidaires, subventions, bénévolat, diversification des activités …) et, partant, à « combler la différence entre prix d’achat rémunérateur et prix de vente accessible »Note 13 . Les contraintes juridiques en revanche sont peu nombreuses, mais pas inexistantes.

12. – En vente directe, un agriculteur ou un collectif d’agriculteurs (coopérative, magasin de producteurs…) a toute latitude pour s’engager dans une politique tarifaire différenciée à partir d’éléments objectifs ou déclaratifs, pourvu que le prix soit déterminé ou déterminable. La tarification différenciée peut prendre la forme soit d’une catégorisation des consommateurs soit d’une pluralité de prix, liberté étant laissée à chacun de choisir celui qui correspond le mieux à sa capacité et à son consentement à payer, soit enfin d’un prix plancher assorti d’un complément de prix libreNote 14 .

13. – En vente intermédiée soumise à contractualisation obligatoire, les formules de prix doivent « prendre en compte » des indicateurs relatifs aux coûts de production, à la qualité, à l’origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges. Ces indicateurs sont repris ensuite par les contrats d’aval installant de la sorte un continuum à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement. En vente intermédiée non soumise à contractualisation obligatoire les formules de prix sont libres d’intégrer de tels indicateurs. Encore faut-il qu’ils existent, qu’ils soient disponibles et qu’ils soient adaptés. Les interprofessions ont été choisies par le législateur pour élaborer des indicateurs de référence (C. rur., art. L. 631-24 III). Si on comprend ce choix il présente, vu sous l’angle des circuits de proximité au juste prix, deux écueils. Le premier tient à l’éviction de la dimension « locale », qui a pourtant un impact sur les coûts de productionNote 15 . Les interprofessions se focalisent sur les modalités contractuelles en considération desquelles les indicateurs ont été rendus obligatoires : des filières longues, trans-territoriales et déséquilibrées. Elles n’élaborent pas, pour l’heure et à notre connaissance, d’indicateurs dédiés aux circuits de proximité. Le second tient à l’éviction des consommateurs de cet espace de dialogue autour des modalités de construction des prix. Depuis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, « les organisations interprofessionnelles peuvent [pourtant] associer les organisations représentatives des consommateurs pour le bon exercice de leurs missions » (C. rur., art. L. 632-1)Note 16 .

14. – Ce qui se joue en creux c’est l’apprentissage de nouveaux modes de fixation des prix qui parviennent à dépasser la logique concurrentielle à l’œuvre dans les filières agroalimentaires classiques. En théorie il est toujours possible de créer des comités de liaison avec les consommateurs dans des collectifs ou organisations de producteurs ou, à l’inverse, des comités de liaisons avec les producteurs dans des groupements de consommateurs. La pratique existe mais la consultation, sans pouvoir décisionnel, sans droit de vote, et l’absence de projet économique commun ne permettent pas de dépasser la logique de marché. Des initiatives locales proposent de surmonter l’écueil par la création de collectifs dotés de la personnalité morale qui associent producteurs et consommateurs. La société coopérative d’intérêt collectif, société commerciale de nature coopérative ayant pour objet la production ou la fourniture de biens et de services qui présentent un caractère d’utilité socialeNote 17 , s’y prête. Producteurs et consommateurs décident ensemble du modèle économique et votent les prix. D’autres initiatives locales se proposent, plus avant, d’établir une démocratie alimentaire. On songe à celles qui portent ou initient une sécurité sociale de l’alimentationNote 18 . Les instances de conventionnement constituent des espaces où agriculteurs et consommateurs déterminent tout à la fois le système de tarification des produits et celui des cotisations volontaires. L’innovation est poussée ici à un très haut niveau puisque la démarche ne vise pas à optimiser les structures de filières, elle propose de socialiser l’agriculture et l’alimentation. Comment le droit peut-il accompagner ces innovations, plus ou moins disruptives ? Quel est le cadre juridique de l’innovation sociale en rapport avec la commercialisation au juste prix ?

2. Le cadre juridique de l’innovation sociale pour la commercialisation au juste prix

15. – Le législateur est mis au défi d’accompagner l’émergence et la diffusion d’initiatives de collectifs d’acteurs hétérogènes qui agissent à la croisée des questions agricoles et alimentaires.

A. – Faire émerger les innovations en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

16. – La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a entraîné un renouvellement des formes et processus d’innovation en matière agricole et alimentaire en institutionnalisant des démarches expérimentales en dehors de l’écosystème classique de la recherche et développement (INRAE, instituts techniques agricoles…). On songe aux groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) mais aussi aux projets alimentaires territoriaux (PAT) destinés à rapprocher « producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités territoriales et consommateurs » (C. rur., art. L. 111-2-2). La labellisation permet de capter des financements qui demeurent, à ce jour, le principal levier de soutien public à l’innovation.

17. – Les circuits de proximité au juste prix se situent à la croisée de deux programmes qui visent à accompagner financièrement des processus d’innovation : le programme de développement agricole et rural et le programme national pour l’alimentation. Pour la période 2022-2027, leurs préoccupations convergent. Le CASDAR est réorienté vers le soutien à des chaînes de valeur équitables favorisant une relocalisation des productions agricolesNote 19 . Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture prévoit la création de plans prioritaires pluriannuels de transition et de souveraineté visant à faire émerger et soutenir dans la durée des démarches collectives innovantes. À dire vrai, les sources de financement sont nombreuses et éparpillées : l’ADEME et les régions sont particulièrement engagées sur ces questions. Les appels à projet ou à manifestation d’intérêt fleurissent qui mobilisent des crédits régionaux ou européensNote 20 .

18. – Une autre forme de soutien consiste à supprimer, pour un temps donné, les contraintes juridiques susceptibles de contrarier l’innovation. La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit en droit français le régime de l’expérimentation. L’article 37-1 de la Constitution autorise « la loi et le règlement à comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Tantôt le dispositif expérimental déroge à une norme existante dont il préfigure l’évolution ou l’abrogation. L’article 73 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 a lancé par exemple l’expérimentation des dispositifs d’abattoirs mobiles susceptibles d’améliorer la logistique des filières animales en circuits de proximitéNote 21 . Tantôt il établit une norme applicable à une partie seulement du corps social, volontaire ou désignée, avant de la généraliser, de la corriger ou d’y renoncerNote 22 . Le 16 janvier dernier Guillaume Garot a déposé une proposition de loiNote 23 créant, face à la précarité alimentaire, des Territoires Zéro Faim dont l’objectif est de généraliser, dans les territoires volontaires, la délivrance de titres de paiement permettant d’acquérir des produits alimentaires frais, locaux, issus de circuits courts ou de qualité tout en intégrant l’ambition de soutenir, par une juste rémunération, les productions agricoles locales. Elle vise à tester un mécanisme universel de sécurité sociale de l’alimentation. L’article 72, alinéa 4 de la Constitution autorise en outre « les collectivités territoriales et leurs groupements (…) à déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». En pratique ce dispositif est peu employéNote 24 , soit que les expérimentations conduites ne nécessitent pas de dérogation, soit qu’elles s’inscrivent dans des expérimentations nationales dont l’objet est le plus souvent soufflé par elles à l’oreille du législateur. L’expérimentation nationale préfigure alors un déploiement sur l’ensemble du territoire.

B. – Déployer les innovations en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

19. – L’aptitude des innovations éprouvées à transformer la société suppose un changement d’échelle. Comment le droit peut-il servir de caisse de résonance aux initiatives en rapport avec les circuits de proximité au juste prix ? Les instruments juridiques disponibles diffèrent selon leur niveau de maturité.

20. – La conditionnalité des aides publiques est un premier instrument de facilitation du changement d’échelle. A minima le financement de l’initiative est subordonné à la diffusion des résultats obtenus dans une logique de science ouverte. Le partage des connaissances est assuré ensuite par une mise en réseau (réseau des PAT, réseau rural…), avec l’appui d’acteurs tels que les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). A maxima le financement est subordonné à la forte réplicabilité des innovations ayant atteint un certain degré de maturitéNote 25 . Cette conditionnalité comporte un risque de verrouillage dans la mesure où certaines démarches sont fortement marquées par l’identité d’un territoire et sont donc peu duplicables par nature. Le propre de l’innovation au demeurant est d’intégrer la possibilité d’un échec : « teste, échoue, apprends ».

21. – L’innovation sociale atteint son acmé lorsqu’elle se normalise, lorsqu’elle est élevée au rang de norme. Pour les innovations stabilisées, cette normalisation peut passer par une stratégie de marque à l’initiative du collectif porteur. Un signe permet alors de distinguer une démarche réussie en rapport avec la commercialisation et de la dupliquer. Les AMAP par exemple, marque individuelle, ont choisi récemment d’évoluer vers une marque collective (CPI, art. L. 715-1) susceptible d’être exploitée par toute personne respectant le règlement d’usage sans en passer par un contrat d’exploitation. Le règlement d’usage fige l’agencement d’acteurs et les principes fondamentaux liés à cette forme originale de commercialisation de proximité au juste prix. Quiconque respecte les conditions a le droit d’utiliser la marque. Le déploiement opère alors par territoire, sur la base du volontariat.

22. – La normalisation peut passer enfin par la loi ou le règlement. L’innovation pénètre au cœur du droit. Les circuits de proximité bénéficient pour l’heure d’exceptions ponctuelles qui visent à supprimer les contraintes excessives ou inutiles en droit sanitaire, mais aussi en droit de la concurrence et, on l’a vu, en droit de la distribution. De la sorte, par petites touches, se construit un corpus dédié. La dernière petite touche en date est issue de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. L’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime prévoit désormais que les indicateurs utilisés pour la contractualisation obligatoire peuvent s’appuyer sur les modalités de fixation du prix des systèmes de garantie et des labels de commerce équitable (ce compris, pourquoi pas, les prix planchers). Une telle référence est remarquable : pour la première fois, ces filières alternatives ne sont pas regardées comme des exceptions mais sont proposées comme modèle, accréditant l’idée selon laquelle, même pour le législateur désormais, d’autres circuits de commercialisation sont possibles, partout et pour tous.▪

Mots clés : Droit rural. – Performance sociale de l’exploitation agricole . – Relations commerciales agricoles. – Innovation sociale.

Mots clés : Expérimentation. – Prix des produits. – Alimentation. – Agroécologie.

icon_paragraph_marker.gif Egalement dans ce dossier : articles 26, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36

Note 1 Type SIQO.

Note 2 WFTO, BioPartenaire, Fair for Life, Fairtrade/Max Havelaar, Agri-éthique et Bio équitable en France.

Note 3 La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation a pour finalité « d’assurer à la population l’accès à une alimentation (…) produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous » (C. rur., art. L. 1, 1°). La politique agricole commune a pour but « d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs » (TFUE, art. 39).

Note 4 I. Bouchema, Le droit à l’épreuve du risque de pénurie alimentaire : la fin de l’insouciance : RD rur. 2023, étude 13

Note 5 Un prix trop bas peut entraîner une surconsommation et donc une surexploitation des ressources naturelles. Un prix trop élevé peut avoir des répercussions sur la santé (FAO, La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 2023).

Note 6 R.-J. Aubin-Brouté, Agir sur les filières in « La relocalisation des systèmes alimentaires : un défi pour le droit » : Poitiers, Presses universitaires juridiques, 2021.

Note 7 B. Prévost, Des circuits courts à la reterritorialisation de l’agriculture et de l’alimentation : RECMA n° 331 (2014), p. 30.

Note 8 Y. Chiffoleau et D. Paturel, Les circuits courts alimentaires « pour tous », outils d’analyse de l’innovation sociale : Innovations 2016/2 (n° 50), p. 191.

Note 9 Un prix d’équilibre est censé émerger de la confrontation de l’offre et de la demande dans un contexte de concurrence pure et parfaite.

Note 10  CEPC, avis n° 24-3, relatif au champ d’application de l’obligation de contractualisation écrite pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs. 

Note 11 Sont exemptées les ventes directes au consommateur, les cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées, les cessions à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs et situés au sein des marchés d’intérêt national ou sur d’autres marchés physiques de gros de produits agricoles (C. rur., art. L. 631-24 I, al. 2).

Note 12 Certains circuits courts s’organisent sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Comme en coopérative agricole , les producteurs associés ne sont pas regardés comme des vendeurs. À la différence de la coopérative agricole , le règlement intérieur ou les règles ou décisions prévues par les statuts ou en découlant n’ont pas à comporter de dispositions produisant des effets similaires à ceux des clauses mentionnées au III de l’article L. 631-24. Cette exigence concerne en effet les seules sociétés coopératives agricoles mentionnées à l’article L. 521-1 du Code rural et de la pêche maritime (C. rur., art. L. 631-24-3).

Note 13 L. Pettgen, La fixation des prix des denrées agricoles entre producteurs et initiatives d’accès digne à une alimentation durable dans quatre métropoles françaises, mémoire master 2 : ISARA Lyon 2022.

Note 14 L’obligation d’affichage liée à l’information sur le prix des produits (C. consom., art. L. 112-1) peut rendre la pratique délicate à mettre en œuvre en point de vente physique. Elle existe toutefois : sur le marché du lavoir de Dieulefit par exemple, les clients choisissent librement entre 3 prix : accessible (65 %), juste (100 %) ou solidaire (125 %).

Note 15 Les agriculteurs peuvent y trouver un débouché pour des produits hors calibre avec des solutions logistiques à moindres frais. En pratique ils ont tendance à aligner leurs prix sur ceux pratiqués en circuit classique.

Note 16 L’interprofession des produits de la ruche prévoit la mise en place d’un « comité de liaison avec des associations de consommateurs et des organisations non gouvernementales », qui peut formuler des propositions au conseil d’administration (https://interapi.fr/fonctionnement/).

Note 17 L. n° 47-1775, 10 sept. 1947, art. 19 quinquies et s., portant statut de la coopération.

Note 18 https://securite-sociale-alimentation.org/.

Note 19 https://agriculture.gouv.fr/le-programme-national-de-developpement- agricole -et-rural-pndar-contexte-et-objectifs-2022-2027.

Note 20 PSN, p. 908.

Note 21 L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, art. 73, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Note 22 R.-J. Aubin-Brouté, Et bientôt… le rémunérascore ! : Quinzomadaire Agridroit, n° 9/2023.

Note 23 Prop. de loi n° 2064, 16 janv. 2024, créant, face à la précarité alimentaire, des Territoires Zéro Faim.

Note 24 CE, Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ?, étude 2019, p. 30 et 31.

Note 25 Par exemple : appel à manifestation d’intérêt « Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires » (www.banquedesterritoires.fr/ami-demonstrateurs-territoriaux-des-transitions-agricoles-et-alimentaires).

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La reconnaissance de la qualité d’associé au conjoint de l’associé dans un GAEC

Cass. com. 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B : JurisData n° 2024-009394

C’est à bon droit qu’un arrêt retient que, bien qu’ils ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du Code civil, les articles des statuts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) stipulant que l’épouse d’un associé « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté ci-dessus désignés, consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC » et « ne requiert pas la qualité d’associé » établissent que celle-ci a renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision.

En outre, il résulte de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.

Division des parcelles moins de 9 ans avant le renouvellement : exclusion du régime dérogatoire des baux de petites parcelles

20/06/2024

Division des parcelles moins de 9 ans avant le renouvellement : exclusion du régime dérogatoire des baux de petites parcelles

Le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de 9 ans avant ce renouvellement.

Ainsi si un bail rural est renouvelé, et que la division des parcelles louées en plusieurs petites parcelles ayant pour effet de créer une pluralité de bailleurs est intervenue moins de 9 ans avant ce renouvellement, alors le régime dérogatoire des petites parcelles ne pourra pas s’appliquer à ce bail renouvelé.

En d’autres termes, pour bénéficier du régime dérogatoire lors du renouvellement d’un bail , il faut que la division des parcelles en petites parcelles avec pluralité de bailleurs soit intervenue au moins 9 ans avant ce renouvellement.

Source

Cass. 3e civ., 13 juin 2024, n° 22-18.861, FS-B

SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LA MALADIE EST ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

*

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

Illicéité des clauses de fermage basées sur la récolte

La clause d’un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

Ce principe résulte des articles L. 411-11 et L. 411-14 du Code rural et de la pêche maritime, juge la Cour de cassation dans un arrêt publié le 29 février.

Selon le premier de ces textes, le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation peut être évalué en une quantité de denrées, avec des limites maximales et minimales fixées par l’autorité administrative. Cette quantité de denrées ne peut pas fluctuer au cours du bail en fonction de variables non conformes à cet article (Cass. 3e civ., 21 janv. 2009, n° 07-20.233).

Le second texte visé précise que les dispositions de l’article L. 411-11 sont d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles sont obligatoires et ne peuvent pas être contournées par un accord privé.

En l’espèce, la cour d’appel a rejeté la demande du preneur en nullité de la clause fixant le fermage, en soutenant qu’un fermage fixé par référence à la denrée visée par l’arrêté préfectoral alors applicable, mais ne respectant pas les limites fixées par l’autorité administrative, n’ouvre pas au fermier une action en nullité mais une action en révision.

La Cour de cassation annule l’arrêt des juges du fond : la cour d’appel a violé les textes susvisés en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le fermage était fixé à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées.

Ainsi, si le fermage est fixé à une fraction de la récolte du fermier, cette clause est illicite. En pareil cas, le fermier peut engager une procédure judiciaire pour faire modifier le bail afin que le fermage soit fixé conformément à la loi.

Source

Cass. 3e civ., 29 févr. 2024, n° 22-17.362, FS-B

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