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Droit rural n° 8-9, Août-Septembre 2023, dossier 28
Le financement des changements de pratiques par les contrats de filières des coopératives
Etude par Patricia Hirsch avocat spécialiste de droit rural
Les changements climatiques posent de réelles difficultés aux exploitants agricoles, alors que la politique agricole commune vise à accroître la résilience de l’agriculture et que les acteurs étatiques prennent chaque jour davantage la mesure de leur rôle. Les acteurs privés agricoles restent au cœur de cette évolution, mesurant cet impact au quotidien. Même s’il est difficile de se retrouver dans les méandres des financements publics européens et nationaux, ce d’autant que les textes évoluent sans cesse et que la nouvelle PAC 2023 a modifié ces aides et subventions, ces financements constituent le socle essentiel qui peut prendre le relais pour des actions innovantes et pérennes face aux bouleversements qui s’annoncent.
1. – Vaste sujet qui mériterait des développements importants. – Aussi et parce qu’il s’agit de reprendre l’intervention faite lors du congrès de l’AFDR du 14 octobre 2022 à Toulouse, cette présentation arrête les grandes lignes exposées, sans rentrer dans les détails.
On retiendra : les principaux acteurs, les flux financiers les relations contractuelles et quatre exemples de réalisations qui traduisent comment peut se mettre en œuvre le financement des changements de pratiques par les contrats de filières des coopératives agricoles.
À noter que la PAC 2023 a apporté des modifications mais que les schémas restent les mêmes.
1. Les principaux acteurs
2. – Ils peuvent être regroupés en trois grandes catégories : les institutions ayant un caractère étatique, les coopératives et les associés coopérateurs, les agriculteurs, et les industriels et la distribution.
A. – Les institutions ayant un caractère étatique
3. – Le FEADER. – Le fonds européen agricole pour le développement rural, représentant le second pilier de la politique agricole commune (PAC). Pour la France, État membre qui se voit allouer la plus conséquente contribution, il s’agit d’environ 11,4 milliards d’euros pour la période se finissant en décembre 2022. Pour la période 2023-2027, la France bénéficie d’une enveloppe de 10 milliards d’euros issus des fonds FEADER. Il intervient notamment dans des projets concernant :
- des mesures agro-environnementales et climatiques ;
- dans le soutien à l’agriculture biologique et les paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l’eau ;
- dans les investissements dans les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
4. – FRANCE AGRIMER. – Il s’agit de l’Organisme payeur des fonds européens et nationaux, qui met en œuvre des dispositifs de soutien aux filières agricoles et de la pêche, et gère des dispositifs de régulation des marchés, représentant pour l’année 2021, 665 millions d’euros versés aux filières agricoles et de la pêche, au titre de dispositifs d’aides européens nationaux.5. – Les régions, les départements et les communes. – Le renforcement récent des compétences des régions en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, conjugué au transfert de la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) aux régions, leur consacre désormais un rôle de véritable pilote des politiques de l’agriculture et de développement rural à l’échelon régional. Ainsi avec le transfert du FEADER, les régions, autorité de gestion, sont devenues responsables de l’écriture et de la bonne mise en œuvre de programmes opérationnels régionaux, les Programmes de développement ruraux (PDR) régionaux depuis 2014 jusqu’en 2022. Les régions gèrent près de 1,8 milliard d’euros par an.6. – Les chambres d’agriculture. – Elles soutiennent notamment des projets au titre des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC)1. Ainsi, depuis 2015, les MAEC sont de trois types : 1 des MAEC répondant à une logique de système ; 2 des MAEC répondant à des enjeux localisés, construites à partir de la combinaison d’engagements unitaires, suivant les bases de ce qui existait ; 3 des MAEC répondant à l’objectif de préservation des ressources génétiques : dispositifs pour les races animales et ressources végétales menacées et dispositif apiculture. Le montant total des aides publiques consacrées aux MAEC sur la période 2014/2020 est doublé par rapport à la période 2007/2013Note 1 .7. – Les agences de l’eau. – Elles sont au nombre de 6 ; elles contribuent à apporter une vue d’ensemble des problèmes liés à la gestion de l’eau, et des moyens financiers permettant d’entreprendre une politique cohérente pour : 1 Lutter contre les pollutions de toute nature ; 2 Gérer la ressource en eau et satisfaire les usages ; 3 Préserver les équilibres écologiques et les milieux aquatiques et le littoral.
Les financements des agences de l’eau reposent sur des redevances collectées pour financer les services d’eau et pour mener des actions, au titre de la gestion durable de l’eau et redistribuent sous forme d’aides financières aux collectivités territoriales aux industriels, aux agriculteurs.8. – Les Instituts de recherche publics. – Ils promeuvent et financent des projets en partenariat entre des laboratoires universitaires et des partenaires de la société civile, dans le cadre de recherches participatives.9. – Les associations syndicales autorisées de propriétaires (ASA). – Ayant le statut d’établissement public administratif, associations créées et contrôlées par l’État, elles sont constituées pour effectuer des travaux spécifiques d’amélioration ou d’entretien des canaux d’irrigation pour l’arrosage et l’irrigation.
B. – Les coopératives et les associés coopérateurs, les exploitants agricoles
10. – On peut citer la coopérative agricole, l’Union de coopératives agricoles, la CUMA – coopérative d’utilisation de matériel agricole, la coopérative pastorale, la Société coopérative d’intérêt collective – la SCIC, même si cette dernière n’a pas le caractère agricole par nature.11. – Ces sociétés constituent les outils appropriés pour être l’interface entre les institutions comme ci-dessus énoncées et les exploitants agricoles ou encore les industriels et la distribution.
C. – Les industriels et la distribution
12. – Ces acteurs économiques sont souvent le fer de lance de projets souvent innovants, comme évoqués au point 4.
2. Les flux financiers
A. – Les fonds du FEADER
13. – Les fonds proviennent essentiellement du FEADER pour transiter vers la RégionNote 2 , et sont ensuite versés soit à la coopérative agricole soit directement aux exploitants agricoles pour permettre la réalisation du projet. Cela peut être également des fonds FEADER qui transitent vers L’ASA ou vers la coopérative mais provenant de l’Agence de l’eau.14. – Pour donner quelques notions des financements de projets en cours concernant des projets afin de moderniser et automatiser les réseaux et les bornes d’irrigationNote 3 .15. – Ainsi, actuellement dans le département de l’Aude, est en cours de réalisation, un projet de 2 450 000 € dont la répartition s’établit comme suit : FEADER pour 28,6 % ; région Occitanie pour 26,8 % ; département pour 5 % ; agence de l’eau pour 19,6 % ; autofinancement pour 20 %.16. – Dans le département de l’Hérault, également en cours de réalisation, un projet de 4 660 000 € somme suit : FEADER pour 37,3 % ; région Occitanie pour 11,4 % ; département pour 11,4 % ; agence de l’eau pour 19,9 % ; autofinancement pour 20 %.17. – Autre exemple sur un financement total de 196 170 € s’agissant cette fois, d’un projet d’aide d’investissement d’ingénierie territoriale pour lutter contre le stress hydrique : FEADER 98 870 € ; Agence de l’eau 58 066 € ; autofinancement 39 234 €.18. – Ces trois projets ont été validés par les institutions étatiques.
B. – Coopératives, industriels et distribution
19. – On trouve très souvent des aides à l’hectare, à ne pas confondre avec les aides PAC qui permettent de financer des projets privés, comme évoqué ci-après, où le financement peut être beaucoup plus important, mais directement négociés entre la coopérative, l’exploitant agricole et l’industriel ou la Distribution.20. – Ainsi, le fonctionnement est le suivant. Il s’agit d’une somme à l’hectare avancée, sur des aides dites « aide à l’amélioration culturale » faite par l’industriel et/ou la distribution directement à l’exploitant ou à la coopérative selon les cas, en contrepartie d’un apport de produit agricole spécifique souvent sur une période déterminée, sur une parcelle déterminée.
3. Les relations contractuelles
21. – Il est intéressant de constater le mélange des genres dans les projets.
A. – La convention de subvention ou convention d’attribution
22. – La coopérative va signer une convention de subvention ou convention d’attribution. Il s’agit d’aides à l’innovation et à la recherche ainsi que les aides d’investissement.23. – On trouve ainsi, en application du règlement UE n° 1301/2013 du 17 décembre 2013 relative au Fonds européen de développement régional au titre d’investissement d’ingénierie territoriale, des projets d’ingénierie territoriale au titre du développement des espaces agricoles, forestiers et ruraux de la ressource en eau – volet Développement rural et agricoleNote 4 .24. – En application de l’article 18 du règlement (UE) n° 1290/2013 du 11 décembre 2013, il s’agit d’aides aux agroéquipements nécessaires à l’adaptation au changement climatique4.25. – Ainsi, FranceAgriMer a mis en place un programme d’aide aux investissements permettant d’améliorer la résilience individuelle des exploitations agricoles face aux aléas climatiques dont la fréquence augmente la protection contre le gel, la protection contre la grêle, la protection contre la sécheresse ou encore la protection contre le vent-cyclone, ouragan, tornade.
B. – Le contrat
26. – Ensuite, la coopérative agricole met en place un contrat avec son associé coopérateur en sus de son engagement d’activité d’apport statutaire, article 8 des statuts types. C’est là qu’il faut saluer l’intervention du législateur qui a introduit en avril 2019, une nouvelle notion, obligeant les parties à définir d’un commun accord, une date d’échéance unique pour l’engagement coopératif mais également pour ce nouveau contrat spécifique. Appelé très souvent « contrat d’aide à la plantation » sous toutes ses formes, contracté en application de l’article 1101 et suivants du Code civil.27. – On trouve ensuite le contrat d’approvisionnement, appelé aussi contrat fournisseur, cette fois en application des dispositions des articles L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime et suivants selon la mise en œuvre des dispositions des Lois Egalim 1 et 2Note 5 28. – C’est ainsi que désormais, il faut intégrer plusieurs types de contrats qu’il s’agisse du contrat « d’aide à la plantation » entre la coopérative et son associé coopérateur, du contrat fournisseur, entre l’industriel, la distribution et la coopérative agricole et ou l’exploitant coopérateur, et tout ceci pour une optimisation culturale (qualitative, quantitative, ayant nécessairement un impact sur la durée du contrat) pour notamment faire face aux conséquences du réchauffement climatique dont on verra des exemples ci-après.29. – C’est ici que les juristes, dans leurs pratiques quotidiennes ont un rôle majeur à jouer, dans leur capacité inventive mais avec vigilance et rigueur accrue afin de sécuriser les droits des parties en cause.
4. Des réalisations concrètes
30. – Il s’agit de présenter quatre réalisations au travers le territoire français aussi différentes les unes des autres qui, démontrent cette force inventive des différents acteurs.31. – Une première réalisation dans les Cévennes pour irriguer les oignons doux avec le soutien des chambres de l’agriculture du Gard et de l’Hérault. – Il s’agit de la réalisation de réserves d’eau dissimulées dans la végétation qui récupère les eaux pluviales durant les épisodes cévenols si craints des populations locales. Sachant que nous sommes actuellement dans l’incapacité de récupérer efficacement les eaux pluviales qui tombent en trop grande abondance sur des périodes très courtes, de façon trop brutale, ces réserves par leur taille raisonnable se remplissent sans mettre en péril l’environnement. Ces réserves sont financées par le FEADER, subvention directement versée à l’exploitant ou encore avec un abonnement de la coopérative moyennant un contrat spécifique sur une durée plus importante puisqu’en l’espèce il s’agit de la durée d’amortissement de la construction des réserves pour irriguer les cultures d’oignons doux des Cévennes.32. – Une deuxième réalisation complètement avant-gardiste pour l’installation de panneaux solaires sur les vignes. – Des vignes sont cultivées sous des panneaux photovoltaïques, lesquels panneaux sont dits intelligents et s’orientent en fonction des besoins de la plante et de la météo, système idéal pour lutter contre les aléas climatiques. En l’espèce, il s’agit du fonds européen, de la région et du département – le complément étant financé par la coopérative elle-même par un système abondement. Là encore avec un contrat spécifique outre le contrat d’engagement d’apport total de la récolte à la coopérative par l’associé coopérateur. Ce type de projet est également en train de se développer sur les vergers.33. – Une troisième réalisation originale dans le Doubs pour une éolienne qui pompe l’eau dans un étang à une attitude d’environ 900 mètres. – L’étang communal est alimenté par ruissellement des eaux et source dans la marne de provenance alpine qui alimente une dizaine d’exploitations agricoles lesquelles mettent au pâturage des génisses et vaches taries des mois d’avril (fonte des neiges) à novembre, soit entre 130 à 200 animaux, représentant une consommation d’environ 3200 m3 par an. L’apport d’eau quotidiennement de 15 m3, représente a minima deux navettes par jour, soit 420 voyages, soit 1344 km et 210 heures de temps passé. La surface alimentée en eau par le pompage effectué par l’éolienne couvre environ 3 km2. Dans le cadre de la coopérative pastorale, où les terres communales sur lesquelles sont situés les étangs sont mises à disposition des exploitants agricoles. En contrepartie, la coopérative agricole s’engage à financer les analyses de l’eau sur une durée indéterminée pour les exploitants adhérents à la fois à la coopérative pastorale et à la coopérative agricole. Durant l’été 2022, les exploitations ont toutes eu l’eau nécessaire pour abreuver les animaux.34. – Dernière réalisation dans la vallée du Rhône avec une coopérative de fruits pour des installations de goutte à goutte. – Les vergers sont très sensibles aux changements climatiques et ces installations de goutte à goutte peuvent permettre de gérer le stress hydrique des arbres avec des techniques d’irrigation plus ou moins économes en fonction des types de cultures. Dans cette réalisation, l’Industriel et la Distribution contribuent à une aide financière conséquente en contrepartie des apports des récoltes sur des durées déterminées plus longues que l’engagement statutaire initial entre la coopérative et l’associé coopérateur, le tout dans le cadre d’un contrat en application des dispositions de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime.35. – En conclusion et pour vous démontrer combien grâce à la diversité territoriale et culturelle, grâce à un monde agricole varié et diversifié, mais surtout à l’aide d’une certaine souplesse contractuelle et une bonne dose d’imagination, tout est possible aux rédacteurs et aux acteurs, pour permettre la mise en œuvre de projets innovants et durables. ▪
Mots clés : Droit rural. – Eau. – Agriculture. – Pollution.
Mots clés : Congrès AFDR 2022. – Coopératives. – Milieux aquatiques.
Mots clés : Dossier. – L’eau et l’agriculture. – Changements de pratiques. – Financement et contrats de filières des coopératives. – Congrès AFDR 2022.
Egalement dans ce dossier : articles 25, 26, 27, 29Note 1 Question écrite n° 01079 de M. Christian Klinger (Haut-Rhin – Les Républicains) : JO Sénat, 14 juill. 2022, p. 3519.Note 2 À partir de 2023, les MAEC surfaciques sont gérées par l’État.Note 3 Chiffres provenant de la Chambre régionale d’agriculture Occitanie – 2022.Note 4 PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1301/2013, 17 déc. 2013, relatif au fonds européen de développement régional et aux dispositions particulières relatives à l’objectif « investissement pour la croissance et l’emploi », et abrogeant le règlement (CE) n° 1080/2006, et règlement (UE) n° 1293/2013 du 11/12/13 relatif à l’établissement d’un programme pour l’environnement et l’action pour le climat (LIFE) abrogeant le règlement (CE) n° 614/2007.Note 5 L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. – Et L. n° 2021-1357, 18 oct. 2021, visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
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