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PLANS DE CAMPAGNE DITS ILLEGAUX : ANNULATION DU TITRE DE RECETTES

Par un arrêt avant dire droit n° 22NT00179 du 1er juillet 2022, la cour a, avant de statuer sur la requête de la Société coopérative agricole (SCA)  » Les Vergers d’Anjou  » ordonné une expertise afin de déterminer, après examen de l’ensemble des pièces détenues par la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , si ces pièces permettent d’identifier, et dans quelle mesure, les personnes ou entreprises, destinataires finaux, des aides perçues au titre des  » plans de campagne  » entre 1998 et 2002.

L’expert a remis son rapport le 4 décembre 2023.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 février 2024 et 17 mai 2024, la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , représentée par Me Berkani, maintient les conclusions de sa requête d’appel par lesquelles elle demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis le 25 juin 2018 par le directeur général de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue d’obtenir le remboursement de la somme de 3 705 767,46 euros correspondant à un montant global d’aides versées dans le cadre du  » programme Plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, augmenté des intérêts moratoires et à la décharge de cette somme ;

2°) d’annuler le titre de recettes émis le 25 juin 2018 ;

3°) de la décharger de la somme de 3 705 767,46 euros que le titre de recettes a pour objet de recouvrer ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’expert a confirmé les difficultés d’ordre matériel qu’elle avait mises en avant pour retrouver l’intégralité des archives susceptibles d’attester des flux financiers afférents au versement des aides  » Plans de campagne  » aux producteurs en raison notamment de la très grande ancienneté du versement des aides, de la disparition de l’Union des Vergers de France par laquelle les aides ont transité, et de la disparition des archives de l’Union des documents relatifs à l’exercice 1998-1999 ;

– l’expert a en outre relevé les difficultés d’ordre comptable liées à l’asymétrie des dates de clôture des exercices comptables et au versement échelonné des aides ;

– ces difficultés doivent être prises en considération au stade de l’identification des bénéficiaires finaux des aides et du montant dont chacun a pu bénéficier ;

– en dépit de ces difficultés, les conclusions de l’expert confirment que les producteurs membres de la SCA Les Vergers d’Anjou ont bien été les destinataires finaux des aides :

o bien que le montant reversé à chaque producteur n’ait pu être  » attesté  » par l’expert comptablement à défaut de mention explicite sur les bordereaux de règlement du montant des aides incluses dans les sommes versées à chaque producteur, l’expert a conclu que les éléments produits étaient de nature à permettre de comprendre le cheminement des aides issues des  » plans de campagne  » depuis l’ONIFHLOR jusqu’aux producteurs via le comité économique agricole du Val de Loire, l’Union des vergers de France et la SCA ;

o en vertu de la jurisprudence de la CJUE, l’aide illégalement accordée ne peut être récupérée auprès de l’organisation de producteurs que si l’Etat établit que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été versée à ces derniers ;

o l’identification des producteurs qui ont bénéficié des aides issues des  » plans de campagne  » et du montant qu’ils ont perçu s’effectue de manière pragmatique et l’utilisation d’une méthode de calcul peut être admise, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, dès lors que le producteur est présumé être le destinataire final des aides ;

– dès lors qu’elle n’est pas la bénéficiaire finale des aides dont la restitution est réclamée par le titre litigieux, ce titre méconnaît le droit européen tel qu’interprété par la CJUE ;

– les conclusions de l’expert révèlent l’absence de justification des sommes réclamées par FranceAgriMer.

Par des mémoires, enregistrés les 28 mars 2024 et 24 mai 2024, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête de la SCA  » Les Vergers d’Anjou  » et à ce qu’il soit mis à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’expertise n’a pas permis d’établir que la SCA Les Vergers d’Anjou a effectivement versé les fonds aux producteurs, dès lors que la SCA a procédé à une reconstitution théorique, réalisée à partir d’une règle de trois.

Vu :

– les autres pièces du dossier ;

– l’ ordonnance du 4 janvier 2024 , par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais de l’expertise réalisée par M. A… à la somme de 8 853,94 euros toutes taxes comprises.

Vu :

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D portant modalités d’application de l’ article 93 du traité CE A61DBBD8B146A7526679B0B4F47C9163 ;

– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 8D97F606DDD05BB17DF0F493C29A4705 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D ;

– la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 99A73B968F65CC22A362FE27CD50415D relative aux aides dites  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;

– l’arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l’Union européenne ;

– le code de commerce ;

– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 BE71313B3E61C870AE3C669452A7AE85 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Lellouch,

– les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

– et les observations de Me Sanguinette, substituant Me Berkani, représentant la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , et de Me Alibert, représentant l’établissement FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l’établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites  » plans de campagne  » étaient versées par l’ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d’une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d’Etat instituées en méconnaissance du droit de l’Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 25 juin 2018 à l’encontre de la société coopérative agricole (SCA) « Les Vergers d’Anjou » un titre de recettes d’un montant de 3 705 767,46 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées dans le cadre des  » plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCA  » Les Vergers d’Anjou  » relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce titre de recette et à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par le titre exécutoire.

Sur le bien-fondé de la créance :

2. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne du 28 janvier 2009 citée au point 1 :  » (…) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l’initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles « . Aux termes, toutefois, du point 49 de cette même décision :  » (…) il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l’aide n’ait pas été transféré par l’organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l’aide sera l’organisation de producteurs « . La Commission européenne conclut au point 84 de sa décision que :  » L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière « . Et il résulte du point 85 que les Etats ne peuvent procéder à la récupération des aides illégales auprès des organisations professionnelles sans chercher à démontrer que ces organisations professionnelles auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers.

3. Il résulte du point précédant qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend récupérer les aides en litige, non auprès des producteurs membres d’une organisation de producteurs, mais de l’organisation de producteurs elle-même, de démontrer que les aides n’ont pas été transférées par celle-ci à ces producteurs mais conservées par elle. Cette règle en vertu de laquelle la charge de la preuve de la conservation des aides par l’organisation de producteurs pèse sur l’autorité administrative doit être combinée avec celle suivant laquelle s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Or, pour que l’autorité administrative soit susceptible de déterminer l’identité de la personne ayant bénéficié des montants d’aides, il importe qu’elle dispose de données, qui ne peuvent lui être fournies que par la SCA Les Vergers d’Anjou en sa qualité d’organisme venant aux droits et obligations de l’Union Les Vergers de France.

4. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise, que les aides aux exportations lointaines, issues des plans de campagne 1998 à 2002, versées par l’ONIFLHOR, transitaient par le Comité économique du Val de Loire, qui reversait les fonds à trois organisations de producteurs, dont la SCA Les Vergers d’Anjou, lesquelles les reversaient à leur tour intégralement à l’Union des Vergers de France, chargée notamment de mettre en œuvre des actions commerciales en faveur des producteurs, financées notamment par les fonds des plans de campagne. En 2008, l’Union commerciale Les Vergers de France a été dissoute sans liquidation, entraînant la transmission universelle de son patrimoine à la SCA Les Vergers d’Anjou, qui en était à cette date la seule associée.

5. La SCA Les Vergers d’Anjou fait valoir qu’une fois les opérations commerciales réalisées, l’Union des Vergers de France restituait les aides aux producteurs, grâce aux marges dégagées par ces opérations, et sous forme de complément de prix du règlement des ventes en fonction de la part que leurs productions représentaient dans la commercialisation, par l’intermédiaire des organisations de producteurs membres de l’Union. Au soutien de ces allégations, la SCA Les Vergers d’Anjou a produit, pour la première fois en appel, quatre tableaux qu’elle a établis à partir des données dont elle disposait, dans lesquels elle a reconstitué les aides indirectement versées aux producteurs dans le cadre du programme  » plans de campagnes  » au titre des exercices 1999-2000, 2000-2001, 2001-2002 et 2002-2003, pour un montant total de 1 405 848,93 euros. La SCA a ainsi identifié, pour chacun de ces quatre exercices comptables, les producteurs individuels bénéficiaires en indiquant précisément, par producteur nommément identifié, le montant de l’aide qui leur a été chacun reversé en fonction de la quantité de fruits qu’ils avaient eux-mêmes apportés. Il résulte de l’expertise ordonnée avant dire droit qu’il s’agit d’une reconstitution théorique du cheminement des aides intégrées dans les prix de vente unitaires sur les bordereaux de règlement, qui ne font cependant pas explicitement mention du montant de l’aide ainsi reversée. Bien que l’expert ait indiqué qu’il n’avait pas les moyens de vérifier l’origine des informations contenues dans ces tableaux, sauf à les rapprocher de tous les bons de calibrage, ce qu’il n’a pas estimé possible de faire, il a toutefois, pour chacun des quatre exercices concernés, et en s’appuyant à chaque fois sur un exemple de variété de pomme, détaillé le circuit de ces aides. Si l’expert judiciaire n’a pas été en mesure, à défaut de flux financiers matérialisés ou directement identifiables, de vérifier la réalité du reversement individualisé aux producteurs des sommes figurant sur les tableaux, il a toutefois attesté de l’existence, constatée par huissier de justice, des documents qui ont servi à les élaborer et a pu observer qu’il existait une méthode de calcul de prix définitifs aux organisations de producteurs et aux producteurs individuels qui tenait compte des aides de campagne, en s’appuyant notamment sur les extraits de procès-verbaux du conseil d’administration de la SCA Les Vergers d’Anjou produits par cette dernière. Au terme de l’analyse approfondie à laquelle il s’est livré, l’expert n’a pas remis en cause le fait que les aides ont bien été reversées aux producteurs en complément du prix de vente des fruits. Il a conclu son rapport en confirmant l’existence d’un calcul intégrant les aides issues des plans de campagne dans le prix de règlement des ventes aux producteurs individuels et en a déduit que  » cette méthode appliquée pour déterminer les prix de vente tend à démontrer que les aides étaient indirectement restituées aux producteurs adhérents de l’Union « . Au regard de l’ensemble de ces éléments, en se bornant à relever qu’aucun document comptable ne retrace les flux financiers des aides, FranceAgriMer ne peut être regardée comme renversant la présomption de perception par les producteurs finaux, que la SCA a précisément identifiés, des aides illégalement versées. FranceAgriMer ne peut ainsi être regardée comme apportant la preuve que les aides n’auraient pas été reversées aux producteurs individuels identifiés dans les tableaux au titre des quatre exercices mentionnés ci-dessus et à hauteur des sommes qui y sont indiquées par la SCA requérante, correspondant à un montant total de 1 405 848,93 euros.

6. En revanche, compte tenu de la disparition des archives de l’Union des Vergers de France des documents relatifs à l’exercice 1998-1999, il est constant que la SCA Les Vergers d’Anjou n’a pas été en mesure d’identifier les producteurs individuels bénéficiaires des aides versées dans le cadre du programme des plans de campagne au titre de cette période. Pour cette période, et en application des principes rappelés au point 3, FranceAgriMer pouvait estimer que les aides d’Etat n’avaient pas été transférées aux producteurs et que la SCA Les Vergers d’Anjou, qui s’est vu transmettre l’ensemble du patrimoine de l’Union des Vergers de France, devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des aides illégales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Les Vergers d’Anjou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à son encontre en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance et à ce qu’elle soit déchargée de la somme correspondante.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :  » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens « .

9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l’essentiel, la somme de 8 853,84 euros toutes taxes comprises au titre des frais d’expertise.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCA Les Vergers d’Anjou, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que FranceAgriMer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCA Les Vergers d’Anjou et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à l’encontre de la SCA Les Vergers d’Anjou est annulé en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 18 novembre 2021 est annulé en ce qu’il est contraire à l’article 1er.

Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de FranceAgriMer pour un montant de 8 853,84 euros toutes taxes comprises.

Article 4 :FranceAgriMer versera à la SCA Les Vergers d’Anjou une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 :Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 :Le présent arrêt sera notifié à la Société coopérative agricole Les Vergers d’Anjou, à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cour administrative d’appel Nantes 3e chambre 28 Juin 2024 Numéro de requête : 22NT00179

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

03/07/2024

Clara LAVIELLE
Rédactrice en chef de la revue Droit des sociétés

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

L’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant la renonciation à la revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Par ailleurs, la renonciation faite lors de l’apport effectué à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.

Aux termes des statuts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), l’épouse commune en biens de l’un des deux fondateurs du groupement « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté […], consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC », et « ne requiert pas la qualité d’associé ».

Suivant un procès-verbal d’une assemblée générale, cette épouse a été agréée, à sa demande, en qualité d’associée à concurrence de la moitié des parts dépendance de la communauté de biens existant entre elle et son époux. Lors de deux assemblées générales postérieures à cet agrément, l’existence du GAEC a été prorogée et les comptes approuvés. L’époux et co-fondateur du groupement a assigné ce dernier en annulation de ces assemblées.

Par un arrêt du 4 mars 2022, la cour d’appel d’Amiens a jugé que l’épouse du co-fondateur du GAEC n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé du groupement et, partant, a déclaré nulles et de nul effet les assemblées générales, constaté la dissolution du groupement et ordonné sa liquidation conformément aux statuts (CA Amiens, 4 mars 2022, n°19/00756).

Par cet arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, sauf en ce qu’il a reconnu recevable la demande formée par le co-fondateur du groupement.

En premier lieu, elle valide le raisonnement de la cour d’appel s’agissant de l’interprétation des deux clauses statutaires litigeuses, jugeant que bien qu’elles ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du Code civil, elles établissent que l’épouse du coassocié a « renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». Elle rappelle ainsi, d’une part, qu’un conjoint peut renoncer à revendiquer la qualité d’associé et, d’autre part, que cette renonciation présente un caractère définitif (Cass. com. 12 janv. 1993, n° 90-21.126). Mais, plus que cela, elle précise également que l’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant l’absence de revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Cette souplesse dans l’interprétation de la renonciation à la revendication de la qualité d’associé, favorisant l’esprit plutôt que la lettre des dispositions statutaires y afférentes, se situe dans le droit fil d’un arrêt du 21 septembre 2022 ayant reconnu la validité d’unerenonciation tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer (Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26.203).

En second lieu, contrairement à la cour d’appel, la Haute Juridiction juge qu’il résulte de l’ancien article 1134 du Code civil – qui constitue, pour rappel, le siège de la force obligatoire du contrat reprise aujourd’hui à l’article 1103 du même code – que « la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité ». Partant, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur les seules dispositions statutaires afférentes à cette renonciation pour dire que l’épouse du co-fondateur du groupement n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé et que l’assemblée l’ayant agréée est nulle ; il convenait qu’elle recherche si les deux associés n’avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à son entrée dans le groupement. S’il était déjà acquis que « renoncer à la revendication […] n’équivaut pas nécessairement à abandonner définitivement la possibilité d’entrer dans la société » (Cl. Farge, N. Jullian, N. Kilgus et R. Mortier, « Parts sociales non négociables : les dangers de l’article 1832-2 du Code civil » : JCP N n° 43, 2022, 1244), puisque celui qui a renoncé à revendiquer la qualité d’associé peut la réclamer « à l’occasion d’un autre apport ou d’une autre acquisition opérée ultérieurement à raison des parts nouvelles souscrites ou acquises [avec], éventuellement […], l’agrément des coassociés dans les termes de l’article 1832-2, alinéa 3, du Code civil » ou « grâce à la cession d’une partie des droits sociaux en cause que lui consentirait son époux, sous réserve le cas échéant d’un agrément par les associés stipulé dans les statuts » (JCl Civil Code, art. 1832 à 1844-17, fasc. 10), il est désormais admis qu’en dehors de ces hypothèses, l’unanimité des associés lui reconnaisse à sa demande, postérieurement à sa renonciation, cette qualité.

Au regard des réponses inédites apportées par la Cour de cassation dans cet arrêt, il le fait nul doute que les questions soulevées lors du 118e Congrès des notaires de France tenant à l’utilité de l’article 1832-2 du Code civil, dans un contexte global où nombre d’auteurs militent pour la suppression de cette disposition (A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l’article 1832-2 du Code civil, in Mél. M. Germain : LexisNexis, 2015, p. 697 ; E. Naudin, Champ d’application de l’article 1832-2 du code civil : pour une approche restrictive : JCP N 2015, n° 44, 1193), refassent surface… 

Source

Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B

SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LA MALADIE EST ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

*

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

COOPERATIVE AGRICOLE ET RETRAIT D’UN ASSOCIE COOPERATEUR :

CAS DE FORCE MAJEURE OU MOTIF VALABLE ?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

CUMA : La dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes,

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

2. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 novembre 2021), Mme [N], agricultrice, adhérente de la CUMA, a été placée en liquidation judiciaire et la société Actis a été désignée comme mandataire-liquidateur.

3. Par ordonnance du 24 juillet 2020, le juge-commissaire a retenu que la connexité n’était pas établie entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, et rejeté la demande de compensation formée à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La CUMA fait grief à l’arrêt de rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès d’elle, alors « que la Coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon – Cuma se prévalait de la nature des créances réciproques des parties pour conclure à leur connexité, précisant à cet égard que les parts sociales détenues par Mme [X] correspondaient à des fractions d’équipements et de matériels agricoles et que la facture dont le paiement par compensation était poursuivi correspondait précisément à l’utilisation de ces équipements et matériels agricoles pour lesquels Mme [X] détenait des parts sociales ; que, pour écarter la connexité des créances invoquées, la cour d’appel a retenu que « s’il est exact que la coopérative aux termes de l’article 12, présente un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, il n’en résulte pas, contrairement à ce qu’elle soutient, un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors qu’elles ne sont pas défraies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats ; au contraire, l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et d’autre part le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, telle que définie ci-dessus, et réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves. Il en résulte qu’il n’est défini aucune interdépendance entre ces deux contrats » ; qu’en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la nature des créances réciproques des parties, ayant trait au remboursement de parts sociales afférentes à du matériel agricole et dans la dépendance de la facturation de l’utilisation de ce même matériel, ne révélait pas leur lien de connexité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-7 du code de commerce et L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime :

5. Aux termes du premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes.

6. Selon le second, ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative que les coopératives dont les statuts prévoient l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité.

7. Pour rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, l’arrêt retient, après avoir relevé que la coopérative présentait un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, qu’il n’en résultait pas un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors que celles-ci n’étaient pas définies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats.

8. Il énonce, ensuite, que l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et, enfin, que le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, et se trouve réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves.

9. En statuant ainsi, alors que la contribution au capital social donne le droit d’utiliser un matériel déterminé et que la facturation rémunère son temps d’utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de compensation de la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon, l’arrêt rendu le 16 novembre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers autrement composée ;

Condamne la société Actis mandataires judiciaires aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Actis en qualité de mandataire liquidateur de Mme [N] à payer à la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes.

Cour de cassation 3e chambre civile arret du 14 Décembre 2023 Numéro de pourvoi : 22-15.598

COOPERATIVE AGRICOLE ET RELATIONS AVEC SON ADHERENT : LE JUGE DE LA MISE N’ETAIT PAS COMPETENT POUR CONNAITRE D’UNE DEMANDE DE SURSIS AVANT LA REFORME DE DECEMBRE 2019

L’Union des vignerons associés des Monts de Bourgogne (l’Union des vignerons), union de sociétés coopératives agricoles inscrite au registre du commerce et des sociétés d’Auxerre le 26 mars 2012, a été créée par les sociétés coopératives agricoles (SCA) La Chablisienne et La Cave des Hautes-Côtes. Elle a depuis 2015 comme nouvel associé la SCA La Cave des vignerons des terres secrètes.

Le 30 novembre 2016, la SCA La Chablisienne a notifié, au visa de l’article 8-4 des statuts, son retrait de l’Union des vignerons à effet au 31 décembre 2017, date constituant selon elle le terme de sa période d’engagement de cinq ans.

Par acte des 16 et 17 mai 2017, la SCA La Chablisienne a assigné l’Union des vignerons devant le tribunal de grande instance d’Auxerre aux fins de voir ordonner la résiliation judiciaire de sa relation d’associée aux torts de l’Union et obtenir la réparation de son préjudice.

Reprochant à la SCA La Chablisienne de ne pas respecter ses engagements d’apport et d’utilisation exclusive des services de l’Union des vignerons jusqu’au 31 décembre 2020, le conseil d’administration de cette dernière, selon procès verbal de délibération du 21 février 2018, a décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues par les articles 8-5 et 8-6 des statuts, soit la somme de 10 709 225,22 euros, ramenée à 7 207 204, 49 euros le 13 janvier 2020 au vu de l’exercice comptable clos au 31 décembre 2018.

Cette décision a été notifiée à la SCA La Chablisienne par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 23 mars 2018 portant mise en demeure de payer.

Par acte du 27 juillet 2018, la SCA La Chablisienne a assigné l’Union des vignerons devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins de voir juger que les articles 8-1, 8-3, 8-5 et 8-6 des statuts de l’Union des vignerons sont incompatibles avec les dispositions de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les règles européennes du droit de la concurrence et que ces dispositions présentent de surcroît un caractère manifestement abusif, et obtenir leur annulation, outre celle de la décision du conseil d’administration de l’Union des Vignerons du 21 février 2018 et de la mise en demeure de payer du 23 mars 2018.

L’Union des vignerons a, par conclusions notifiées le 9 mai 2019, sollicité reconventionnellement le paiement des sanctions décidées selon procès verbal du 21 février 2018.

Par ordonnance confirmée par arrêt de la cour d’appel de Dijon du 10 septembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Dijon a prononcé le dessaisissement du tribunal de grande instance de Dijon au profit de celui d’Auxerre.

Parallèlement, la SCA La Chablisienne a, les 15 mars et 11 avril 2018, déposé deux plaintes pour faux et usage de faux en visant le procès verbal du 21 février 2018 et escroquerie en bande organisée auprès du procureur de la République de Dijon, lesquelles ont été classées sans suite le 23 mai 2019.

Le 23 décembre 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon a classé sans suite la plainte déposée par la SCA La Chablisienne le 20 mai 2019.

Par ordonnance du 22 janvier 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Auxerre a, notamment, ordonné la jonction des deux instances, déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la SCA La Chablisienne, au visa de l’article 74 du code de procédure civile et dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

La cour d’appel de Paris, par arrêt du 5 octobre 2021, a confirmé cette ordonnance, dans les limites de l’appel qui ne portait pas sur le rejet de la demande de sursis à statuer.

Selon plainte avec constitution de partie civile du 3 septembre 2021 pour faux et usage de faux en écriture et tentative d’escroquerie visant le classement sans suite des trois plaintes antérieures, la SCA La Chablisienne a saisi le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire d’Auxerre.

Le 2 février 2022, la SCA La Chablisienne a déposé une nouvelle plainte devant le procureur de la République de Dijon aux fins de dénoncer des faits de publication et communication de documents comptables insincères par l’Union des vignerons.

Selon nouvelle ordonnance du 1er août 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Auxerre, saisi d’une nouvelle demande de sursis à statuer le 7 septembre 2021, a :

– déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la SCA La Chablisienne,

– dit n’y avoir lieu à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice,

– débouté la SCA La Chablisienne de sa demande d’expertise,

– condamné la SCA La Chablisienne à payer à l’Union des vignerons la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamné la SCA La Chablisienne à payer à l’Union des vignerons la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SCA La Chablisienne aux dépens de l’incident.

Par acte du 2 août 2022, la SCA La Chablisienne a interjeté appel de cette décision laquelle a fait l’objet d’une première fixation à bref délai au 4 janvier 2023 puis d’une seconde au 13 juin suivant.

Entre-temps et par ordonnance du 17 janvier 2023, le magistrat désigné par le premier président de la cour a dit qu’il n’entrait pas dans les pouvoirs du président de la chambre de connaître de l’irrecevabilité d’un appel pour défaut d’ouverture d’une voie de recours et de statuer sur une demande de rejet d’une pièce des débats.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 15 mai 2023, la SCA La Chablisienne demande à la cour de :

à titre principal,

– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle a rejeté la demande de sursis à statuer dans l’attente de l’achèvement de l’instruction actuellement en cours devant le juge d’instruction du tribunal judiciaire d’Auxerre,

– ordonner un sursis à statuer, dans l’attente de l’achèvement de l’instruction actuellement en cours et de l’enquête préliminaire actuellement ouverte devant le procureur de Dijon à la suite de la plainte en date du 2 février 2022,

à titre subsidiaire,

– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle a rejeté l’expertise sollicitée,

– désigner tel expert judiciaire qu’il plaira, avec pour mission de :

convoquer les parties,

se faire remettre tous les documents annuels (bilans, comptes de résultats, annexes, rapport de gestion, procès-verbaux et rapports annuels de l’Union des vignerons, La Cave des hautes côtes, La Cave des vignerons des terres secrètes, la Chablisienne, sur les exercices 2016, 2017, 2018, 2019, 2020,

se faire remettre les rapports de révision complémentaire « Révision Sud Est » du 24 avril 2020, et le rapport Grant Thornton,

déterminer, à la vue du fonctionnement financier entre l’Union des vignerons et ses associés , avant le 31 décembre 2017 et après, si l’Union des vignerons a pour objet de collecter, transformer et vendre les productions apportées par ses associés , ou bien si elle a pour objet de mutualiser des charges communes à tous ses associés , en les refacturant à ces derniers sans aucune marge,

décrire le fonctionnement financier entre l’Union des vignerons et ses associés ,

en cas de fonctionnement sous forme de mutualisation de charges, déterminer si le résultat de l’Union des vignerons, ou sa profitabilité, est influencée ou non pas le niveau du chiffre d’affaires, et si la réduction de chiffre d’affaires liée au départ de la SCA La Chablisienne entraîné ou non un préjudice sur le résultat,

examiner et déterminer le montant des charges reprises par la SCA La Chablisienne au cours de l’exercice clos le 31 décembre 2017, dans la perspective de son retrait, et déterminer quelle a été la conséquence de cette baisse des charges sur le résultat de l’Union des vignerons,

examiner précisément la nature des charges fixes prises en compte par l’Union des vignerons en 2017 et en 2018 pour calculer les pénalités à l’encontre de la SCA La Chablisienne, faire toutes demandes de pièces justificatives en ce sens, déterminer précisément les dates d’engagement de ces charges au sein de l’Union des vignerons,

chiffrer et détailler les transferts de charges intervenus de la Cave des hautes côtes et de la Cave des vignerons des terres secrètes vers l’Union des vignerons sur les exercices 2017 et 2018,

estimer le montant d’une pénalité calculée sur le fondement de la participation aux frais fixes sur le fondement de l’article 8-6 des statuts de l’Union des vignerons, en excluant toute augmentation liée à tout transfert de charges des coopératives associées vers l’Union à compter du 31 décembre 2017, et en prenant en compte le même niveau de charges fixes de l’Union des vignerons au 31 décembre 2016 et la diminution intervenue en 2017 avec les charges reprises par la SCA La Chablisienne lors de son retrait,

donner son avis sur l’éventualité d’un préjudice subi par l’Union des vignerons, et qui serait imputable au retrait de la SCA La Chablisienne,

déterminer le montant de l’obligation de remboursement du capital social détenu par la SCA La Chablisienne dans l’Union des vignerons,

dresser rapport du tout,

en tout état de cause,

– condamner l’Union des vignerons à lui verser une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter l’Union des vignerons de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner l’Union des vignerons aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er juin 2023, l’Union des vignerons demande à la cour de :

à titre principal,

– déclarer irrecevable l’appel interjeté par la SCA La Chablisienne à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande d’expertise,

à titre subsidiaire,

– confirmer cette même ordonnance en ce qu’elle a débouté la SCA La Chablisienne de sa demande d’expertise,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer de la SCA La Chablisienne et si besoin en ce qu’elle l’en a déboutée,

– débouter la SCA La Chablisienne de toutes ses demandes, fins et prétentions,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a condamné la SCA La Chablisienne à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’incident,

y ajoutant,

– condamner la SCA La Chablisienne à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts et celle de 4 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SCA La Chablisienne aux entiers dépens.

Le clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 6 juin 2023.

SUR CE,

Sur la demande de sursis à statuer

Le juge de la mise en état a considéré que :

– l’ordonnance du juge de la mise en état du 22 janvier 2021 n’a pas autorité de la chose jugée,

– la SCA La Chablisienne a déposé le 5 novembre 2019 des conclusions aux termes desquelles elle s’est abstenue de soulever simultanément aux exceptions et fins de non recevoir qu’elle invoquait, une exception de sursis à statuer, puis le 30 septembre 2020 des conclusions au fond, alors qu’elle était à ces dates parfaitement informée de la teneur du procès verbal du conseil d’administration du 21 février 2018 qu’elle argue de faux,

– elle est irrecevable, sur le fondement de l’article 74 du code de procédure civile, à solliciter un sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale, la plainte avec constitution de partie civile déposée le 3 septembre 2021 qui est un choix procédural de sa part pour obtenir de nouvelles investigations après le classement sans suite de ses trois plaintes précédentes, ne constituant pas, alors même qu’elle émane de la partie même qui demande le sursis à statuer, un élément nouveau, rendant recevable une demande qu’elle aurait dû présenter avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir,

– en tout état de cause, le prononcé du sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale invoquée présente un caractère facultatif pour être demandé dans une instance civile qui ne tend pas à la réparation du préjudice causé par les infractions alléguées, de sorte que la décision de suspendre l’instance relève du pouvoir discrétionnaire du juge en vue d’une bonne administration de la justice,

– la SCA La Chablisienne n’a produit aux débats que la première page de sa plainte avec constitution de partie civile sur laquelle figure le cachet du tribunal judiciaire attestant de sa réception le 3 septembre 2021, laquelle ne permet ni d’en connaître la teneur ni d’apprécier en conséquence son éventuel lien avec la présente instance,

– la SCA La Chablisienne ne justifie pas davantage de la recevabilité de cette plainte par le versement effectif de la consignation.

La SCA La Chablisienne soutient que :

– depuis l’ordonnance du juge de la mise en état du 22 janvier 2021, la connaissance de nouveaux éléments en 2021 et 2022 sur la réalité du comportement de nature pénale de l’Union des vignerons visant à falsifier la présentation de son patrimoine pour justifier les pénalités réclamées impose un sursis à statuer,

– ces éléments nouveaux résultent de la procédure pénale communiquée par le parquet de Dijon préalablement à sa plainte avec constitution de partie civile, du rapport non contradictoire de la société Grant Thornton établi le 15 février 2022 à son initiative, de la publication en 2022 des comptes de l’Union au 30 septembre 2021 suivie de la plainte en présentation de comptes insincères du 2 février 2022 et de l’avis du parquet général près la cour d’appel de Paris du 8 février 2022 faisant le constat de liens d’intérêts entre l’Union des vignerons associés et le lobby des coopératives agricoles, la Coopérative agricole , représentante d’intérêts, de nature à influer sur la solution du litige,

– le comportement frauduleux de l’Union des vignerons tient à ce qu’elle a élaboré de faux documents pour accréditer une poursuite de son propre engagement dans l’union, augmenté artificiellement le niveau des charges fixes de l’union après son retrait en lui transférant artificiellement des charges pesant sur les associés pour les intégrer au calcul de la pénalité prévue à l’article 8 de ses statuts et dissimulé et/ou retardé son obligation de lui rembourser le capital social en conséquence de son retrait,

– le tribunal judiciaire est saisi de la demande reconventionnelle en paiement des sanctions pour un montant de 7 207 204,49 euros infligées par l’Union des vignerons, ce qui impose la résolution préalable de questions portant sur la nature de l’engagement des associés coopérateurs, sur la date réelle de fin de son engagement, ainsi que sur les charges fixes restant à la charge des associés à prendre en compte dans le calcul de la pénalité,

– le fonctionnement financier de l’Union des vignerons n’a pas été celui d’une union de sociétés coopératives mais celui d’un groupement d’intérêt économique,

– l’analyse du fonctionnement financier réel de l’Union des vignerons par rapport au fonctionnement du contrat de société statutaire est indispensable pour pouvoir apprécier le caractère fautif ou non d’une des parties à ce contrat de société et particulièrement, comprendre comment l’Union des vignerons a pu transformer un gain de charges lié à son départ de 730 000 euros en une pénalité de 7 204 282,59 euros,

– les infractions pénales objet de l’instruction près le tribunal judiciaire (faux procès verbal à la base de la pénalité) et de la plainte devant le parquet de Dijon du 2 février 2022 (présentation de bilan insincère par la dissimulation de la dette de capital social de 923 600 euros au profit de la SCA La Chablisienne) conditionnent directement le règlement du litige civil,

– face à la résistance de l’Union des vignerons à répondre à ces questions, seul le juge d’instruction actuellement saisi du dossier de la pénalité pourra apporter des réponses,

– la demande de sursis a été faite en 2022, dès la production des données du rapport de l’expert privé Grant Thornton basé sur la comparaison des bilans publiés par l’Union des vignerons elle-même.

L’Union des vignerons réplique que :

à titre principal, sur la recevabilité de la demande de sursis :

– pour que sa seconde demande de sursis à statuer initiée le 7 septembre 2021 soit recevable au regard de l’article 74 du code de procédure civile, il incombe à la SCA La Chablisienne de rapporter la preuve non seulement d’un élément nouveau survenu après ses conclusions d’incident notifiées le 5 novembre 2019, par lesquelles elle soulevait deux exceptions de connexité et litispendance, ainsi que diverses fins de non-recevoir mais également d’un élément nouveau survenu après ses conclusions au fond notifiées les 17 septembre 2020 et 7 mai 2021, ce qu’elle ne fait pas,

– de plus, pour que cette nouvelle demande ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée, la SCA La Chablisienne doit rapporter la preuve d’un élément nouveau survenu depuis l’ordonnance rendue le 22 janvier 2021, qui avait déjà déclaré sa demande irrecevable, ce qu’elle ne fait pas,

– sa demande de sursis à statuer fondée sur la plainte du 2 février 2022 et formulée dans ses conclusions du 13 avril 2023 est irrecevable car elle s’est abstenue de formuler cette demande en première instance et a conclu au fond dans la présente instance les 15 février 2022 puis 20 septembre 2022 et 17 janvier 2023,

– cette plainte fondée sur le fait que l’Union des vignerons n’a pas porté au passif de son bilan clos au 31 décembre 2021 la somme de 923 600 euros correspondant à la valeur des parts sociales de la SCA La Chablisienne n’étant pas constitutive d’un élément nouveau, elle aurait dû être déposée dès le bilan portant sur l’exercice clos au 31 décembre 2017 établi le 21 décembre 2018,

– l’argument est d’autant plus fallacieux que la SCA La Chablisienne a renoncé à sa demande de remboursement de ses parts sociales devant le tribunal judiciaire d’Auxerre par conclusions du 7 mai 2021 et a saisi le tribunal judiciaire de Dijon de cette demande par assignation du 19 décembre 2022,

à titre subsidiaire et au fond :

– le sursis sollicité ne s’impose pas, au visa de l’article 4 alinéa 3 du code de procédure pénale,

– la SCA La Chablisienne n’a jamais communiqué ni la copie de ses plaintes adressées au procureur de la République ni de sa plainte avec constitution de partie civile alors qu’en cette qualité et pour la défense de ses intérêts, le secret de l’instruction ne s’oppose pas à elle au regard de l’article 11 du code de procédure pénale,

– le tribunal judiciaire d’Auxerre peut statuer sur la question de la date de fin de l’engagement de la SCA La Chablisienne et sur les demandes de l’Union des vignerons en s’appuyant sur le seul procès-verbal de délibération du conseil d’administration du 2 mai 2018, de sorte que le sort de la première plainte avec constitution de partie civile relative au procès verbal de délibération du 21 février 2018 est sans incidence sur la solution du procès civil,

– contrairement à ce qu’affirme la SCA La Chablisienne, une simple première audition de la partie civile après deux enquêtes approfondies et deux classements sans suite par deux magistrats différents ne permet d’établir ni la recevabilité ni le sérieux de sa plainte.

En application des articles 73 et 74 du code de procédure civile, la demande tendant à faire suspendre le cours de l’instance est une exception de procédure qui doit être présentée, à peine d’irrecevabilité, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir de son auteur.

Par ailleurs, l’article 794 du code de procédure civile dispose que les ordonnances du juge de la mise en état n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée à l’exception de celles statuant sur les exceptions de procédure.

L’ordonnance du juge de la mise en état du 21 janvier 2021 ayant déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer a autorité de la chose jugée puisque la cour d’appel a par arrêt du 5 octobre 2021 confirmé cette ordonnance, celle-ci n’étant, au demeurant, pas saisie par la SCA La Chablisienne d’une demande d’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle avait rejeté sa demande de sursis à statuer.

Dès lors, la SCA La Chablisienne qui a sollicité de nouveau par conclusions d’incident du 7 septembre 2021 un sursis à statuer doit justifier d’un élément nouveau survenu depuis l’ordonnance du 21 janvier 2021 et ses conclusions au fond du 7 mai 2021.

L’existence d’un fait ou événement nouveau ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque a négligé d’accomplir une diligence en temps utile.

Si les plaintes pénales de la SCA La Chablisienne des 15 mars et 11 avril 2018 ne sont pas produites aux débats, il résulte des conclusions prises par cette dernière qu’elles visaient le procès verbal de délibération du conseil d’administration de l’Union des vignerons du 21 février 2018 et qu’elles ont été classées sans suite par le procureur de la République de Dijon le 29 mai 2019.

Alors qu’aucune preuve n’est rapportée du dépôt d’une ‘plainte récapitulative’ du 13 février 2020, le procureur de la République du tribunal judiciaire de Dijon a classé sans suite, le 23 décembre 2020, la troisième plainte déposée par la SCA La Chablisienne le 20 mai 2019.

La SCA La Chablisienne qui ne justifie aucunement qu’elle n’aurait eu connaissance du premier classement qu’en juillet 2019 et du second qu’en mars 2021, était donc en mesure de solliciter les éléments des deux enquêtes pénales diligentées avant le classement de ses plaintes et de déposer une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction pour des faits de faux, usage de faux et tentative d’escroquerie en justifiant du classement sans suite de ses premières plaintes de 2018 et du classement sans suite de sa troisième plainte avant le mois de mai 2021, date à laquelle elle a de nouveau conclu au fond.

Or, cette plainte avec constitution de partie civile n’a été déposée que le 3 septembre 2021 sans que la SCA La Chablisienne qui n’en produit toujours que la première page alors que le secret de l’instruction ne peut lui être opposé, conformément à l’alinéa 2 de l’article 11 du code de procédure pénale, ne justifie de son contenu et notamment de la prise en compte d’éléments issus des enquêtes ayant conduit aux classements précités.

Elle ne saurait donc constituer, ainsi que l’a jugé de manière pertinente le premier juge, la survenance d’un événement nouveau alors même qu’elle émane de la partie même qui sollicite le sursis à statuer et n’est, faute de preuve contraire, que la reprise d’éléments déjà mentionnés dans les trois plaintes classées sans suite portant sur le procès verbal litigieux du 21 février 2018.

Bien qu’en première instance elle n’ait invoqué ni la publication en 2022 des comptes de l’Union au 30 décembre 2021 suivie de sa plainte simple du 2 février 2022 ni les conclusions du rapport Grant Thornton daté du 4 février 2022 ni l’avis du parquet général près la cour d’appel de Paris du 8 février 2022 à l’appui de sa demande de sursis à statuer, la SCA La Chablisienne est recevable à s’en prévaloir en appel comme moyens de fait nouveaux destinés à soutenir son exception de procédure présentée dès le 7 septembre 2021 soit avant les conclusions au fond notifiées les 20 septembre 2022 et 17 janvier 2023.

L’avis du parquet général près la cour d’appel de Paris du 8 février 2022 donné dans une affaire qui ne concerne pas les mêmes parties, est totalement étranger dans son contenu à la présente instance et ne saurait constituer un élément nouveau de nature à rendre recevable la nouvelle demande de sursis à statuer.

A l’inverse les conclusions du rapport Grant Thornton du 4 février 2022, la publication en 2022 des comptes de l’Union des vignerons au 30 septembre 2021 et la nouvelle plainte simple du 2 février 2022 fondée sur ces comptes constituent des éléments nouveaux rendant recevable la seconde demande de sursis à statuer. L’ordonnance du juge de la mise en état est donc infirmée en ce sens.

L’article 4 du code de procédure pénale dispose que :

L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

La SCA La Chablisienne sollicite un sursis à statuer dans l’attente de l’issue de l’information judiciaire ouverte à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile et de sa quatrième plainte simple du 2 février 2022.

L’action civile intentée devant le juge civil du tribunal judiciaire d’Auxerre n’est pas une action en réparation du dommage causé par les infractions dont le juge d’instruction est saisi à la suite de la plainte avec constitution de partie civile du 3 septembre 2021 et la plainte simple du 2 février 2022 n’a pas mis l’action publique en mouvement de sorte que le sursis à statuer n’est pas de droit.

La SCA La Chablisienne soutient que l’Union des vignerons avait accepté son départ au 31 décembre 2017 et en avait réglé les modalités afin d’économiser des charges pour un montant de 723 000 euros et que tous les documents sur lesquels elle se base pour justifier sa demande de pénalités sont totalement contraires à cette réalité et sont des faux.

L’issue de l’information judiciaire en cours devant le juge d’instruction du tribunal d’Auxerre relativement au procès verbal du 21 février 2018 argué de faux apparaît sans incidence sur l’issue du procès civil alors que la question de la date à laquelle la SCA La Chablisienne a acquis la qualité d’associé coopérateur et conséquemment de la date de la fin de son engagement relève de l’article R 522-3 du code rural et des statuts, que la demande en paiement des sanctions statutaires ne se fonde pas que sur le seul procès verbal de délibération du conseil d’administration de l’Union des vignerons du 21 février 2018 argué de faux mais également sur celui du 2 mai 2018 qui réitère les décisions prises lors du précédent conseil d’administration et que les sanctions pécuniaires dont le paiement est réclamé par l’Union des vignerons sont fondées exclusivement sur les comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2018.

L’issue de la plainte déposée devant le procureur de la République de Dijon pour présentation de comptes insincères du fait de la dissimulation d’une dette de remboursement du capital social de 923 600 euros au profit de la SCA La Chablisienne est indifférente au règlement du litige devant le tribunal judiciaire d’Auxerre puisque non seulement celle-ci admet que le bilan de l’Union des vignerons au 31 décembre 2021 publié fin 2022 mentionne la dette mais que surtout par conclusions notifiées le 7 mai 2021, elle a renoncé à sa demande de remboursement de ses parts sociales devant le tribunal judiciaire d’Auxerre pour introduire le 19 décembre 2022 une action en paiement de ces mêmes parts devant le tribunal judiciaire de Dijon.

La demande de sursis à statuer est donc infondée et est rejetée, en confirmation de l’ordonnance déférée.

Sur la demande d’expertise

Le juge de la mise en état a estimé que la demande d’expertise était prématurée à ce stade de la procédure, dans la mesure où :

– elle s’inscrit dans une volonté de la SCA La Chablisienne de s’opposer au montant des sanctions votées par le conseil d’administration de l’Union des Vignerons et il appartiendra à la juridiction de fond de dire si la SCA La Chablisienne est redevable ou non de ces sanctions avant d’évoquer leur montant,

– de surcroît, la question de l’utilité éventuelle d’une telle mesure d’expertise impose de trancher préalablement le différend opposant les parties sur la question du calcul même de ces pénalités, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

L’appelante fait valoir que :

– sa demande d’expertise n’est pas irrecevable mais au contraire conforme aux dispositions de l’article 272 du code de procédure civile,

– elle est nécessaire pour comprendre le fonctionnement et la situation financière de l’Union,

– en vertu d’une décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 mai 2022, au visa de l’article 1843-4 du code civil, l’associé retrayant peut solliciter une expertise judiciaire sur la valorisation financière de son retrait devant le juge de la mise en état saisi du litige, sur le caractère fautif ou non de ce retrait, et les conséquences financières entre les parties.

– l’expertise demandée traite de la détermination des conditions financières d’un retrait.

L’Union des Vignerons répond à titre principal que :

– l’appel portant sur le rejet de la demande d’expertise est irrecevable,

– l’article 272 du code de procédure civile ne s’applique pas à l’ordonnance déférée, cette dernière relevant des modalités de droit commun de l’appel des ordonnances du juge de la mise en état, prévu à l’article 795 du même code, lequel dispose que ces ordonnances ne sont pas susceptibles d’appel hors les cas énoncés de manière limitative dans cet article d’interprétation stricte,

– l’arrêt en date du 25 mai 2022 (n°20-14.352) invoqué par la SCA La Chablisienne est d’évidence sans portée, l’article 1843-4 étant inapplicable au cas d’espèce puisqu’il ne s’agit pas d’une cession des droits sociaux d’un associé ni d’un rachat de ses droits par la société,

– le remboursement des parts sociales de l’associé coopérateur d’une société coopérative agricole s’effectue, s’il est exigible, à leur valeur nominale conformément à l’article 19 des statuts réglementés et aux dispositions spécifiques de l’article R523-5 du code rural,

– il résulte de l’article 1844-3 du code civil, que le pouvoir de désigner un expert est réservé au président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce statuant selon la procédure accélérée au fond, de sorte que le juge de la mise en état, même en cas de cession ou de rachat de parts sociales, ne peut pas ordonner une expertise sauf à commettre un excès de pouvoir.

A titre subsidiaire, elle estime que cette expertise est sans intérêt pour la solution du litige, dans la mesure où :

– il ressort des propres déclarations de la SCA La Chablisienne qu’elle dispose de tous les éléments de preuve qu’elle estime utiles pour établir que les demandes de l’Union ne seraient pas fondées,

– les sociétés coopératives agricoles obéissent à des statuts réglementés adoptés par arrêté du ministre en charge de l’agriculture et les modèles de statuts réglementés fixent impérativement, et en des termes prérédigés, les modalités de calcul des sanctions pécuniaires applicables aux associés coopérateurs qui ne respectent pas leur engagement d’activité,

– le chef de mission proposé par la SCA La Chablisienne et tendant à ‘déterminer le montant de l’obligation de remboursement du capital social détenu par La Chablisienne dans l’Union’ est inutile puisqu’elle ne formule aucune demande de remboursement à ce titre dans ses conclusions au fond devant le tribunal judiciaire d’Auxerre.

Si l’article 795 du code de procédure civile dispose de manière générale que les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être frappées d’appel qu’avec le jugement au fond, il prévoit toutefois à titre d’exception qu’elles sont susceptibles d’appel dans les cas et conditions prévus en matière d’expertise ou de sursis à statuer.

L’article 272 du même code prévoit que la décision ordonnant l’expertise peut être frappée d’appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime.

Il s’en déduit que ces dispositions sont inapplicables aux décisions qui refusent d’ordonner une expertise de sorte que seules les dispositions de l’article 795 précité sont applicables et que l’appel de l’ordonnance est irrecevable de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts formée par l’Union des vignerons

Le juge de la mise en état a considéré que la SCA La Chablisienne faisait preuve d’un comportement dilatoire, aux motifs que :

– le dépôt de conclusions tendant une nouvelle fois au sursis à statuer invoque une plainte avec constitution de partie civile comme un élément nouveau, alors qu’il avait déjà jugé la plainte récapitulative invoquée comme non constitutive d’un élément nouveau et que la SCA La Chablisienne avait renoncé à son appel sur cette demande de sursis,

– la demande d’expertise a été ajoutée tardivement à la demande de sursis, retardant encore l’examen de l’incident en contraignant à de nouveaux échanges pour faire respecter le principe du contradictoire.

La cour a soulevé d’office, à l’audience, la question du pouvoir du juge de la mise en état et de la cour sur appel d’une décision du juge de la mise en état d’allouer des dommages et intérêts et l’Union des vignerons a adressé ses observations par note en délibéré des 27 juin et 21 août 2023 et la SCA La Chablisienne par note du 25 juillet 2023.

La SCA La Chablisienne prétend que :

– les pouvoirs du juge de la mise en état sont limités et ne comprennent pas celui de condamner une partie à une amende civile ou à des dommages et intérêts, lequel relève de la juridiction du fond,

– le comportement dilatoire est à reprocher plutôt à l’Union des vignerons qui a fait retarder le calendrier de la cour par rapport au calendrier de procédure du tribunal judiciaire.

L’Union des vignerons répond que :

– dans ses dernières écritures notifiées le 15 mai 2023, la SCA La Chablisienne ne demande ni la réformation ni l’infirmation de la décision entreprise sur sa condamnation à des dommages et intérêts, de sorte que la décision entreprise ne peut qu’être confirmée de ce chef,

– l’article 559 du code de procédure civile a une portée générale et trouve à s’appliquer à l’appel

de toute décision y compris d’une ordonnance du juge de la mise en état.

– la SCA La Chablisienne est d’une particulière mauvaise foi et son appel présente un caractère abusif, puisque eu égard notamment aux décisions particulièrement motivées déjà rendues à son encontre, elle n’a pu se méprendre ni sur ses droits ni sur les conséquences de ses agissements.

La SCA La Chablisienne demande à la cour d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté ses demandes de sursis à statuer et d’expertise, d’ordonner un sursis à statuer et une expertise mais également, en tout état de cause, de débouter l’Union des vignerons de l’ensemble de ses demandes laquelle inclut la demande de dommages et intérêts.

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.

Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d’appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (Cass., 2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

Tel est le cas, en l’espèce, puisque l’instance a été introduite par assignations de 2017 et 2018.

Dès lors, la cour est saisie d’une demande de débouté de la demande de dommages et intérêts formée par l’Union des vignerons.

Les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées par les articles 763 à 772 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable au litige. Si l’article 772 lui permet expressément de statuer sur les dépens et sur les demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile, aucune des autres dispositions citées ne lui confère le pouvoir d’allouer à une partie des dommages et intérêts réparant le préjudice causé par une action en justice jugée dilatoire ou abusive.

En conséquence, l’ordonnance est infirmée de ce chef, ni le juge de la mise en état ni la cour statuant en appel n’ayant le pouvoir d’accorder des dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.

Les dépens d’appel doivent incomber à la SCA La Chablisienne, partie perdante, laquelle est également condamnée à payer à l’Union des vignerons la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a :

– déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la SCA La Chablisienne,

– condamné la SCA La Chablisienne à payer à l’Union des vignerons associés des Monts de Bourgogne la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau, dans cette limite,

Déclare recevable la demande de sursis à statuer formée par la SCA La Chablisienne,

L’en déboute,

Dit qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état ou de la cour statuant sur appel d’une décision du juge de la mise en état de statuer sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par l’Union des vignerons associés des Monts de Bourgogne,

Y ajoutant,

Dit irrecevable l’appel interjeté par la SCA La Chablisienne à l’encontre de l’ordonnance en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande d’expertise,

Condamne la SCA La Chablisienne aux dépens,

Condamne la SCA La Chablisienne à payer à l’Union des vignerons associés des Monts de Bourgogne la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

  • Demande en exécution ou en dommages-intérêts pour mauvaise exécution d’un autre contrat.

MODIFICATIONS DU REGISTRE DE COMMERCE ET ANNULATION DE DELIBERATIONS DES ASSOCIES

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Angers, 13 juillet 2021), rendu sur renvoi après cassation (Com., 9 septembre 2020, n° 19-15.422), par un acte du 14 décembre 2004, la société UGMA, filiale de la société Groupe française de gastronomie (la société FDG), qui était son associée unique, a conclu avec la société Larzul un traité d’apport à cette dernière de son fonds de commerce. Par des délibérations du 30 décembre 2004, la société Vectora, associée unique de la société Larzul, a approuvé cette opération d’apport et l’augmentation de capital subséquente.

2. Par un acte du 20 septembre 2005, la société FDG a décidé la dissolution de la société UGMA.

3. Un arrêt irrévocable du 24 janvier 2012 a annulé les délibérations de la société Vectora du 30 décembre 2004 et constaté la caducité du traité d’apport du 14 décembre 2004.

4. Le 3 avril 2012, la société Larzul a obtenu du greffier d’un tribunal de commerce que des modifications soient apportées à son inscription au registre du commerce et des sociétés en y mentionnant l’arrêt du 24 janvier 2012 et en précisant un ensemble de modifications « suite à cette décision ».

5. La société FDG a, par voie de requête, demandé au juge commis à la surveillance de ce registre d’enjoindre au greffier de procéder à l’annulation de ces modifications et de rétablir l’état antérieur de ces inscriptions.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Les sociétés Larzul et Vectora font grief à l’arrêt d’enjoindre au greffe du tribunal de commerce de procéder à l’annulation des modifications inscrites à l’extrait Kbis de la société Larzul le 3 avril 2012 et de remettre les inscriptions en l’état antérieur à ces modifications, et d’enjoindre à la société Larzul de mettre ses statuts en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 24 janvier 2012, alors « que ni le greffier ni le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés n’ont le pouvoir de porter une appréciation sur la validité ou l’efficacité des actes et pièces déposés en vue de l’inscription d’une mention au registre du commerce et des sociétés ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que les inscriptions portées au registre du commerce et des sociétés le 3 avril 2012 relatives à la forme sociale de la société Larzul et à la réduction de son capital étaient justifiées par une délibération du 24 mars 2012, par laquelle la société Vectora, en qualité d’associé unique de la société Larzul, avait décidé, en conséquence de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 24 janvier 2012, de constater que la société Larzul était une société par actions simplifiée unipersonnelle au capital de 3 300 000 euros, et de modifier ses statuts pour adopter à nouveaux ceux en vigueur antérieurement ; que, pour ordonner l’annulation de ces inscriptions, à la demande de la société FDG, qui prétendait qu’elle n’avait pas perdu la qualité d’associé et qu’ainsi la société Larzul ne disposait pas d’un associé unique, la cour d’appel retient, par motifs propres et adoptés, que l’arrêt du 24 janvier 2012 ne statue pas sur les conséquences des annulations prononcées et qu’un retour à la situation antérieure ne résulte pas expressément de cet arrêt ; qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel, qui a remis en cause le statut de société à associé unique de la société Larzul et la perte de la qualité d’associé de la société FDG, et ainsi la validité de la délibération prise le 24 janvier [lire : mars] 2012, par l’interprétation qu’elle a faite de l’arrêt du 24 janvier 2012, a tranché un débat de fond ne relevant pas de sa compétence et violé l’article L. 123-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l’article R. 123-95 du code de commerce que le greffier vérifie que les énonciations d’une demande d’inscription au registre du commerce et des sociétés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires, correspondent aux pièces justificatives et actes déposés en annexe et sont compatibles, dans le cas d’une demande de modification ou de radiation, avec l’état du dossier, mais qu’il ne dispose d’aucun pouvoir d’interpréter lesdits actes et pièces justificatives.

8. Il résulte de l’article L. 123-6 du code de commerce que le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés, compétent pour connaître de toutes contestations entre l’assujetti et le greffier, ne peut, à l’occasion d’une telle contestation, trancher un différend opposant la société assujettie à un tiers, telle la reconnaissance à ce dernier de sa qualité d’associé, qui ressortit au juge compétent sur le fond.

9. Ayant constaté que l’arrêt du 24 janvier 2012 s’était borné à annuler l’apport de fonds de commerce et l’augmentation de capital en résultant, mais qu’il n’en résultait ni l’anéantissement du protocole d’accord du 14 décembre 2004 et de tous les actes qui en sont la suite ni, par voie de conséquence, le retour à la situation antérieure à ce protocole, ce dont il se déduit que les énonciations de la demande de modification de l’inscription de la société Larzul au registre du commerce et des sociétés formée en 2012 n’étaient pas compatibles avec l’état du dossier, la cour d’appel, qui n’a pas tranché le débat de fond concernant la persistance de la qualité d’actionnaire de la société FDG et qui ne pouvait le faire sauf à méconnaître les limites de sa compétence juridictionnelle, a, à bon droit, confirmé l’ordonnance enjoignant au greffier de procéder à l’annulation des inscriptions modificatives litigieuses, portées le 3 avril 2012 au vu de cet arrêt.

10. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

  1. Les sociétés Larzul et Vectora font grief à l’arrêt d’enjoindre à la société Larzul de mettre ses statuts en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt du 24 janvier 2012, alors « que si l’article L. 123-3, alinéa 2, du code de commerce permet au juge commis à la surveillance du registre d’enjoindre à toute personne immatriculée de faire procéder aux mentions complémentaires ou rectifications qu’elle n’aurait pas fait porter dans les délais ou qui s’avéreraient nécessaires en cas de déclaration inexacte ou incomplète, ni ce texte ni aucune autre disposition légale ne l’autorise à enjoindre à une société immatriculée de modifier ses statuts ou d’en adopter de nouveaux ; qu’en enjoignant à la société Larzul de modifier ses statuts, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article L. 123-3, alinéa 2, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 123-3, alinéa 2, du code de commerce :

  1. Selon ce texte, le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés peut enjoindre à toute personne immatriculée à ce registre qui ne les aurait pas requises dans les délais prescrits, de faire procéder soit aux mentions complémentaires ou rectifications qu’elle doit y faire porter, soit aux mentions ou rectifications nécessaires en cas de déclarations inexactes ou incomplètes, soit à la radiation.
  2. L’arrêt confirme la décision du juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés ayant fait injonction à la société Larzul de mettre ses statuts en conformité avec sa situation juridique.
  3. En statuant ainsi, alors que le pouvoir d’injonction conféré au juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés ne peut porter que sur les mentions inscrites sur ce registre et non sur les énonciations des actes et pièces justificatives au vu desquelles le greffier procède aux inscriptions requises, la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

  1. Ainsi qu’il est suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
  2. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
  3. Le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés ne disposant pas du pouvoir d’enjoindre à une société immatriculée de modifier ses statuts ou d’en adopter de nouveaux, la demande tendant à ce que les statuts de la société Larzul soient mis en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt du 24 janvier 2012, ne peut qu’être déclarée irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l’ordonnance du juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés, il enjoint à la société Larzul de mettre ses statuts en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 24 janvier 2014, et en ce qu’il statue sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens, l’arrêt rendu le 13 juillet 2021, entre les parties, par la cour d’appel d’Angers ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

DECLARE irrecevable la demande de la société Groupe française de gastronomie tendant à ce que la société Larzul soit enjointe de mettre ses
statuts en conformité avec sa situation juridique, telle qu’elle résulte de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 24 janvier 2014 ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d’appel d’Angers ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.

1 juin 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-22.446 Chambre commerciale financière et économique – Formation restreinte hors RNSM/NA Publié au Bulletin ECLI:FR:CCASS:2023:CO00407

AIDE PUBLIQUE AU TITRE DU FONDS OPERATIONNEL PAR FRANCE AGRIMER

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 avril 2021 et 25 août 2022, l’union de coopératives agricoles (UCA)  » Les Vergers de Blue Whale « , représentée par Me Ledoux, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 2 mars 2021 en tant que par cette décision la directrice générale de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a opéré une réfaction d’un montant de 260 208,89 euros sur l’aide attribuée au titre du fonds opérationnel 2019 pour le financement de son programme opérationnel et lui a infligé une pénalité d’un montant de 203 272,64 euros ;

2°) de mettre à la charge de FranceAgriMer le versement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la décision attaquée n’a pas fait l’objet d’une procédure contradictoire préalable, en méconnaissance de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration ;

– la réfaction opérée par FranceAgriMer est entachée d’une erreur de droit, dès lors que le point 3.7.2 de l’annexe W de la stratégie nationale en matière de programmes opérationnels à caractère durable dans le secteur des fruits et légumes ne lui est pas applicable, dans la mesure où les aides sont versées aux producteurs par les coopératives membres de l’UCA et non directement par elle-même ; en tout état de cause, elle a versé les aides à ses coopératives adhérentes avant le 15 février 2020 ;

– la pénalité de 203 272 euros infligée en application du point 3 de l’article 61 du règlement UE n° 2017/891 n’est justifiée ni dans son principe, ni dans son montant.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 juin 2022, l’établissement FranceAgriMer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 31 août 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 15 septembre suivant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

– le règlement délégué (UE) 2017/891 de la Commission du 13 mars 2017 ;

– le règlement d’exécution (UE) 2017/892 de la Commission du 13 mars 2017 ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 ;

– l’arrêté du 28 mars 2018 portant modalités de mise en œuvre du règlement délégué (UE) 2017/891 de la Commission du 13 mars 2017 et du règlement d’exécution (UE) 2017/892 de la Commission du 13 mars 2017 complétant et portant modalités d’application du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des produits transformés à base de fruits et légumes ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. A,

– les conclusions de M. Leymarie, rapporteur public,

– et les observations de Me Delattre, substituant Me Ledoux, représentant l’union de coopératives agricoles  » Les Vergers de Blue Whale « .

Considérant ce qui suit :

1. L’union de coopératives agricoles (UCA)  » Les Vergers de Blue Whale « , en sa qualité d’organisation de producteurs dans le secteur des fruits et légumes reconnue par un arrêté du ministre de l’agriculture et de la pêche du 30 octobre 1997, a déposé une demande d’aide d’un montant de 4 702 275,74 euros au titre du fonds opérationnel 2019 pour le financement de son programme opérationnel. Par une décision du 9 novembre 2020, et à la suite d’un contrôle sur place, la directrice générale de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer FranceAgriMer lui a attribué une aide réduite à 4 074 920,02 euros, après application de réfactions et d’une pénalité. Par un courrier du 5 janvier 2021, l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » a formé un recours gracieux contre cette décision. Par une décision du 2 mars 2021, et au vu des justificatifs produits par l’UCA, la directrice générale de FranceAgriMer a annulé certaines réfactions, réduit le montant de la pénalité infligée et fixé le montant de l’aide communautaire au titre du fonds opérationnel 2019 à 4 295 730,46 euros. Par la présente requête, l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » demande au tribunal d’annuler la décision du 2 mars 2021 en tant que la directrice générale de FranceAgriMer a opéré une réfaction de 260 208,89 euros et lui a infligé une pénalité de 203 272,64 euros.

Sur l’étendue du litige :

2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l’encontre d’une décision administrative un recours gracieux devant l’auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L’exercice du recours gracieux n’ayant d’autre objet que d’inviter l’auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d’un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l’autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s’il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d’interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

3. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l’annulation de la décision de la directrice générale de FranceAgriMer du 2 mars 2021 rejetant partiellement le recours gracieux formé par l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » contre la décision du 9 novembre 2020 doivent également être regardées comme dirigées contre cette décision du 9 novembre 2020.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne la procédure contradictoire préalable :

4. Aux termes de l’article L. 110-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées à l’administration « . Selon l’article L. 121-1 du même code :  » Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable « .

5. Dès lors que la décision du 2 mars 2021 a été prise en réponse au recours gracieux formé par la requérante contre la décision du 9 novembre 2020, et constitue ainsi une réponse faite à une demande au sens de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » ne peut pas utilement se prévaloir de la méconnaissance de la procédure contradictoire prévue par les dispositions précitées. Est à cet égard sans incidence la circonstance que le motif fondant la réfaction de 260 208,89 euros litigieuse soit différent dans la décision initiale et dans celle rejetant le recours gracieux.

En ce qui concerne la décision de réfaction :

S’agissant du cadre juridique applicable au litige :

6. Aux termes de l’article L. 521-1 du code rural et de la pêche maritime :  » Les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité. / () Les sociétés coopératives agricoles peuvent se grouper en unions de coopératives agricoles () « . Aux termes de l’article L. 521-1-1 du même code :  » La relation entre l’associé coopérateur et la coopérative agricole à laquelle il adhère ou entre une coopérative agricole et l’union de coopératives agricoles à laquelle elle adhère est régie par les principes et règles spécifiques du présent titre et par la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération () « . L’article 5 de la loi du 10 septembre 1947 précitée dispose :  » () Sauf en ce qui concerne les sociétés coopératives agricoles ou leurs unions, les statuts d’une union de coopératives peuvent prévoir que les associés des coopératives membres de l’union peuvent bénéficier directement des services de cette dernière ou participer à la réalisation des opérations entrant dans son objet, sous réserve que les statuts des coopératives le permettent () « .

7. Aux termes de l’article 32 du règlement (UE) n° 1308/2013 susvisé :  » 1. Les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes () peuvent constituer un fonds opérationnel. Le fonds est financé par : / a) les contributions financières versées : / i) par les membres de l’organisation de producteurs et/ou par l’organisation elle-même () ; b) l’aide financière de l’Union, qui peut être octroyée aux organisations de producteurs () / 2. Les fonds opérationnels sont utilisés aux seules fins du financement des programmes opérationnels soumis aux Etats membres et approuvés par ceux-ci « . L’article 9 du règlement d’exécution (UE) 2017/892 susvisé dispose :  » 1. Les organisations de producteurs présentent une demande d’aide ou de solde de l’aide auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre pour chaque programme opérationnel pour lequel une aide est demandée, au plus tard le 15 février de l’année suivant celle pour laquelle l’aide est demandée. / 2. Les demandes d’aide sont accompagnées des pièces justificatives indiquant : / () d) les dépenses engagées au titre du programme opérationnel () « . Aux termes de l’article D. 664-14 du code rural et de la pêche maritime, alors en vigueur :  » Les organisations de producteurs et associations d’organisations de producteurs adressent leurs demandes d’aide financière communautaire au directeur général de FranceAgriMer dans les conditions et délais mentionnés à l’article 9 du règlement d’exécution (UE) n° 2017/892 () « .

8. Aux termes de l’article 36 du règlement (UE) n° 1308/2013 précité :  » () 2. Chaque État membre établit une stratégie nationale pour les programmes opérationnels à caractère durable sur le marché des fruits et légumes () « . Aux termes de l’article D. 664-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable au litige :  » Le ministre chargé de l’agriculture adopte la structure générale et le contenu global de la stratégie nationale en matière de programmes opérationnels à caractère durable dans le secteur des fruits et légumes mentionnée au 2 de l’article 36 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (). La stratégie peut être consultée sur le site du ministère de l’agriculture et de la pêche et de l’établissement public créé en application de l’article L. 621-1, compétent en matière de fruits et légumes. « . Une annexe W est jointe à la stratégie nationale en matière de programmes opérationnels à caractère durable dans le secteur des fruits et légumes. Tout comme la stratégie nationale, l’annexe W, qui constitue un référentiel et fait l’objet d’actualisations régulières publiées sur le site internet de FranceAgriMer, est opposable aux organisations de producteurs.

9. Aux termes du point 3.7.2 de l’annexe W précitée :  » L’OP [organisation de producteurs] prend en charge la dépense en remboursant le producteur. Ainsi, le producteur doit s’acquitter de sa facture avant que l’OP ne règle le paiement de la demande de prise en charge, sauf cas dûment justifiés. Ce paiement (par l’OP) doit avoir lieu avant le 15 février de l’année suivant le fonds et le débit effectif du compte de l’OP doit également avoir été réalisé à cette date. Pour les coopératives, le mouvement du compte coopérateur vaut débit « . Le respect de cette date constitue une garantie pour le producteur.

10. Il résulte de ce qui précède qu’une union de coopératives agricoles reconnue comme organisation de producteurs est, en cette qualité, seule responsable vis-à-vis de FranceAgriMer pour déposer une demande d’aide européenne ou de solde au titre du fonds opérationnel constitué en vue de la mise en œuvre de son programme opérationnel, et pour s’assurer de la bonne exécution des dépenses, conformément aux dispositions qui viennent d’être rappelées. Il s’ensuit qu’alors même que cette union de coopératives agricoles n’a, en principe, pas de lien juridique direct avec les producteurs membres des coopératives adhérentes de l’union, elle est, en tant qu’organisation de producteurs, et sauf dans l’hypothèse où ces coopératives seraient elles-mêmes reconnues comme organisations de producteurs, seule responsable du remboursement à ces producteurs – au plus tard, le 15 février de l’année suivant le fonds opérationnel – du montant pris en charge par le fonds des factures qu’ils ont préalablement acquittées.

S’agissant de la contestation de la réfaction de 260 208,89 euros :

11. D’une part, il résulte du principe énoncé au point précédent qu’au sens des dispositions du point 3.7.2 de l’annexe W, applicables au litige, doivent seules être regardées comme productrices la société civile d’exploitation agricole (SCEA)  » Domaine de Fontorbe  » et la SCEA  » Les Vergers d’Ambres « , dès lors qu’elles se sont acquittées des factures en cause dans la présente instance avant d’en demander la prise en charge au titre du fonds opérationnel 2019. En revanche, la société coopérative  » Coop Fruits Légumes des Deux Vallées « , qui n’a donc pas supporté ces dépenses, ne saurait, dans le présent litige, être considérée comme un producteur pour l’application des dispositions précitées. Enfin, l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale « , en tant qu’organisation de producteurs reconnue par arrêté ministériel, était seule garante du remboursement aux productrices susmentionnées, dans les délais réglementaires, des sommes par elles avancées, nonobstant la circonstance qu’elles sont membres de la coopérative  » Coop Fruits Légumes des Deux Vallées « .

12. D’autre part, il ressort des pièces du dossier que les deux SCEA citées au point précédent ont sollicité le remboursement, par le fonds opérationnel 2019 géré par l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale « , de factures pour un montant total de 260 208,89 euros, correspondant à des dépenses éligibles au titre du programme opérationnel, et datées des 18 et 19 décembre 2019. Or, il est constant que ces deux sociétés productrices n’ont été payées que les 27 et 28 avril 2020, soit après le 15 février de l’année suivant le fonds, en méconnaissance des dispositions précitées de l’annexe W. Par suite, la directrice de FranceAgriMer était fondée, pour ce seul motif, à déduire le montant pris en charge des factures tardivement payées de celui des dépenses admissibles servant à calculer l’aide accordée à l’organisation de producteurs UCA  » Les Vergers de Blue Whale « , sans que la requérante ne puisse utilement faire valoir qu’elle a versé les sommes en litige à la coopérative  » Coop Fruits Légumes des Deux Vallées  » avant le 15 février 2020, dès lors que cette coopérative n’est pas, dans le présent litige, un producteur au sens des dispositions précitées du point 3.7.2 de l’annexe W, ni que ce retard est imputable à cette coopérative , dès lors que cette dernière n’est pas une organisation de producteurs. La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que la directrice de FranceAgriMer a entaché ses décisions d’une erreur de droit en lui faisant application de ces dispositions.

En ce qui concerne la pénalité infligée :

13. Aux termes de l’article 61 du règlement délégué (UE) 2017/891 :  » 1. Les paiements sont calculés sur la base des actions admissibles. / 2. L’État membre examine la demande d’aide reçue et établit les montants admissibles au bénéfice de l’aide. Il détermine le montant qui : / a) serait payable au bénéficiaire sur la seule base de la demande ; / b) est payable au bénéficiaire après examen de l’admissibilité de la demande. / 3. Si le montant établi conformément au paragraphe 2, point a), dépasse de plus de 3 % le montant établi conformément au paragraphe 2, point b), une pénalité est appliquée. Le montant de la pénalité correspond à la différence entre les montants calculés conformément au paragraphe 2, points a) et b). Toutefois, aucune pénalité n’est appliquée si l’organisation de producteurs est en mesure de démontrer qu’elle n’est pas responsable de la prise en compte du montant non admissible. 4. Les paragraphes 2 et 3 s’appliquent mutatis mutandis aux dépenses non admissibles relevées lors des contrôles sur place () « .

14. Il résulte de l’instruction que, compte tenu des réfactions opérées par FranceAgriMer et non contestées par la requérante, d’une part, et des énonciations du présent jugement qui valide la réfaction d’un montant de 260 208,89 euros, d’autre part, le montant de l’aide recevable par l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » au titre du fonds opérationnel 2019 s’élève à 4 499 003,10 euros, soit 203 272,64 euros de moins que l’aide sollicitée, qui s’élevait à 4 702 275,74 euros. Le montant de l’aide demandée par l’organisation de producteurs excède donc de 4,5 % le montant de l’aide recevable. Dès lors que le dépassement est supérieur à 3 %, une pénalité égale à la différence entre le montant de l’aide demandée et le montant payable était donc encourue en application des dispositions citées au point précédent. En outre, l’UCA étant, en sa qualité d’organisation de producteurs, garante vis-à-vis de FranceAgriMer du paiement des aides aux producteurs dans les délais prescrits, elle doit être regardée comme responsable de la prise en compte du montant non admissible. Par suite, la directrice générale de FranceAgriMer était fondée à appliquer à l’UCA la pénalité contestée, qui est justifiée tant dans son principe que dans son montant. Le moyen tiré de ce qu’aucune sanction n’était encourue doit donc être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l’UCA  » Les Vergers de Blue Whale  » n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions attaquées en tant qu’elles appliquent une réfaction de 260 208,89 euros et en tant qu’elles fixent une pénalité de 203 272,64 euros. Par suite, les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l’union de coopératives agricoles  » Les Vergers de Blue Whale  » est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l’union de coopératives agricoles  » Les Vergers de Blue Whale  » et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LES COMPTES ENTRE LES PARTIES

L’EARL des Fougères a adhéré le 13 octobre 2000 à la société coopérative agricole Coopagri, aux droits de laquelle est venue la société Triskalia.

Par acte du 16 avril 2012, l’EARL s’est engagée à apurer le solde débiteur de son compte courant d’adhérente, arrêté au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, en cédant à la société Triskalia la créance qu’elle détenait sur la coopérative laitière Colarena, à due concurrence de 200 euros par mois à compter de ses apports de lait d’avril 2012 puis de 600 euros par mois à compter d’avril 2013.

Prétendant que le solde débiteur arrêté au 30 novembre 2011 n’avait pas été entièrement apuré en dépit de la cession de créance et que la poursuite des relations avec l’EARL des Fougères, transformée en GAEC S&C Filatre (le GAEC), avait engendré de nouveaux impayés en dépit d’une mise en demeure du 22 juin 2017, la société Triskalia l’a, par acte du 2 mai 2018, fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Vannes.

Estimant que l’action en paiement de la créance cédée ne pouvait être dirigée contre le GAEC qui ne garantissait pas la solvabilité du débiteur cédé, le premier juge a, par jugement du 16 décembre 2019 :

déclaré irrecevable l’action en paiement de la société Triskalia à l’encontre du GAEC et portant sur la créance cédée au titre de l’acte du 16 avril 2012,

condamné le GAEC à payer à la société Triskalia la somme de 1 240,64 euros au titre du solde débiteur du compte courant d’adhérent hors cession de créance,

dit que cette somme est augmentée des intérêts contractuels au taux de 9,60 % l’an à compter du 1er mars 2018,

sursis à l’exécution des poursuites et autorisé le débiteur à se libérer de sa dette au terme d’un délai de 24 mois,

dit que, pour l’intégralité de cette période, les sommes dues produiront intérêts au taux légal non majoré,

rappelé que la présente décision suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier pendant ce délai,

dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens seront supportés par moitié par la société Triskalia et le GAEC,

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

La société Triskalia a relevé appel de cette décision par déclaration du 3 février 2020.

Le 20 mai 2020, l’EARL Ferme de Nonguais (l’EARL) est intervenue à l’instance d’appel, en déclarant se trouver aux droits du GAEC.

Le 24 mai 2022, la société coopérative agricole Eureden (la société Eureden) est quant à elle intervenue à l’instance d’appel, en déclarant se trouver aux droits de la société Triskalia par suite d’une opération de fusion à effet au 1er janvier 2020, sans toutefois former elle-même de demandes et sans que l’EARL ne conclut contre la société Eureden.

Par arrêt du 27 janvier 2023, la cour a :

ordonné la réouverture des débats, avec révocation de l’ordonnance de clôture,

invité la société Eureden et l’EARL à tirer les conséquences, dans leurs prétentions respectives, de la perte de personnalité morale de la société Triskalia,

fixé la date de la nouvelle ordonnance de clôture à la conférence du 23 février 2023,

dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du jeudi 2 mars 2023.

Faisant valoir que la créance de l’EARL sur la société Colarena n’avait été cédée qu’à concurrence des sommes dues par cette dernière et que, du fait de ce que le GAEC avait cessé de lui livrer sa production laitière, elle serait en droit d’agir contre l’EARL en règlement du solde du compte arrêté le 30 novembre 2011 quand bien même celle-ci ne garantirait pas la solvabilité du débiteur cédé, la société Eureden a alors demandé à la cour de :

infirmer le jugement attaqué,

condamner l’EARL à lui payer la somme de 14 689,32 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % l’an depuis le 1er mars 2018 sur le principal de 12 999 euros,

débouter l’EARL de toutes ses demandes,

condamner l’EARL au paiement d’une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ayant formé appel incident pour soutenir que la totalité de la créance, en ce inclus sa fraction née de la poursuite des relations postérieurement au 30 novembre 2011, serait prescrite, l’EARL a quant à elle demandé à la cour de :

déclarer irrecevable l’action en paiement de la société Eureden à son encontre,

en conséquence, débouter la société Eureden de ses demandes,

à titre subsidiaire, accorder un moratoire de 24 mois et, à défaut, un échelonnement de sa dette sur 24 mois,

en tout état de cause, débouter la société Eureden de ses demandes,

condamner la société Eureden à lui régler une indemnité de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée, ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la société Eureden le 27 janvier 2023 et pour l’EARL le 24 février 2023, l’ordonnance de clôture prononcée le 23 février 2023 ayant été révoquée et une nouvelle l’ordonnance de clôture ayant été rendue à l’audience du 2 mars 2023, avant l’ouverture des débats.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur le solde du compte précontentieux

Par acte dénommé ‘autorisation de règlement cession de créance’ en date du 16 avril 2012, l’EARL des Fougères, sociétaire de la coopérative Triskalia, s’est engagée à désintéresser cette dernière de sa créance par le versement d’acomptes de 200 euros par mois à compter d’avril 2012 puis de 600 euros par mois à compter d’avril 2013 jusqu’à parfait paiement, et, pour se faire, a autorisé la société Colarena, à laquelle elle fournissait sa production de lait, à verser directement les sommes mensuelles de 200 euros à compter d’avril 2012 puis de 600 euros à compter d’avril 2013, et ‘a cédé et transporté à Triskalia, à concurrence des sommes qui lui sont dues, la créance qu’elle détient sur Colarena à concurrence de la somme mensuelle de 200 euros à compter de ses apports de lait d’avril 2012 puis de 600 euros à compter de ses apports d’ avril 2013 et ce jusqu’à parfait paiement’.

Cette créance, arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, a été affecté à un compte courant de sociétaire ‘précontentieux’ dont le solde restait, au 31 janvier 2018, débiteur de la somme de 13 355,09 euros, dont 11 980,97 euros en principal.

L’acte du 16 avril 2012 ne peut s’analyser en une délégation de paiement, et moins encore en une simple indication de paiement, puisqu’il emporte explicitement cession de la créance d’apports de lait détenue par l’EARL sur la société Colarena, avec subrogation de la société cessionnaire dans les droits et actions dérivant de cette créance ‘dont Triskalia disposera à compter de ce jour comme d’un droit lui appartenant en toute propriété’.

Il résulte toutefois des termes exprès et non équivoques de l’acte que cette cession portait certes sur les créances d’apports futurs de lait, mais n’était réalisée qu’à concurrence des sommes dues par la société Colarena à l’EARL.

Il s’en évince que, quand bien même l’EARL cédante ne s’était pas engagée à garantir à la coopérative cessionnaire la solvabilité de la débitrice cédée, la société Triskalia, qui n’a acquis la créance de l’EARL à la société Colarena qu’à due concurrence des sommes dues par cette dernière au regard des apports de lait effectivement réalisés, conserve la qualité pour agir en paiement du solde débiteur du compte précontentieux dont les modalités d’apurement convenues n’ont été honorées ni par des versements directs de l’EARL, ni par des règlements de paye de lait de la société Colarena, qui a cessé ses paiements en 2016 du fait qu’elle n’était plus livrée en lait, et non en raison d’une prétendue insolvabilité au demeurant non démontrée.

C’est donc à tort que le premier juge a, au seul motif de l’absence de clause de garantie de solvabilité du débiteur cédé, déclaré l’action exercée par la société Triskalia contre l’EARL en paiement de la créance cédée irrecevable.

L’EARL soutient par ailleurs que l’action de la société Eureden serait aussi irrecevable comme prescrite, plus de cinq ans s’étant écoulés entre l’acte du 16 avril 2012 et l’assignation du 2 mai 2018, et les règlements opérés par la société Colarena jusqu’en 2016 ne pouvant être regardés comme une reconnaissance du droit du créancier par le débiteur interruptive de prescription puisqu’ils émanent d’un tiers.

La société Eureden fait cependant à juste titre observer qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance.

Il en résulte que, les modalités d’apurement de la dette convenues par l’acte du 16 avril 2012 ayant été honorées jusque courant 2016, l’assignation du 2 mai 2018 a bien été délivrée avant l’expiration du délai de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

Au surplus, le créancier se trouvait dans l’impossibilité d’agir tant que l’échéancier de remboursement de la dette contractuellement convenu était respecté par les règlements du débiteur cédé, de sorte que, conformément à l’article 2234 du code civil, le délai de prescription n’a pu courir avant 2016.

L’action de la société Eureden est donc en tous points recevable.

D’autre part, si, comme le relève l’EARL, l’acte du 16 avril 2012 n’arrête pas le montant de la créance dont il échelonnait le paiement, celle-ci a été isolée dans un compte spécial ‘précontentieux’ et arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros.

Or, l’adhésion à la coopérative agricole emporte, pour le sociétaire, engagement de se conformer à ses statuts et à son règlement intérieur, impliquant notamment l’acceptation des modalités de fonctionnement des comptes courants d’associés dénommés ‘comptes coopérateurs’ et l’établissement de relevés de compte adressés mensuellement à chaque sociétaire pour notification des sommes dues par lui à la coopérative , sur lesquels figurent au débit et au crédit les opérations réalisées pour chaque activité pendant une période déterminée entre la coopérative et le sociétaire.

Il ressort également de l’article 7-9 des statuts qu’en cas de non-paiement d’un solde débiteur à la date d’exigibilité figurant sur l’un quelconque des relevés de compte mensuels adressés à l’associé coopérateur , il serait appliqué des intérêts de retard mensuels sur les sommes dues en principal, à un taux plein de 0,8 % par mois (soit 9,6 % par an) se substituant au taux minoré à l’issue d’une période de deux mois débutant à compter du premier jour du mois suivant celui où tout débit en principal est comptabilisé.

À cet égard, la société Triskalia produit les relevés du compte de l’EARL sur lequel a été affecté la créance arrêtée au 30 novembre 2011 à 26 646,43 euros, faisant apparaître les intérêts statutaires facturés périodiquement à l’EARL ainsi que les règlements effectués par la société Colarena.

Ces relevés n’ont jamais été contestés par l’EARL, laquelle ne suggère à présent qu’en termes généraux et non étayés par une offre de preuves que les comptes de la coopérative seraient confus et imprécis.

Il convient par conséquent, après réformation du jugement attaqué, de condamner l’EARL à payer à la société Eureden, au titre de du solde du compte précontentieux, la somme de 13 355,09 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 11 980,97 euros à compter du 1er mars 2018.

Sur le solde du compte d’activités générales

La société Eureden soutient par ailleurs que le compte d’activités générales de l’EARL présentait, du fait de la poursuite des relations du sociétaire avec la coopérative , un solde débiteur de 1 240,64 euros arrêté au 31 janvier 2018.

Au titre de son appel incident, l’EARL soutient que l’action en paiement de cette créance serait prescrite, celle-ci ne s’étant plus approvisionnée auprès de la société Triskalia ‘de longue date’.

Il ressort cependant du compte d’activité générale produit et des factures incluses dans la production de cette pièce n° 7 qu’une prestation de conseil ‘Agro Planiterre’ a été facturée le 30 juin 2015 pour un montant de 862,80 euros TTC exigible le 28 juillet 2015, qu’une prestation de déclaration PAC a été facturée le 31 juillet 2015 pour un montant de 120 euros TTC exigible le 25 août 2015, et qu’une prestation de laboratoire a été facturée le 31 août 2015 pour un montant de 139,20 euros TTC exigible le 25 septembre 2015, si bien que, compte tenu des intérêts statutaires de retard et de la déduction d’un avoir, le compte était débiteur d’une somme de 1 240,64 euros, dont 1 018,03 euros en principal, au 31 janvier 2018.

Il s’en évince que le délai de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, courant à compter de la date d’exigibilité de ces factures, n’était pas expiré au jour de l’assignation du 2 mai 2018.

L’action en paiement du solde de ce compte est donc recevable.

Dès lors, l’EARL, qui n’a jamais contesté les relevés de ce compte et était, comme précédemment souligné, statutairement tenue de s’acquitter du solde débiteur de celui-ci, sera condamnée au paiement de la somme de 1 240,64 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 1 018,03 euros à compter du 1er mars 2018.

Sur le délai de grâce

Il n’y a pas matière à accorder un délai de grâce à l’EARL, laquelle a déjà bénéficié des larges délais de la procédure pour s’acquitter d’une dette à présent ancienne.

Le jugement attaqué sera donc également réformé sur ce point.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Eureden l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’EARL, qui succombe, supportera seule les entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 16 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Vannes, sauf en ce qu’il a condamné le GAEC S & C Filatre au paiement de la somme de 1 240,64 euros au titre du solde débiteur du compte d’activités générales ;

Déclare l’action en paiement du solde du compte précontentieux recevable ;

Condamne à ce titre l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 13 355,09 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 11 980,97 euros à compter du 1er mars 2018 ;

Déclare l’action en paiement du solde du compte d’activités générales recevable ;

Condamne à ce titre l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 1 240,64 euros, avec intérêts au taux de 9,60 % sur le principal de 1 018,03 euros à compter du 1er mars 2018 ;

Condamne l’EARL Ferme de Nonguais à payer à la société Eureden la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l’EARL Ferme de Nonguais aux dépens de première instance et d’appel ;

Cour d’appel Rennes 2e chambre du 12 Mai 2023
RG : 20/00811

L’article 1353 du code civil dispose qu’il incombe à celui qui réclame l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve, celui qui se prétend libéré devant réciproquement justifier du paiement.

A R R Ê T

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [F] [S] est inscrit comme entrepreneur individuel pour une activité de travaux de terrassement courants et travaux préparatoires qu’il exploite [Adresse 1] (64).

Il est par ailleurs le gérant de l’Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée DE LA DIGUE (ci-après EARL DE LA DIGUE), immatriculée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Pau depuis le 17 mars 1992, ayant pour activité la culture de céréales (à l’exception du riz), de légumineuses et de graines oléagineuses et dont le siège social se trouve également [Adresse 1] (64).

Suite à la facture établie par Monsieur [H] [I] le 20 août 2018 à la suite de travaux d’épandage réalisés pour plusieurs agriculteurs à la demande de la société coopérative LUR BERRI et faisant mention pour Monsieur [S] de 12 650 kg de solution azotée sur 23 ha 85, la société coopérative agricole LUR BERRI, sise à [Adresse 4] (64), a émis une facture n° 27177 en date du 18 septembre 2018 d’un montant de 4 503,06 euros établie au nom de Monsieur [F] [S] pour ces travaux d’épandage de solution azotée 30.

Monsieur [F] [S] ne s’étant pas acquitté de cette somme, elle a établi plusieurs factures d’intérêts de retard pour lesquelles elle n’a reçu aucun règlement.

Suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 18 janvier 2019, elle a tout aussi vainement adressé une mise en demeure d’avoir à payer les sommes réclamées, à Monsieur [F] [S] qui n’a pas retiré le pli recommandé.

Le courrier recommandé avec accusé de réception adressé le 26 mars 2019 à Monsieur [F] [S] par la société de recouvrement mandatée par la société coopérative LUR BERRI, n’a pas non plus été suivi d’effet.

Par requête en date du 22 mai 2019, la société coopérative LUR BERRI a saisi le tribunal d’instance de Pau aux fins d’obtenir une ordonnance portant injonction de payer à l’encontre de Monsieur [F] [S], mais par ordonnance en date du 27 août 2019, cette requête a été rejetée aux motifs de l’absence de bon de commande signé et d’autres éléments de preuve.

Elle a déposé une nouvelle requête auprès de la même juridiction le 26 mars 2020 qui a également été rejetée le 30 juin 2020 au motif qu’un débat contradictoire était nécessaire et qu’il appartenait à la société LUR BERRI de saisir la juridiction du fond.

Par exploit du 29 septembre 2020, la société coopérative LUR BERRI a fait assigner Monsieur [F] [S] devant le tribunal judiciaire de Pau, sur le fondement des articles 1103, 1193, 1104, 1231-1 et 1231-6 du code civil, aux fins de le voir condamner à lui verser :

– la somme de 4 503,06 euros assortie des intérêts aux taux légaux et contractuels de 9,5 % de retard à compter du 18 janvier 2019,

– la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article 1231-1 du code civil,

– la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais de requête et d’huissier de justice,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par jugement réputé contradictoire en date du 27 avril 2021, le tribunal judiciaire de Pau a :

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 4 503,06 euros assortie des intérêts légaux à compter du 18 janvier 2019,

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Monsieur [F] [S] aux entiers dépens.

Par déclaration du 15 juin 2021, Monsieur [F] [S] a interjeté appel de cette décision, la critiquant dans l’ensemble de ses dispositions.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 06 octobre 2022, Monsieur [F] [S], appelant, demande à la cour, sur le fondement des articles 1101 et suivants du code civil et des articles 1241 et suivants du même code, de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Pau, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

– débouter la société LUR BERRI de l’ensemble de ses demandes.

Y ajoutant :

– condamner la société LUR BERRI à verser à Monsieur [F] [S] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses écritures en date du 09 décembre 2021, la société coopérative LUR BERRI, demande à la cour, sur le fondement des articles 1101, 1313 et 1342-2 du code civil, de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Pau rendu le 27 avril 2021,

– débouter Monsieur [S] de l’ensemble de ses demandes,

– le condamner à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 janvier 2023.

MOTIFS

L’article 1353 du code civil dispose qu’il incombe à celui qui réclame l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve, celui qui se prétend libéré devant réciproquement justifier du paiement.

Monsieur [F] [S] soutient que le véritable débiteur de la société coopérative est l’EARL DE LA DIGUE qui, comme d’autres agriculteurs, passe commande d’azote auprès de la société coopérative LUR BERRI, laquelle mandate Monsieur [H] [I] qui procède aux épandages sur les parcelles concernées et notamment celles exploitées par l’EARL DE LA DIGUE, et émet ensuite des factures directement auprès de la société coopérative LUR BERRI, à charge pour cette dernière d’établir sa facturation à l’ordre des agriculteurs concernés ; Monsieur [F] [S] explique que l’EARL DE LA DIGUE livre par ailleurs des céréales à la société coopérative LUR BERRI et que les règlements s’effectuent entre elles par compensation.

Il explique que depuis plusieurs années, la société coopérative LUR BERRI commet l’erreur d’émettre ses factures au nom de Monsieur [F] [S] aux lieu et place de l’EARL DE LA DIGUE et que pour rectifier cette erreur, elle émet un avoir et refacture la prestation à l’EARL DE LA DIGUE.

En réponse la société coopérative LUR BERRI dément l’existence d’une erreur de facturation en soulignant que Monsieur [F] [S] ne l’a pas prévenue de cette difficulté et qu’il ne conteste pas que la prestation d’épandage d’azote a bien été réalisée.

En l’espèce, il est établi par l’extrait K BIS versé aux débats que l’EARL DE LA DIGUE est immatriculée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Pau depuis le 17 mars 1992 et qu’elle a pour activité la culture de céréales, de légumineuses et de graines oléagineuses comme cela ressort de l’extrait du répertoire SIREN la concernant.

Il est par ailleurs établi que si le gérant de cette société est Monsieur [F] [S], lui-même exploite une entreprise individuelle de terrassement comme cela ressort de l’extrait du répertoire SIREN le concernant mais qu’il n’exerce pas l’activité d’agriculteur à titre personnel.

Il s’ensuit que les travaux d’épandage de solution azotée objets de la facture n° 27177 émise le 18 septembre 2018 par la société coopérative, concerne l’EARL DE LA DIGUE et non pas Monsieur [F] [S].

Monsieur [F] [S] qui n’avait pas constitué avocat en première instance, avait adressé le 11 novembre 2020, un courrier à la société d’huissiers de justice qui lui avait délivré l’assignation, en expliquant cette situation et en indiquant que les factures qui lui étaient réclamées ne le concernaient pas mais concernaient l’EARL DE LA DIGUE.

La société coopérative LUR BERRI sera dès lors déboutée de l’intégralité de ses demandes dirigées à l’encontre de Monsieur [F] [S].

Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens.

La société coopérative LUR BERRI, perdante, supportera les dépens de première instance et d’appel et sera tenue de verser à Monsieur [F] [S] une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la société coopérative LUR BERRI de ses demandes dirigées à l’encontre de Monsieur [F] [S],

Condamne la société coopérative LUR BERRI à payer à Monsieur [F] [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société coopérative LUR BERRI de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société coopérative LUR BERRI aux dépens de première instance et d’appel.

Cour d’appel, Pau, 1re chambre, 11 Avril 2023 – n° 21/01990 Infirmation Répertoire Général : 21/01990

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