Catégorie : révocation

BAIL RURAL et article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime et QPC

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l’occasion du pourvoi qu’ils ont formé contre l’arrêt rendu le 27 juin 2019 par la cour d’appel de Rouen, par mémoire distinct et motivé, M. et Mme C. et l’EARL ont demandé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime tel qu’il a existé entre la loi n 93-934 du 22 juillet 1993 et l’ordonnance n 2006-870 du 13 juillet 2006 est-il contraire au principe d’égalité tel qu’issu de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et consacré par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel pour exclure sans raison, s’agissant de l’exploitation agricole à responsabilité limitée, les garanties instituées par l’article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime tel qu’issu de la loi du 30 décembre 1988, et notamment la garantie tenant à la nécessité d’une mise en demeure préalablement à l’exercice par le bailleur d’un action en résiliation en cas de manquement du preneur à son obligation d’exploitation effective et permanente ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. L’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoyait, au cas où le preneur ne continuait pas à se consacrer à l’exploitation du bien loué ou lorsque tous les membres de la société ne participaient pas à la mise en valeur des biens, que le bailleur était dispensé d’adresser au preneur une mise en demeure avant de solliciter la résiliation du bail dans l’hypothèse où les terres étaient mises à disposition d’une EARL, a été abrogé par l’ordonnance du 13 juillet 2006, qui a modifié l’article L. 411-31 du même code, selon lequel notamment le bail rural peut être résilié pour toute contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l’article L. 411-37 de ce code, relatif à la mise à disposition par le preneur au profit d’une société agricole des terres prises à bail.

6. M. et Mme F. ont sollicité la résiliation du bail pour infraction aux dispositions de l’article L. 411-37 par requête du 26 juillet 2016.

7. L’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime n’était donc plus en vigueur lorsque l’action a été introduite, de sorte que la condition d’applicabilité au litige au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 n’est pas remplie.

8. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

Cour de cassation 3e chambre civile 19 Mars 2020Numéro de pourvoi : 19-22.396 Numéro d’arrêt : 350 Publié

REVOCATION D’UN GERANT DE SOCIETE

Une Cour d’appel retient pour cause légitime de révocation d’un gérant :

  1. NON CONVOCATION DES ASSEMBLEES PAR LE GERANT

M. Le H. invoque plusieurs griefs à l’encontre de Mme Z., qui se rattachent soit au non respect des obligations de gérant résultant de la loi ou des statuts, soit à l’exercice d’une gestion de la SCI Josshilaire contraire à ses intérêts.

Sur le premier point, les articles 1855 et 1856 du code civil donnent aux associés le droit d’obtenir au moins une fois par an communication des livres et documents sociaux et imposent aux gérants de rendre compte une fois dans l’année de leur gestion aux associés

M. Le H. reproche à Mme Z. de ne pas avoir fait établir les comptes de la société ni convoquer l’assemblée générale pour les approuver et rendre compte de sa gestion.

Celle-ci ne conteste pas que depuis sa nomination en qualité de co-gérante de la SCI Josshilaire, elle n’a jamais fait établir les comptes de la société et n’a convoqué aucune assemblée générale, hormis celle du 14 février 2013 qui avait pour seul objet la suite à donner à la procédure de résiliation du bail en cours contre la société les Vergers de Josselin.

L’argument de l’intimée, tiré de l’adage ‘nul ne peut se prévaloir de sa turpitude’, selon lequel M. Le H. serait mal venu de lui faire ce reproche alors qu’il n’a lui-même jamais convoqué la moindre assemblée générale avant le 29 juin 2012, n’est pas opérant, le comportement qu’a pu avoir M. Le H. avant cette date ne libèrant pas Mme Z. de ses propres obligations en qualité de gérante, à compter de sa nomination le 29 juin 2012.

Il est exact que M. Le H. avait les mêmes obligations en sa qualité de co-gérant, qu’il a d’ailleurs fait convoquer deux assemblées générales de la SCI Josshilaire tenues le 2 juillet 2013 et le 30 juin 2014 au cours desquelles les comptes des exercices clos au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2013 ont été approuvés, et que de ce fait, l’impact pour la société durant cette période, du non respect par Mme Z. de sa propre obligation de convoquer l’assemblée générale pour approuver les comptes et la gestion, a été limité.

La cour observe toutefois qu’aucune assemblée générale n’a été convoquée par la suite alors que l’immeuble de la SCI Josshilaire n’a été vendu qu’en janvier 2016 et que cette société existe toujours et a d’ailleurs engagé le 21 mars 2016, par l’intermédiaire de son gérant M. Le H., une procédure en recouvrement des loyers dus jusqu’à la vente de l’immeuble, pendante devant cette cour (pièce 24 produite par les appelants). En outre, Mme Z. indique s’interroger sur la sincérité de la comptabilité effectuée par la société CER expert comptable à la demande du co-gérant M. Le H. mais n’a elle-même fait établir aucune comptabilité.

En conséquence, il est établi que Mme Z. ne s’est pas acquittée des obligations légales lui incombant en qualité de gérant et même si l’impact de ce non respect pour la société a été limité du fait de l’existence d’un co-gérant et des initiatives prises par ce dernier à certaines périodes, il n’est pas conforme à l’intérêt social de maintenir un gérant qui ne respecte pas ses obligations légales et statutaires et il s’agit donc d’une cause légitime de révocation.

S’agissant des fautes de gestion que M. Le H. reproche à Mme Z., et en premier lieu du fait que Mme Z. s’est abstenue de régler les loyers dus par la société Dorleane à la SCI Josshilaire, la cour observe que ce grief concerne sa qualité de présidente de la société Dorleane et non de gérante de la SCI et ne peut justifier sa révocation de ses fonctions de gérante de la SCI.

2. ABSENCE D’EXPLOITATION ET D’ENTRETIEN DES BIENS LOUES

Le grief tiré de l’absence d’exploitation et d’entretien des locaux loués s’appuie uniquement sur un procès verbal de constat d’huissier du 12 novembre 2015 (pièce 31 produite par M. Le H.) qui ne révèle pas de réel défaut d’entretien (hormis la présence de mauvaises herbes et d’un grillage effondré derrière le bâtiment). Surtout, l’absence d’occupation des locaux (photocopieurs débranchés, radiateurs et ordinateurs éteints, chambres froides non occupées et non alimentées) est imputable à la société Dorleane dont Mme Z. est aussi le président mais non à cette dernière en qualité de gérante de la SCI Josshilaire. Aucune cause légitime de révocation ne peut être retenue sur ce point.

3. ABSENCE D’ACTION EN RECOUVREMENT DES LOYERS

S’agissant du recouvrement des loyers, le fait pour Mme Z. d’avoir convoqué une assemblée générale le 14 février 2013 avec pour objet la suite à donner à la procédure de résiliation du bail en cours contre la société les Vergers de Josselin n’est pas constitutive d’une faute de gestion compromettant l’intérêt social, dans la mesure où la société Les Vergers de Josselin arguait d’un paiement de la dette avant cette assemblée générale, même si ce paiement était contesté, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la cour de céans en date du 17 avril 2014 qui a retenu une contestation sérieuse sur ce point.

En revanche, alors que M. Le H. établit pour sa part avoir adressé en sa qualité de co-gérant de la SCI Hosshilaire, afin de recouvrer les loyers dus à cette dernière, en premier lieu des commandements de payer en décembre 2011 et mars 2012 contre les sociétés Logikfruits et Les Vergers de Josselin dont deux ont d’ailleurs fait l’objet de règlements, et en second lieu, à partir de février 2013, des mises en demeure contre la société Dorleane en sa qualité de preneur à titre personnel et venant aux droits des sociétés logikfruits et Les Vergers de Josselin, Mme Z. n’établit strictement aucune diligence pour recouvrer les loyers dus et n’allègue pas non plus s’être associée aux démarches effectuées par M. Le H. à ce titre.

Or, même si M. Le H. avait la même responsabilité en qualité de gérant et par ailleurs, contestait en justice la nomination de Mme Z. en qualité de gérante, celle-ci devait exercer sa responsabilité de gérante tant que sa désignation n’était pas remise en cause en justice et devait donc à ce titre défendre les intérêts de la SCI Josshilaire, bailleresse, nonobstant le fait qu’elle exerce par ailleurs les fonctions de dirigeante des sociétés locataires.

Mme Z. reproche à M. Le H. de se borner à alléguer que la société Dorleane n’a pas procédé au règlement de ses loyers sans en justifier. Ce dernier justifie toutefois avoir adressé à cette dernière, au nom de la SCI Josshilaire, diverses mises en demeure en 2013 et 2014 et il n’est justifié d’aucune contestation de la part de la société Dorleane.

Certes, ainsi qu’elle l’allègue, Mme Z. n’est devenue co-gérante que par décision du 29 juin 2012 et à cette date, la déchéance du terme du prêt souscrit par la SCI Josshilaire était déjà intervenue par courrier du 1er mars 2012 et l’intérêt de la SCI était donc pour partie compromis. Pour autant, il était dans l’intérêt de la SCI Josshilaire de recouvrer sa créance de loyer. L’inaction de Mme Z. à ce titre constitue donc une autre cause légitime de révocation.

Par ailleurs, si le fait pour Mme Z. d’avoir fait transférer le courrier adressé à la SCI Josshilaire, jusque là adressé au domicile de M. Le H., au siège social de cette dernière qui est aussi le lieu d’activité de la société Dorleane, locataire des lieux loués et également dirigée par Mme Z., n’est pas en soi un manquement de nature à motiver sa révocation, une société étant par principe domiciliée à son siège social, la cour observe qu’à partir de cette date, il était plus difficile pour M. Le H. d’être informé des décisions concernant la SCI et d’exercer son rôle de co-gérant, de sorte que la protection des intérêts de cette dernière pesait de fait davantage sur Mme Z..

L’intimée fait valoir que M. Le H. en sa qualité de co-gérant de la SCI avait accès au siège social, ce que celui-ci conteste en démontrant à tout le moins, en pièce 25 n’avoir pu pénétrer en octobre 2014 au siège social de la société accompagné d’un huissier de justice, celui-ci étant dépourvu d’autorisation de justice. En tout état de cause, même en supposant qu’il ait pu se rendre au siège social, il ne pouvait avoir accès au courrier de la SCI que s’il était mis à sa disposition ce qu’il conteste et ce qui n’est pas établi, étant rappelé que la communication entre les deux co-gérants, dont les relations étaient très dégradées était très faible voire inexistante.

Ainsi, dès lors que Mme Z. avait nécessairement connaissance de la procédure de saisie immobilière engagée contre la SCI Josshilaire dont elle était co-gérante par commandement de payer du 8 avril 2015, soit postérieurement au transfert du courrier au siège social de la SCI à compter du 1er mars 2015, il lui appartenait en sa qualité de gérante de la SCI de défendre les intérêts de cette dernière dans la procédure et à tout le moins, en supposant que la situation ait pu être délicate pour elle, étant à la fois gérante de la SCI et soeur du créancier poursuivant, d’aviser le co-gérant de la procédure de saisie afin qu’il puisse défendre les intérêts de la société.

Il lui appartenait aussi d’informer les associés de la SCI Josshilaire de cette procédure et du jugement du 16 octobre 2015 décidant la vente forcée de l’immeuble de la SCI (pièces 27 et 28 produites par l’intimée).

Elle ne peut de bonne foi et de manière opérante se contenter en réponse d’indiquer d’une part que M. Le H. n’avait lui-même pas informé les associés de la SCI Josshilaire de la déchéance du terme en 2012 du prêt souscrit par cette dernière, d’autre part que le commandement de payer valant saisie immobilière avait été publié au service chargé de la publicité foncière le 27 mai 2015 et dans deux journaux à diffusion locale.

Or, elle n’a pas représenté la SCI Josshilaire lors de la procédure de saisie immobilière et ne justifie pas non plus en avoir informé le co-gérant et les associés. La SCI Josshilaire n’était pas représentée devant le juge de l’exécution lors de l’audience d’orientation et n’a pu faire valoir d’arguments en défense ni former de demandes.

Il est ainsi établi que Mme Z. n’a pas assuré la défense des intérêts de la SCI Josshilaire pour recouvrer les loyers qui lui étaient dus, puis dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, ce qui constitue également une cause légitime de révocation.

En revanche, il ne ressort d’aucune pièce que Mme Z. aurait sciemment coordonné avec son frère, qui n’est d’ailleurs pas à la cause, une stratégie que M. Le H. détaille en pièce 12 et 13 de ses écritures, aboutissant à la procédure de saisie immobilière et à la vente du bien immobilier de la SCI Josshilaire. Notamment le fait que le jugement du 18 février 2015 rejetant les contestations de M. Le H. quant à la nomination de Mme Z. comme co-gérante ait été suivi quelques jours plus tard du transfert du courrier de la SCI le 1er mars 2015 puis de la délivrance du commandement de payer valant saisie le 8 avril 2015 est insuffisant pour établir une faute de gestion à l’égard de Mme Z., alors qu’il n’était pas fautif de sa part d’attendre la décision du tribunal sur sa nomination avant de transférer le courrier de la SCI à son siège social et que la délivrance du commandement de payer est une décision de M. D.. Ce motif de révocation tiré d’une collusion frauduleuse ne sera pas retenu.

En conséquence, il convient de prononcer la révocation de Mme Z. de ses fonctions de gérante de la SCI Josshilaire, pour non respect de ses obligations légales et en raison de son inaction dans le recouvrement des loyers dus à la SCI Josshilaire puis dans le cadre de la procédure de saisie immobilière engagée contre cette dernière.

Cour d’appel, Orléans, Chambre commerciale économique et financière, 12 Mars 2020 – n° 19/00678

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