Catégorie : Bail rural – Bail à ferme Page 1 of 6

Fermage : contestation devant le juge des référés d’un barème préfectoral

02/06/2025

N’étant pas d’application immédiate, le barème fixé par le préfet ne saurait encourir sa suspension faute de remplir la condition d’urgence.

Bailleur et locataire ne sont pas entièrement libres de fixer d’un commun accord le montant du fermage. Ce dernier doit en effet se situer dans une fourchette de prix fixée par l’autorité administrative ( C. rur., art. L. 411-11). Il revient ainsi à chaque préfet de publier, par arrêté départemental, les barèmes (maxima et minima) et les méthodes de calcul du loyer applicable aux baux ruraux et conventions pluriannuelles de pâturage signés dans le département.

En 2024, le préfet de Haute-Savoie a pris deux arrêtés :

  • le premier fixant les dispositions cadres applicables aux baux ruraux et aux conventions pluriannuelles de pâturages du département,
  • le second portant fixation des valeurs locatives des terres, bâtiments agricoles et d’habitation.

Le syndicat départemental de la propriété privée rurale du département (SDPPR74) a demandé au juge des référés de suspendre ces arrêtés. Au regard du dossier chiffré présenté par ce syndicat, la juge a admis que les conséquences financières préjudiciables encourues par ses membres nécessitaient de suspendre les arrêtés en cause et d’ordonner au préfet de procéder à la révision des minima et maxima.

À la demande du ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance de la juge, la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative n’étant pas remplie. En effet, la notion d’urgence implique que l’exécution des arrêtés préfectoraux porte une atteinte grave et immédiate à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend (CE, 5 nov. 2001, n° 234396). Or, la révision des minima et maxima des loyers de fermage telle que fixée dans les arrêtés contestés n’a vocation à s’appliquer que lors du renouvellement des baux ou s’il s’agit de baux à long terme, en début de chaque nouvelle période de 9 ans. Ils ne produisent dans l’immédiat aucun effet et le recours au référé-suspension est, en l’occurrence, infondé.

Source

CE, 5e ch., 23 mai 2025, n° 499929

Prorogation du bail rural – Évaluation du régime applicable pour déterminer la validité d’un congé de reprise dans le contexte d’un bail rural – Focus

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Droit rural n° 6-7, Juin-juillet 2025, alerte 44

Évaluation du régime applicable pour déterminer la validité d’un congé de reprise dans le contexte d’un bail rural

Cass. 3e civ., 7 mai 2025, n° 22-16.518, FS-B : JurisData n° 2025-006369

Il résulte de l’article L. 411-58, alinéas 4 et 6, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, que, s’il apparaît, fût-ce rétrospectivement, qu’à la date d’effet du congé, la reprise n’était pas soumise à autorisation, le sursis à statuer qui aurait cependant été prononcé n’a pu entraîner la prorogation du bail et, par suite, le report de la date d’appréciation des conditions de la reprise.

C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 mai 2025.

En l’espèce, des propriétaires de parcelles données à bail ont délivré au preneur un congé pour reprise aux fins d’exploitation par leur fils. Le preneur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Un sursis à statuer a été ordonné dans l’attente d’une décision définitive des juridictions administratives statuant sur le recours formé par l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), gérée par le fils des propriétaires, à l’encontre de la décision préfectorale, refusant de lui délivrer une autorisation d’exploiter. Un arrêt d’une cour administrative d’appel a définitivement rejeté la requête de l’EARL.

C’est en vain que le preneur fait grief à l’arrêt d’appel (CA Rennes, 5 mai 2022, n° 20/06350 : JurisData n° 2022-012259) de valider le congé pour reprise.

Selon l’article L. 411-58, alinéas 4 et 6, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, si la reprise est subordonnée à une autorisation en application des dispositions du titre III du livre III relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles, le tribunal paritaire peut, à la demande d’une des parties ou d’office, surseoir à statuer dans l’attente de l’obtention d’une autorisation définitive. Lorsque le sursis à statuer a été ordonné, le bail en cours est prorogé de plein droit jusqu’à la fin de l’année culturale pendant laquelle l’autorisation devient définitive. Si celle-ci intervient dans les 2 derniers mois de l’année culturale en cours, le bail est prorogé de plein droit jusqu’à la fin de l’année culturale suivante.

La Cour de cassation approuve, au visa de cet article, les juges du fond d’avoir fait ressortir que le sursis à statuer qu’ils avaient précédemment ordonné n’avait pas entraîné la prorogation de la durée du bail et donc le report de la date d’appréciation des conditions de la reprise, dès lors qu’il apparaissait, rétrospectivement, que la reprise n’était pas soumise à autorisation.

Pour le juge du droit, la cour d’appel s’est, à bon droit, placée à la date d’effet du congé pour apprécier sa validité, sans heurter l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge administratif, qui n’avait pas le même objet et ne concernait pas les mêmes parties.

En effet, l’article L. 331-2, II, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014, prévoyait qu’était soumise à déclaration préalable la mise en valeur d’un bien agricole de famille lorsque trois conditions étaient remplies. Cette loi a ajouté une quatrième condition tenant à un seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. En l’espèce, ce seuil a été fixé par un arrêté du préfet de la région Bretagne. Les conditions du régime applicable au contrôle des structures devaient donc être appréciées à la date à laquelle le congé devait prendre effet. Si, à cette date, la loi du 13 octobre 2014 était applicable, le schéma directeur n’était pas fixé, de sorte que la quatrième condition n’était pas déterminée à cette date et était inapplicable au fils des propriétaires. Dès lors la cour d’appel, relevant que ce dernier remplissait les trois premières conditions pour bénéficier du régime dérogatoire de la déclaration, en a exactement déduit que la reprise du bien loué n’était pas subordonnée à une autorisation d’exploiter.

À retenir : si la reprise s’avère rétrospectivement non soumise à autorisation à la date d’effet du congé, le sursis à statuer n’a pas prorogé le bail et la date d’appréciation des conditions de reprise reste celle de l’effet du congé.

Mots clés : Prorogation du bail rural. – Conditions de reprise du bail rural. – Sursis à statuer.

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Bail rural : possibilité pour le preneur de se fonder sur un motif déjà invoqué lors du contrôle a priori du congé initial

21/05/2025

Le manquement à son obligation d’exploitation, invoqué pour contester le congé initial dans le cadre d’un contrôle a priori, peut être repris pour contester un congé en fin de prorogation de bail dans le cadre d’un contrôle a posteriori en cas d’élément nouveau inconnu du preneur lors du contrôle a priori.

Un bailleur délivre un congé à des preneurs aux fins de reprise au bénéfice de son fils, gérant d’une société civile d’exploitation agricole (SCEA). Les preneurs contestent ce congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux, souhaitant pouvoir continuer à bénéficier du bail jusqu’à leur retraite puis le transmettre à leur propre fils. En appel, le bail est prorogé, de plein droit, jusqu’à la fin de l’année culturale au cours de laquelle les preneurs atteindront leur retraite, mais leur demande en autorisation de céder le bail à leur fils est rejetée.

Dix-huit mois avant le terme de la période de prorogation (« C. rur., art. L. 411-47 »), le bailleur délivre, conformément aux dispositions de l’article L. 411-58 du Code rural et de la pêche maritime, un nouveau congé pour reprise. Les preneurs en place ont en conséquence libéré les parcelles, mais obtiennent par la suite leur réintégration avec cession du bail à leur fils doublée d’une indemnisation. Lors d’un contrôle a posteriori, il a en effet été constaté que le bénéficiaire de la reprise ne participait pas de façon effective et permanente aux travaux agricoles sur les parcelles en cause. À preuve, il a consenti un bail à son épouse sur ces parcelles. Aussi le repreneur conteste-t-il la décision de la cour d’appel. Selon lui, le second congé ne constitue que le renouvellement du précédent congé validé, et non un congé distinct ; il ne peut donc être contesté à nouveau devant le tribunal paritaire des baux ruraux :

– ni au titre du contrôle a priori portant sur les exigences et engagements pesant sur lui, notamment l’obligation d’exploiter le bien repris durant neuf ans (C. rur. art. L. 411-59),

– ni au titre du contrôle a posteriori destiné à vérifier ses engagements, et plus particulièrement son implication dans l’exploitation des parcelles en cause (C. rur., art. L. 411-66).

En effet, les preneurs, s’étant fondés sur le motif du défaut d’exploitation lors de la demande d’annulation du congé initial dans le cadre du contrôle a priori, ne pouvaient plus l’invoquer faute d’élément nouveau.

La cour d’appel n’abonde pas en ce sens. Le fait de consentir un bail à son épouse constitue, selon elle, un fait nouveau l’autorisant à vérifier, lors du contrôle a posteriori, s’il se consacrait effectivement à l’exploitation du bien repris. À cet argument, le requérant oppose un cas de force majeure tenant à la parution, entre les deux congés, du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA), qui le prive du régime de la déclaration préalable et l’oblige à faire exploiter les parcelles par son épouse. Le fait est que les conditions lui permettant de reprendre l’exploitation des parcelles en cause à la date d’effet du premier congé ne l’étaient-elles plus à la date d’effet du second congé.

La Cour de cassation avait donc plusieurs questions à trancher :

  • Le juge peut-il réexaminer lors d’un contrôle a posteriori un motif déjà invoqué lors du contrôle a priori du congé initial en cas d’événement survenant postérieurement à la date d’effet de ce congé et parfaitement inconnu du preneur durant l’instance en annulation de ce congé ? ;
  • Le bénéficiaire de la reprise se trouvait-il, par force majeure, dans l’impossibilité d’exploiter aux conditions prévues par les articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 du Code rural et de la pêche maritime compte tenu du changement de législation sur le contrôle des structures de sorte qu’il n’avait pas d’autre choix que de faire exploiter les parcelles par un tiers ?

À la première question, la Cour de cassation répond par l’affirmative et approuve la décision des juges du fond : des éléments nouveaux, tel que l’octroi d’un bail rural à l’épouse du bénéficiaire de la reprise, justifient un réexamen, dans le cadre d’un contrôle a posteriori, de « motifs » déjà invoqués lors du contrôle a priori du congé initial. Dans ce cas, le preneur peut contester l’intention d’exploiter du bénéficiaire de la reprise dans le cadre du contrôle a priori du congé initial et, lors de la contestation du second congé en fin de période de prorogation du bail, demander au juge de vérifier si le bénéficiaire de la reprise se consacre bien à l’exploitation des parcelles en cause dans le cadre d’un contrôle a posteriori.

Sur la notion de force majeure, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel. Un cas de force majeure ne peut être qu’imprévisible et irrésistible. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce. La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 modifiant la réglementation du contrôle des structures était entrée en vigueur le 15 octobre 2014. Le SDREA était, quant à lui, intervenu le 27 juin 2016 ce qui laissait au repreneur un délai de quatre mois pour demander une autorisation d’exploiter du fait du changement du seuil de surface déclenchant le contrôle des structures ; le congé étant donné pour le 31 octobre 2016. Aussi, sachant dès le mois de juin 2016 qu’il ne remplissait plus les conditions pour bénéficier du régime de la déclaration, il aurait dû soit renoncer à la reprise soit solliciter une autorisation d’exploiter. Rien qui ne soit imprévisible et irrésistible même si le changement de réglementation est parfaitement indépendant de sa volonté et qu’il ne peut en être tenu responsable.

Il s’ensuit que l’interdiction de céder le bail se limitant à la période de prorogation de ce bail (C. rur., art. L. 411-58), c’est à juste titre que les juges du fond ont accordé aux preneurs leur réintégration avec cession du bail à leur fils à l’issue de la période de prorogation du bail dans les conditions de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime.

À retenir : Lorsque le bailleur a délivré un nouveau congé pour reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation dont a bénéficié le preneur, le contrôle a posteriori de la reprise ne peut, lorsque le congé initial a été contesté par le preneur dans le cadre du contrôle a priori, se fonder sur un motif déjà invoqué par ce preneur, sauf en cas d’éléments nouveaux, qui étaient inconnus du preneur lors du contrôle a priori ou qu’il ne pouvait alors utilement opposer.

Source

Cass. 3e civ., 7 mai 2025, n° 23-15.142, FS-B

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Reprise du bail rural par une SCI familiale : nécessité d’un objet agricole

Reprise du bail rural par une SCI familiale : nécessité d’un objet agricole

Dans un arrêt du 30 avril 2025, la Cour de cassation clarifie les conditions de reprise d’un bail rural par une société civile immobilière (SCI) familiale. Elle rappelle que, bien que les sociétés constituées entre membres d’une même famille ne soient pas soumises à certaines exigences relatives aux apports ou à l’ancienneté des parts sociales, l’objet agricole de la société demeure une condition impérative pour pouvoir exercer le droit de reprise.

Une SCI, propriétaire d’un domaine agricole, souhaite désormais en assurer l’exploitation directe. À cette fin, elle délivre à la preneuse deux congés pour reprise. Contestant la validité de ces congés, cette dernière saisit le tribunal paritaire des baux ruraux afin d’en obtenir l’annulation.

La cour d’appel de Versailles rejette cette demande, valide les congés et ordonne son expulsion (CA Versailles, 5 sept. 2023, n° 21/01022). Elle considère qu’en application de l’article L. 411-60 du Code rural et de la pêche maritime, il n’est pas requis que la SCI ait un objet agricole pour exercer son droit de reprise, contrairement à ce que soutenait la preneuse.

La Cour de cassation infirme le raisonnement de la cour d’appel. Au visa de l’article L. 411-60 précité, elle rappelle qu’une société, y compris familiale (constituée entre conjoints, partenaires, parents ou alliés), doit avoir un objet agricole pour pouvoir exercer son droit de reprise sur les biens qui lui ont été apportés. La cour d’appel a donc mal interprété le texte en considérant, à tort, qu’une telle société pouvait se prévaloir du droit de reprise d’un bail rural sans justifier d’un objet agricole.

Aussi, dans le cas d’espèce, la SCI disposait effectivement d’un objet agricole à la date de délivrance des congés. Il était ainsi précisé que la société avait pour objet « la propriété, la jouissance et l’administration des immeubles et droits immobiliers à destination agricole dont elle a et elle aura la propriété, aux fins de création et/ou de conservation d’une ou plusieurs exploitations ». Les statuts précisaient également qu’« elle assurera la gestion des biens dont elle est propriétaire en les exploitant directement ou en les donnant à bail ».

Enfin, la Haute Juridiction précise que les deux conditions classiques de reprise d’un bail rural ne s’appliquent pas aux sociétés à caractère familial. Il n’est donc pas nécessaire que le bien ait été apporté en propriété ou en jouissance au moins neuf ans avant la date du congé. De même, les parts sociales n’ont pas à être détenues depuis neuf ans lorsqu’elles ont été acquises à titre onéreux par les membres repreneurs.

Dès lors, par la substitution d’un motif de pur droit aux motifs critiqués, la décision se trouve légalement justifiée. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé.

Mélissa KASHI
Éditrice sur le JCl. Notarial Formulaire, la semaine juridique Notariale et Immobilière (JCP N) et Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniale (APSP)Source

Cass. 3e civ., 30 avr. 2025, n° 23-22.354, FS-B

La loi suisse applicable au bail rural est compatible avec l’ordre public du for

La loi suisse applicable au bail rural est compatible avec l’ordre public du for. Tant la loi suisse que la loi française reconnaissent au preneur un droit de préemption, dont les conditions différentes d’application répondent néanmoins à des régimes proches qui ne sont pas incompatibles.

Le droit de préemption défini par la loi française n’est pas inconditionnel, en ce que le preneur doit remplir certaines conditions pour en bénéficier, notamment quant à la durée de son exercice professionnel ou de la superficie par exemple. La seule condition de durée du bail fixée par la loi helvétique ne saurait suffire à caractériser une incompatibilité manifeste du droit de préemption suisse avec le statut français des baux ruraux. La liberté laissée au bailleur de vendre sa parcelle avant l’expiration d’un délai de six ans ne peut être qualifiée de purement potestative en ce que la décision de vendre une parcelle affermée ne procède pas uniquement de la volonté du bailleur, mais repose également sur l’intention d’acheter d’un tiers acquéreur. Enfin, il n’est pas établi que la vente litigieuse serait intervenue en fraude aux droits du preneur en ce qu’elle n’est pas intervenue un jour avant l’écoulement du délai du bail de six ans. Le preneur ne bénéficiait donc pas d’un droit de préemption en vertu du droit suisse applicable.

Source

CA Colmar, 3e ch., 17 févr. 2025, n° 23/02350 : JurisData n° 2025-001617

Arrachage et bail rural et indemnités et remise en état

______________________

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 29 septembre 2022), par acte du 28 novembre 1978, Mme [Z] et son époux, [E] [X], aux droits duquel sont venues Mmes [S] et [O] [X], (les bailleresses) ont consenti à la société La Crête de [Localité 6] (la société) un bail rural à long terme sur deux parcelles en nature de terre.

2. Par acte du 27 juillet 2016, les bailleresses ont donné congé à la société à effet au 14 novembre 2020 aux fins de reprise des parcelles.

3. Par arrêt irrévocable du 12 septembre 2019, le congé a été validé.

4. Le 16 novembre 2020, la société a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en indemnisation des améliorations apportées au fonds.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande indemnitaire de sortie de ferme, de dire qu’elle devra procéder elle-même à l’arrachage des arbres et plantations sur les parcelles, de la condamner, à défaut de remise en état, au paiement d’une certaine somme au titre des frais de remise en état et de la condamner au paiement d’une indemnité d’occupation, alors « que le preneur qui a, par son travail ou ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur quelle que soit la cause qui a mis fin au bail ; que sont réputées non-écrites toutes clauses ou conventions ayant pour effet de supprimer ou de restreindre les droits conférés au preneur sortant ou au bailleur ; qu’en faisant produire effet à la clause suivant laquelle « quelle que soit la cause qui mettra fin au bail, la société La crête de [Localité 6] n’aura droit, à l’expiration de ce bail, à aucune indemnité pour les travaux ou investissements qu’elle aura pu faire », les juges du fond ont violé les articles L. 411-69 et L. 411-77 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l’article 1134 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-69, alinéa 1er, L. 411-72 et L. 411-77 du code rural et de la pêche maritime :

6. Aux termes du premier de ces textes, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail.

7. Aux termes du deuxième, s’il apparaît une dégradation du bien loué, le bailleur a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice subi.

8. Selon le dernier, sont réputées non écrites toutes clauses ou conventions ayant pour effet de supprimer ou de restreindre les droits conférés au preneur sortant ou au bailleur par les dispositions précédentes.

9. L’arrêt constate, d’abord, que le bail unissant les parties impose à la société de transformer les parcelles de terre en verger et contient la stipulation suivante : « Quelle que soit la cause qui mettra fin au bail, la société (…) n’aura droit, à l’expiration de ce bail, à aucune indemnité pour les travaux ou investissements qu’elle aura pu faire. Bien au contraire, elle devra (…) rendre la pièce de terre nue comme elle l’a prise et, pour ce faire, elle disposera d’un délai de trois mois à compter de l’expiration du bail pour, à ses frais, arracher et enlever les arbres qu’elle aura plantés, faire disparaître toutes installations, et rendre la pièce de terre dans son état d’origine, c’est-à-dire en nature de labour prêt à être ensemencé ».

10. Il retient, ensuite, que cette clause imposant la remise en état à nu des terres à l’issue du bail implique que les parties ne considèrent pas la plantation du verger comme une amélioration apportée aux terres louées.

11. Puis, après avoir énoncé que l’indemnité de sortie pour amélioration n’est due que si les améliorations persistent en fin de bail, il relève que la clause du bail prévoyant l’arrachage du verger à la fin du bail rend sans effet pour le bailleur les améliorations apportées par la plantation d’un verger.

12. Il ajoute, enfin, que le bailleur a par cette obligation de remise des parcelles dans leur état d’origine nécessairement renoncé dès la conclusion du bail à la propriété des arbres plantés.

13. En statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une dégradation, qui seule aurait pu justifier l’obligation imposée au preneur d’arracher les plantations en fin de bail, et alors que le bailleur ne peut contraindre le preneur à renoncer par avance à l’indemnité qui lui est due à l’expiration du bail, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation du chef de dispositif prononçant le rejet de la demande d’indemnité de sortie de ferme n’atteint pas le chef de dispositif condamnant la société à payer une indemnité d’occupation, dès lors que les motifs censurés ne sont pas le soutien de cette décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande indemnitaire de sortie de ferme formée par la société La Crête de [Localité 6], dit qu’elle devra procéder elle-même à l’arrachage des arbres et plantations sur les parcelles, la condamne, à défaut de remise en état, au paiement d’une certaine somme au titre des frais de remise en état et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 29 septembre 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Rouen ;

Condamne Mme [Z] et Mmes [S] et [O] [X] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [Z] et Mmes [S] et [O] [X] et les condamne à payer à la société La Crête de [Localité 6] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-quatre.

CC arrêt du 12 septembre 2024 Cassation partielle n° 476 F-D Pourvoi n° Q 22-24.251

Contrats – Bail rural : le preneur qui ne peut jouir du bien loué démontre un intérêt légitime à demander une expulsion – Veille

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La loi ne limitant pas le droit d’agir en expulsion à des personnes qualifiées, l’action en expulsion est ouverte, en application de l’article 31 du Code de procédure civile, à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès de cette action. Telle est la solution posée par la Cour de cassation dans une décision du 14 novembre 2024.

En l’espèce, se prévalant de baux consentis à son profit sur des parcelles, une SCEA a assigné une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) en expulsion, soutenant que les baux consentis à cette dernière sur ces mêmes parcelles lui étaient inopposables.

C’est à bon droit que la SCEA fait grief à l’arrêt d’appel de déclarer irrecevable sa demande d’expulsion. Pour la rejeter, les juges du fond ont retenu que la SCEA se prévaut de l’existence d’un contrat de bail rural écrit la liant à plusieurs bailleurs dont découlent un droit de jouissance à son bénéfice et une obligation de délivrance à la charge des bailleurs, de sorte que seuls ces derniers ont qualité pour demander l’expulsion de l’EARL. L’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 31 du Code de procédure civile. La loi ne limite pas le droit d’agir en expulsion à des personnes qualifiées et l’intérêt à agir de la SCEA n’est pas contesté, juge la Cour de cassation.

Ainsi, la Cour de cassation juge, en l’espèce, que la cour d’appel qui a fait prévaloir les baux consentis à l’EARL sur ceux consentis à la SCEA viole l’article 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 duquel il résulte qu’un acte ne peut avoir date certaine que si est remplie l’une des trois conditions limitativement énumérées. En effet, aux termes de ce texte, les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire. Or, en l’espèce, la cour d’appel a estimé que les baux dont se prévalait l’EARL avaient acquis date certaine au motif qu’elle pouvait elle-même en dater la conclusion avec certitude comme étant antérieurs à ceux dont se prévaut la SCEA.

Cass. 3e civ., 14 nov. 2024, n° 23-13.884, FS-B : JurisData n° 2024-020407

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Point de départ de la prescription en matière de cession illicite de bail rural

Dans un arrêt du 12 décembre 2024, la Cour de cassation rappelle que le point de départ de la prescription de l’action en résiliation du bail rural pour cession ou sous-location prohibées se situe au jour où ces infractions ont cessé (V. Cass. 3e civ., 1er févr. 2018, n° 16-18.724  : JurisData n° 2018-001035).

Elle précise que l’apport du droit au bail à une société sans l’agrément du bailleur, en violation de l’article L. 411-38 du Code rural et de la pêche maritime, s’analysant en une cession prohibée, le point de départ de la prescription de l’action en résiliation du bail rural se situe au jour où cette infraction a cessé.

Cass. 3e civ., 12 déc. 2024, n° 23-20.354, FS-B

Conditions de résiliation du bail rural en cas de mise à disposition des biens loués à une société ou un groupement

Trois arrêts publiés le même jour illustrent que la participation active et continue des locataires à l’exploitation des biens loués est essentielle pour éviter la résiliation du bail, même si les biens sont mis à la disposition d’une société ou d’un groupement dont ils ne sont pas membres. Le bailleur doit prouver que le manquement lui cause un préjudice pour obtenir la résiliation du bail.

Ainsi, dans l’un de ces arrêts (n° 23-13.893), la Cour de cassation juge que lorsqu’un locataire, ou en cas de cotitularité, l’un des locataires, met les biens loués à la disposition d’une société dont ils ne sont pas associés, mais continuent à participer activement et de manière permanente aux travaux sur place, ils ne cèdent pas la jouissance du bien loué à cette société. Par conséquent, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que sur la base de l’article L. 411-31, II, 3°, du Code rural et de la pêche maritime, et doit prouver que le manquement lui cause un préjudice.

Dans une situation similaire à la première (n° 23-12.967), si un des cotitulaires du bail cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le cotitulaire restant dispose de trois mois pour demander au bailleur, par lettre recommandée avec accusé de réception, que le bail se poursuive à son seul nom (V. art. L. 411-35, alinéa 3, du même, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014). Le propriétaire ne peut s’y opposer qu’en saisissant le tribunal paritaire dans un délai de deux mois. Le juge, saisi de l’opposition du bailleur, doit alors statuer en tenant compte des intérêts légitimes du bailleur, notamment la capacité du cotitulaire restant à assurer la bonne exploitation du bien et à respecter ses obligations légales et contractuelles.

Dans le troisième et dernier arrêt (n° 23-14.685), la Cour retient que lorsque les biens loués sont mis à la disposition d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) dont les locataires ne sont pas membres, mais qu’ils continuent à participer activement et de manière permanente aux travaux sur place, ils ne cèdent pas la jouissance du bien loué à ce groupement. Ainsi, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que sur la base de l’article L. 411-31, II, 3°, du Code rural et de la pêche maritime, et doit prouver que le manquement lui cause un préjudice.

En synthèse, ces décisions affirment le principe suivant : tant que les locataires continuent à participer activement à l’exploitation des biens loués, même s’ils les mettent à disposition d’une société ou d’un groupement, ils conservent leurs droits de locataires et le bailleur ne peut pas résilier le bail sans motif légitime.

La Cour souligne que la participation active et permanente des locataires aux travaux sur les biens loués est essentielle pour éviter de considérer qu’il y a cession de la jouissance du bien au profit de la société ou du groupement. Cette participation directe démontre que les locataires conservent le contrôle de l’exploitation des biens. Si les locataires respectent cette condition de participation active, le bailleur ne peut pas résilier le bail librement. Il doit invoquer un motif précis prévu par la loi, à savoir un manquement du locataire qui lui cause un préjudice. La simple mise à disposition des biens à une société ou à un groupement ne suffit pas à justifier une résiliation.

Source

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-13.893, FS-B

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-12.967, FS-B

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-14.685, FS-B

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Donation déguisée et rapport à la succession au titre des fermages

26/09/2024

Pour qu’il y ait donation déguisée et rapport à la succession, le défunt doit s’être abstenu de réclamer le paiement des fermages dans l’intention de gratifier son descendant.

Des exploitants avaient consenti un bail à cheptel et donné en bail à ferme leur exploitation agricole à leur fils. L’époux décède laissant son épouse commune en biens et ses deux enfants pour lui succéder. Les cohéritiers demandent alors le rapport à la succession, au titre de donations déguisées, du montant des fermages impayés par le preneur. La cour d’appel fait droit à leur demande, le preneur n’ayant pu justifier de l’apurement des fermages et du loyer du bail à cheptel.

Sa décision est cassée et annulée pour manque de bases légales. La cour aurait dû constater l’existence de l’intention libérale du bailleur. En effet, seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession (C. civ., art. 843).

Source

Cass. civ, 1ère, 11 sept. 2024, n° 22-19.129, F-D

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