Catégorie : Bail rural – Bail à ferme Page 2 of 6

l’article L. 411-4, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime : Baux ruraux successifs consentis à des preneurs différents : préférence donnée au bail ayant acquis le premier

Dans une décision du 12 septembre rendue au visa de l’article L. 411-4, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime et de l’article 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la troisième chambre civile se prononce sur les conditions d’opposabilité du bail au preneur en place en présence de deux baux ruraux successifs portant sur les mêmes biens consentis à des preneurs différents. Elle juge que dans une telle hypothèse, le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable au locataire qui, à cette date, était déjà en possession des biens loués en vertu d’un titre antérieur n’ayant pas date certaine si le preneur qui se prévaut de l’antériorité de son titre est de bonne foi, à défaut pour lui de connaître cette situation. A contrario donc, le fait que le preneur qui se prévaut de l’antériorité de son titre a connaissance de cette situation exclut sa bonne foi (V. Cass. 3e civ., 25 juin 1975, n° 74-10.397).

Source

Cass. 3e civ., 12 sept. 2024, n° 22-17.070, FS-B

Assimilation de l’association d’un membre de sa famille au bail rural à une cession

Obs. sous Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 22-22.156

Solution. – La faculté d’associer un membre de sa famille au bail en qualité de copreneur, prévue à l’article L. 411-35 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime, est réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire à celui qui s’est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail. La condition de bonne foi est appréciée à la date de la demande en justice d’autorisation d’association. Il résulte des articles L. 331-2 et L. 411-35 alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime que l’autorisation par le tribunal de l’association d’un membre de la famille au bail en qualité de copreneur est subordonnée à la conformité de la situation au contrôle des structures.

Impact. – La Cour de cassation, pour la première fois, par le présent arrêt, précise que l’association d’un proche, tout comme la cession intrafamiliale, en tant qu’exception au principe d’incessibilité du bail rural et à son caractère intuitu personae, est une faculté réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire celui qui s’est acquitté de toutes ses obligations légales ou conventionnelles. Elle ajoute, par analogie à la cession intrafamiliale, que l’autorisation de l’association d’un proche au bail rural est conditionnée au respect par ce dernier des exigences du contrôle des structures.

L’exception du cadre familial. Le bail rural est conclu en considération de la personne. Il est dépourvu d’une valeur patrimoniale. Par exception au principe d’interdiction des cessions, et sous certaines conditions, le preneur peut céder son titre à son conjoint ou partenaire pacsé ou à ses descendants ou encore associer ces mêmes personnes à son bail (C. rur., art L. 411-35). Cette disposition « est destinée à permettre une transition avant la retraite effective du preneur en place » (J.-F. Le Petit, « L’interdiction de céder ou de sous-louer un bail rural et ses exceptions progressives », Administrer, août-sept. 1998, p. 26). 

L’association d’un proche au bail et la cession ont, très souvent, été abordée ensemble, voire indistinctement (V. contra S. Pringent, Répertoire de droit immobilier Dalloz, v° Bail rural, n°390, qui sans aborder indistinctement l’association au bail et cession admet que « [la première] opération suppose une autorisation concédée dans les mêmes conditions que pour les cessions familiales »). Cependant ce n’est qu’en matière rurale que ce rapprochement est opéré. La cession de contrat, telle que définie civilement (C. civ. art. 1216), se distingue de l’association au bail, laquelle n’opère pas une substitution de preneurs mais l’adjonction d’un nouveau preneur au preneur existant.

La Cour de cassation par un arrêt du 11 juillet 2024, qui a les honneurs d’une publication, a eu l’occasion d’apporter une clarification sur les conditions de l’association d’un proche au bail. Celles-ci sont déterminées par analogie aux conditions de la cession intrafamiliale déjà posées par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 21 févr. 1996, n° 94-12.134, Bull. III, n°51, 1996 ; Cass. 3e civ., 5 juin 2002, n° 00-21.893, Bull. III, n°128, 2002). Il apparait toutefois surprenant que les conditions de l’association au bail soient précisées par le récent arrêt, s’agissant d’une disposition usitée depuis plusieurs années (la disposition est insérée dans le Code rural par une loi du 1er août 1984 pour le descendant, une loi du 30 décembre 1988 pour le conjoint et la loi du 5 janvier 2006 opère une extension au partenaire pacsé. V. en ce sens L. Lorvellec et F. Collart Dutilleul, Les baux ruraux, éd. Sirey, 1993, n° 250).

Faits de l’espèce. Par acte du 24 décembre 1959, un domaine agricole est donné à bail à ferme. Le 19 septembre 2011, la bailleresse, invoquant divers manquements des preneurs, leur a délivré congé à effet au 25 mars 2013. Les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Ils ont demandé, à titre additionnel, l’autorisation d’associer leur fils ou bail.

Procédure. Le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac a annulé le congé délivré par la bailleresse et a autorisé les preneurs à associer leur fils au bail en qualité de copreneur. La cour d’appel de Riom rend, le 27 septembre 2022, un arrêt confirmatif. La baillleresse, demanderesse au pourvoi, fait grief à l’arrêt d’autoriser les preneurs à associer leur fils au bail, alors « que l’association au bail d’un descendant, qui aboutit à pérenniser le bail, est une faveur réservée au preneur qui n’a commis aucun agissement susceptible d’entraîner la résiliation du bail ; que la cour d’appel a constaté que M. [S] [D] avait effectivement quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’avait jamais été informé officiellement de cette situation ; qu’en considérant qu’il ne s’agirait pas d’une faute et en autorisant l’association au bail de [R] [D], la cour d’appel a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ».  La bailleresse fait le même grief à l’arrêt alors « que le bénéficiaire de l’association est tenu de respecter les règles du contrôle des structures ; qu’il doit donc selon le cas justifier avoir obtenu une autorisation d’exploiter ou avoir respecté la législation sur les structures agricoles ».

L’autorisation de l’association de membre de la famille au bail en qualité de copreneur est-elle soumise aux conditions de bonne foi du preneur et de régularité de la situation du candidat à l’association au contrôle des structures ? À quelles conditions la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité prévue à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, est-elle susceptible d’entraîner la déchéance de la faculté d’associer un membre de la famille au bail ? L’association au bail est-elle conditionnée à la conformité de la situation du candidat au contrôle des structure et/ou, si les terres sont exploitées dans un cadre sociétaire, à la conformité de la situation de cette société à cette législation ?

La Cour de cassation affirme explicitement que les conditions exigées dans le cadre de l’autorisation judiciaire de la cession intrafamiliale du bail rural sont applicables à l’association au bail d’un proche en qualité de copreneur. Ces conditions tiennent d’une part au respect scrupuleux par le preneur en place des obligations mises à sa charge par le statut du fermage (I) et d’autre part à la satisfaction par le candidat à l’association aux exigences du contrôle des structures (II)

      I-Une assimilation sur le terrain du statut du fermage

L’article L. 411-35 al. 2 du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur d’associer à son bail, en qualité de copreneur, son conjoint, son partenaire pacsé ou un descendant majeur. L’opération suppose l’agrément du bailleur, lequel peut être tacite (Cass. 3e civ., 25 mars 2015, n° 13-18.874 ; Cass. 3e civ., 10 oct. 2019, n° 18-17.031). « Si elle n’a pas été autorisée, [l’association] peut être sanctionnée de la même façon qu’une cession occulte : le preneur encourt la résiliation de son bail » (J.-P. Moreau et B. Grimonprez, Jurisclasseur Baux ruraux, Fasc. 320 : Baux ruraux- Droits et obligations du preneur- Exploitation du fonds- Cession de bail et sous-location). L’absence d’agrément peut être suppléée par une autorisation judiciaire. Celle-ci est accordée en considération de la bonne foi du preneur (A), laquelle est appréciée par les juges au moment de la demande (B).

   A-Exigence de bonne foi

Exécution diligente des obligations légales ou conventionnelles. S’agissant d’une demande d’autorisation de cession, la Cour de cassation impose que le preneur soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il se soit acquitté de ses obligations légales et de celles nées du bail. Cette exigence ne découle pas des textes mais est admise depuis fort longtemps en jurisprudence (V. en ce sens Cass. 3e civ., 6 nov. 1973, n° 72-14.717 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-15.343).

Aussi, la haute juridiction, par le présent arrêt, a-t-elle soumise l’autorisation d’associer un proche au bail, en qualité de copreneur, à la condition de bonne foi du preneur. Cette condition est justifiée par le fait que la faculté de cession intrafamiliale tout comme celle d’associer une proche au bail constitue une exception au principe d’incessibilité du bail et son caractère intuitu personae, qui doit être réservée au preneur qui a fait preuve de diligence dans l’exécution de l’ensemble des obligations mises à sa charge par le statut du fermage. Il est vrai, cependant, que l’association d’un membre de famille porte atteinte au caractère intuitu personae du bail rural dans une moindre mesure que la cession. Le bailleur conserve, malgré l’adjonction d’un nouvel exploitant en qualité de copreneur, le preneur qu’il a choisi originairement.

La solution retenue par la Cour de cassation ne s’impose pas avec évidence. Civilement, l’association au bail n’est pas une cession de contrat. Mais l’assimilation des conditions de l’association au bail à celles de la cession trouve une justification en matière rurale, en ce sens que ces deux opérations sont abordées en plein cœur de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime siège de l’interdiction des cessions et sous-location. L’association au bail demeure une exception au principe d’interdiction des cessions et sous-location. Par conséquent, pour bénéficier de cette exception, le preneur doit scrupuleusement respecter l’ensemble de ses obligations.

La Cour de cassation tient également compte du moment où l’autorisation d’associer un proche au bail est soumise pour apprécier la bonne foi du preneur.

   B-Appréciation de la bonne foi

Antériorité de la faute – même au renouvellement du bail – et déchéance de la faculté d’associer.  La Haute juridiction prend en considération pour autoriser l’association d’un proche au bail, la date de la demande judiciaire. Par le présent arrêt, la Cour de cassation précise que la condition tenant à la bonne foi du preneur s’apprécie au moment de la demande de l’association au bail. Il convient alors de retenir à l’égard du preneur négligent la déchéance de la faculté d’associer un proche au bail, a fortiori, de le céder. Sont suffisants pour justifier le refus d’une association d’un proche au bail – également de la cession – les manquements mêmes antérieurs au renouvellement (Cass. 3e civ., 11 juill. 2019, n° 18-14.783).

La solution apparait sévère, car un manquement quelconque aux obligations conventionnelles ou légales, peu important son incidence à l’égard de la bonne exploitation du fonds et portant relativement atteinte aux intérêts du bailleur, est une cause de déchéance de la faculté du preneur d’associer un membre de sa famille. Cependant, malgré sa sévérité, cette solution a du sens en se plaçant sur le terrain du statut du fermage.

Ainsi, par exemple, l’inobservation par le preneur des formalités d’information du bailleur en cas de cessation d’activité d’un des copreneurs apparait comme un obstacle à l’association d’un proche au bail. Par un arrêt remarqué du 30 novembre 2023, la Cour de cassation s’est prononcée en précisant que les formalités prévues à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, ne créent pour le copreneur resté en activité, qu’une simple faculté dont le non-usage ne constitue pas une infraction de nature à permettre une résiliation péremptoire du bail (V. Obs. sous Cass. 3e civ., 30 nov. 2023, n° 21-22.539 FS-B : Agridroit, Quinzomadaire n°2, 18 janv. 2024, par J.-V. Kouassi). Toutefois, cette solution n’empêche pas de supposer que le preneur qui manque de satisfaire aux formalités d’information du bailleur, en cas de départ de son coobligé, s’expose ultérieurement à la déchéance de sa faculté de céder son bail ou d’associer un proche.

Au cas présent, la demanderesse au pourvoi soutient que la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité d’information prévu à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, prive le preneur restant de sa faculté d’associer un membre de sa famille au bail. En effet, il n’était pas contesté que l’époux, copreneur à bail, a quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’a jamais été informé de ce départ. Cependant, quand bien même un manquement aux formalités d’information du bailleur pourrait être caractérisé, les époux-copreneurs échappent aux sanctions prévues par les articles L. 411-35 et L. 411-31, II, 1° du Code rural. La solution est bien établie en jurisprudence, par application de l’article L. 411-46 al. 2 du Code de rural, qui dispose qu’en cas de départ de l’un des conjoints ou partenaires d’un pacte civil de solidarité copreneur du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l’exploitation a droit au renouvellement du bail (Cass. 3e civ., 6 juill. 2022, n° 21-12. 833).

L’invocation de l’article L. 411-46 al. 2 du Code rural est salvatrice en l’espèce mais reste une exception. En l’espèce, le manquement à la formalité d’information invoqué par la demanderesse au pourvoi étant intervenu postérieurement à la demande d’autorisation, celui-ci s’avère inopérant.

      II-Une assimilation sur le terrain du contrôle des structures

Le contrôle des structures se déclenche en présence d’une installation, d’un agrandissement ou d’une réunion d’exploitations agricoles (C. rur., art. L. 331-2). Si le preneur est tenu d’obtenir une autorisation d’exploiter en application de l’article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime, la validité de la cession du bail est subordonnée à l’octroi de cette autorisation (C. rur., art. L. 331-6). Dans le prolongement d’une assimilation à la cession, sur le terrain du statut du fermage, l’association d’un proche au bail peut être subordonnée aux dispositions relatives au contrôle des structures (A). Le présent commentaire ne fait pas l’économie d’une appréciation du bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures (B).

   A-Conformité au contrôle des structures

Analogie entre l’association au bail et la cession sur le terrain du contrôle des structures. La législation relative au contrôle des structures se déclenche en présence d’opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunions d’exploitations agricoles. L’association au bail peut être considérée comme une installation si le proche proposé comme copreneur n’avait pas été jusque là exploitant. A fortiori, si le membre de la famille envisagé pour une association était déjà agriculteur, l’opération peut consister en un agrandissement ou une réunion d’exploitations. Le déclenchement du contrôle des structures, dans le cadre d’une association au bail, se trouve justifié par ces hypothèses.

Ainsi, dans le prolongement de l’analogie initiée sur le terrain du respect des obligations instituées par le statut du fermage, la validité de l’association au bail est soumise au respect par le futur copreneur des exigences du contrôle des structures, tout comme le cessionnaire est tenu.  Le régime de la nullité de la cession en cas de manquement par le cessionnaire des exigences du contrôle des structures est applicable à l’association au bail.

Dans le cadre d’une cession, la sanction de la nullité du bail appliquée en cas de défaut d’autorisation d’exploiter pour le cessionnaire (C. rur., art. L. 331-6). L’action en nullité doit être précédée d’une mise en demeure du cessionnaire (C. rur., art. L. 331-7). La nullité du bail est prononcée en cas de refus définitif d’autorisation d’exploiter ou d’absence de présentation d’une demande d’autorisation dans le délai imparti par le préfet (Cass. 3e civ., 7 mars 2001, n° 99-16.396 : JurisData n° 2001-008635).

La solution retenue par le présent arrêt, qui fait du respect des exigences du contrôle des structures l’une des conditions de validité de l’association au bail, apparait justifiée. L’analogie entre l’association au bail et la cession se trouve renforcée. Cependant, il n’est pas exclu d’évoquer certaines interrogations que suscitent encore l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures.

   B –Bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures

Ecran de la société d’exploitation bénéficiaire d’une mise à disposition des terres louées. Suivant une jurisprudence constante, lorsque le cessionnaire du bail est également membre d’un GAEC bénéficiaire de la mise à disposition des biens loués, et que ce GAEC est déjà titulaire de l’autorisation d’exploiter, cette autorisation dispense le cessionnaire de solliciter lui-même une nouvelle autorisation (Cass. 3e civ., 4 mars 2009, n° 08-13.697, n° 282 FS-P+B+I, Delfolie c/ Verdonck et a. : Bull. civ. 2009, III, n° 54 ; JCP N 2011, 1124, obs. F. Roussel ; D. 2009, p. 812 obs. G. Forest ; Dict. perm. Entreprise agricole, bull. 418, repère p. 9275 ; Rev. Loyers 2009, p. 289, analyse B. Peignot ; AJDI 2009, p. 724, obs. S. Prigent).  

Par un arrêt du 14 novembre 2019 rendu dans l’hypothèse d’une association au bail, la Cour de cassation affirme que « lorsque les biens loués sont destinés à être exploités, dès l’association au bail, par la mise à disposition d’une société, l’activité de ce groupement doit être conforme à la réglementation sur le contrôle des structures » (Cass. 3e civ., 14 nov. 2019, n° 18-21.276 ; V. aussi Cass. 3e civ., 6 janv. 2010, n° 08-20.928). La jurisprudence consacre en matière de contrôle des structures un effacement de la personne du cessionnaire et par analogie du candidat à l’association derrière celle du groupement. Ainsi seul le groupement doit éventuellement disposer d’une autorisation d’exploitation si les conditions de mise en valeur des terres l’y obligent (C. rur., art. L. 331-1).

En l’espèce, même si l’arrêt commenté ne constate pas explicitement le mode d’exploitation en société, il n’est pas contesté que les terres louées étaient exploitées dans le cadre d’un GAEC. Par conséquent serait justifiée, dans le présent arrêt, la dispense du candidat à l’association de requérir une autorisation personnelle d’exploiter, sauf motif personnel l’y assujettissant comme un défaut de diplôme ou d’expérience (Cass. 3e civ., 5 nov. 2014, n°13-10.888).

Depuis la loi du 13 octobre 2014 et le décret du 22 juin 2015, l’article R. 331-1 du Code rural et de la pêche maritime énonce que : « pour l’application des dispositions du 1° de l’article L. 331-1 une personne associée d’une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de ces unités de production ». Dès lors, le cessionnaire potentiel devrait solliciter une autorisation s’il ne remplit pas personnellement les conditions, comme celle relative à la capacité professionnelle, quand bien même la société exploitante bénéficie déjà de l’autorisation (en ce sens, Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-16.965).

Appliquée à l’association au bail, il est envisageable de soutenir que le bénéficiaire de l’opération, en cas d’installation, agrandissement ou réunion d’exploitations, doit répondre aux exigences du contrôle des structures, nonobstant l’autorisation d’exploiter dont dispose le groupement.

📄 J.-V. Kouassi, Assimilation de l’association d’un proche au bail à une cession.pdf

Par Jean-Vianney Kouassi, Docteur en droit privé, membre de la Chaire de droit rural et de droit de l’environnement de l’Université de Bourgogne

source :  Le Quinzomadaire n°16/2024 est en ligne – Assimilation de l’association d’un membre de sa famille au bail rural à une cession

Date : 21 août 2024

Nullité du congé pour reprise pour défaut d’engagement d’activité agricole et absence de compatibilité des activités du bailleur avec celle nécessaire sur le fond

Entreprise agricole > Baux ruraux

Date : 01 septembre 2024

La rédaction

Source :

CA Nîmes, 2e ch., sect. B, arrêt, 11 juin 2024, n° 23/00041

Le congé pour reprise par le bailleur doit être annulé, car les conditions posées par l’article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime ne sont pas remplies.

Le bailleur justifie d’une autorisation d’exploiter et est dès lors dispensé de la preuve de son expérience professionnelle ou de l’obtention de diplômes spécifiques. En revanche, il n’est communiqué aucun projet relatif aux 10 hectares de prairies qu’entend reprendre le bailleur et qui s’intègrerait dans l’activité agricole qu’il exerce déjà, ayant simplement indiqué à l’audience, sur interrogation, vouloir faire du foin. Il n’est propriétaire que d’un seul tracteur. Or, ce seul matériel est insuffisant pour mener à bien l’activité décrite, notamment faucher le foin, le récolter ou encore le stocker. Il ne justifie pas plus d’aide ou d’entraide dont il pourrait bénéficier au moment de la récolte ni de potentiels clients intéressés par ses récoltes. En outre, s’il dispose effectivement avec son épouse de revenus liés à d’autres activités, il ne donne aucun élément financier sur ses capacités financières ou encore l’existence de fonds disponibles dont il pourrait se servir pour mener à bien son activité, aucun élément chiffré quant à cette exploitation n’étant produit. Quant à la participation de manière effective et permanente à l’exploitation et la possibilité de reprise tout en ayant une autre activité professionnelle, il appartient au bénéficiaire de la reprise de faire la démonstration et d’apporter la preuve de la compatibilité de ses activités avec celle nécessaire sur le fonds. Le bailleur est cadre autonome à l’office français de la biodiversité et ajoute bénéficier, pour son activité de maire, d’un crédit d’heure, à raison d’un jour par semaine, que lui octroierait son employeur et ce depuis 2020. Il n’est cependant aucunement justifié d’un tel aménagement. Il n’est, en outre, aucunement établi d’une information de l’employeur quant au souhait du bailleur de pouvoir mener une activité complémentaire d’exploitant agricole.

Cour d’appel, Nîmes, 2e chambre, section B, 11 Juin 2024 – n° 23_00041.pdf

Nullité du bail rural : le preneur n’a pas droit à l’indemnité au titre des améliorations apportées au fonds

Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 23-11.688, FS-B

Le preneur dont le bail a été annulé peut-il prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds ? Non, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 11 juillet.

Pour ordonner une expertise judiciaire en vue de l’évaluation de l’éventuelle indemnité due aux preneurs sortants en application de l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime, l’arrêt d’appel, rendu sur renvoi après cassation, retient que, même en cas d’annulation d’un bail rural signé par l’usufruitier sans le consentement du nu-propriétaire, le preneur est recevable à solliciter le bénéfice d’une telle indemnité (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-23.457).

Parce qu’il avait constaté la nullité des baux, l’arrêt critiqué est cassé.

Pour le juge de cassation, il résulte de l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article L. 411-69, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime, que le preneur dont le bail a été annulé et est donc censé n’avoir jamais existé ne peut prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue par le second de ces textes.

Il faut retenir que le preneur dont le bail a été annulé ne peut pas prétendre à l’indemnité, prévue à l’article L. 411-69, pour les améliorations apportées au fonds loué par son travail ou ses investissements. Cette indemnité n’est due qu’à l’expiration régulière d’un bail valide, et non en cas de nullité rétroactive du bail. En résumé, la nullité du bail fait obstacle au versement de l’indemnité de sortie pour améliorations, car le bail annulé est censé n’avoir jamais existé juridiquement.

Source : Entreprise agricole > Baux ruraux Date : 18 juillet 2024

BAIL RURAL – Statut du fermage et du métayage – Domaine d’application – Nature et superficie des parcelles – Moment d’appréciation – Date de conclusion du bail ou de renouvellement du bail –

RESUME

En application de l’article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement
Cassation


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUIN 2024

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 avril 2022), le 31 juillet 1989, [Z] [R] et [W] [F], son épouse, ont consenti à M. [N] un bail rural à long terme pour une durée de dix-huit ans à compter du 1er avril 1989 portant sur diverses parcelles dont l’une a été divisée en six parcelles suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009.

2. Par acte du 26 mai 2010, un partage est intervenu entre les héritiers de [Z] [R] et [W] [F], et M. [R] s’est vu attribuer une parcelle issue de la division de l’une des parcelles données à bail suivant le document d’arpentage précité.

3. Il a reçu, par acte du 10 septembre 2010, une donation de son frère portant sur deux autres parcelles incluses dans ce document.

4. M. [R] a délivré congé pour les trois parcelles précitées à M. [N] par acte du 28 mars 2019 à effet au 30 septembre 2019, se prévalant du régime des petites parcelles.

5. M. [N] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [N] fait grief à l’arrêt de constater la validité du congé, alors « que des parcelles données à bail ayant une superficie inférieure au seuil maximum fixé par arrêté du préfet du département relèvent du statut du fermage si elles sont issues d’une division du bien loué intervenue depuis moins de neuf ans ; que le statut du fermage demeure applicable jusqu’à l’expiration du bail renouvelé au cours duquel la division du fonds donné à bail est intervenue, de sorte que la condition de délai de neuf ans, qui commence à courir à partir de la date de la division, doit être appréciée à la date du renouvellement de ce bail ; qu’en retenant, pour dire que les parcelles A [Cadastre 3], A [Cadastre 4] et A [Cadastre 5] échappaient partiellement au statut du fermage et valider le congé délivré le 28 mars 2019 pour le 30 septembre 2019, qu’il résultait de l’acte de partage du 10 septembre 2010 que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] avait été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objet du congé, suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009, de sorte qu’à la date de la délivrance du congé, la condition de neuf ans était remplie, après avoir constaté que le bail s’était tacitement renouvelé 1er avril 2016, ce dont il résultait qu’à cette date, la condition de neuf ans n’était pas remplie, la cour d’appel a violé l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-1 et L. 411-3 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-47 et L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime :

7. Selon le premier de ces textes, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.

8. Aux termes du premier alinéa du second texte, après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l’autorité administrative fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d’une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3. La nature et la superficie maximum des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location sont celles mentionnées dans l’arrêté en vigueur à cette date.

9. Aux termes du deuxième alinéa de ce second texte, la dérogation prévue au premier alinéa ne s’applique pas aux parcelles ayant fait l’objet d’une division depuis moins de neuf ans.

10. L’indivisibilité du bail cessant à son expiration, dès lors que le bail renouvelé est un nouveau bail, la nature et la superficie des parcelles susceptibles d’échapper aux dispositions d’ordre public relatives au statut du fermage doivent être appréciées au jour où le bail a été renouvelé (3e Civ., 1er octobre 2008, pourvoi n° 07-17.959, Bull. 2008, III, n° 142).

11. Il en résulte que le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement.

12. Pour valider le congé, l’arrêt retient que la division s’entend, en l’espèce, du morcellement d’une parcelle par le biais d’une division parcellaire et non d’un simple allotissement dans le cadre d’une procédure de partage, et que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] a été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objets du congé, suivant document d’arpentage établi le 30 novembre 2009, et énonce que, si la division parcellaire est intervenue durant la durée initiale d’exécution du bail, un congé ne peut être donné qu’à l’issue d’un délai de neuf ans à compter du renouvellement de celui-ci, mais que, si la division intervient, alors que le bail a déjà été renouvelé, alors le délai de neuf ans commence à courir à compter de la division parcellaire.

13. Elle en déduit qu’à la date de la délivrance du congé, le 28 mars 2019, la condition de neuf ans qui a commencé à courir avant la fin de l’année 2009 était remplie, dès lors que cette division était intervenue alors que le bail rural était déjà renouvelé, échappant ainsi au principe d’indivisibilité.

14. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le bail en cours s’était renouvelé le 1er avril 2016, soit moins de neuf ans après la division intervenue par acte de partage du 26 mai 2010, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 avril 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Douai autrement composée ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.

Cour de cassation 3 juin 2024 Pourvoi n° 22-18.861

Illicéité des clauses de fermage basées sur la récolte

La clause d’un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

Ce principe résulte des articles L. 411-11 et L. 411-14 du Code rural et de la pêche maritime, juge la Cour de cassation dans un arrêt publié le 29 février.

Selon le premier de ces textes, le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation peut être évalué en une quantité de denrées, avec des limites maximales et minimales fixées par l’autorité administrative. Cette quantité de denrées ne peut pas fluctuer au cours du bail en fonction de variables non conformes à cet article (Cass. 3e civ., 21 janv. 2009, n° 07-20.233).

Le second texte visé précise que les dispositions de l’article L. 411-11 sont d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles sont obligatoires et ne peuvent pas être contournées par un accord privé.

En l’espèce, la cour d’appel a rejeté la demande du preneur en nullité de la clause fixant le fermage, en soutenant qu’un fermage fixé par référence à la denrée visée par l’arrêté préfectoral alors applicable, mais ne respectant pas les limites fixées par l’autorité administrative, n’ouvre pas au fermier une action en nullité mais une action en révision.

La Cour de cassation annule l’arrêt des juges du fond : la cour d’appel a violé les textes susvisés en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le fermage était fixé à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées.

Ainsi, si le fermage est fixé à une fraction de la récolte du fermier, cette clause est illicite. En pareil cas, le fermier peut engager une procédure judiciaire pour faire modifier le bail afin que le fermage soit fixé conformément à la loi.

Source

Cass. 3e civ., 29 févr. 2024, n° 22-17.362, FS-B

BAIL RURAL A LONG TERME : IL N’Y A PAS D’AGE


L’article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime ne fait pas obstacle à la conclusion d’un bail à long terme par un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l’âge de la retraite, un tel bail est d’une durée minimale de dix-huit ans

Solution. – Les dispositions de l’article L. 416-4 du Code rural et de la pêche maritime, lesquelles permettent, par exception, la conclusion de baux à long terme d’une durée inférieure à 18 années pour les preneurs qui sont, à la date de sa conclusion, à plus de 9 ans et à moins de 18 ans de l’âge légal de la retraite, n’ouvrent qu’une faculté en sorte qu’il est loisible à de tels preneurs de conclure un bail de 18 ans.

Impact. – Cet arrêt met d’une façon générale en évidence la plasticité des baux à long terme. Plus particulièrement, il délimite la portée d’un texte dérogatoire qui a manifestement nourri aussi peu, sans doute par ignorance de son existence, les études de notaires que les registres de jurisprudence.

Cass. 3e civ., 26 oct. 2023, n° 21-25.745, FS-B : JurisData n° 2023-019411

Cession prohibée du droit au bail : le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sans être tenu de démontrer un préjudice

Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d’une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1°, du Code rural et de la pêche maritime, sans être tenu de démontrer un préjudice.

Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans deux arrêts qu’elle a rendu le 12 octobre 2023.

Elle rappelle dans ces décisions que :

• selon l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur ;

• selon l’article L. 411-37 du même code, le preneur, associé d’une société à objet principalement agricole qui met à la disposition de celle-ci tout ou partie des biens dont il est locataire, doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l’exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation ;

• selon, enfin, l’article L. 411-31, II, 1° et 3° du même code, le bailleur peut demander la résiliation du bail s’il justifie soit d’une contravention aux dispositions de l’article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d’une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l’article L. 411-37.

Pour rejeter la demande de résiliation formée par la bailleresse pour cession prohibée, l’arrêt attaqué avait retenu que, si le preneur ne participe plus aux travaux de façon effective et permanente, l’existence d’une cession prohibée du bail au profit de l’EARL n’était pas établie.

En statuant ainsi, la cour d’appel, qui « n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations », a violé les textes susvisés, a jugé la Cour de cassation. Car, explique-t-elle, le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d’une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit.

Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1°, sans être tenu de démontrer un préjudice.

LEXIS NEXIS

Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 21-20.212, FS-B

La qualification du délai du preneur pour agir en indemnisation des améliorations : une forclusion

LES FAITS
1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 21 janvier 2021), les 16 et 26 novembre 2001, les sociétés civiles immobilières Héritiers d’Exea et de Montrabech (les SCI) ont donné à bail rural à long terme à la société [Adresse 3] (la locataire) des terres en nature de vigne et de champ.

2. Le bail a fait obligation à la locataire de restructurer le vignoble à ses frais exclusifs.

3. Au motif de manquements de la locataire à ses obligations contractuelles, les SCI ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail et paiement de dommages-intérêts.

4. Ayant le 15 avril 2015 résilié le bail, Mme [L], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la locataire, a, reconventionnellement, demandé l’annulation de la clause de restructuration du vignoble aux frais exclusifs de la locataire et l’indemnisation des frais d’arrachage, de défonçage et de replantation, des avances aux cultures, de la perte de valeur des stocks et du manque à gagner résultant de la résolution anticipée du bail imputable aux SCI.

5. Par arrêt du 28 juin 2018 la clause de restructuration du vignoble aux frais exclusifs de la locataire a été réputée non écrite et une mesure d’expertise, a été ordonnée sur les différents chefs de préjudice allégués par les parties.

EXAMEN DES MOYENS

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

ENONCE DES MOYENS

7. La locataire fait grief à l’arrêt de fixer, au passif de sa liquidation judiciaire, à la somme de 493 966 euros la créance d’indemnisation des SCI au titre des fermages, alors « qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour d’appel de nouvelles prétentions, si ce n’est pour faire juger notamment les questions nées de la survenance ou de la révélation d’un fait ; qu’en retenant en l’espèce que les demandes indemnitaires présentées pour la première fois en appel étaient recevables pour cette raison qu’elles faisaient suite à un premier arrêt ayant déclaré non écrite l’une des stipulations du bail, quand cette précédente décision avait simplement fait droit à une demande présentée dès la première instance, et ne constituait dès lors pas un fait nouveau rendant recevables des demandes nouvelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 564 du code de procédure civile. »

REPONSE DE LA COUR

Vu l’article 564 du code de procédure civile :

8. Aux termes de ce texte, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

9. Pour déclarer recevable la demande des SCI en restitution de fermages, l’arrêt retient que celle-ci, présentée pour la première fois en cause d’appel, a été formée postérieurement à l’arrêt du 28 juin 2018 ayant déclaré non écrite la clause imposant au preneur le renouvellement à sa charge du vignoble et n’est que la conséquence de cette annulation.

10. En statuant ainsi, alors que les SCI pouvaient, dès la première instance, demander à titre subsidiaire, la condamnation de la locataire, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La locataire fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’indemnisation au titre des avances aux cultures, alors :

« 1°/ qu’il appartient au juge qui estime que le rapport de l’expert judiciaire désigné à l’occasion du litige est insuffisamment précis d’interroger l’expert ou d’ordonner un complément d’expertise ; qu’en l’espèce, en retenant qu’en l’absence de commentaires de l’expert judiciaire sur les documents comptables qui lui avaient été fournis, il n’était pas possible de retenir sa conclusion selon laquelle l’indemnité revendiquée par la société [Adresse 3] était conforme aux valeurs comptables certifiées, la cour d’appel, qui a fait supporter à la société demanderesse une insuffisance du rapport d’expertise, a violé les articles 1134 et 1147 anciens du code civil et l’article 1719 du même code, ensemble l’article 245 du code de procédure civile.

2°/ que le bien-fondé d’une demande indemnitaire ne dépend pas de l’exactitude de l’évaluation faite par le demandeur de son préjudice ; qu’en rejetant la demande en indemnisation des avances aux cultures à raison d’une incertitude sur le montant de ce préjudice, la cour d’appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 anciens du code civil et de l’article 1719 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 4 du code civil et 245, alinéa 1er, du code de procédure civile :

12. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.

13. Aux termes du second, le juge peut toujours inviter le technicien à compléter, préciser ou expliquer, soit par écrit, soit à l’audience, ses constatations ou ses conclusions.

14. Pour rejeter la demande de la locataire au titre des avances aux cultures, l’arrêt retient que l’expert a indiqué que le montant revendiqué était conforme aux valeurs comptables certifiées mais que les SCI font, à juste titre, remarquer que les documents versés au débat, et non véritablement commentés par l’expert, ne permettent pas de retenir ce montant.

15. En statuant ainsi, sans évaluer le montant d’une créance dont elle constatait l’existence en son principe, la cour d’appel, à laquelle il appartenait, dès lors qu’elle estimait que le rapport de l’expert judiciaire, désigné à l’occasion du litige, ne lui permettait pas de se déterminer, d’interroger celui-ci ou d’ordonner en tant que de besoin un complément ou une nouvelle expertise, a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. Les SCI font grief à l’arrêt de fixer à une certaine somme l’indemnité au titre des frais d’arrachage, de défonçage et de replantation réalisés par la locataire, alors « que le droit à l’indemnité de preneur sortant sur le fondement de l’article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime se prescrit à peine de forclusion par douze mois à compter de la résiliation du bail ; qu’au cas présent, la résiliation du bail ayant eu lieu le 15 avril 2015, les exposantes faisaient valoir que la demande d’indemnité de preneur sortant formulée pour la première fois dans les conclusions régularisées en juin 2016 devait être déclarée prescrite ; que pour rejeter cette demande, la cour d’appel a retenu que la prescription n’avait pu courir qu’à compter de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 28 juin 2018 ; qu’en statuant de la sorte, alors que le délai de forclusion édicté par l’article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime a pour point de départ la résiliation du bail, la cour d’appel a violé l’article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 411-69, dernier alinéa, du code rural et de la pêche maritime :

17. Aux termes de ce texte, la demande du preneur sortant relative à une indemnisation des améliorations apportées au fonds loué se prescrit par douze mois à compter de la date de fin de bail, à peine de forclusion.

18. Pour recevoir la demande de la locataire, sur ce fondement, au titre des améliorations apportées au fonds loué, l’arrêt retient qu’elle ne peut être considérée comme atteinte par la prescription qui n’a pu courir qu’à compter de l’arrêt du 28 juin 2018.

19. En statuant ainsi, alors que l’article précité a instauré un délai de forclusion d’un an courant à compter de la fin du bail, insusceptible, sauf dispositions contraires, d’interruption et de suspension, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

20. Les SCI font grief à l’arrêt de fixer à une certaine somme l’indemnisation du manque à gagner, alors « qu’en cas de résiliation fautive anticipée d’un contrat à durée déterminée, seul l’auteur de cette résiliation fautive peut être condamné à réparer le préjudice né du manque à gagner de son cocontractant ; qu’au cas présent, la société [Adresse 3] demandait à ce que les sociétés bailleresses soient condamnées à lui payer une indemnité destinée à compenser le manque à gagner qu’elle soutenait avoir subi du fait de la résiliation anticipée du bail, résiliation prononcée à la demande de sa liquidatrice Maître [M] [L] mais qu’elle prétendait imputer à la malignité des bailleurs ; que la cour d’appel a retenu, par un chef de dispositif non contesté, que la résiliation était le fait de la décision exclusive de Maître [M] [L], es-qualités, sans qu’aucune faute ne puisse être imputée aux bailleresses ; que cependant, elle a condamné les exposantes à indemniser le manque à gagner la société [Adresse 3] dû à la résiliation anticipée du contrat ; qu’en condamnant les bailleresses à réparer un préjudice lorsqu’elle constatait que son fait générateur, la résiliation anticipée du contrat, ne leur était pas imputable, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a ainsi violé les articles 1134, 1147 et 1184 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

21. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

22. Pour faire partiellement droit à la demande de la locataire en indemnisation du manque à gagner résultant de la résolution anticipée du bail l’arrêt retient qu’au regard des conclusions de l’expert et des résultats des années précédant la résiliation, il convient de fixer l’indemnisation à 300 000 euros.

23. En statuant ainsi, après avoir relevé que la résiliation du bail n’était pas imputable aux SCI, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il fixe à la somme de 493 966 euros l’indemnisation au titre des fermages la créance de la société civile immobilière Héritiers d’Exea et de la société civile immobilière de Montrabech au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 3], en ce qu’il fixe la créance de la société [Adresse 3] à l’encontre de la société civile immobilière Héritiers d’Exea et de la société civile immobilière de Montrabech à la somme de 273 000 euros au titre des frais d’arrachage, de défonçage et de replantation et à celle de 300 000 euros au titre de l’indemnisation du manque à gagner et en ce qu’il rejette la demande de la société [Adresse 3] au titre des avances aux cultures, l’arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

9 mars 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-13.646

Avocats, notaires, juristes… ils formulent leurs propositions pour la loi d’orientation

Pour faciliter la transmission des exploitations, l’Association française de droit rural propose trois nouveaux dispositifs. Des mesures qui pourront alimenter les prochains débats du pacte et de la loi d’orientation et d’avenir. Publié le 13 septembre 2023 Partager

L’Association française de droit rural veut instaurer la location-gérance dans le secteur agricole. © Cédric Faimali/GFA

Après les dernières annonces du ministre de l’Agriculture en faveur de l’installation, l’Association française de droit rural (AFDR) a formulé plusieurs propositions dans une note publiée le 11 septembre 2023. Ces propositions pourront alimenter les débats des prochains pacte et loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture.

Redonner du souffle au bail cessible

Regroupant des avocats, des notaires, des juristes et des experts fonciers, l’association déplore la sous-utilisation du bail cessible hors cadre familial créé en 2006. Ce contrat permet au cédant de valoriser son droit au bail et au cessionnaire de valoriser à son tour ce droit au bail lors de la revente future de son exploitation.

Reprise de l’exploitation : Un « pas-de-porte » autorisé et fixé par les parties (31/12/2020)

Alors qu’ils le considèrent comme un outil favorisant la transmission de l’exploitation agricole, les membres du groupe de travail de l’AFDR qui a planché sur le sujet proposent de réécrire l’article L. 418-3 du code rural pour encadrer « le calcul de l’indemnité susceptible d’être versée au preneur lorsque le bail cessible, venant à terme, n’est pas renouvelé à l’initiative du bailleur ».

Introduire la location-gérance agricole

Autre dispositif créé en 2006 et qui peine à être saisi par les exploitants : le fonds agricole. L’association souhaite que la location-gérance pour mettre en valeur un fonds agricole puisse être possible. Pratiquée dans le secteur commercial, « la location-gérance permet au propriétaire d’un fonds ou à son locataire de concéder à un locataire gérant le droit de l’exploiter à ses risques et périls, en contrepartie au paiement d’une redevance ».

« Économiquement, la formule serait avantageuse pour le locataire gérant, qui pourrait ainsi exploiter un fonds sans avoir à acquérir immédiatement les éléments qui le constituent, étant rappelé que la charge de l’investissement initial constitue l’un des principaux freins à l’installation ou à la transmission des exploitations agricoles », estime l’AFDR. Et d’ajouter que cela permettrait « de proposer une formule d’installation à « l’essai », et de répondre ainsi à un souhait exprimé dans le cadre de la concertation mise en place par le ministère de l’Agriculture ».

Autoriser la sous-location de courte durée

L’AFDR propose d’assouplir le statut du fermage en autorisant les sous-locations qui sont par principe interdites aujourd’hui, « même si elles sont déjà pratiquées dans de nombreuses régions ». Cette sous-location ne pourrait être que de courte durée, et, « pour permettre l’implantation de cultures temporaires par des tiers sur le fonds loué, à une échelle infra-annuelle ».

« Ces pratiques, économiquement intéressantes, permettent notamment à des tiers d’user très provisoirement du fonds pour une production de légumes, dans l’attente de la reprise du cycle saisonnier d’exploitation des parcelles par le preneur en place », explique l’AFDR.

Interview : « Redonner une deuxième jeunesse au statut du fermage » (02/02/2023)

Cette proposition rappelle celle portée par le député Jean Terlier qui avait déposé au début de l’année une proposition de loi pour réformer le statut du fermage. Un texte qui n’a pas encore réussi à trouver sa place dans l’agenda de l’Assemblée nationale. Alexis Marcotte

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