Catégorie : créance

PLANS DE CAMPAGNE DITS ILLEGAUX : ANNULATION DU TITRE DE RECETTES

Par un arrêt avant dire droit n° 22NT00179 du 1er juillet 2022, la cour a, avant de statuer sur la requête de la Société coopérative agricole (SCA)  » Les Vergers d’Anjou  » ordonné une expertise afin de déterminer, après examen de l’ensemble des pièces détenues par la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , si ces pièces permettent d’identifier, et dans quelle mesure, les personnes ou entreprises, destinataires finaux, des aides perçues au titre des  » plans de campagne  » entre 1998 et 2002.

L’expert a remis son rapport le 4 décembre 2023.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 février 2024 et 17 mai 2024, la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , représentée par Me Berkani, maintient les conclusions de sa requête d’appel par lesquelles elle demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis le 25 juin 2018 par le directeur général de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue d’obtenir le remboursement de la somme de 3 705 767,46 euros correspondant à un montant global d’aides versées dans le cadre du  » programme Plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, augmenté des intérêts moratoires et à la décharge de cette somme ;

2°) d’annuler le titre de recettes émis le 25 juin 2018 ;

3°) de la décharger de la somme de 3 705 767,46 euros que le titre de recettes a pour objet de recouvrer ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’expert a confirmé les difficultés d’ordre matériel qu’elle avait mises en avant pour retrouver l’intégralité des archives susceptibles d’attester des flux financiers afférents au versement des aides  » Plans de campagne  » aux producteurs en raison notamment de la très grande ancienneté du versement des aides, de la disparition de l’Union des Vergers de France par laquelle les aides ont transité, et de la disparition des archives de l’Union des documents relatifs à l’exercice 1998-1999 ;

– l’expert a en outre relevé les difficultés d’ordre comptable liées à l’asymétrie des dates de clôture des exercices comptables et au versement échelonné des aides ;

– ces difficultés doivent être prises en considération au stade de l’identification des bénéficiaires finaux des aides et du montant dont chacun a pu bénéficier ;

– en dépit de ces difficultés, les conclusions de l’expert confirment que les producteurs membres de la SCA Les Vergers d’Anjou ont bien été les destinataires finaux des aides :

o bien que le montant reversé à chaque producteur n’ait pu être  » attesté  » par l’expert comptablement à défaut de mention explicite sur les bordereaux de règlement du montant des aides incluses dans les sommes versées à chaque producteur, l’expert a conclu que les éléments produits étaient de nature à permettre de comprendre le cheminement des aides issues des  » plans de campagne  » depuis l’ONIFHLOR jusqu’aux producteurs via le comité économique agricole du Val de Loire, l’Union des vergers de France et la SCA ;

o en vertu de la jurisprudence de la CJUE, l’aide illégalement accordée ne peut être récupérée auprès de l’organisation de producteurs que si l’Etat établit que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été versée à ces derniers ;

o l’identification des producteurs qui ont bénéficié des aides issues des  » plans de campagne  » et du montant qu’ils ont perçu s’effectue de manière pragmatique et l’utilisation d’une méthode de calcul peut être admise, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, dès lors que le producteur est présumé être le destinataire final des aides ;

– dès lors qu’elle n’est pas la bénéficiaire finale des aides dont la restitution est réclamée par le titre litigieux, ce titre méconnaît le droit européen tel qu’interprété par la CJUE ;

– les conclusions de l’expert révèlent l’absence de justification des sommes réclamées par FranceAgriMer.

Par des mémoires, enregistrés les 28 mars 2024 et 24 mai 2024, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête de la SCA  » Les Vergers d’Anjou  » et à ce qu’il soit mis à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’expertise n’a pas permis d’établir que la SCA Les Vergers d’Anjou a effectivement versé les fonds aux producteurs, dès lors que la SCA a procédé à une reconstitution théorique, réalisée à partir d’une règle de trois.

Vu :

– les autres pièces du dossier ;

– l’ ordonnance du 4 janvier 2024 , par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais de l’expertise réalisée par M. A… à la somme de 8 853,94 euros toutes taxes comprises.

Vu :

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D portant modalités d’application de l’ article 93 du traité CE A61DBBD8B146A7526679B0B4F47C9163 ;

– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 8D97F606DDD05BB17DF0F493C29A4705 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D ;

– la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 99A73B968F65CC22A362FE27CD50415D relative aux aides dites  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;

– l’arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l’Union européenne ;

– le code de commerce ;

– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 BE71313B3E61C870AE3C669452A7AE85 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Lellouch,

– les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

– et les observations de Me Sanguinette, substituant Me Berkani, représentant la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , et de Me Alibert, représentant l’établissement FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l’établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites  » plans de campagne  » étaient versées par l’ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d’une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d’Etat instituées en méconnaissance du droit de l’Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 25 juin 2018 à l’encontre de la société coopérative agricole (SCA) « Les Vergers d’Anjou » un titre de recettes d’un montant de 3 705 767,46 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées dans le cadre des  » plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCA  » Les Vergers d’Anjou  » relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce titre de recette et à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par le titre exécutoire.

Sur le bien-fondé de la créance :

2. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne du 28 janvier 2009 citée au point 1 :  » (…) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l’initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles « . Aux termes, toutefois, du point 49 de cette même décision :  » (…) il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l’aide n’ait pas été transféré par l’organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l’aide sera l’organisation de producteurs « . La Commission européenne conclut au point 84 de sa décision que :  » L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière « . Et il résulte du point 85 que les Etats ne peuvent procéder à la récupération des aides illégales auprès des organisations professionnelles sans chercher à démontrer que ces organisations professionnelles auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers.

3. Il résulte du point précédant qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend récupérer les aides en litige, non auprès des producteurs membres d’une organisation de producteurs, mais de l’organisation de producteurs elle-même, de démontrer que les aides n’ont pas été transférées par celle-ci à ces producteurs mais conservées par elle. Cette règle en vertu de laquelle la charge de la preuve de la conservation des aides par l’organisation de producteurs pèse sur l’autorité administrative doit être combinée avec celle suivant laquelle s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Or, pour que l’autorité administrative soit susceptible de déterminer l’identité de la personne ayant bénéficié des montants d’aides, il importe qu’elle dispose de données, qui ne peuvent lui être fournies que par la SCA Les Vergers d’Anjou en sa qualité d’organisme venant aux droits et obligations de l’Union Les Vergers de France.

4. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise, que les aides aux exportations lointaines, issues des plans de campagne 1998 à 2002, versées par l’ONIFLHOR, transitaient par le Comité économique du Val de Loire, qui reversait les fonds à trois organisations de producteurs, dont la SCA Les Vergers d’Anjou, lesquelles les reversaient à leur tour intégralement à l’Union des Vergers de France, chargée notamment de mettre en œuvre des actions commerciales en faveur des producteurs, financées notamment par les fonds des plans de campagne. En 2008, l’Union commerciale Les Vergers de France a été dissoute sans liquidation, entraînant la transmission universelle de son patrimoine à la SCA Les Vergers d’Anjou, qui en était à cette date la seule associée.

5. La SCA Les Vergers d’Anjou fait valoir qu’une fois les opérations commerciales réalisées, l’Union des Vergers de France restituait les aides aux producteurs, grâce aux marges dégagées par ces opérations, et sous forme de complément de prix du règlement des ventes en fonction de la part que leurs productions représentaient dans la commercialisation, par l’intermédiaire des organisations de producteurs membres de l’Union. Au soutien de ces allégations, la SCA Les Vergers d’Anjou a produit, pour la première fois en appel, quatre tableaux qu’elle a établis à partir des données dont elle disposait, dans lesquels elle a reconstitué les aides indirectement versées aux producteurs dans le cadre du programme  » plans de campagnes  » au titre des exercices 1999-2000, 2000-2001, 2001-2002 et 2002-2003, pour un montant total de 1 405 848,93 euros. La SCA a ainsi identifié, pour chacun de ces quatre exercices comptables, les producteurs individuels bénéficiaires en indiquant précisément, par producteur nommément identifié, le montant de l’aide qui leur a été chacun reversé en fonction de la quantité de fruits qu’ils avaient eux-mêmes apportés. Il résulte de l’expertise ordonnée avant dire droit qu’il s’agit d’une reconstitution théorique du cheminement des aides intégrées dans les prix de vente unitaires sur les bordereaux de règlement, qui ne font cependant pas explicitement mention du montant de l’aide ainsi reversée. Bien que l’expert ait indiqué qu’il n’avait pas les moyens de vérifier l’origine des informations contenues dans ces tableaux, sauf à les rapprocher de tous les bons de calibrage, ce qu’il n’a pas estimé possible de faire, il a toutefois, pour chacun des quatre exercices concernés, et en s’appuyant à chaque fois sur un exemple de variété de pomme, détaillé le circuit de ces aides. Si l’expert judiciaire n’a pas été en mesure, à défaut de flux financiers matérialisés ou directement identifiables, de vérifier la réalité du reversement individualisé aux producteurs des sommes figurant sur les tableaux, il a toutefois attesté de l’existence, constatée par huissier de justice, des documents qui ont servi à les élaborer et a pu observer qu’il existait une méthode de calcul de prix définitifs aux organisations de producteurs et aux producteurs individuels qui tenait compte des aides de campagne, en s’appuyant notamment sur les extraits de procès-verbaux du conseil d’administration de la SCA Les Vergers d’Anjou produits par cette dernière. Au terme de l’analyse approfondie à laquelle il s’est livré, l’expert n’a pas remis en cause le fait que les aides ont bien été reversées aux producteurs en complément du prix de vente des fruits. Il a conclu son rapport en confirmant l’existence d’un calcul intégrant les aides issues des plans de campagne dans le prix de règlement des ventes aux producteurs individuels et en a déduit que  » cette méthode appliquée pour déterminer les prix de vente tend à démontrer que les aides étaient indirectement restituées aux producteurs adhérents de l’Union « . Au regard de l’ensemble de ces éléments, en se bornant à relever qu’aucun document comptable ne retrace les flux financiers des aides, FranceAgriMer ne peut être regardée comme renversant la présomption de perception par les producteurs finaux, que la SCA a précisément identifiés, des aides illégalement versées. FranceAgriMer ne peut ainsi être regardée comme apportant la preuve que les aides n’auraient pas été reversées aux producteurs individuels identifiés dans les tableaux au titre des quatre exercices mentionnés ci-dessus et à hauteur des sommes qui y sont indiquées par la SCA requérante, correspondant à un montant total de 1 405 848,93 euros.

6. En revanche, compte tenu de la disparition des archives de l’Union des Vergers de France des documents relatifs à l’exercice 1998-1999, il est constant que la SCA Les Vergers d’Anjou n’a pas été en mesure d’identifier les producteurs individuels bénéficiaires des aides versées dans le cadre du programme des plans de campagne au titre de cette période. Pour cette période, et en application des principes rappelés au point 3, FranceAgriMer pouvait estimer que les aides d’Etat n’avaient pas été transférées aux producteurs et que la SCA Les Vergers d’Anjou, qui s’est vu transmettre l’ensemble du patrimoine de l’Union des Vergers de France, devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des aides illégales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Les Vergers d’Anjou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à son encontre en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance et à ce qu’elle soit déchargée de la somme correspondante.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :  » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens « .

9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l’essentiel, la somme de 8 853,84 euros toutes taxes comprises au titre des frais d’expertise.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCA Les Vergers d’Anjou, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que FranceAgriMer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCA Les Vergers d’Anjou et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à l’encontre de la SCA Les Vergers d’Anjou est annulé en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 18 novembre 2021 est annulé en ce qu’il est contraire à l’article 1er.

Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de FranceAgriMer pour un montant de 8 853,84 euros toutes taxes comprises.

Article 4 :FranceAgriMer versera à la SCA Les Vergers d’Anjou une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 :Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 :Le présent arrêt sera notifié à la Société coopérative agricole Les Vergers d’Anjou, à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cour administrative d’appel Nantes 3e chambre 28 Juin 2024 Numéro de requête : 22NT00179

SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LA MALADIE EST ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

*

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

CUMA : La dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes,

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

2. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 novembre 2021), Mme [N], agricultrice, adhérente de la CUMA, a été placée en liquidation judiciaire et la société Actis a été désignée comme mandataire-liquidateur.

3. Par ordonnance du 24 juillet 2020, le juge-commissaire a retenu que la connexité n’était pas établie entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, et rejeté la demande de compensation formée à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La CUMA fait grief à l’arrêt de rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès d’elle, alors « que la Coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon – Cuma se prévalait de la nature des créances réciproques des parties pour conclure à leur connexité, précisant à cet égard que les parts sociales détenues par Mme [X] correspondaient à des fractions d’équipements et de matériels agricoles et que la facture dont le paiement par compensation était poursuivi correspondait précisément à l’utilisation de ces équipements et matériels agricoles pour lesquels Mme [X] détenait des parts sociales ; que, pour écarter la connexité des créances invoquées, la cour d’appel a retenu que « s’il est exact que la coopérative aux termes de l’article 12, présente un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, il n’en résulte pas, contrairement à ce qu’elle soutient, un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors qu’elles ne sont pas défraies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats ; au contraire, l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et d’autre part le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, telle que définie ci-dessus, et réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves. Il en résulte qu’il n’est défini aucune interdépendance entre ces deux contrats » ; qu’en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la nature des créances réciproques des parties, ayant trait au remboursement de parts sociales afférentes à du matériel agricole et dans la dépendance de la facturation de l’utilisation de ce même matériel, ne révélait pas leur lien de connexité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-7 du code de commerce et L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime :

5. Aux termes du premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes.

6. Selon le second, ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative que les coopératives dont les statuts prévoient l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité.

7. Pour rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, l’arrêt retient, après avoir relevé que la coopérative présentait un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, qu’il n’en résultait pas un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors que celles-ci n’étaient pas définies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats.

8. Il énonce, ensuite, que l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et, enfin, que le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, et se trouve réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves.

9. En statuant ainsi, alors que la contribution au capital social donne le droit d’utiliser un matériel déterminé et que la facturation rémunère son temps d’utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de compensation de la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon, l’arrêt rendu le 16 novembre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers autrement composée ;

Condamne la société Actis mandataires judiciaires aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Actis en qualité de mandataire liquidateur de Mme [N] à payer à la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes.

Cour de cassation 3e chambre civile arret du 14 Décembre 2023 Numéro de pourvoi : 22-15.598

La non-exécution d’une décision de justice ne constitue pas un manquement à une obligation contractuelle et ne peut donc pas justifier une résolution sur le fondement de l’article 1184 du code civil.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Vignobles des Mouchottes, qui a pour objet l’exploitation d’un domaine viticole situé dans les Hautes Côtes de Beaune, est associée coopérateur de la société coopérative La Cave des Hautes Côtes.

Un contentieux apparaît entre elles, la SAS Vignobles des Mouchottes reprochant à la coopérative un déséquilibre dans les conditions financières de leurs relations et une pénalité de 310 960 euros prononcée par cette dernière à son encontre le 24 avril 2019, et soutenant que ces éléments sont à l’origine des difficultés financières ayant donné lieu à l’ouverture à son profit d’une procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Dijon du 21 mai 2019.

De son côté, la SCA La Cave des Hautes Côtes reproche aux Vignobles des Mouchottes d’avoir retenu sur la récolte 2018 une partie de cette dernière en invoquant le droit de réserve figurant à l’article 8 de ses statuts, lequel prévoit que l’associé coopérateur ‘s’engage à livrer la totalité des produits viticoles de son exploitation tels qu’ils sont définis à l’article 3 ci-dessus réserve faite des quantités nécessaires aux besoins familiaux et de l’exploitation,’ les parties s’opposant sur le sens à donner à cette clause.

C’est dans ces conditions que la SCA La Cave des Hautes Côtes assigne en référés la SAS Vignobles des Mouchottes devant le président du tribunal de grande instance de Dijon au visa des articles 808 et 809 du code de procédure civile, aux fins de :

– voir ordonner à la SAS Vignobles des Mouchottes d’avoir à lui livrer lors des prochaines vendanges la totalité des récoltes de son exploitation soit 73 ha 33 a 20 ca,

– dire que la livraison ordonnée s’effectuera sous astreinte,

– faire interdiction à la SAS Vignobles des Mouchottes de vendre, de céder ou de disposer de quelque manière que ce soit de la propriété des produits viticoles issus de son exploitation au titre de la récole 2018 et non livrés à la SCA La Cave des Hautes Côtes,

– voir assortir l’interdiction sus ordonnée d’une pénalité de 5 euros par kilo non livré et/ou de 700 euros par hectolitre non livré à la SCA La Cave des Hautes Côtes,

– condamner la SAS Vignobles des Mouchottes à payer à la SCA La Cave des Hautes Côtes la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SAS Vignobles des Mouchottes aux entiers dépens ainsi qu’aux frais de constat en date du 31 août 2018 de la SCP M. L. A. huissiers de justice à Beaune.

Par ordonnance en date du 7 septembre 2018, le Président du tribunal de grande instance de Dijon :

– ordonne à la SAS Vignobles des Mouchottes de livrer à la SCA La Cave des Hautes Côtes lors des vendanges 2018 la totalité des récoltes de son exploitation représentant une surface de 73 ha 33 a 20 ca,

– fait interdiction à la SAS Vignobles des Mouchottes de vendre, céder ou disposer de quelque manière les produits viticoles issus de son exploitation au titre des vendanges 2018 et non livrés à la SCA La Cave des Hautes Côtes, ce sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée,

– condamne la SAS Vignobles des Mouchottes à payer à la SCA La Cave des Hautes Côtes la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.

Cette décision étant revêtue de l’exécution provisoire, la SAS Vignobles des Mouchottes livre à la coopérative, lors des vendanges 2018, les produits qu’elle comptait se réserver.

Toutefois, par arrêt du 21 février 2019, la cour d’appel de Dijon :

– confirme l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré la demande recevable, dit n’y avoir lieu à nullité de l’assignation, retenu la compétence du juge des référés, et en ce qu’elle a rejeté la demande de la SCA La Cave des Hautes Côtes tendant à la mise à la charge de la société Vignobles des Mouchottes des frais de constat d’huissier,

– l’infirme pour le surplus, et statuant à nouveau :

– rejette les demandes formées par la SCA La Cave des Hautes Côtes à l’encontre de la société Vignobles des Mouchottes,

– rappelle que cette décision infirmative constitue un titre suffisant pour obtenir la restitution des produits litigieux,

– rejette la demande de la société Vignobles des Mouchottes tendant à voir cette restitution ordonnée sous astreinte,

– déclare irrecevable la demande de la société Vignobles des Mouchottes tendant à ce que les restitutions soient opérées sous le contrôle d’un expert et d’un huissier, aux frais avancés de la SCA La Cave des Hautes Côtes,

– condamne la SCA La Cave des Hautes Côtes à payer à la société Vignobles des Mouchottes la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamne la SCA La Cave des Hautes Côtes aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La SAS Vignobles des Mouchottes fait alors signifier le 29 mars 2019 à La Cave des Hautes Côtes un commandement aux fins de saisie appréhension.

Par assignation du 5 avril 2019, la SCA saisit le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Dijon d’une demande d’annulation de ce commandement aux motifs d’une part qu’il n’est pas justifié par la SAS d’un droit réel sur les biens visés, et d’autre part d’une absence de titre exécutoire.

Une tentative d’appréhension des produits litigieux en date du 2 mai 2019 échoue, la SCA opposant d’une part le fait que le juge de l’exécution n’a pas encore statué, et d’autre part que les marchandises ne sont plus sous forme de raisins mais sous forme de vin incorporé avec d’autres apports des adhérents de la Cave, ce qui rend la restitution impossible.

Parallèlement, la SCA La Cave des Hautes Côtes forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Dijon.

*

Par acte d’huissier du 27 mars 2019, la SCA La Cave des Hautes Côtes assigne la SAS Vignobles des Mouchottes devant le tribunal de grande instance de Dijon selon la procédure à jour fixe, aux fins de voir juger que cette dernière est tenue d’une obligation d’exclusivité, d’obtenir qu’elle soit condamnée à exécuter cette obligation, de voir constater que la SAS Vignobles des Mouchottes a résilié des baux ruraux pour une surface de 4,343 ha au sein de son exploitation, et de la voir condamner à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts.

D’autre part, le 24 avril 2019, la SCA La Cave des Hautes Côtes notifie à la SAS Vignobles des Mouchottes une décision prise le même jour d’application à son encontre d’une pénalité de 310 960,60 euros avec mise en demeure de régler cette somme avant le 31 mai 2019 pour des faits de mutations de surface.

Enfin, lors d’une assemblée générale extraordinaire du 6 juin 2019, la SCA La Cave des Hautes Côtes décide de modifier l’article 8 de ses statuts relativement au droit de réserve.

*

Sur autorisation du président, la SAS Vignobles des Mouchottes, Maître Rémy B. es qualité d’administrateur judiciaire de la SAS Vignobles des Mouchottes et la SCP Véronique T. es qualité de mandataire judiciaire de cette même société assignent la SCA La Cave des Hautes Côtes par assignation à jour fixe délivrée le 27 juin 2019 devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins de voir le tribunal, statuant par jugement exécutoire par provision :

– constater que l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 21 février 2019 constitue un titre suffisant de restitution à la société Vignobles des Mouchottes de la part de récoltes 2018 qu’elle s’était réservée sur le fondement de l’article 8 des statuts de La Cave des Hautes Côtes,

– constater, au besoin juger que La Cave des Hautes Côtes a refusé à ce jour d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 21 février 2019, au préjudice de la société Vignobles des Mouchottes,

– constater que La Cave des Hautes Côtes a convoqué une assemblée générale extraordinaire pour le 6 juin 2019 aux fins de supprimer, pour les nouvelles adhésions, le droit de réserve prévue à l’article 8 des statuts, reconnaissant de facto le bien fondé de ce droit invoqué par la société Vignobles des Mouchottes,

– constater que l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 21 février 2019 a, en outre, jugé sérieusement contestable la demande de La Cave des Hautes Côtes à rencontre de la société Vignobles des Mouchottes concernant la part de récoltes 2018 mutée au profit de l’Earl Geantet Pansiot,

– constater que La Cave des Hautes Côtes a notifié abusivement une pénalité financière de 310 960,60 euros le 24 avril 2019, avec mise en demeure de payer avant le 31 mai 2019, en méconnaissance des termes de l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 21 février 2019,

– constater que La Cave des Hautes Côtes a procédé à la modification de l’article 8 des statuts relatif au droit de réserve, en violant le droit à l’information complète des associés coopérateurs et en tentant de tromper la société Vignobles des Mouchottes sur l’ordre du jour de l’assemblée générale du 6 juin 2019,

– constater que les prix des récoltes décidés par le conseil d’administration de La Cave des Hautes Côtes restent abusivement bas, la fixation d’une rémunération des apports aussi basse étant constitutive d’une faute à l’encontre des associés coopérateurs en vertu de l’ordonnance du 24 avril 2019,

– prononcer la résiliation judiciaire de l’engagement coopératif entre la société Vignobles des Mouchottes et La Cave des Hautes Côtes aux torts de cette dernière avec toutes conséquences de droit,

– débouter la société coopérative La Cave des Hautes Côtes de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société coopérative La Cave des Hautes Côtes à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.

La SCA La Cave des Hautes Côtes demande pour sa part au tribunal, au visa des dispositions des articles 788 et suivants du code de procédure civile, 1184 ancien du code civil, de :

– constater l’inapplicabilité de la loi Egalim du 30 octobre 2018 et de l’ordonnance n° 2019 362 du 24 avril 2019,

– dire que les fautes invoquées par la société Vignobles des Mouchottes à son encontre ne sont pas établies et ne peuvent fonder une demande de résiliation judiciaire du contrat de coopération qui les lie,

– débouter la société Vignobles des Mouchottes de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– ordonner à la société Vignobles des Mouchottes de lui livrer lors des vendanges 2019 la totalité des récoltes de son exploitation représentant une surface de 68 ha 98 a 9 ca,

– faire interdiction à la société Vignobles des Mouchottes de vendre, céder ou disposer de quelque manière des produits viticoles issus de son exploitation au titre des vendanges 2019 et non livrés à la société coopérative, ce, sous astreinte provisoire de 10 000 euros par infraction constatée,

– ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Dijon :

– Déboute la SAS Vignobles des Mouchottes de toutes ses demandes,

– Dit n’y avoir lieu à statuer sur les demandes de la SCA La Cave des Hautes Côtes relatives à la livraison des récoltes et à la demande d’interdiction,

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,

– Déboute les parties de toutes leurs autres prétentions plus amples ou contraires,

– Ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

Pour statuer ainsi, le tribunal retient :

– que compte-tenu de sa date de conclusion, le contrat dont la résiliation est demandée reste régi par la loi ancienne, l’ordonnance du 10 février 2016 ne lui étant pas applicable,

– que l’inexécution d’une décision de justice, fût-elle avérée, ne peut pas constituer un manquement contractuel au sens de l’article 1184 du code civil en sa version applicable,

– que la soumission à l’assemblée générale d’une résolution tendant à la modification des statuts au surplus applicable qu’aux nouveaux adhérents et donc sans conséquence pour la société requérante ne peut pas constituer une faute contractuelle,

– qu’au vu des pièces produites, le grief tiré des conditions de convocation à cette assemblée générale n’est pas avéré,

– qu’il ne peut pas plus être tiré de cette proposition de modification des statuts par suppression de la clause de réserve figurant à l’article 8 la déduction du bien-fondé des prétentions de la Sas Vignobles des Mouchottes,

– que l’arrêt de la cour d’appel de Dijon qui a uniquement statué sur le caractère sérieux des contestations élevées en référé par la Sas Vignobles de Mouchottes ne peut pas démontrer le caractère infondé de la sanction financière prise à l’encontre de cette dernière à raison de la mutation de certaines des parcelles initialement exploitées par ses soins,

– qu’il n’est pas plus démontré que la mise en oeuvre de cette sanction serait abusive dès lors que le juge-commissaire est saisi de la contestation élevée par la Sas Vignobles des Mouchottes suite à l’inscription de cette créance au passif de la procédure de sauvegarde et qu’il n’a pas encore statué,

– que le grief tiré de la fixation par la coopérative d’une rémunération abusivement basse du prix des apports est fondé sur les dispositions de la loi Egalim et de l’ordonnance du 24 avril 2019, lesquelles ne sont pas applicables à un litige né antérieurement à leur entrée en vigueur, et qu’au surplus, la société Vignobles des Mouchottes, qui impute ses difficultés financières au prix fixé par la coopérative, n’en rapporte pas la preuve alors que la SCA les attribue à une faiblesse de rendement de l’exploitation.

* * * * *

La SAS Vignobles des Mouchottes et Maître Rémy B. agissant es qualité d’administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SAS Vignobles des Mouchottes font appel par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel le 14 novembre 2019.

Il convient de relever que, dans le cadre de l’instance au fond engagée le 27 mars 2019 par la SCA La Cave des Hautes Côtes, le tribunal de grande instance de Dijon a notamment débouté la SAS Vignobles des Mouchottes de toutes ses demandes, l’a condamnée à livrer à la SCA la totalité des récoltes de son exploitation représentant une surface de 68 ha 98 a 9 ca, lui a fait interdiction de vendre, céder ou disposer de quelque manière des produits de son exploitation au titre des vendanges 2019 et non livrées à la SCA sous astreinte, et a fixé au passif de la procédure de sauvegarde une créance chirographaire de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la SCA.

Cette dernière a été déboutée de sa demande de fixation d’une créance de dommages intérêts, et les parties ont été déboutées de toutes leurs autres demandes.

Ce jugement, qui était assorti de l’exécution provisoire, a été confirmé par arrêt de la cour d’appel de Dijon du 11 février 2021.

Par conclusions 4 déposées le 10 septembre 2021, la SAS Vignobles des Mouchottes et la Selarl MJRS es qualité d’administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SAS Vignobles des Mouchottes demandent à la cour d’appel de :

‘Vu notamment l’article 1184 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause,

Vu l’arrêt de la cour d’appel de Dijon en date du 21 février 2019,

Vu l’ordre du jour extraordinaire de l’assemblée générale de La Cave des Hautes Côtes du 6 juin 2019,

Vu les voies d’exécution vaines réalisées par la société Vignobles des Mouchottes,

Vu la décision de pénalité de 310 960 euros en date du 24 avril 2019 à payer avant le 31 mai 2019 sur le fondement de l’article 18,

Vu les textes et jurisprudences cités,

Recevant la SAS Vignobles des Mouchottes en son appel,

– L’y déclarer bien fondée.

Avant dire droit,

– Surseoir à statuer dans l’attente de l’issue du pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la cour de céans le 11 février 2021,

A défaut de sursis à statuer,

– Prononcer la résiliation judiciaire de l’engagement coopératif entre la SAS Vignobles des Mouchottes et la SCA La Cave des Hautes Côtes aux torts de La Cave des Hautes Côtes, avec toutes conséquences de droit,

– Débouter la SCA La Cave des Hautes Côtes de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner la SCA La Cave des Hautes Côtes à la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– La condamner aux dépens.’

Au soutien de la demande de sursis à statuer, elle expose qu’elle a inscrit un pourvoi contre l’arrêt de la cour du 11 février 2021 qui suit la position de la SCA, et que si l’arrêt est cassé et que, sur renvoi, le jugement est infirmé, cette décision aura une incidence sur le présent litige puisqu’elle pourrait caractériser une faute supplémentaire imputable à la SCA ; que contrairement à ce que la SCA soutient, cette exception de procédure relève de la compétence de la juridiction et non pas du conseiller chargé de la mise en état dès lors qu’elle est facultative et suppose une examen du fond de l’affaire.

Elle ajoute que la SCA soutient que le pourvoi ne sera pas examiné faute d’exécution de l’arrêt, mais qu’elle ne justifie pas avoir demandé un retrait du rôle ; qu’au surplus les vins sont sous statut ‘négoce’ dans la mesure où elle n’avait pas la possibilité réglementaire de vinification sur son site, ce qui lui a imposé de les transférer à La Chablisienne (dont Les Vignobles des Mouchottes sont filiale à 100 %) pour éviter que les quantités soient perdues ;

que ce statut fait que le transfert de propriété ne peut plus se faire par une livraison au sens du droit coopératif mais par un contrat de vente ; que la Cave des Hautes Côtes le sait bien puisqu’elle a proposé une acquisition similaire pour d’autres vins placés sous ce statut de négoce, et que le cabinet AJRS, son administrateur judiciaire, a multiplié les démarches suite à l’arrêt du 11 février 2021 pour proposer la cession des vins dans le cadre réglementaire en demandant la valorisation proposée par La Cave des Hautes Côtes ; que cependant celle-ci n’a fait aucune proposition car en réalité elle n’est pas capable de proposer un autre prix qu’un prix abusivement bas.

Elle soutient que le refus de restituer la part réservée sur la récolte 2018 constitue une faute.

Elle précise que la procédure de contestation devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Dijon du commandement de saisie appréhension engagée le 5 avril 2019 est toujours pendante.

Elle ajoute qu’elle a délivré une sommation interpellative le 3 mai 2019 à la SCA pour lui rappeler le caractère exécutoire de l’arrêt du 21 février 2019 nonobstant le pourvoi ; que certes les décisions ultérieures ont donné gain de cause à la SCA, mais que toutefois, dans son arrêt du 4 mai 2021, la cour de céans a précisé : ‘Il en résulte que si, en application de l’arrêt infirmatif du 21 février 2019, et tant qu’il n’avait pas été statué sur le fond, la société Vignobles des Mouchottes était certes en droit de réclamer la restitution des vins obtenus par transformation des raisins issus de la récolte 2018 qu’elle avait livrés en exécution de l’ordonnance de référé infirmée, ce droit à restitution a ensuite été mis à néant par l’effet du jugement rendu au fond le 7 octobre 2019 et de l’arrêt confirmatif du 11 février 2021, qui, dès lors qu’ils consacrent l’obligation de livraison totale à la charge de la société Vignobles des Mouchottes, y compris au titre de la récolte 2018, impliquent nécessairement que cette dernière n’est pas légitime à revendiquer les produits objets de la saisie-appréhension litigieuse.’

Elle estime qu’à tort le tribunal a retenu que l’obligation de restitution découlant de l’arrêt du 21 février 2019 n’était pas une obligation contractuelle ; qu’en effet, la demande formée initialement par la SCA de livrer l’intégralité des récoltes 2018 avait un fondement contractuel et exigeait l’application des statuts avec interprétation de l’article 8, et que pour sa part, elle demandait à bénéficier de la réserve prévue au même article ; que c’est donc en application du contrat que la restitution était exigée, et que l’arrêt de la cour constituait le titre exécutoire de cette obligation.

Elle ajoute que le refus de restitution a perduré pendant 8 mois, et que pour rendre cette restitution impossible, la SCA s’est dépêchée de faire procéder à la vinification de la réserve et de l’incorporer aux autres apports des adhérents si l’on en croit ses affirmations, puisqu’elle n’a jamais produit aucune preuve sur ce point ; que le refus de restitution et les démarches pour rendre la restitution impossible constituent un manquement aux obligations contractuelles et viole le principe de loyauté et de bonne foi inhérent à toute convention.

Elle expose ensuite que la SCA a convoqué l’assemblée générale pour statuer sur ses comptes, et a mis à l’ordre du jour extraordinaire le point suivant : ‘Modification de l’article 8 : obligations des associés’, sans plus de détail ; que ce n’est qu’en exécution d’une ordonnance du juge-commissaire du 24 mai 2019 qui lui enjoignait de communiquer les documents prévus qu’elle a découvert qu’il était prévu un ajout à l’article 8 sur la connexité des créances, mais sans suppression du droit de réserve ; que le 5 juin 2019, veille de l’assemblée, son administrateur a reçu d’autres documents dont une ‘mise à jour des statuts’ qui révélait cette fois la suppression pure et simple de la clause de réserve, et un projet de procès-verbal mentionnant en termes généraux l’acceptation des modifications de l’article 8.

Elle soutient que la SCA a ainsi tenté de modifier les statuts de manière détournée en supprimant le fondement statutaire qu’elle utilise, ce qui est abusif et surtout contraire à son règlement intérieur ; qu’en effet, l’article 22 du Règlement Intérieur Technique est ainsi rédigé : « Chapitre VI

Reprises de vins par les coopérateurs

Article 22

Le Conseil d’administration décide périodiquement, en fonction des possibilités de la Coopérative et sans compromettre ses intérêts, quelles quantités et quelles sortes de produits peuvent être retirées par chaque sociétaire pour ses besoins personnels ainsi que les conditions de ces retraits.

En aucun cas, ceux-ci ne pourront être supérieurs aux 80 % des apports de l’adhérent » ; que les fondateurs avaient donc bien prévu la possibilité pour les exploitations adhérentes d’avoir un fonctionnement indépendant de la coopérative, et que cette possibilité a d’ailleurs été utilisée lors de l’exercice 2017 par le président de la coopérative lui même.

Elle reconnaît que cette modification ne concerne que les nouveaux adhérents, mais ajoute : ‘compte-tenu de l’attitude de La Cave des Hautes Côtes, il est fort probable qu’elle adopte une interprétation contraire et souhaite faire application de la modification aux anciens adhérents’ Elle en déduit que cette modification est susceptible de lui causer un grief, ne serait-ce que l’ouverture d’une nouvelle source de contentieux.

Elle soutient que la faute est constituée par le fait que la SCA La Cave des Hautes Côtes essaye de faire supprimer la clause qu’elle viole par fausse interprétation ; que ce n’est pas la simple demande de modification qui est fautive, c’est son objectif ; que ce qui est également fautif, c’est la rétention d’information et sa tardiveté avérée puisque la SCA n’a communiqué les documents que sur injonction du juge et tardivement sur un support partiellement lisible.

Concernant la mutation des parcelles et la pénalité de 310 960 euros qui lui a été infligée, elle expose que chaque adhérent a le droit de muter une partie de sa surface d’exploitation à un tiers qui prend l’engagement de souscrire à la coopérative ; que les statuts prévoient alors en leur article 18 l’obligation de cet adhérent qui est de dénoncer la mutation dans le délai de 3 mois à compter du transfert, la coopérative pouvant soit accepter le cessionnaire, soit refuser cette mutation, mais dans ce cas le cédant ne peut pas être sanctionné.

Elle soutient qu’elle a fait valoir la mutation d’une surface résiduelle de son exploitation d’environ 4 hectares au profit d’un tiers, l’Earl Geantet-Pansiot à compter du 1er avril 2018 et qu’elle a valablement dénoncé le 7 juin 2018 cette mutation en produisant l’engagement ferme de l’Earl de souscrire aux parts sociales de la coopérative par courrier du 1er avril 2018 ; que la SCA a refusé cette mutation en considérant qu’elle était toujours tenue alors qu’elle lui a préalablement proposé cette mutation à son profit ce qu’elle a refusé, et quelle a respecté les règles du droit rural, ayant obtenu le consentement exprès et préalable de tous les bailleurs de la société concernés.

Elle ajoute qu’elle a eu la surprise de recevoir le 24 avril 2019 une pénalité décidée par la SCA pour défaut d’apport de cette quantité mutée pour un montant de 310 960 euros ; que cette pénalité prise avant même une décision définitive sur le fond révèle la volonté d’asphyxier une société déjà exsangue ; qu’elle l’a immédiatement contestée mais qu’elle a pour effet d’inscrire directement une créance à son passif.

Elle reproche au tribunal d’avoir considéré que, tant que le juge-commissaire qui est saisi de la contestation de la créance n’a pas statué, cette pénalité ne pouvait pas être considérée comme fautive alors que le juge-commissaire a sursis à statuer compte-tenu de la saisine de la cour, et en déduit qu’il faut donc que la cour statue sur la validité de la mutation, et en conséquence sur le caractère abusif de la pénalité.

S’agissant des prix pratiqués par La Cave des Hautes Côtes, elle expose que depuis plusieurs années elle rencontre des difficultés économiques chroniques que révèle l’ampleur de ses pertes malgré un chiffre d’affaires en hausse ; que son chiffre d’affaires dépend exclusivement des prix décidés par la coopérative, et que l’excédent brut d’exploitation est trop insuffisant pour qu’elle puisse honorer ses échéances courantes ; qu’elle a dû solliciter des apports de trésorerie extérieurs de plus en plus importants qui viennent grever lourdement son compte-courant au passif ; que peu importe que ses comptes ne soient pas publiés ainsi que la SCA le soutient au demeurant faussement.

Elle affirme que le caractère anormalement bas des prix fixés par la coopérative est établi par une simple comparaison avec les prix de production selon le prix arrêté par le Préfet dans le cadre de la détermination du montant des fermages viticoles et avec ceux figurant aux cours officiels du BIVB et ajoute que pour prévenir les dérives auxquelles certaines sociétés coopératives se livraient à l’encontre des sociétaires, la loi est intervenue, en l’espèce la loi EGALIM du 30 octobre 2018 sur l’ ‘équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous’ ; qu’en application de l’article 11 de cette loi, le président de la République a été habilité à légiférer par ordonnance, et que l’ordonnance relative à la coopération agricole n° 2019-362 publiée le 24 avril 2019 a décidé : ‘ V – Engage la responsabilité de la coopérative le fait de fixer une rémunération des apports abusivement basse au regard des indicateurs prévus aux articles L 631-24, L 631-24-1, L 631-24-3 et L 632-2-1 ou de tout autre indicateur public disponible’.

Elle ajoute qu’au surplus, la réforme du droit des obligations du 10 février 2016 a introduit l’article 1195 du code civil ; que ces textes montrent bien que la pratique de bas prix par les coopératives est largement stigmatisée ; que depuis juillet 2017, elle ne cesse d’appeler une prise de conscience des dirigeants de la coopérative, en vain, et qu’une ordonnance de mandat ad hoc a été rendue afin de pouvoir obtenir un cadre amiable de discussion avec les dirigeants de la coopérative concernant sa situation économique et le sort des associés coopérateurs, mais que ces dirigeants ont pris la responsabilité de ne pas y donner de suite.

Elle affirme qu’elle est soumise à un risque important en cas de faillite de la coopérative puisque l’article 55 des statuts prévoit une responsabilité financière des associés à deux fois le montant du capital social et qu’elle est l’un des associés les plus importants.

Elle souligne que le tribunal a relevé que ses comptes 2018 n’étaient pas justifiés et qu’elle ne contredisait pas l’assertion de la coopérative selon laquelle les difficultés rencontrées étaient liées à une faiblesse de rendement de l’exploitation alors que ses comptes 2018 n’ont pas pu être établis suite à des dysfonctionnements imputables à la coopérative, mais que ses comptes précédents sont suffisamment édifiants ; qu’il est faux de dire que ses pertes sont imputables à un défaut de rendement alors que, dans un courrier du 18 décembre 2018, le Cabinet Aucap explique ses difficultés par les prix d’achat décidés par la coopérative bien éloignés des références des arrêtés préfectoraux utilisés pour le calcul du fermage.

Elle affirme que la pratique de prix abusivement bas constitue une violation de l’essence même du contrat coopératif, et que la SCA n’a jamais donné la moindre explication quant à la fixation de ses prix.

Par conclusions n° 5 déposées le 13 septembre 2021, la SCA La Cave des Hautes Côtes demande à la cour de :

‘ Vu les articles, L 521-1-1, L 521-3, L 521-3-1, L524-1, R 522-3, R522-4, R522-5 et R524-15 du code rural, l’article 1184 ancien du code civil.

– Déclarer irrecevable et en tout état de cause infondée la demande de sursis à statuer,

– Déclarer l’appel interjeté par la SAS Vignobles des Mouchottes et son administrateur judiciaire infondé,

– En conséquence confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Dijon en date du 4 novembre 2019 (RG 19/01843) en ce qu’il a : (‘),

– Débouter la SAS Vignobles des Mouchottes de toutes ses demandes,

– Y ajoutant, condamner la SAS Vignobles des Mouchottes à payer à la SCA La Cave des Hautes Côtes la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– A défaut de condamnation, fixer la même somme au passif de la procédure de sauvegarde ouverte au bénéfice de la SAS Vignobles des Mouchottes à titre de créance chirographaire au profit de la SCA La Cave des Hautes Côtes,

– Condamner la SAS Vignobles des Mouchottes aux dépens ou ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.’

La SCA La Cave des Hautes Côtes expose que la SCA La Chablisienne est présidente et associée unique de la SAS Les Vignobles des Mouchottes, et que depuis 2017 elle l’utilise pour se livrer à une véritable guérilla judiciaire à son encontre avec la volonté de lui nuire coûte que coûte ; que la société Les Vignobles des Mouchottes détient 59 388 de ses parts sociales, que la totalité de ses produits représente 20 % de sa collecte totale, et sont les plus qualitatifs de ceux qu’elle vinifie et commercialise.

Elle soutient que la demande de sursis à statuer est irrecevable car elle constitue une exception de procédure au regard de l’article 73 du code de procédure civile et est soumise au régime des exceptions de procédure prévues par l’article 74 du code de procédure civile ; que seul le conseiller chargé de la mise en état est compétent jusqu’à son dessaisissement pour statuer ; que contrairement à ce que soutient l’appelante, il n’y a pas deux régimes, la jurisprudence de la cour de cassation ne distinguant pas selon que le sursis est impératif ou facultatif ; qu’elle est également irrecevable pour défaut de qualité car les articles 108 à 111 du code de procédure civile qui régissent les exceptions dilatoires présentent notamment les demandes de sursis à statuer comme des moyens de défense du défendeur alors que la société Les Vignobles des Mouchottes est appelante.

Elle ajoute qu’elle n’invoque pas l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 11 février 2021 pour former une demande contre la société Les Vignobles des Mouchottes, et qu’elle ne fait que s’opposer à la demande de résiliation judiciaire formée par elle ; que cette demande manque par ailleurs de sérieux puisque l’appelante n’établit pas en quoi, même en cas de cassation, un arrêt de renvoi pourrait caractériser une faute contractuelle de sa part, a fortiori une faute grave, et pourrait influer sur la présente instance ou entrer en contradiction avec l’arrêt à intervenir puisque les deux instances n’ont pas le même objet, et le pourvoi porte non pas sur les obligations de la coopérative, mais sur ceux de ses associés coopérateurs ; qu’au surplus il faudrait que la cour de cassation ait à se prononcer sur le pourvoi ce qui suppose que la SAS exécute l’arrêt du 11 février 2021, ce qu’elle n’a toujours pas fait.

Elle soutient que les arguments invoqués dans ses dernières écritures concernant le statut de négoce sont inopérants et prouvent au surplus sa mauvaise foi ; que l’appelante et La Chablisienne se sont organisées pour agir en fraude de ses droits ; que la Chablisienne a acheté les produits de l’exploitation de la société Vignobles des Mouchottes par 6 contrats du 13 septembre 2019, et qu’elle peut donc parfaitement résilier amiablement ces ventes.

Concernant la demande de résiliation judiciaire, elle rappelle qu’en application de l’article 1184 du code civil en sa version applicable, seule une violation grave d’une obligation contractuelle déterminante peut fonder la résiliation d’un contrat synallagmatique.

Elle expose qu’il existe des spécificités du contrat de coopération agricole ; qu’il faut distinguer l’aspect institutionnel de l’aspect contractuel, et que le droit qui régit les sociétés coopératives agricoles et le contrat de coopération entre un associé coopérateur et la coopérative dont il est membre est un droit d’exception qui prime les règles de droit commun ; que le droit des contrats ne s’applique que dans le silence de la réglementation particulière.

S’agissant de la nature juridique spécifique du contrat de coopération, elle expose que l’associé coopérateur a une double qualité ; qu’il résulte de l’article L 521-1-1 du code rural que la relation entre l’associé coopérateur et la coopérative à laquelle il adhère est régie par les principes et règles spécifiques du titre II du livre cinquième du code rural et de la loi de 1947 susvisée ; que cette relation entre les parties repose sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé mentionnée à l’article L 521-3 du code rural en ce que l’adhérent est un apporteur de capital qui a l’obligation de souscrire ou d’acquérir des parts du capital social ce qui lui confère la qualité d’associé de la société coopérative ; que l’adhérent est également un apporteur d’activité, un coopérateur dès lors que son adhésion emporte de plein droit en application des articles L 521-3 et R 522-3 du code rural l’engagement d’utiliser les services de la coopérative pour les opérations pouvant être effectuées par son intermédiaire eu égard à son objet social ; que ce sont les statuts adoptés par l’assemblée générale qui, en leur article 8, fixent les modalités et la durée de l’engagement contractuel de l’associé coopérateur de livrer les produits de son exploitation à la coopérative s’agissant des sociétés coopératives de type 1 qui, comme la SCA La Cave des Hautes Côtes, ont pour objet la collecte, la vinification, le conditionnement, la commercialisation des vin ; que le coopérateur, tenu par une obligation d’apport, qui est une obligation de résultat, ne peut, sauf cas de force majeure dûment établie, se retirer de la coopérative avant l’expiration de sa période d’engagement conformément à l’article R522-4 du code rural.

Concernant le périmètre de la résiliation du contrat de coopération, elle expose que l’application au contrat de coopération de l’article 1184 du code civil nécessite d’opérer une distinction entre l’aspect institutionnel et l’aspect contractuel ; qu’en effet il ne faut pas confondre les obligations de l’associé résultant du statut social, autrement dit de la relation sociétaire, avec les obligations contractuelles du coopérateur résultant de l’engagement d’activité par lequel il s’oblige à utiliser les services de la coopérative et à lui apporter les produits de son exploitation ; que ce n’est que si la coopérative méconnaît ses engagements contractuels particuliers à l’égard de ses adhérents pris en leur qualité de coopérateur que peut jouer la résiliation du contrat de coopération sur la base de l’article 1184 ancien du code civil ; que le recours au droit commun et l’application de l’article 1184 ancien du code civil ne sont pas possibles lorsqu’un coopérateur se plaint du mauvais fonctionnement de la coopérative, d’une divergence de vues sur la gestion de la coopérative, de la rémunération de ses apports voire d’une méconnaissance de ses droits d’associé ;

que ces types de fautes relèvent du droit des sociétés, trouvent leurs sanctions dans les actions en nullité des décisions irrégulières des organes sociaux et dans l’exercice des prérogatives politiques découlant des parts sociales dès lors que les associés participent également à l’organisation et au fonctionnement de la société qu’ils contrôlent en prenant part aux délibérations et aux votes lors des assemblées générales.

Elle soutient qu’en l’espèce, la SAS Vignobles des Mouchottes qui a la charge de la preuve ne démontre pas que la SCA La Cave des Hautes Côtes aurait commis des manquements contractuels graves à son encontre.

Elle expose que la SAS Vignobles des Mouchottes tente de caractériser une faute contractuelle par un ‘soi disant refus d’exécution’ de l’arrêt rendu en référé le 21 février 2021 par la cour de Dijon, alors que l’article 8 des statuts définit les obligations des associés coopérateurs à l’égard de la coopérative dont leur obligation d’apport total des produits de leur exploitation, et que cet article ne prévoit aucune obligation contractuelle de restitution par la coopérative des apports de ses associés coopérateurs ce qui serait contraire à son objet défini à l’article 3 des statuts ; que l’obligation contractuelle de la coopérative dans le cadre de l’engagement coopératif consiste à rémunérer les apports de ses associés coopérateurs ce qu’elle fait scrupuleusement.

Elle ajoute que l’inexécution d’une décision de justice ne peut constituer un manquement contractuel et donc aboutir à la résiliation judiciaire d’un contrat ; qu’au surplus, elle a entièrement exécuté l’arrêt de référé susvisé ainsi qu’elle en justifie ; qu’enfin, par un jugement au fond en date du 07 octobre 2019 qui a l’autorité de la chose jugée au principal, le tribunal de grande instance de Dijon a retenu que la notion de réserve des besoins de l’exploitation ‘exclu(ait) de fait les besoins économiques de l’exploitation agricole’ et a condamné la SAS Vignoble des Mouchottes à exécuter son engagement d’apport total à l’égard de la coopérative ; que le tribunal a assorti sa décision de l’exécution provisoire que Madame la Première Présidente de la cour d’appel de Dijon a refusé d’arrêter, et que la cour, par un arrêt en date du 11 février 2021, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant à dit que l’obligation de livraison de la totalité des récoltes de son exploitation mise à la charge de la société Vignobles des Mouchottes s’applique aux vendanges 2018, 2019 ainsi qu’aux vendanges effectuées ou à effectuer postérieurement, tant que durera le contrat de coopération liant les parties, que l’interdiction faite sous astreinte à la société Vignobles des Mouchottes de vendre, céder ou disposer de quelque manière des produits issus de son exploitation et non livrés à la SCA La Cave des Hautes Côtes s’applique, outre aux vendanges 2019, aux vendanges 2018 ainsi qu’aux vendanges effectuées ou à effectuer postérieurement, tant que durera le contrat de coopération liant les parties.

Elle en déduit que l’arrêt rendu en référé le 21 février 2019 est en conséquence privé de tout fondement juridique par l’effet du jugement rendu au fond le 7 octobre 2019 et par l’effet de l’arrêt confirmatif du 11 février 2021 qui ont l’autorité de la chose jugée au principal.

Elle ajoute que les motifs de l’arrêt rendu le 4 mai 2021 par la cour de céans que cite la SAS Vignobles des Mouchottes n’ont pas l’autorité de la chose jugée et ne lui sont d’aucun secours puisque la cour relève que le droit de restitution a été mis à néant par les décisions rendues au fond ; que le moyen est d’autant plus vain qu’en 2018 la SAS Vignobles des Mouchottes a livré à la coopérative, sans aucune réserve et sans demander l’arrêt de l’exécution provisoire de l’ordonnance rendue le 7 septembre 2018 par Monsieur le Président du tribunal de grande instance, tous les produits issus de son exploitation, sauf ceux issus d’une surface de 4,343 ha dont elle avait résilié les baux, et que La Cave des Hautes Côtes a réglé scrupuleusement et à bonne date lesdits apports.

Sur la ‘soi disant tentative de modification des statuts’, elle soutient que les faits tels qu’exposés par la SAS Vignobles des Mouchottes sont grossièrement mensongers ; qu’en outre son argumentation juridique est vaine dès lors que les fautes dont elle allègue ne relèvent pas des obligations contractuelles de la SCA La Cave des Hautes Côtes à l’égard des coopérateurs mais de l’aspect institutionnel des statuts puisque c’est l’assemblée générale extraordinaire des associés coopérateurs qui a le pouvoir de modifier les statuts de la société coopérative en application de l’article R524-15 du code rural et 43 des statuts ; que pour n’éluder aucun débat, elle relève que les insinuations de la SAS Vignobles des Mouchottes selon laquelle ‘il est fort probable’ que la Cave des Hautes Côtes ‘souhaite faire application de la modification statutaire aux anciens adhérents’ ne permet pas à la cour de constater une faute de nature contractuelle, grave et avérée de sorte que la demande de résiliation du contrat coopératif ne peut pas prospérer ; qu’au surplus, contrairement à ce qu’elle affirme, la SAS Vignobles des Mouchottes avait la faculté de prendre connaissance d’un dossier complet d’information 15 jours au moins avant l’assemblée générale des associés coopérateurs de la SCA La Cave des Hautes Côtes du 6 juin 2019 ainsi que cela résulte d’un constat d’huissier de justice dressé le 21 mai 2019 par Maître H. ; que c’est enfin en vain que la SAS Vignobles des Mouchottes se prévaut d’un règlement intérieur, ce qui a déjà été relevé par le tribunal par son jugement en date du 7 octobre 2019 et par la cour d’appel.

Concernant la question de la mutation de parcelles et de la pénalité de 310 960 euros, elle souligne que les décisions du conseil d’administration d’une société coopérative dont celle d’appliquer les pénalités statutaires à un associé coopérateur défaillant, relèvent de son pouvoir de gestion au regard de l’article L524-1 du code rural et 29 des statuts et non des obligations contractuelles de la coopérative à l’égard du coopérateur.

Elle ajoute qu’elle a découvert que la SAS Vignobles des Mouchottes, alors que son obligation d’apport total portait sur une exploitation d’une surface de 73 ha 33 a 20 ca engagés, l’a amputée de parcelles d’une surface de 4,343 ha par le biais d’un acte des 25 et 26 juillet 2018 de résiliation conventionnelle et sans contrepartie des baux ruraux y afférents ; que par cet acte, la SAS Vignobles des Mouchottes a volontairement rendu impossible l’exécution forcée de son obligation d’apport des récoltes issues des-dites parcelles ; que c’est pourquoi, au titre du non apport des récoltes des-dites parcelles, elle a mis en ‘uvre à son encontre la procédure d’application des sanctions pécuniaires prévues par l’article 8-8 des modèles de statuts.

Elle ajoute qu’elle a déclaré sa créance et que la SAS Vignobles des Mouchottes a élevé une contestation ; que le 25 janvier 2021, le juge commissaire a rendu une ordonnance par laquelle il a à la fois considéré que deux instances étaient en cours et a sursis à statuer ‘jusqu’à ce qu’une décision définitive passée en force de chose jugée soit rendue sur l’interprétation de l’article 8 des statuts de la SCA La Cave des Hautes Côtes, et sur la résiliation judiciaire du contrat conclu avec la SAS Vignobles des Mouchottes.’

Elle relève que si, aux motifs de ses conclusions, la SAS Vignobles des Mouchottes fait valoir qu’ ‘Il est donc nécessaire, dans le cadre du présent litige, de se prononcer sur la validité démontrée de la mutation, et en conséquence du caractère abusif de la pénalité'(…) ‘justifiant de plus fort la résolution du contrat’, pour autant aucune prétention à cette fin n’est reprise au dispositif des conclusions des appelantes ; que la cour, qui ne peut pas statuer sur une prétention dont elle n’est pas saisie ; qu’il s’en déduit que dès lors qu’aucune décision n’aura été rendue, l’application des sanctions pécuniaires prévues par l’article 8 des statuts, par le conseil d’administration de la SCA La Cave des Hautes Côtes ne pourra pas être considérée comme fautive.

S’agissant des prix pratiqués par la coopérative, elle relève que la société Vignobles des Hautes Côtes, tout en indiquant qu’il ne s’agit pas de demander l’application de la loi Egalim et de l’ordonnance du 24 avril 2019, fonde toute son argumentation ‘sur les prix abusivement bas’ ; qu’au surplus, le Conseil d’État, par un arrêt n°430261 du 24 février 2021, a décidé que les dispositions du b) du 3° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 sont annulées en tant qu’elles créent un V à l’article L 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime ; qu’enfin la loi Egalim vise les ‘contrats de vente de produits agricoles’ alors que le contrat coopératif n’est pas un contrat de vente dont la nature est incompatible avec les spécificités des sociétés coopératives agricoles ainsi que l’a rappelé maintes fois la cour de cassation.

Elle ajoute que le moyen de la SAS Vignobles des Mouchottes tiré du caractère fautif de la pratique de prix abusivement bas est inopérant puisque les délibérations du conseil d’administration et de l’assemblée générale des associés ne relèvent pas du droit des obligations, la détermination de la rémunération des associés coopérateurs étant liée à l’aspect institutionnel de la société coopérative ; que la société coopérative agricole, si elle est chargée de commercialiser les apports de ses associés coopérateurs, n’est pas tenue de leur garantir un prix et que l’associé coopérateur doit souffrir les aléas de la commercialisation des produits ; qu’un associé coopérateur ne saurait justifier sa demande de résiliation en alléguant de la mauvaise gestion de la société dès lors que de tels faits, à les supposer avérés, seraient constitutifs d’un préjudice collectif et non pas personnel de sorte qu’ils ne pourraient ouvrir

que l’action sociale et l’exercice des droits politiques de l’associé en assemblée générale, et qu’en cas de succès de l’action ut singuli les dommages et intérêts seraient alloués non pas à l’associé mais à la société et entreraient dans l’actif social.

Elle soutient qu’en outre la SAS Vignobles des Mouchottes ne démontre pas que les difficultés économiques dont elle se plaint seraient imputables à la SCA La Cave des Hautes Côtes ; que ses comptes depuis l’exercice 2017 ne sont jamais déposés dans le délai légal, et qu’elle affirme sans le démontrer que ses pertes antérieures seraient dues aux rémunérations que lui aurait versées La Cave des Hautes Côtes alors qu’en réalité, si la SAS Vignobles des Mouchottes a enregistré dans le passé des résultats déficitaires, ils tiennent à une mauvaise gestion et à la faiblesse du rendement de son exploitation, inférieur de 30 % à la moyenne de celui des associés coopérateurs de la SCA La Cave des Hautes Côtes.

Elle ajoute que le montant des valorisations est expliqué aux associés lors des assemblées générales annuelles d’approbation des comptes et tous les éléments comptables sont à la disposition des associés coopérateurs quinze jours au moins avant l’assemblée générale ; qu’enfin les administrateurs sont en premier lieu des adhérents, et qu’ils n’ont donc aucune raison de prendre des décisions qui les pénaliseraient en tant qu’adhérent.

La Selarl MJ & Associés es qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SAS Vignobles des Mouchottes n’ayant pas constitué avocat, les appelants lui signifient la déclaration d’appel et leurs conclusions par acte d’huissier du 19 février 2020 délivré à personne habilitée.

La SCA La Cave des Hautes Côtes lui signifie ses conclusions par acte d’huissier du 19 mai 2020.

L’ordonnance de clôture est rendue le 14 septembre 2021.

MOTIVATION

– Sur la demande de sursis à statuer

La demande de sursis à statuer fondée sur l’opportunité d’attendre l’arrivée d’un événement pour une bonne administration de la Justice constitue un incident d’instance, lequel peut être soulevé devant la cour d’appel qui est compétente pour statuer.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la SCA La Cave des Hautes Côtes, les dispositions des articles 108 à 111 du code de procédure civile consacrées aux exceptions dilatoires ne présentent nullement les demandes de sursis à statuer comme constituant des moyens de défense réservés au seul défendeur.

Il s’en déduit que la SAS Vignobles des Mouchottes est recevable à présenter une demande de sursis à statuer.

Toutefois, il ressort expressément des explications de la SAS Vignobles des Mouchottes que l’arrêt de la cour de cassation attendu suite au pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Dijon le 11 février 2021 n’est pas en soi susceptible d’apporter un élément nécessaire à la solution du présent litige, mais uniquement de donner lieu à une décision de la cour d’appel éventuellement saisie du renvoi contraire à celle cassée, et de caractériser une autre faute que celle qu’elle invoque dans l’actuelle procédure.

Il s’en déduit que la demande de sursis à statuer n’est pas justifiée.

– Sur la demande de résiliation judiciaire de l’engagement coopératif

La SAS Vignobles des Hautes Côtes fondent sa demande de résiliation de son engagement coopératif sur les dispositions de l’article 1184 du code civil en sa version applicable aux faits.

Aux termes de ce texte, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Pour que la résolution d’un contrat puisse être prononcée, il appartient à la partie qui la demande d’établir la preuve d’un ou de plusieurs manquements de son adversaire à ses obligations contractuelles, manquements qui par ailleurs doivent être d’une gravité suffisante pur justifier une telle décision.

Il s’en déduit que les actes reprochés par le demandeur à la résolution qui ne constituent pas un manquement à une obligation contractuelle ne peuvent fonder une décision de résolution du contrat.

La SAS Vignobles des Mouchottes reproche en premier lieu à la SCA La Cave des Hautes Côtes de ne pas lui avoir restitué les produits issus des vendanges 2018 qu’elle comptait se réserver suite à l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 21 février 2019 ayant infirmé l’ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Dijon du 7 septembre 2018 lui ordonnant de livrer ces produits.

Il est incontestable que cet arrêt infirmatif constituait un titre exécutoire qui permettait à la SAS Vignobles des Mouchottes de réclamer immédiatement la restitution de ces produits.

Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la SCA La Cave des Hautes Côtes, le fait que dans le cadre de la procédure au fond le tribunal judiciaire de Dijon le 7 octobre 2019 a consacré l’obligation de livraison totale à la charge de la SAS Vignobles des Hautes Côtes y compris au titre de la récolte 2018 et que la cour d’appel de Dijon a, par arrêt du 11 février 2021, confirmé cette décision, est sans incidence sur le droit à restitution que la SAS Vignobles des Mouchottes tirait de l’arrêt rendu en référé le 21 février 2019, droit qui n’a été anéanti que par les décisions au fond intervenues ultérieurement.

Cependant la non-exécution d’une décision de justice ne constitue pas un manquement à une obligation contractuelle, et ne peut donc pas justifier une résolution sur le fondement de l’article 1184 du code civil.

La SAS Vignobles des Mouchottes reproche ensuite à la SCA La Cave des Hautes Côtes d’avoir ‘tenté’ de modifier l’article 8 de ses statuts dans l’intention d’appliquer la nouvelle version aux anciens adhérents et au surplus en procédant à une rétention d’information, de lui avoir appliqué une pénalité de 310 960 euros pour mutation de parcelles, et de pratiquer des prix abusivement bas.

Il n’est pas contesté par le SAS Vignobles des Mouchottes que ses relations avec la SCA La Cave des Hautes Côtes sont régies par un contrat de coopération, lequel relève des dispositions spécifiques aux sociétés coopératives agricoles prévues aux articles L 521-1 et suivants du code rural et de la pêche.

Il ressort de ces textes que l’associé coopérateur a une double qualité. En effet, il résulte de l’article L 521-1-1 de ce code que la relation entre l’associé coopérateur et la coopérative à laquelle il adhère est régie par les principes et règles spécifiques du titre II du livre cinquième du code rural et de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, cette relation entre les parties reposant sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé mentionnée à l’article L 521-3 du code rural. Ainsi, l’adhérent est un apporteur de capital qui a l’obligation de souscrire ou d’acquérir des parts du capital social ce qui lui confère la qualité d’associé de la société coopérative. Il est également un apporteur d’activité, un coopérateur, dès lors que son adhésion emporte de plein droit en application des articles L 521-3 et R 522-3 du code rural l’engagement d’utiliser les services de la coopérative pour les opérations pouvant être effectuées par son intermédiaire eu égard à son objet social.

Il s’en déduit qu’il faut distinguer les droits et obligations de l’associé vis à vis de la coopérative résultant du statut social, autrement dit de la relation sociétaire, des obligations contractuelles du coopérateur résultant de l’engagement d’activité par lequel il s’oblige à utiliser les services de ladite coopérative et à lui apporter les produits de son exploitation, cette dernière ayant pour sa part les obligations de lui fournir ces services et de rémunérer ses apports en application des tarifs déterminés conformément aux statuts, c’est-à-dire par une délibération de l’assemblée générale des associés.

Ce n’est que si la coopérative méconnaît ses engagements contractuels particuliers à l’égard de ses adhérents pris en leur qualité de coopérateur que peut intervenir une résolution du contrat de coopération sur la base de l’article 1184 ancien du code civil, alors que le recours au droit commun du contrat n’est pas possible lorsqu’un coopérateur se plaint du mauvais fonctionnement de la coopérative, d’une divergence de vues sur sa gestion, de la rémunération de ses apports voire d’une méconnaissance de ses droits d’associé.

Ces fautes relèvent du droit des sociétés, et trouvent leurs sanctions dans les actions en nullité des décisions irrégulières des organes sociaux et dans l’exercice des prérogatives politiques découlant des parts sociales dès lors que les associés participent également à l’organisation et au fonctionnement de la société qu’ils contrôlent en prenant part aux délibérations et aux votes lors des assemblées générales.

Il en résulte que la décision de modification de l’article 8 des statuts décidée lors d’une assemblée générale de la coopérative du 6 juin 2019, à supposer avérées les irrégularités qui auraient été commises concernant l’information préalable des associés, ne peut pas constituer un manquement de la SCA à ses obligations contractuelles.

Il sera au surplus relevé sur ce point que la société Vignobles des Mouchottes reproche à la coopérative une intention d’appliquer aux anciens adhérents cette modification et d’avoir eu ainsi un objectif fautif, se livrant ainsi à un procès d’intention.

Concernant la décision du conseil d’administration de la coopérative d’appliquer une pénalité de 310 960 euros aux Vignobles des Hautes Côtes en lui reprochant d’avoir réduit sa surface d’exploitation de 4,343 hectares, il n’est pas contesté par l’appelante qu’une telle décision s’inscrit dans le pouvoir de gestion du-dit conseil d’administration prévu par l’article L 524-1 du code rural et de la pêche, et de l’article 29 des statuts de la coopérative.

Cette décision relève des relations statutaires entre la SCA et la SAS Vignobles des Mouchottes et, à la supposer irrégulière ou mal fondée, elle ne constitue en tout état de cause pas un manquement aux obligations contractuelles de la coopérative.

Enfin, il est établi que la fixation des modalités de paiement du prix des apports de produits relève de la compétence de ‘l’organe chargé de l’administration de la société’ coopérative par application des dispositions de l’article L 521-3-1 du code rural et de la pêche, c’est-à-dire qu’elles sont décidées en assemblée générale annuelle. Il s’en déduit que les contestations pouvant être émises à l’encontre de ces décisions relèvent du droit des sociétés et des éventuelles actions en annulation des délibérations qu’un associé peut engager.

Par contre, à supposer même qu’une faute ait été commise lors de la détermination du prix des apports, elle ne peut pas constituer un manquement aux obligations contractuelles de la coopérative dans ses rapports avec chacun des associés, la coopérative étant dans ce cadre tenue d’appliquer le tarif tel que décidé en assemblée générale.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la SAS Vignobles de Mouchottes et la Selarl MJRS es qualité d’administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de ladite SAS échouent à démontrer l’existence de manquements contractuels de la SCA La Cave des Hautes Côtes justifiant le prononcé à ses torts de la résolution du contrat liant les parties. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Pour le surplus, la SCA La Cave des Hautes Côtes ne reprend pas devant la cour ses prétentions concernant les vendanges 2019, concluant à la confirmation du jugement.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la demande de sursis à statuer présentée par la SAS Vignobles des Mouchottes,

Déboute la SAS Vignobles des Mouchottes de sa demande de sursis à statuer,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Dijon du 4 novembre 2019 en toutes ses dispositions,

Condamne la SAS Vignobles des Mouchottes aux dépens de la procédure d’appel,

Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Vignobles des Mouchottes à verser à la SCA La Cave des Hautes Côtes 4 000 euros pour ses frais liés à la procédure d’appel,

Déboute la SAS Vignobles des Mouchottes de sa demande de ce chef.

Cour d’appel Dijon 2e chambre civile 2 Décembre 2021 Répertoire Général : 19/01735

Associé coopérateur – créance – liquidation de la coopérative agricole – déclaration de créance

Le débat porte sur la possibilité offerte à un coopérateur de déclarer sa créance au titre de ses parts sociales au passif de liquidation de la SCA dans laquelle il est associé.

Pour soutenir la recevabilité, et le bienfondé, de sa déclaration de créance, M. R. fait notamment valoir que le contrat coopératif est, dans les faits, résilié suite au jugement de liquidation de la société coopérative ; que dès lors que celle-ci ne remplit plus ses obligations à l’égard de ses associés, il y a lieu à remboursement du capital social détenu par ces derniers ; qu’en application de l’article 15 des statuts, les parts sociales sont la propriété de l’agriculteur coopérateur ; que selon l’article 18, les parts sociales donnent lieu à remboursement pendant la durée de la société coopérative même si elle a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ; qu’il est donc recevable et fondé à déclarer entre les mains du mandataire judiciaire le montant de son capital social, créance qu’il détient en sa qualité d’associé coopérateur et dont il est en droit d’obtenir le remboursement sauf à décider de purement et simplement annuler le capital social détenu par lui alors même que ce capital social constitue pour lui un actif et une créance.

Les SCA sont des sociétés de services organisées conformément aux principes coopératifs. Elles ne poursuivent pas un but lucratif et ont pour mission exclusive de favoriser le développement des exploitations de leurs adhérents, ce qui emportent l’obligation, en application de l’article L.521-3 du code rural, de ne faire d’opérations qu’avec leurs seuls associés coopérateurs, ce dont il résulte que tout adhérent en est à la fois associé et client, situation qui est de nature à générer des intérêts contradictoires.

Elles se caractérisent aussi par le fait que leur capital social est variable, chaque adhérent bénéficiant d’un droit de retrait qui a pour corollaire celui de demander le remboursement des parts sociales à la société. Cependant le remboursement des parts sociales, bien que de principe, se heurte dans certains cas à des obstacles tenant notamment à la nécessité de maintenir le capital social, qui constitue le gage des créanciers, à un niveau au moins égal au 3/4 du montant le plus élevé constaté par une assemblée générale depuis la constitution.

Il en résulte que si en principe les créanciers sont soumis à l’obligation de déclarer leur créance en cas d’ouverture de procédure collective, un sort différent doit être réservé aux coopérateurs qui, du fait de de leur double qualité, ne sont pas des créanciers ordinaires ni classiques. C’est ainsi que l’intimée oppose justement que si les qualités d’associé et de créancier de la même société ne sont pas incompatibles, encore faut-il que la créance dont l’associé veut obtenir remboursement soit étrangère à sa qualité d’associé ou de membre ; que tel n’est pas le cas des parts sociales qui représentent la contribution et le risque que l’associé accepte de courir du fait de son engagement au sein de la société et dont la valeur n’appartient pas au passif qu’elles ont au contraire vocation à apurer ; que c’est d’ailleurs pour cette raison que le capital social devient immédiatement exigible lorsqu’une procédure collective est ouverte, afin d’accroître le gage des créanciers.

Les coopérateurs ne sont donc pas tenus de déclarer leur créance tenant au montant de leurs parts sociales. Outre que leur imposer – ou leur offrir ‘ cette option serait de nature à amputer illicitement le capital social, l’intimée est fondée à faire valoir en outre que le sort de cette créance particulière est expressément prévu par les statuts de la SCA qui prévoient que le remboursement auquel les coopérateurs peuvent légitimement prétendre à ce titre sera mis en oeuvre après le remboursement des créanciers s’il subsiste un bonus boni de liquidation après paiement du passif social, et que le sort des coopérateurs se distingue enfin de celui des créanciers ordinaires en ce qu’ils restent indéfectiblement liés à la procédure du fait de leur qualité d’associés, qui les préserve de l’exclusion de la procédure collective qui sanctionne l’absence de déclaration de créance pour les créanciers ordinaires.

Il y a lieu en conséquence, M. R. ne disposant pas, au titre du remboursement de ses parts sociales, d’une créance soumise à la procédure de déclaration de créance, de confirmer l’ordonnance qui a rejeté la créance pour la somme de 12 800 euros.

Cour d’appel, Bordeaux, 4e chambre civile, 16 Juin 2020 – n° 19/00625

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