Catégorie : résiliation

BAIL RURAL – Statut du fermage et du métayage – Domaine d’application – Nature et superficie des parcelles – Moment d’appréciation – Date de conclusion du bail ou de renouvellement du bail –

RESUME

En application de l’article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement
Cassation


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUIN 2024

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 avril 2022), le 31 juillet 1989, [Z] [R] et [W] [F], son épouse, ont consenti à M. [N] un bail rural à long terme pour une durée de dix-huit ans à compter du 1er avril 1989 portant sur diverses parcelles dont l’une a été divisée en six parcelles suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009.

2. Par acte du 26 mai 2010, un partage est intervenu entre les héritiers de [Z] [R] et [W] [F], et M. [R] s’est vu attribuer une parcelle issue de la division de l’une des parcelles données à bail suivant le document d’arpentage précité.

3. Il a reçu, par acte du 10 septembre 2010, une donation de son frère portant sur deux autres parcelles incluses dans ce document.

4. M. [R] a délivré congé pour les trois parcelles précitées à M. [N] par acte du 28 mars 2019 à effet au 30 septembre 2019, se prévalant du régime des petites parcelles.

5. M. [N] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [N] fait grief à l’arrêt de constater la validité du congé, alors « que des parcelles données à bail ayant une superficie inférieure au seuil maximum fixé par arrêté du préfet du département relèvent du statut du fermage si elles sont issues d’une division du bien loué intervenue depuis moins de neuf ans ; que le statut du fermage demeure applicable jusqu’à l’expiration du bail renouvelé au cours duquel la division du fonds donné à bail est intervenue, de sorte que la condition de délai de neuf ans, qui commence à courir à partir de la date de la division, doit être appréciée à la date du renouvellement de ce bail ; qu’en retenant, pour dire que les parcelles A [Cadastre 3], A [Cadastre 4] et A [Cadastre 5] échappaient partiellement au statut du fermage et valider le congé délivré le 28 mars 2019 pour le 30 septembre 2019, qu’il résultait de l’acte de partage du 10 septembre 2010 que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] avait été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objet du congé, suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009, de sorte qu’à la date de la délivrance du congé, la condition de neuf ans était remplie, après avoir constaté que le bail s’était tacitement renouvelé 1er avril 2016, ce dont il résultait qu’à cette date, la condition de neuf ans n’était pas remplie, la cour d’appel a violé l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-1 et L. 411-3 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-47 et L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime :

7. Selon le premier de ces textes, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.

8. Aux termes du premier alinéa du second texte, après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l’autorité administrative fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d’une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3. La nature et la superficie maximum des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location sont celles mentionnées dans l’arrêté en vigueur à cette date.

9. Aux termes du deuxième alinéa de ce second texte, la dérogation prévue au premier alinéa ne s’applique pas aux parcelles ayant fait l’objet d’une division depuis moins de neuf ans.

10. L’indivisibilité du bail cessant à son expiration, dès lors que le bail renouvelé est un nouveau bail, la nature et la superficie des parcelles susceptibles d’échapper aux dispositions d’ordre public relatives au statut du fermage doivent être appréciées au jour où le bail a été renouvelé (3e Civ., 1er octobre 2008, pourvoi n° 07-17.959, Bull. 2008, III, n° 142).

11. Il en résulte que le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement.

12. Pour valider le congé, l’arrêt retient que la division s’entend, en l’espèce, du morcellement d’une parcelle par le biais d’une division parcellaire et non d’un simple allotissement dans le cadre d’une procédure de partage, et que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] a été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objets du congé, suivant document d’arpentage établi le 30 novembre 2009, et énonce que, si la division parcellaire est intervenue durant la durée initiale d’exécution du bail, un congé ne peut être donné qu’à l’issue d’un délai de neuf ans à compter du renouvellement de celui-ci, mais que, si la division intervient, alors que le bail a déjà été renouvelé, alors le délai de neuf ans commence à courir à compter de la division parcellaire.

13. Elle en déduit qu’à la date de la délivrance du congé, le 28 mars 2019, la condition de neuf ans qui a commencé à courir avant la fin de l’année 2009 était remplie, dès lors que cette division était intervenue alors que le bail rural était déjà renouvelé, échappant ainsi au principe d’indivisibilité.

14. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le bail en cours s’était renouvelé le 1er avril 2016, soit moins de neuf ans après la division intervenue par acte de partage du 26 mai 2010, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 avril 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Douai autrement composée ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.

Cour de cassation 3 juin 2024 Pourvoi n° 22-18.861

La modification de destination des récoltes cultivées sur une parcelle louée ne constitue pas un motif de résiliation du bail

Sénat, Réponse ministérielle n°23166, 6 janvier 2022

Le Gouvernement précise que la modification de destination des récoltes cultivées sur une parcelle louée ne peut, à elle seule, être un motif de résiliation du bail.

❔La question

Le Gouvernement a été interrogé sur la résiliation du bail rural, et plus particulièrement sur la possibilité pour une commune de résilier le bail rural conclu au profit d’un agriculteur qui, au lieu de consacrer sa production à l’alimentation humaine ou animale comme ce qu’il faisait en début de bail, la consacre désormais entièrement à la méthanisation.

💡 La réponse

Les conditions de résiliation d’un bail rural sont régies par les dispositions du code rural et de la pêche maritime (CRPM) relatives au statut du fermage. Les parties au contrat ne peuvent organiser par avance la résiliation du bail soumis à ce statut, en raison du caractère d’ordre public de ce dernier. Pour autant elles disposent de la faculté, en cours de bail, de s’entendre pour mettre fin au contrat.

L’article L. 411-31 du CRPM et l’article 1766 du code civil, auquel renvoie l’article L. 411-27, alinéa 1er du CRPM, définissent l’essentiel des conditions de résiliation pour faute du preneur. Soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, la résiliation est encourue lorsque les agissements du preneur sont « de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds » (article L. 411-32, I, 2°), lorsqu’il y a péril pour l’exploitation du fonds et pour le fonds lui-même. À cet égard la jurisprudence tient compte de l’évolution des conditions de production agricole, notamment des mesures destinées à protéger l’environnement. En outre, lesdits manquements motivant une résiliation comprennent les agissements qui sont susceptibles de compromettre la bonne exploitation du fonds dans l’avenir.

Sur le fondement de l’article 1766 du code civil, la jurisprudence ne reconnaît pas que le changement d’activité, dans le cas présent la modification de la destination des récoltes, puisse fonder une demande de résiliation si ce changement ne remet pas en question la bonne exploitation du fonds. Le fait que le preneur consacre désormais la totalité de la production céréalière issue du terrain loué à la méthanisation et non plus à l’alimentation animale et humaine ne constitue pas un motif suffisant de résiliation, si le bailleur ne démontre pas par ailleurs une remise en cause de la bonne exploitation du fonds. Enfin, la résiliation du bail pour faute du preneur n’intervient pas de plein droit et doit être demandée en justice. La demande est recevable jusqu’à la fin du bail.

Plus généralement, le Gouvernement est attaché à ce que soit mise en œuvre une méthanisation agricole permettant de maintenir un équilibre entre les destinations alimentaires et énergétiques pour les cultures sur l’ensemble du territoire national. À cet effet, l’article D. 543-292 du code de l’environnement dispose que les installations de méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes peuvent être approvisionnées par des cultures alimentaires ou énergétiques, cultivées à titre de culture principale, dans une proportion maximale de 15 % du tonnage brut total des intrants par année civile.

Entreprise agricole > Baux rurauxDate : 10 janvier 2022La rédactionSource :

BAIL RURAL et RESILIATION pour usage contractuellement différent et utilisation de méthodes culturales

Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-25.460

– Le preneur s’expose à la résiliation s’il emploie la chose à un autre usage que celui auquel elle a été contractuellement destinée de sorte que même dans un bail ordinaire, une clause prévoyant des méthodes de culture respectueuses de l’environnement n’est pas contraire à l’ordre public statutaire.

– L’application de méthodes conventionnelles sur des parcelles vouées à la production biologique peut caractériser les agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds justifiant la résiliation pour faute du preneur.

– Cette décision très novatrice révèle que la liberté économique traditionnellement reconnue au fermier peut être limitée par certaines clauses du bail lui imposant un mode de production.

Droit rural n° 483, Mai 2020, comm. 89

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