Document: Droit rural n° 488,
Décembre 2020, étude 35
Droit rural n° 488, Décembre 2020,
étude 35
La SCIC : un modèle d’avenir
pour les coopératives agricoles ?
Etude
par Bastien BRIGNON
maître de conférences HDR à Aix-Marseille universitémembre du centre de
droit économique (UR 4224) et de l’institut de droit des affaires
(IDA)directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés
et Bernard
HAWADIER avocat au Barreau de
DraguignanCabinet « VINOLEX »
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La société coopérative d’intérêt
collectif (SCIC) est une société hybride : véritable coopérative, elle est
également une société commerciale. Possédant des caractéristiques propres,
telles que la fiscalité des réserves impartageables, ou encore la possibilité
de dépasser le seuil des 20 % d’approvisionnement extérieur maximal imposé
aux coopératives, elle pourrait être une réponse, autre que la simple
filialisation au moyen d’une société commerciale, aux difficultés que peuvent
rencontrer les unions de caves viticoles en termes de gouvernance et de besoin
de financement.
1. – Au chapitre des sociétés à statut
spécial voire très spécial, il en est une qui mérite attention : la
« SCIC », coopérative d’intérêt collectif. Il s’agit d’une société, à
forme commerciale, régie par les articles 19 quinquies à 19 sexdecies A inclus
de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la
coopération. La SCIC est ainsi une société coopérative. Mais, elle est aussi
une société à forme commerciale puisque selon l’article 19 quinquies
précité les SCIC sont des sociétés anonymes, des sociétés par actions
simplifiées ou des sociétés à responsabilité limitée à capital variable. Elle
se trouve dès lors régie tant par la loi de 1947 précitée que par le Code de
commerce. D’où la question de sa nature juridique qui confine à l’hybridation,
et surtout de son intérêt et de son utilité dans le secteur coopératif, en particulier
celui des coopératives agricoles, et plus particulièrement encore au sein des
unions de caves viticoles. En effet, nombre d’unions de caves ont d’ores et
déjà fait le choix de la SCICNote 1 et ce, afin d’organiser des levées de fonds, sur le modèle
d’un financement participatif, leur permettant ainsi de croître et d’acquérir
également de nouvelles terres à cultiver, tout en préservant l’identité
territoriale.
2. – Les unions de caves coopératives
sont confrontées aujourd’hui à diverses problématiquesNote 2 : croître de manière à
concurrencer efficacement les acteurs commerciaux du négoce de produits
agricoles, et par voie de conséquence satisfaire aux exigences des projets
d’investissement, de restructuration et de développement en répondant aux
attentes légitimes des coopérateurs par rapport à leurs rémunérations, faire
évoluer leur structure juridique au mieux des intérêts des coopérateurs et de
leurs coopératives avec un maximum de proximité et d’intéressement, obligation
de résoudre à court et moyen terme le problème lié au dépassement récurrent du
seuil des 20 % d’approvisionnement extérieur maximal imposé aux
coopératives, etc. De ces points de vue, la SCIC offre des opportunités et des
perspectives intéressantes, pour les producteurs eux-mêmes mais pas seulement,
si bien que la question se pose, pour nombre d’unions de caves viticoles, d’un
passage en SCIC par la voie de la transformation (2) . Toutefois, en ce qu’elle applique à la fois les règles des
coopératives et celles des sociétés commerciales, la SCIC peut apparaître comme
paradoxale (1) .
1.
Le paradoxe de la SCIC
3. – La création de la SCIC s’inscrit
dans l’évolution et le développement historique des sociétés coopératives. Elle
est une variante originale et novatrice destinée à répondre à des besoins
identifiés. La loi fondatrice du droit coopératif contemporain est celle du
10 septembre 1947. Elle a défini la coopérative de manière duale. Elle
tend à supprimer des intermédiaires mais aussi vise à l’amélioration quantitative
ou qualitative de la situation économique de ses membresNote 3. Il résulte de ce texte que la
finalité de la coopérative est incompatible avec celle attribuée par la loi aux
sociétés. Mais cette loi comportait des lacunes résultant du renoncement à un
régime juridique autonome et donc du renvoi général au droit des sociétés.
4. – Plusieurs réformes sont intervenues.
Celles de l’ordonnance du 26 septembre 1967, puis de la loi du
27 juin 1972 et celle de la loi du 13 juillet 1992 destinée à
promouvoir le développement des outils financiers afin de renforcer les fonds
propres des sociétés coopératives, pour ne citer qu’elles. La création de la
SCIC est intervenue avec la loi du 17 juillet 2001 complétée ensuite pas
le décret du 21 février 2002. David Hiez souligne qu’elle a été le fruit
d’une lente évolution et le produit d’un contexte politique particulierNote 4. Dans sa thèse, Julie DurochNote 5 écrit que la SCIC est le résultat
de la réflexion conjuguée des pouvoirs publics et du monde coopératif et
associatif, sur fond d’engagements électoraux visant à créer un tiers secteur
d’utilité sociale et écologique dans un contexte de tensions entre l’administration
fiscale et les groupements à but non lucratifNote 6. Hélène Azarian pour sa part estime
qu’elle se situe au confluent d’une double volonté celle du mouvement
coopératif de lutter contre le faible développement des coopératives en
suscitant la création d’une nouvelle forme juridique et la volonté des pouvoirs
publics qui recherchaient un statut permettant à des activités payantes une
utilité sociale d’échapper aux limites du statut associatif de la loi du
1er juillet 1901Note 7. La SCIC apparaît par conséquent comme une coopérative (A)
innovante (B) .
A. –
Une coopérative parmi d’autres
5. – L’identité coopérative est une
notion autant idéologique que juridique. Selon nombre d’auteurs la coopération
agricole est « fille de la misère et de la nécessité »Note 8. Claude Vienney écrit que
« les coopératives ne sont pas des organisations quelconques mises à jour
et identifiées par une forme et des règles qui fondent leur spécificité
institutionnelle même lorsqu’elles se forment et fonctionnent ou lorsqu’elles
sont utilisées dans des contextes apparemment différents »Note 9. Malgré la loi du 10 septembre
1947, certains auteurs vont jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas de définition de
la coopérative dans la loi françaiseNote 10.
6. – C’est l’alliance coopérative
internationale (« ACI ») qui l’a définie en 1995 dans la déclaration
de ManchesterNote
11
reprise par la recommandation n° 193 de l’OIT du 3 juin 2002Note 12 : « la société
coopérative est un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour
satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels
communs, au moyen d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont
collectives et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes
coopératifs ».
7. – Selon David Hiez les principes
coopératifs sont : la double qualité, l’exclusivisme, la porte ouverte, la
démocratie, l’a-capitalisme, la formation et le fédéralismeNote 13. La loi de 1947 fait expressément
référence à ces principes coopératifs dans son article 11 mais de manière
incidente pour marquer les limites aux avantages qui peuvent être conférés aux
porteurs de parts à avantages particuliers. Ce qui conduit le professeur David
Hiez à s’interroger sur l’opposition éventuelle entre un ordre public coopératif
résultant de la loi du 10 septembre 1947 et les principes coopératifs
définis sur le plan international. Dans la filiation du travail d’Olivier FreyNote 14, Julie Duroch pour sa part recense
quatre principesNote
15 :
l’adhésion volontaire et ouverte à tous, la gouvernance démocratique, la
participation économique de ses membres et la formation des membres de la
coopération avec les autres coopérativesNote 16.
8. – Indépendamment du contenu de ces
principes, il est intéressant de relever ici avec David Hiez que nous sommes
face à un concept de droit souple dont la force juridique est aussi incertaine
qu’aléatoire. Par ailleurs, les valeurs ainsi recensées vivent et trouvent leur
force contraignante et fédératrice dans des coopératives qui prennent la forme
de sociétés atypiques particulièrement dans le domaine agricole qui nous
intéresse. C’est dans ce contexte que s’inscrit la SCIC.
9. – L’innovation principale de la SCIC
est d’être une coopérative multi-sociétaire permettant la réalisation d’un projet
économique commun entre des associés ayant des rôles différents (Salariés,
usagers, producteurs, investisseurs, collectivités locales)Note 17. Les sociétés coopératives
d’intérêt collectif ont un statut à part dans le monde coopératif. Leur
spécificité résulte, d’une part, de l’abandon d’un certain nombre des valeurs
que nous venons d’identifier, même si la force juridique de ces dernières reste
sujette à caution, et, d’autre part, d’une définition légale sur la portée de
laquelle il convient de s’interroger.
10. – Il est remarquable de constater que
cette société ne fait pas l’objet de dispositions spécifiques. Les textes qui
la régissent ont été directement intégrés dans la loi du 10 septembre 1947
aux articles 19 quinquies à 19 sexdecies A inclus. Dans ces conditions, quels
sont les principes coopératifs que les textes relatifs à cette société prennent
en compte ?
11. – D’abord, la SCIC s’éloigne du schéma
de principe de toute coopérative qui repose sur les qualités d’associé et de
collaborateur. La SCIC ferme les assemblées dans le cadre de collèges. Ainsi,
le cercle coopératif s’élargit-il en laissant par ailleurs une relative liberté
au fondateur puisque, si certains collèges sont imposés, d’autres peuvent être
librement définis. C’est le multi-sociétariat. C’est aussi la fin de
l’exclusivisme puisqu’il n’y a pas qu’une seule catégorie d’associés. Ensuite,
la SCIC dispose d’une certaine liberté dans la rédaction de ses statuts lui
permettant de s’éloigner du principe démocratique « un homme une
voix »Note
18.
Par ailleurs, le principe de gestion altruiste est maintenu dans la SCIC ;
il se traduit par la notion d’impossibilité de partager les réserves. L’associé
n’a pas le droit au partage des bénéfices. À son départ, il ne peut obtenir que
le remboursement de son capital. Quant à la répartition des excédents, on parle
ici de la notion de ristourne, elle est interdite dans les SCIC.
12. – Ce faisant, cette nouvelle forme de
société s’intègre dans un monde identifié à partir de valeurs marquées par leur
ambiguïté et un défaut de force juridique clairement affirmé. Pour autant, nul
ne peut contester la puissance idéologique et politique du monde coopératif et
la volonté de ses acteurs comme de l’État de préserver l’identité comme l’unité,
précisément au regard de ses principes dont la préservation est confiée au Haut
Conseil de la coopérative agricole (HCCA)Note 19. C’est au demeurant ce qui fait
tout le paradoxe de ce monde bien particulier, notamment dans le domaine
agricole, dans lequel les coopératives sont assorties d’un certain nombre de
contraintes en particulier quant à leur forme juridique sui generis.
13. – La SCIC déroge donc à certains des
principes coopératifs, tel que l’exclusivisme, compte tenu de son objet spécifique
défini par la loi. Les SCIC ont en effet « pour objet la production ou la
fourniture de bien et de services d’intérêt collectif qui présentent un
caractère d’utilité sociale »Note 20. Ainsi, la constitution d’une SCIC,
bénéficiant de son caractère dérogatoire, est-elle conditionnée à cette double
référence à la fourniture de biens et services d’intérêt collectif ainsi qu’à
leur utilité sociale. À l’origine elle était d’ailleurs soumise à l’agrément
préfectoral qui a disparu avec la loi du 22 mars 2012.
14. – Que doit-on entendre par intérêt
collectif et par utilité sociale ? L’intérêt collectif témoigne de
l’abandon du seul intérêt des associés coopérateurs ayant cette double qualité
et par voie de conséquence de l’exclusivisme marqué par la coopérative, bien
qu’il ait été partiellement remis en cause par la possibilité de traiter
20 % des achats à l’extérieur de la coopérative. Il s’agit donc de
rechercher un autre intérêt de nature collective dont la définition reste
jusqu’à ce jour particulièrement évasive et susceptible d’être nourrie par des
projets aussi divers que variés. Il en est de même de l’utilité socialeNote 21.
15. – Au demeurant, la loi et le décret
sont particulièrement elliptiques à ce sujetNote 22. Quant à la jurisprudence, elle est
inexistante, de telle sorte que pour un temps assez long le droit positif
résultera de la pratique. Laquelle pratique sera sans doute inspirée par l’un
des rares textes existant à savoir une circulaire du 18 avril 2002 qui
renvoie elle-même à différents textes généraux en matière d’économie sociale et
solidaire, qu’il s’agisse de la notion de service d’intérêt collectif ou du
caractère d’utilité socialeNote 23. Cette coopérative à l’identité particulière se différencie
par ailleurs des autres sociétés du monde coopératif et particulièrement des
sociétés coopératives agricoles par sa forme juridique.
B. –
Une forme sociale innovante dans le monde de la coopération
16. – La forme juridique sociale d’une
coopérative a des conséquences déterminantes sur son mode de fonctionnement.
Toute l’originalité de la SCIC doit s’apprécier au regard du cadre général du
droit de ces groupements originaux que sont les sociétés coopératives.
17. – Au sein de ce monde coopératif, les
sociétés coopératives agricoles ont leurs spécificités. Celles-ci sont
caractérisées par « l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous
moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à
améliorer ou à accroître les résultats de cette activité ». Les sociétés
coopératives agricoles sont une catégorie spéciale de sociétés, à capital
variable, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales,
disposant de la personnalité morale et de la pleine capacité juridique (C. rur., art. L. 521-1).
Elles constituent une véritable originalité dans le droit français.
18. – C’est le législateur qui, en 1972, a
définitivement tranché, qualifiant ces sociétés de « ni civiles, ni
commerciales ». La loi et les décrets organisent un statut complet qui se
suffit pratiquement à lui-même selon Chantal ChomelNote 24. Elles se distinguent des sociétés
commerciales à bien des égards, conformément à la jurisprudence de la
CJUE : « Les coopératives ne sauraient en principe être considérées
comme se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable à celles
des sociétés commerciales »Note 25. Cette forme juridique sui
generis conduit à l’établissement de statuts typesNote 26.
19. – L’objet des coopératives agricoles
est défini par la loi et complété par l’article R. 521-1 du Code rural et
de la pêche maritime. Cet objet est étroitement lié à l’activité agricole des
exploitations membres de la coopérative. La coopérative est le prolongement de
l’exploitation de ses membresNote 27. Il en est de même pour leurs unions.
20. – Les particularités de ce contexte et
la volonté du législateur de répondre à ces différentes attentes constituent
très certainement l’explication du paradoxe que constitue cette société d’une
nouvelle forme totalement inédite dans le droit des coopératives comme dans
celui des sociétés. Inspirées des attentes du tissu associatif, contraint par
un régime juridique considéré comme étant restrictif, elles se nourrissent à la
fois partiellement des valeurs coopératives définies dans la loi de 1947 et des
outils juridiques mis à leur disposition par le statut des sociétés
commerciales.
21. – La SCIC est donc en rupture totale
avec le régime juridique des sociétés coopératives agricoles, ni civiles ni
commerciales, puisqu’elle est expressément commerciale, et que les statuts sont
ceux des sociétés commerciales de droit commun, avec la possibilité pour les
associés de choisir l’une quelconque de ces formes, qu’il s’agisse de la SARL,
de la SA ou encore de la SAS, la seule condition étant de choisir une société
dont la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports.
22. – Malgré les limites de son objet,
malgré l’objectif d’utilité sociale, le législateur définit bien la SCIC comme
étant une société commerciale ; cependant, elle est aussi une société
coopérative. Cette dualité déjà trouvée dans le monde coopératif a-t-elle des
conséquences sur la nature juridique de cette société ? Si elle est une
coopérative, elle ne l’est pas selon le schéma habituel puisqu’elle n’est pas
constituée pour servir les intérêts de ses coopérateurs mais un intérêt
collectif d’utilité sociale lui donnant ainsi vocation à servir des intérêts
parfois divergents, et en tous les cas multiples que l’on retrouvera dans les
différents collèges qui seront constitués pour permettre le fonctionnement de
cette société. On le voit, le régime juridique de la SCIC est le produit d’une
greffe coopérative et associative sur un arbre commercial, ce qui lui confère
une nature spécifique sans pour autant en faire une société coopérative
répondant aux canons habituels et de droit commun et encore moins à ceux des
sociétés coopératives agricoles. Toutefois, force est de constater que la loi
ne contient aucune interdiction pour une société coopérative agricole d’adopter
cette forme juridique singulière, particulière, spécifique dès lors qu’elle
inscrit son activité dans l’objet de la SCIC c’est-à-dire un intérêt collectif
d’utilité sociale. Dans ces conditions, quid
de la transformation d’une société coopérative agricole ou d’une union de
coopératives en SCIC ?
2.
La société coopérative agricole transformée en SCIC
23. – En l’absence d’interdiction formelle
et de contradictions entre l’activité agricole d’une coopérative et la
poursuite d’un intérêt collectif d’utilité sociale parfaitement compatible avec
les valeurs du monde agricole, voire celles de la coopération en général, la
question se pose du choix d’une forme de société commerciale pure. Il s’agira
de répondre à un certain nombre d’attentes et d’exigences qui résultent à la
fois de l’extension du champ d’activité sous couvert de l’intérêt collectif
d’utilité sociale, mais aussi de la recherche des outils les plus performants
et les plus adaptés à la mise en œuvre d’une gouvernance en cohérence avec les exigences
du développement d’une activité concurrentielle et complexe dans le cadre
d’importantes unions de coopératives agricoles.
24. – Pour certains auteurs, il y aurait
un paradoxe selon lequel la SCIC aurait une identité coopérative à la fois
renforcée et dénaturéeNote 28. Nous souscrivons à cette analyse : cette dualité
caractérise la SCIC ayant un objet imprégné d’une vocation agricole tenant à la
nature des produits élaborés et distribués.
25. – Il faut d’abord voir les
conséquences de l’abandon de certaines des valeurs comme l’exclusivisme ou
l’a-capitalisme qui vont modifier significativement les caractéristiques de la
SCIC (A) , avant d’étudier la
transformation proprement dite (B) .
A. –
Les effets de l’abandon de certaines valeurs coopératives
26. – Le choix d’un intérêt collectif
agricole d’utilité sociale comme étant l’objet même de la SCIC se traduit par
l’abandon de certaines des valeurs qui sont pourtant traditionnellement au cœur
de la coopérative agricole. Comme indiqué supra, la loi ne comporte pas
d’interdiction. Même si l’agrément préalable du préfet pour constituer une SCIC
ou pour transformer une coopérative en SCIC a disparu depuis 2012, les sociétés
coopératives sont soumises au contrôle notamment du HCCA ; il apparaît nécessaire
qu’une telle opération soit préalablement soumise aux autorités de contrôle. Il
peut même être envisagé la consultation préalable de l’État à travers son
préfet, anciennement titulaire du pouvoir d’autorisation, afin de recueillir en
amont son avis, à l’instar d’un rescrit fiscal. Sous cette seule réserve qui
nous apparaît de prudence plus que d’obligation, il convient donc d’envisager
le cadre et les conséquences de chacune des deux modifications essentielles
quant aux valeurs de la coopération à savoir, l’atteinte au principe de
l’exclusivisme et à celui de l’a-capitalisme.
27. – L’exclusivisme coopératif est la
contrepartie et le corollaire de la double qualité des coopérateurs. Le membre
d’une coopérative en est l’associé en même temps que l’entrepreneur. La
coopérative ne doit distribuer que les produits de ses associés dans la mesure
où son objet est celui-ci. Avec la SCIC, l’objet n’est plus le même. Il est de
poursuivre un objectif collectif d’intérêt social, de sorte que plus rien ne
justifie la règle de l’exclusivisme. Ce principe doit être analysé de manière à
déterminer quelle en est précisément la cause afin ensuite de s’assurer de ses
conséquences.
28. – Quel est le fondement juridique de
l’abandon de l’exclusivisme ? Selon l’article 3 de la loi du
10 septembre 1947, la coopérative ne doit rendre de service qu’à ses
membres. Ce principe est également affirmé dans l’article 1er, paragraphe
4 du règlement (CE) n° 1435/2003 relatif au statut de la société
coopérative européenne. L’exclusivisme est assimilable à la double qualitéNote 29. Considéré comme cardinal à
l’origine, l’exclusivisme a été mis en cause par la loi ESS du 31 juillet
2014 qui en a assoupli la rigueur, admettant ainsi la possibilité de
transactions limitées avec les tiers dans la proportion toutefois de 20 %
du chiffre d’affaires. Il a fallu attendre le décret du 1er juin 2015 pour
la mise en application effective de cette disposition afin de déterminer les
conditions dans lesquelles les coopératives peuvent prévoir, dans leurs
statuts, d’admettre des tiers non sociétaires à bénéficier de leurs activités.
La sanction du dépassement de ce plafond est déterminée par ledit décret,
lequel prévoit, dans ce cas, que « la coopérative régularise sa situation
en ne dépassant plus le seuil au plus tard à la clôture de l’exercice social
suivant celui du dépassement constaté ». S’agissant des coopératives
agricoles, la même règle doit être respectée, sauf hypothèse particulière de la
filialisation. Par conséquent, toute coopérative agricole qui se trouve dans
l’obligation de traiter plus de 20 % de son chiffre d’affaires avec des
tiers non associés doit dès lors avoir recours à la constitution de filiale. Il
en est ainsi lorsque les apports de ses adhérents ne suffisent pas pour satisfaire
aux besoins de la commercialisation qui a été mise en place.
29. – On le voit, malgré le tempérament
apporté en 2014, cette règle de l’exclusivisme est le corollaire de l’un des
principes fondateurs et cardinaux de la coopération et tout particulièrement de
la coopération agricole. En tant que telle, la dérogation apportée par la
solution de la transformation en SCIC ne peut donc être considérée comme
licite, sauf à ce que, en raison de la transformation de son objet, la société
coopérative puisse justifier d’un approvisionnement d’une autre nature et d’une
autre géographie de producteurs.
30. – La possibilité pour une coopérative
agricole transformée en SCIC de bénéficier ainsi d’un régime dans lequel elle
ne sera plus soumise à l’exclusivisme est déterminée par la transformation de
son objet. C’est l’unique condition, en même temps suffisante. Dès lors que la
transformation n’est pas purement formelle, c’est-à-dire qu’elle ne se réduit
pas à l’adoption de statuts d’une société commerciale, mais qu’elle correspond
réellement à la mise en œuvre d’un projet, qui ne se limite plus à celui
initial de la coopérative au sens classique du terme, mais qui est devenu celui
d’une SCIC associant à la fois la poursuite d’un objectif intérêt collectif colorée
d’utilité sociale, un approvisionnement non exclusif au-delà de 80 % ne
devrait pas pouvoir être contesté.
31. – Quant à l’interdiction de pratiquer
la ristourne, il s’agit certainement de l’un des points les plus sensibles sur
lequel la SCIC marque une rupture avec les sociétés coopératives en général et
les coopératives agricoles en particulier, sauf à observer qu’il ne s’agit
peut-être au final et en réalité que d’une différence formelle tant la pratique
est susceptible de s’organiser autrement ou de contourner ce type de
contraintes ou de fictions juridiques.
32. – La ristourne constitue l’une des
principales spécificités de la coopérative. La coopérative réalisant ces
opérations pour le compte de chacun de ses coopérateurs, ce mécanisme a été
imaginé de manière à ce que tous puissent bénéficier des excédents résultant en
fin d’exercice sous la forme d’une sorte de trop-perçu de la coopérative à leur
égard. Le vocabulaire juridique Cornu la définit comme « le reversement en
fin d’année, à un coopérateur, de sa part sur les résultats positifs annuelle
de la coopérative ». L’article 15 de la loi du 10 septembre 1947
dispose que « Nulle répartition ne
peut être opérée entre les associés si ce n’est au prorata des opérations
traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui ». Et Si les
associés ne peuvent prétendre au versement d’intérêt au capital, ils ont droit
en revanche à ce qui peut être considéré comme étant le produit de leur
activité, la coopérative étant « leur chose ». David Hiez fait
ressortir combien sa nature juridique est ambivalente et qu’elle peut, d’une
certaine manière, aussi bien être comparée à une forme de distribution de
dividendesNote
30.
Le professeur Saint-Alary écrit qu’elle est le « trop payé » réservé
aux coopérateursNote
31.
Marc Hérail rejoint cette analyse en soulignant qu’elle résulte de la vocation
de la coopérativeNote 32. L’administration fiscale les assimile d’ailleurs à la
restitution d’un trop-perçu aux associés (CGI,
art. 214-1, 1°).
33. – Elle se distingue du complément de
prix auquel fait référence en même temps qu’à la ristourne l’article
L. 521-3-1 du Code rural et de la pêche maritime qui considère que « la rémunération de l’associé
coopérateur » consiste dans le « paiement
du prix des apports de produits, des services ou des cessions
d’approvisionnement, notamment les acomptes et, s’il y a lieu, les compléments
de prix », et « les
excédents annuels disponibles » (les ristournes). Cette distinction
est néanmoins à l’origine de nombreux débats, certains considérant que les
ristournes constituent une partie des prixNote 33. La notion de complément de prix
n’est pas non plus sans poser de problème au regard de la détermination du prix
tant la question se pose de savoir si, en présence de ce complément, le prix
est ferme ou ne l’est pas.
34. – L’interdiction de la ristourne est
le corollaire du multi-sociétariat. Dès lors que les associés ne sont pas
exclusivement constitués par les producteurs et que l’activité de la
coopérative n’est plus la chose de ces derniers, il est inévitable de
distinguer clairement la question de la rémunération de celle du dividende et,
par voie de conséquence, de sortir de cette ambiguïté que nous venons de
décrire. Il y a là incontestablement une source de clarification. Le producteur
ne peut plus être rémunéré que par le prix de son service et/ou de son produit.
Il ne peut plus être question que de fixer un prix selon des critères qui ne
relèvent pas d’un rapport de société à associé mais de société à producteur.
D’un autre point de vue Julie Duroch explique très clairement qu’« à
l’évidence, la mise en œuvre du mécanisme de la ristourne s’avère impossible
dans une SCIC car les relations que celle-ci entretient avec ses associés ne
sont pas fondées unanimement sur la réduction du prix ou l’amélioration de la
qualité d’un produit service »Note 34.
35. – Dans une SCIC il y aura donc lieu de
contractualiser la relation entre cette dernière et les producteurs (les
coopérateurs de la coopérative classique) afin de définir de manière précise
les modalités de détermination du prix. À cet égard il sera parfaitement
envisageable d’imaginer la rédaction de clauses contenant un mécanisme de
détermination au sens du Code civil de telle sorte que le prix contenant une
partie fixe et une partie variable n’en sera pas moins définitivement fixé au
regard de la loi. Force est donc de constater que l’abandon de la ristourne
pourtant considéré comme emblématique de la coopérative ne se traduira pas par
une remise en cause des modalités de rémunération des producteurs associés et
anciens coopérateurs…
B. –
La transformation proprement dite
36. – C’est dans ces conditions que la
question peut se poser pour une coopérative agricole, ou une union de
coopératives, de se transformer en SCIC. D’un point de vue juridique, il s’agit
d’une transformation, ce qui signifie qu’il n’y a ni dissolution de l’union ou
de la coopérative ni création d’une SCIC, mais que l’union ou la coopérative
perdure, avec une continuité de la personnalité morale par application de
l’article 1844-3 du Code civil ; simplement change-t-elle de forme
sociale pour adopter les statuts d’une SCIC sous forme de SAS, SA ou SARL, son
capital social restant variable et son numéro RCS ne changeant pas. Ceci implique
une décision unanime des associés en faveur de la transformation en SCIC aux
termes d’une assemblée générale extraordinaire ; ceci implique
éventuellement l’intervention d’un commissaire aux comptes en vertu de
l’article L. 224-3 du Code de commerce, si du moins la forme choisie est
une société par actions et qu’elle ne comportait pas de commissaire aux
comptes.
37. – On rappellera en effet que selon
l’article 19 quaterdecies de la loi du 10 septembre 1947 :« La décision régulièrement prise par
toute société, quelle qu’en soit la forme, de modifier ses statuts pour les
adapter aux dispositions du présent titre n’entraîne pas la création d’une
personne morale nouvelle.Lorsqu’une société prend une telle décision, ses parts
ou actions sont converties en parts sociales. L’assemblée générale arrête la
valeur des parts, dont le montant peut être supérieur à celui de la valeur
nominale, détenues par les associés présents dans le capital lors de l’adoption
du statut de SCIC.[…]L’écart de valorisation qui peut résulter de l’opération
entre la valeur nominale des parts sociales annulées et la valeur déterminée
lors de la modification des statuts peut être comptabilisé, pour tout ou
partie, à l’actif du bilan de la société, dans les conditions fixées par un
règlement de l’Autorité des normes comptables ».Si la forme choisie
est la SAS, l’unanimité de l’article L. 227-3 du Code de commerce (texte
applicable à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, qui se
transforment en SAS), s’impose de manière cumulative avec l’article 19
quaterdecies précité.Dès lors, il pourrait être opportun d’organiser une
consultation préalable au sein de la coopérative ou de l’union des coopératives
afin d’anticiper les éventuelles oppositions à pareille transformation. En
présence d’associés hostiles au projet, il serait alors préférable de devancer
la difficulté et d’organiser le retrait ou l’annulation prévus par
l’article 19 quaterdecies, alinéa 3. Ainsi, les associés des
coopératives récalcitrants au projet de transformation, sortiraient avant la
transformation et une fois la réduction de capital faite, serait votée à
l’unanimité ladite transformation.
38. – Une dernière question peut être
envisagée, celle de la valorisation de la société à l’occasion de sa
transformation. Un commissaire à la transformation peut être amené à intervenir
si la SCIC opte pour une forme de société par actions. Celui-ci devra
nécessairement s’interroger sur le montant des capitaux propres et sur la
valeur nette des actifs, et en particulier de la marque de la société. Une
réévaluation (imposée par les règles comptables, dont le principe de sincérité)
n’est donc pas à exclure à l’occasion de la transformation, ce qui pourrait
constituer une opportunité très intéressante. En effet, en tant que coopérative,
la SCIC ne peut pas avoir de valeur patrimoniale. Cependant, la forte valeur de
certains actifs est incontestable, si bien que cette valorisation pourrait
apparaître au moment de la transformation de l’union ou de la coopérative en
SCIC.
39. – La SCIC ouvre des perspectives très
intéressantes. Elle n’est pas sans contrainte. Mais elle présente des avantages
indéniables en vue d’un développement différencié d’union de caves
coopératives, tout en conservant un attachement fort aux valeurs coopératives traditionnelles
qui peuvent être contractualisées dans les statuts en cas de choix de la forme
de SAS de manière par ailleurs à ne pas sortir d’un système coopératif dont les
fondements identitaires reviennent en vogue avec le développement des formes de
l’économie sociale et solidaire.▪
L’essentiel à retenir :
|
• La société coopérative d’intérêt
collectif (SCIC), tout en étant une véritable coopérative, est également une
société à forme commerciale.
• La SCIC dispose d’atouts
indéniables : possibilité de dépasser le seuil des 20 % des tiers
non sociétaires, réserves impartageables non fiscalisées, gouvernance
démocratique avec des collèges et catégories d’associés, réduction d’impôt
sur le revenu pour les particuliers, etc.
• Elle préserve les valeurs de toute
coopérative mais peut s’en extraire pour partie et ce, au service même des
coopérateurs et des coopératives, des producteurs et des consommateurs.
• Société a-capitalistique, la
SCIC ne peut pratiquer la ristourne.
• Dans le domaine vitivinicole, la
SCIC répond aux besoins de financement. Inscrite dans une logique de
développement local et durable, ancrée dans son territoire, la SCIC présente
un intérêt collectif et un caractère d’utilité sociale.
• La SCIC Valorise une marque, en
préservant en même temps l’identité territoriale et l’authenticité des
produits.
• La SCIC : de forme privée,
à caractère commercial, demeure d’utilité sociale et s’inscrit dans le
courant de l’économie sociale et solidaire.
|
Note
1 Ardèche Vignobles, Rhonéa Vignobles, etc.
Note
2 R. Rangeard, Les mutations du modèle
coopératif confronté au marché, G. Jazottes (dir.) : Th., université
de Toulouse, 2019.
Note
3 D. Hiez, Société coopérative :
Dalloz Action, 2018-2019, n° 021. 82.
Note
4 D. Hiez, préc., n° 022.51.
Note
5 J. Duroch, La société coopérative
d’intérêt collectif à l’épreuve du statut de la coopération et du droit des
sociétés, D. Gibirila (dir.) : Th., université de Toulouse, 2017.
Note
6 J. Duroch, thèse préc., p. 17,
n° 10.
Note
7 , JCl. Société Traité,
fasc. 170-90, 2019, n° 3, SCIC, par P. Le Vey et
H. Azarian. – Adde JCl. Sociétés Formulaire, fasc. S-1230, Sociétés
coopératives d’intérêt collectif, 2019, par H. Azarian.
Note
8 J. Defrouny, Pratiques coopératives et
mutations sociales : L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 1995,
p. 16.
Note
9 C. Vienney, Socio économie des
organisations coopératives : Paris, C.I.E.M., coll. Tiers secteur, 1980,
p. 8.
Note
10 C. Chomel, Le cadre juridique et la
gouvernance des coopératives agricoles dans les coopératives agricoles :
Larcier, 2014.
Note
11 Déclaration internationale :
www.ica.coop.
Note
12 Recommandation n° 193 :
www.ilo.org.
Note
13 D. Hiez, préc., n° 021.91 et s.
Note
14 O. Frey, in Les coopératives
agricoles : Larcier, 2015, p. 40 et 41.
Note
15 J. Duroch, thèse préc., p. 13.
Note
16 C. Chomel, La gouvernance des
coopératives agricoles à la lumière des récentes modifications
législatives : RD rur. 2017, étude 25.
Note
17 C. Chomel, préc., p. 70.
Note
18 C. Schmitt, Le principe « un
homme, une voix » dans les sociétés coopératives, J.-P. Legros
(dir.) : Th., université de Franche-Comté, 2015.
Note
19 www.hcca.coop
Note
20 L. 10 sept. 1947, art. 19
quinquies, al. 2.
Note
21 Préc., chap. 1, p. 33 et s.
Note
22 En ce sens : H. Azarian, préc.
Note
23 JCl. Sociétés, fasc. 170-90,
n° 13 et s., par P. Le Vey et H. Azarian.
Note
24 C. Chomel, préc., p. 75.
Note
25 CJUE, 8 sept. 2011, aff. C-78/08.
Note
26 www.juricoop.coop.
Note
27 C. Chomel, préc., p. 81 et s.
Note
28 En ce sens : J. Duroch, thèse
préc.
Note
29 L. Coûtant, L’évolution du droit
coopératif de ses origines à 1950 : RID comp. 1954, 6, 3, p. 587-589.
– D. Hiez, préc., n° 121-11.
Note
30 D. Hiez, préc., n° 334-13.
Note
31 R. Saint-Alary, Éléments distinctifs
de la société coopérative : RTD com. 1952, p. 485.
Note
32 M. Hérail, Aspects contractuels :
RD rur. 2011, dossier 9.
Note
33 M. Hérail, art. cit., n° 10.
Note
34 J. Duroch, thèse préc., n° 310.
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