- Structurer et renforcer les organisations de producteurs (OP)
L’un des objectifs du rapport est de consolider les organisations de producteurs afin d’améliorer leur pouvoir de négociation. Il encourage les agriculteurs à adhérer à des OP, la proposition 1 conditionnant l’accès à certaines aides à cette appartenance. Également, la proposition 2 entend relever le seuil de constitution des OP afin de réduire leur nombre et de renforcer leur concentration. Par ailleurs, des mécanismes de contrôle et sanctions seront prévus pour les manœuvres visant à contourner ou affaiblir les OP lors des négociations (proposition 3). - Renforcer la transparence dans les coopératives
Les coopératives, qui sont un outil central de la négociation collective, devront renforcer leur transparence. Notamment, les coopératives de grande taille se verront imposer d’informer régulièrement leurs membres des écarts entre la rémunération proposée et les coûts de production afin de garantir une meilleure redistribution des gains aux agriculteurs (proposition 4). - Inclure plus de filière dans les dispositions EGalim
Dans le but de sécuriser les revenus des agriculteurs, la proposition 6 préconise d’étendre l’obligation de contractualiser à des filières qui en étaient jusque-là exemptées, telles que celle des fruits et légumes destinés à la transformation et la filière viti-vinicole. Dans le même sens, la proposition 7 souhaite mettre en place un dispositif d’accompagnement spécifique notamment pour la filière bovine, où des expérimentations locales seront menées pour promouvoir la contractualisation. - Simplifier les outils d’évaluation des coûts de production des agriculteurs
Afin de permettre aux producteurs de calculer plus facilement leurs coûts de production et de les comparer à ceux de la filière ou à l’indicateur de référence, un outil gratuit sera développé et mis à leur disposition conformément à la proposition 8. - Offrir un cadre juridique plus cohérent et lisible
La proposition 9 a vocation à simplifier le rapport juridique afin de rendre les contrats plus clairs et plus adaptés aux réalités des filières. Les producteurs devront proposer des contrats simplifiés, et les acheteurs seront tenus d’accepter ou de proposer une alternative en cas de refus. - Simplifiier les règles de négociation
Afin de responsabiliser les acheteurs et simplifier la négociation, la proposition 10 prévoit d’obliger les acheteurs à proposer un contrat en cas de refus délibéré de transmission par le producteur des éléments essentiels de la proposition de contrat. Également, en vertu de la proposition 11, la durée des contrats devra être adaptée selon les spécificités des filières pour correspondre aux cycles de production. Enfin, une date butoir amont pour la signature des contrats sera instaurée pour garantir que les accords soient conclus avant la mise en marché des produits (proposition 13). - Mieux réguler la formation du prix sur l’amont en renforçantles indicateurs de coûts de production
Les indicateurs de coûts de production jouent un rôle central dans la fixation des prix. Pour cela, des indicateurs actualisés qui prendront en compte la productivité des filières devront être élaborés et utilisés dans les formules de prix (Propositions 14 et 15). De plus, s’agissant de ces formules, la proposition 16 prévoit que la pondération des coûts de production devra être supérieure à 50 % afin de garantir une juste rétribution des agriculteurs. - Assurer la transparence sur l’origine des matières premières agricoles dans la négociation
Afin de renforcer la confiance sur l’origine des matières premières agricoles, la proposition 17 entend imposer aux fournisseurs d’informer les distributeurs sur l’origine française ou non des matières premières agricoles. Si l’origine française est revendiquée, elle devra être justifiée. Ce point apparaît essentiel afin de promouvoir les produits français et renforcer par la même occasion la confiance des consommateurs. - Lutter contre les abus commerciaux en clarifiant la notion de prix abusivement bas
Pour éviter les abus dans les négociations tarifaires, les distributeurs devront justifier toute demande de baisse de prix de manière quantitative. En parallèle, conformément à la proposition 19, des lignes directrices seront élaborées par la DGCCRF afin de préciser les situations de prix abusivement bas, facilitant ainsi leur identification et sanction. - Mieux assurer le séquencement des négociations d’aval et d’amont
Les auteurs se sont interrogés sur l’opportunité d’assouplir le cadre contractuel. A cet effet, la proposition 13 bis prévoit l’instauration d’une date butoir mobile au plus tard 3 mois après la transmission par le fournisseur de ses CGV. Le fournisseur resterait libre de choisir la date d’envoi de ses CGV, sous réserve d’avoir préalablement conclu ses contrats d’approvisionnement en matières premières agricoles. - Simplifier les conditions de la négociation commerciale
Dans un souci de simplification et de fluidification des négociations commerciales, le rapport avance trois propositions.
La proposition 20 vise tout d’abord à fusionner les options actuelles en proposant aux fournisseurs de présenter des informations agrégées sur l’origine et la part des trois principales matières premières agricoles entrant dans la composition de leurs produits. La proposition 21 préconise la suppression des dispositions du Code de commerce et du Code rural concernant la révision automatique des prix. Enfin, la proposition 22 recommande de rendre les clauses de renégociation des prix facultatives à moins qu’elles ne soient inscrites dans les conditions générales de vente. Dans ce cas, elles seront obligatoires, mais leur contenu restera soumis à la libre négociation des parties. - Pérenniser l’encadrement des promotions
Avec la proposition 23, l’encadrement des promotions sera pérennisé. Il s’agira notamment de limiter les rabais excessifs sur les produits alimentaires afin de protéger les marges des producteurs. De plus, la proposition 24 entend interdire la publicité comparative sur les prix des produits alimentaires pour épargner une guerre des prix à l’ensemble de la filière. - Harmoniser les pratiques au niveau européen
Le rapport plaide également pour des règles européennes harmonisées afin de mieux encadrer les relations commerciales dans l’Union européenne. La proposition 25 envisage ainsi des actions contre les abus des centrales d’achat à l’échelle européenne. - Renforcer les moyens de contrôle et de sanctions
Enfin, pour garantir l’application de ces mesures, la proposition 27 prévoit de renforcer les moyens d’action de la DGCCRF en termes de contrôles et de sanctions
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26/09/2024
Pour qu’il y ait donation déguisée et rapport à la succession, le défunt doit s’être abstenu de réclamer le paiement des fermages dans l’intention de gratifier son descendant.
Des exploitants avaient consenti un bail à cheptel et donné en bail à ferme leur exploitation agricole à leur fils. L’époux décède laissant son épouse commune en biens et ses deux enfants pour lui succéder. Les cohéritiers demandent alors le rapport à la succession, au titre de donations déguisées, du montant des fermages impayés par le preneur. La cour d’appel fait droit à leur demande, le preneur n’ayant pu justifier de l’apurement des fermages et du loyer du bail à cheptel.
Sa décision est cassée et annulée pour manque de bases légales. La cour aurait dû constater l’existence de l’intention libérale du bailleur. En effet, seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession (C. civ., art. 843).
Source
Obs. sous Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 22-22.156
Solution. – La faculté d’associer un membre de sa famille au bail en qualité de copreneur, prévue à l’article L. 411-35 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime, est réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire à celui qui s’est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail. La condition de bonne foi est appréciée à la date de la demande en justice d’autorisation d’association. Il résulte des articles L. 331-2 et L. 411-35 alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime que l’autorisation par le tribunal de l’association d’un membre de la famille au bail en qualité de copreneur est subordonnée à la conformité de la situation au contrôle des structures.
Impact. – La Cour de cassation, pour la première fois, par le présent arrêt, précise que l’association d’un proche, tout comme la cession intrafamiliale, en tant qu’exception au principe d’incessibilité du bail rural et à son caractère intuitu personae, est une faculté réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire celui qui s’est acquitté de toutes ses obligations légales ou conventionnelles. Elle ajoute, par analogie à la cession intrafamiliale, que l’autorisation de l’association d’un proche au bail rural est conditionnée au respect par ce dernier des exigences du contrôle des structures.
L’exception du cadre familial. Le bail rural est conclu en considération de la personne. Il est dépourvu d’une valeur patrimoniale. Par exception au principe d’interdiction des cessions, et sous certaines conditions, le preneur peut céder son titre à son conjoint ou partenaire pacsé ou à ses descendants ou encore associer ces mêmes personnes à son bail (C. rur., art L. 411-35). Cette disposition « est destinée à permettre une transition avant la retraite effective du preneur en place » (J.-F. Le Petit, « L’interdiction de céder ou de sous-louer un bail rural et ses exceptions progressives », Administrer, août-sept. 1998, p. 26).
L’association d’un proche au bail et la cession ont, très souvent, été abordée ensemble, voire indistinctement (V. contra S. Pringent, Répertoire de droit immobilier Dalloz, v° Bail rural, n°390, qui sans aborder indistinctement l’association au bail et cession admet que « [la première] opération suppose une autorisation concédée dans les mêmes conditions que pour les cessions familiales »). Cependant ce n’est qu’en matière rurale que ce rapprochement est opéré. La cession de contrat, telle que définie civilement (C. civ. art. 1216), se distingue de l’association au bail, laquelle n’opère pas une substitution de preneurs mais l’adjonction d’un nouveau preneur au preneur existant.
La Cour de cassation par un arrêt du 11 juillet 2024, qui a les honneurs d’une publication, a eu l’occasion d’apporter une clarification sur les conditions de l’association d’un proche au bail. Celles-ci sont déterminées par analogie aux conditions de la cession intrafamiliale déjà posées par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 21 févr. 1996, n° 94-12.134, Bull. III, n°51, 1996 ; Cass. 3e civ., 5 juin 2002, n° 00-21.893, Bull. III, n°128, 2002). Il apparait toutefois surprenant que les conditions de l’association au bail soient précisées par le récent arrêt, s’agissant d’une disposition usitée depuis plusieurs années (la disposition est insérée dans le Code rural par une loi du 1er août 1984 pour le descendant, une loi du 30 décembre 1988 pour le conjoint et la loi du 5 janvier 2006 opère une extension au partenaire pacsé. V. en ce sens L. Lorvellec et F. Collart Dutilleul, Les baux ruraux, éd. Sirey, 1993, n° 250).
Faits de l’espèce. Par acte du 24 décembre 1959, un domaine agricole est donné à bail à ferme. Le 19 septembre 2011, la bailleresse, invoquant divers manquements des preneurs, leur a délivré congé à effet au 25 mars 2013. Les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Ils ont demandé, à titre additionnel, l’autorisation d’associer leur fils ou bail.
Procédure. Le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac a annulé le congé délivré par la bailleresse et a autorisé les preneurs à associer leur fils au bail en qualité de copreneur. La cour d’appel de Riom rend, le 27 septembre 2022, un arrêt confirmatif. La baillleresse, demanderesse au pourvoi, fait grief à l’arrêt d’autoriser les preneurs à associer leur fils au bail, alors « que l’association au bail d’un descendant, qui aboutit à pérenniser le bail, est une faveur réservée au preneur qui n’a commis aucun agissement susceptible d’entraîner la résiliation du bail ; que la cour d’appel a constaté que M. [S] [D] avait effectivement quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’avait jamais été informé officiellement de cette situation ; qu’en considérant qu’il ne s’agirait pas d’une faute et en autorisant l’association au bail de [R] [D], la cour d’appel a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ». La bailleresse fait le même grief à l’arrêt alors « que le bénéficiaire de l’association est tenu de respecter les règles du contrôle des structures ; qu’il doit donc selon le cas justifier avoir obtenu une autorisation d’exploiter ou avoir respecté la législation sur les structures agricoles ».
L’autorisation de l’association de membre de la famille au bail en qualité de copreneur est-elle soumise aux conditions de bonne foi du preneur et de régularité de la situation du candidat à l’association au contrôle des structures ? À quelles conditions la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité prévue à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, est-elle susceptible d’entraîner la déchéance de la faculté d’associer un membre de la famille au bail ? L’association au bail est-elle conditionnée à la conformité de la situation du candidat au contrôle des structure et/ou, si les terres sont exploitées dans un cadre sociétaire, à la conformité de la situation de cette société à cette législation ?
La Cour de cassation affirme explicitement que les conditions exigées dans le cadre de l’autorisation judiciaire de la cession intrafamiliale du bail rural sont applicables à l’association au bail d’un proche en qualité de copreneur. Ces conditions tiennent d’une part au respect scrupuleux par le preneur en place des obligations mises à sa charge par le statut du fermage (I) et d’autre part à la satisfaction par le candidat à l’association aux exigences du contrôle des structures (II).
I-Une assimilation sur le terrain du statut du fermage
L’article L. 411-35 al. 2 du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur d’associer à son bail, en qualité de copreneur, son conjoint, son partenaire pacsé ou un descendant majeur. L’opération suppose l’agrément du bailleur, lequel peut être tacite (Cass. 3e civ., 25 mars 2015, n° 13-18.874 ; Cass. 3e civ., 10 oct. 2019, n° 18-17.031). « Si elle n’a pas été autorisée, [l’association] peut être sanctionnée de la même façon qu’une cession occulte : le preneur encourt la résiliation de son bail » (J.-P. Moreau et B. Grimonprez, Jurisclasseur Baux ruraux, Fasc. 320 : Baux ruraux- Droits et obligations du preneur- Exploitation du fonds- Cession de bail et sous-location). L’absence d’agrément peut être suppléée par une autorisation judiciaire. Celle-ci est accordée en considération de la bonne foi du preneur (A), laquelle est appréciée par les juges au moment de la demande (B).
A-Exigence de bonne foi
Exécution diligente des obligations légales ou conventionnelles. S’agissant d’une demande d’autorisation de cession, la Cour de cassation impose que le preneur soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il se soit acquitté de ses obligations légales et de celles nées du bail. Cette exigence ne découle pas des textes mais est admise depuis fort longtemps en jurisprudence (V. en ce sens Cass. 3e civ., 6 nov. 1973, n° 72-14.717 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-15.343).
Aussi, la haute juridiction, par le présent arrêt, a-t-elle soumise l’autorisation d’associer un proche au bail, en qualité de copreneur, à la condition de bonne foi du preneur. Cette condition est justifiée par le fait que la faculté de cession intrafamiliale tout comme celle d’associer une proche au bail constitue une exception au principe d’incessibilité du bail et son caractère intuitu personae, qui doit être réservée au preneur qui a fait preuve de diligence dans l’exécution de l’ensemble des obligations mises à sa charge par le statut du fermage. Il est vrai, cependant, que l’association d’un membre de famille porte atteinte au caractère intuitu personae du bail rural dans une moindre mesure que la cession. Le bailleur conserve, malgré l’adjonction d’un nouvel exploitant en qualité de copreneur, le preneur qu’il a choisi originairement.
La solution retenue par la Cour de cassation ne s’impose pas avec évidence. Civilement, l’association au bail n’est pas une cession de contrat. Mais l’assimilation des conditions de l’association au bail à celles de la cession trouve une justification en matière rurale, en ce sens que ces deux opérations sont abordées en plein cœur de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime siège de l’interdiction des cessions et sous-location. L’association au bail demeure une exception au principe d’interdiction des cessions et sous-location. Par conséquent, pour bénéficier de cette exception, le preneur doit scrupuleusement respecter l’ensemble de ses obligations.
La Cour de cassation tient également compte du moment où l’autorisation d’associer un proche au bail est soumise pour apprécier la bonne foi du preneur.
B-Appréciation de la bonne foi
Antériorité de la faute – même au renouvellement du bail – et déchéance de la faculté d’associer. La Haute juridiction prend en considération pour autoriser l’association d’un proche au bail, la date de la demande judiciaire. Par le présent arrêt, la Cour de cassation précise que la condition tenant à la bonne foi du preneur s’apprécie au moment de la demande de l’association au bail. Il convient alors de retenir à l’égard du preneur négligent la déchéance de la faculté d’associer un proche au bail, a fortiori, de le céder. Sont suffisants pour justifier le refus d’une association d’un proche au bail – également de la cession – les manquements mêmes antérieurs au renouvellement (Cass. 3e civ., 11 juill. 2019, n° 18-14.783).
La solution apparait sévère, car un manquement quelconque aux obligations conventionnelles ou légales, peu important son incidence à l’égard de la bonne exploitation du fonds et portant relativement atteinte aux intérêts du bailleur, est une cause de déchéance de la faculté du preneur d’associer un membre de sa famille. Cependant, malgré sa sévérité, cette solution a du sens en se plaçant sur le terrain du statut du fermage.
Ainsi, par exemple, l’inobservation par le preneur des formalités d’information du bailleur en cas de cessation d’activité d’un des copreneurs apparait comme un obstacle à l’association d’un proche au bail. Par un arrêt remarqué du 30 novembre 2023, la Cour de cassation s’est prononcée en précisant que les formalités prévues à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, ne créent pour le copreneur resté en activité, qu’une simple faculté dont le non-usage ne constitue pas une infraction de nature à permettre une résiliation péremptoire du bail (V. Obs. sous Cass. 3e civ., 30 nov. 2023, n° 21-22.539 FS-B : Agridroit, Quinzomadaire n°2, 18 janv. 2024, par J.-V. Kouassi). Toutefois, cette solution n’empêche pas de supposer que le preneur qui manque de satisfaire aux formalités d’information du bailleur, en cas de départ de son coobligé, s’expose ultérieurement à la déchéance de sa faculté de céder son bail ou d’associer un proche.
Au cas présent, la demanderesse au pourvoi soutient que la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité d’information prévu à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, prive le preneur restant de sa faculté d’associer un membre de sa famille au bail. En effet, il n’était pas contesté que l’époux, copreneur à bail, a quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’a jamais été informé de ce départ. Cependant, quand bien même un manquement aux formalités d’information du bailleur pourrait être caractérisé, les époux-copreneurs échappent aux sanctions prévues par les articles L. 411-35 et L. 411-31, II, 1° du Code rural. La solution est bien établie en jurisprudence, par application de l’article L. 411-46 al. 2 du Code de rural, qui dispose qu’en cas de départ de l’un des conjoints ou partenaires d’un pacte civil de solidarité copreneur du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l’exploitation a droit au renouvellement du bail (Cass. 3e civ., 6 juill. 2022, n° 21-12. 833).
L’invocation de l’article L. 411-46 al. 2 du Code rural est salvatrice en l’espèce mais reste une exception. En l’espèce, le manquement à la formalité d’information invoqué par la demanderesse au pourvoi étant intervenu postérieurement à la demande d’autorisation, celui-ci s’avère inopérant.
II-Une assimilation sur le terrain du contrôle des structures
Le contrôle des structures se déclenche en présence d’une installation, d’un agrandissement ou d’une réunion d’exploitations agricoles (C. rur., art. L. 331-2). Si le preneur est tenu d’obtenir une autorisation d’exploiter en application de l’article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime, la validité de la cession du bail est subordonnée à l’octroi de cette autorisation (C. rur., art. L. 331-6). Dans le prolongement d’une assimilation à la cession, sur le terrain du statut du fermage, l’association d’un proche au bail peut être subordonnée aux dispositions relatives au contrôle des structures (A). Le présent commentaire ne fait pas l’économie d’une appréciation du bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures (B).
A-Conformité au contrôle des structures
Analogie entre l’association au bail et la cession sur le terrain du contrôle des structures. La législation relative au contrôle des structures se déclenche en présence d’opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunions d’exploitations agricoles. L’association au bail peut être considérée comme une installation si le proche proposé comme copreneur n’avait pas été jusque là exploitant. A fortiori, si le membre de la famille envisagé pour une association était déjà agriculteur, l’opération peut consister en un agrandissement ou une réunion d’exploitations. Le déclenchement du contrôle des structures, dans le cadre d’une association au bail, se trouve justifié par ces hypothèses.
Ainsi, dans le prolongement de l’analogie initiée sur le terrain du respect des obligations instituées par le statut du fermage, la validité de l’association au bail est soumise au respect par le futur copreneur des exigences du contrôle des structures, tout comme le cessionnaire est tenu. Le régime de la nullité de la cession en cas de manquement par le cessionnaire des exigences du contrôle des structures est applicable à l’association au bail.
Dans le cadre d’une cession, la sanction de la nullité du bail appliquée en cas de défaut d’autorisation d’exploiter pour le cessionnaire (C. rur., art. L. 331-6). L’action en nullité doit être précédée d’une mise en demeure du cessionnaire (C. rur., art. L. 331-7). La nullité du bail est prononcée en cas de refus définitif d’autorisation d’exploiter ou d’absence de présentation d’une demande d’autorisation dans le délai imparti par le préfet (Cass. 3e civ., 7 mars 2001, n° 99-16.396 : JurisData n° 2001-008635).
La solution retenue par le présent arrêt, qui fait du respect des exigences du contrôle des structures l’une des conditions de validité de l’association au bail, apparait justifiée. L’analogie entre l’association au bail et la cession se trouve renforcée. Cependant, il n’est pas exclu d’évoquer certaines interrogations que suscitent encore l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures.
B –Bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures
Ecran de la société d’exploitation bénéficiaire d’une mise à disposition des terres louées. Suivant une jurisprudence constante, lorsque le cessionnaire du bail est également membre d’un GAEC bénéficiaire de la mise à disposition des biens loués, et que ce GAEC est déjà titulaire de l’autorisation d’exploiter, cette autorisation dispense le cessionnaire de solliciter lui-même une nouvelle autorisation (Cass. 3e civ., 4 mars 2009, n° 08-13.697, n° 282 FS-P+B+I, Delfolie c/ Verdonck et a. : Bull. civ. 2009, III, n° 54 ; JCP N 2011, 1124, obs. F. Roussel ; D. 2009, p. 812 obs. G. Forest ; Dict. perm. Entreprise agricole, bull. 418, repère p. 9275 ; Rev. Loyers 2009, p. 289, analyse B. Peignot ; AJDI 2009, p. 724, obs. S. Prigent).
Par un arrêt du 14 novembre 2019 rendu dans l’hypothèse d’une association au bail, la Cour de cassation affirme que « lorsque les biens loués sont destinés à être exploités, dès l’association au bail, par la mise à disposition d’une société, l’activité de ce groupement doit être conforme à la réglementation sur le contrôle des structures » (Cass. 3e civ., 14 nov. 2019, n° 18-21.276 ; V. aussi Cass. 3e civ., 6 janv. 2010, n° 08-20.928). La jurisprudence consacre en matière de contrôle des structures un effacement de la personne du cessionnaire et par analogie du candidat à l’association derrière celle du groupement. Ainsi seul le groupement doit éventuellement disposer d’une autorisation d’exploitation si les conditions de mise en valeur des terres l’y obligent (C. rur., art. L. 331-1).
En l’espèce, même si l’arrêt commenté ne constate pas explicitement le mode d’exploitation en société, il n’est pas contesté que les terres louées étaient exploitées dans le cadre d’un GAEC. Par conséquent serait justifiée, dans le présent arrêt, la dispense du candidat à l’association de requérir une autorisation personnelle d’exploiter, sauf motif personnel l’y assujettissant comme un défaut de diplôme ou d’expérience (Cass. 3e civ., 5 nov. 2014, n°13-10.888).
Depuis la loi du 13 octobre 2014 et le décret du 22 juin 2015, l’article R. 331-1 du Code rural et de la pêche maritime énonce que : « pour l’application des dispositions du 1° de l’article L. 331-1 une personne associée d’une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de ces unités de production ». Dès lors, le cessionnaire potentiel devrait solliciter une autorisation s’il ne remplit pas personnellement les conditions, comme celle relative à la capacité professionnelle, quand bien même la société exploitante bénéficie déjà de l’autorisation (en ce sens, Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-16.965).
Appliquée à l’association au bail, il est envisageable de soutenir que le bénéficiaire de l’opération, en cas d’installation, agrandissement ou réunion d’exploitations, doit répondre aux exigences du contrôle des structures, nonobstant l’autorisation d’exploiter dont dispose le groupement.
📄 J.-V. Kouassi, Assimilation de l’association d’un proche au bail à une cession.pdf
Par Jean-Vianney Kouassi, Docteur en droit privé, membre de la Chaire de droit rural et de droit de l’environnement de l’Université de Bourgogne
source : Le Quinzomadaire n°16/2024 est en ligne – Assimilation de l’association d’un membre de sa famille au bail rural à une cession
Date : 21 août 2024
L’instruction technique DGPE/SDPAC/2024-455 du 01/08/2024
2 DEFINITION DU JA
A compter de la campagne 2023, pour les aides du premier pilier de la PAC (attribution de
DPB par la réserve et ACJA), le JA est une personne physique qui respecte trois conditions :
Une condition d’âge ;
Une condition de première et récente installation ;
Une condition de diplôme et de compétence.
Pour ces aides, ces conditions s’apprécient à la date de la demande d’aide concernée pour ce
qui concerne l’âge ou à la date limite de dépôt de la demande d’aide surface pour ce qui
concerne l’installation et les diplômes.
Calendrier de dépôt des demandes d’aide
Année de campagne Date limite de dépôt Date limite de dépôt tardif
2023 Lundi 15 mai 2023 Vendredi 09 juin 2023
2024 Mercredi 15 mai 2024 Lundi 10 juin 2024
2025 Jeudi 15 mai 2025 Mardi 10 juin 2025
2026 Vendredi 15 mai 2026 Mercredi 09 juin 2026
2027 Mardi 18 mai 2027 Lundi 14 juin 2027
A noter que pour l’ACJA, la date de la demande s’entend comme la première date de demande
d’ACJA (le JA pourra donc avoir plus de 40 ans lors du versement des annuités 2 à 5 de cette
aide).
Dans le cas d’une forme sociétaire, la demande considérée est la première demande d’aide
déposée par la société après l’entrée du JA en son sein.
2.1 Etre âgé de quarante ans au maximum à la date de la demande
Article 4 du règlement (UE) n° 2021/2115
Article D. 614-2 du code rural et de la pêche maritime
L’agriculteur doit avoir au maximum 40 ans à la date de sa demande d’aide, c’est-à-dire jusqu’à
la veille du 41ème anniversaire.
Exemple 1 : un agriculteur né le 15/03/1984 s’installe en 2023. Sa demande d’ACJA
a été introduite le 14/04/2024, avant son 41ème anniversaire. Il avait donc bien au
maximum 40 ans. Il pourra bénéficier de l’aide concernée, sous réserve de
respecter les autres critères d’éligibilité.
Exemple 2 : un agriculteur né le 05/05/1983 dépose sa demande d’attribution de
DPB par la réserve le 31/05/2024. Il a 41 ans le jour de sa demande et n’est donc
pas éligible à l’aide concernée.
Dans le cas d’une forme sociétaire, l’âge s’apprécie à la date de la première demande
d’ACJA/PJA (nom du paiement complémentaire pour les jeunes agriculteurs dans la
programmation 2014-2022) ou d’attribution de DPB déposée par la société après l’entrée du
JA en son sein.
Attention : à compter de 2023, la demande d’attribution de DPB ne fait plus partie du dossier
surface. En cas de dépôt échelonné du dossier surface (contenant la demande d’ACJA) et de
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la demande d’attribution de DPB par la réserve, l’âge du demandeur sera examiné à deux
dates différentes.
Exemple : un agriculteur dépose son dossier PAC le 4 avril 2024, en ayant coché
la demande d’ACJA. Il demande à bénéficier d’une attribution de DPB par la réserve
le 8 mai.
Au regard de la demande d’ACJA, son âge sera examiné à la date du 4 avril 2024.
Au regard de la demande d’attribution de DPB par la réserve, son âge sera examiné
à la date du 8 mai.
Pièce justificative :
Si la DDT(M) n’a pas déjà l’information en sa possession, une copie d’une pièce d’identité
(carte d’identité, permis de conduire, passeport) ou un extrait d’acte de naissance.
NB : Une pièce justificative pour être recevable doit comporter l’ensemble des informations nécessaires à
l’instruction du dossier et être en cours de validité.
Un extrait d’état civil peut être pris en compte, quelle que soit sa date de délivrance (article R113-7 du Code des
relations entre le public et l’administration).
2.2 Critère de première et récente installation
Articles 26 et 30 du règlement (UE) n°2021/2115
Article D. 614-2 du code rural et de la pêche maritime
Arrêté du 13 mai 2023 fixant la part minimale du capital social à détenir pour l’application de la définition de
l’agriculteur actif à certaines formes sociétaires dans le cadre de la politique agricole commune
Pour être reconnu comme tel, le JA doit s’installer pour la première fois ou s’être installé au
cours des cinq années civiles précédant la date limite de dépôt du dossier surface de l’année
de la demande.
2.2.1 Nouvelle notion d’installation
La notion d’installation a évolué par rapport à la programmation antérieure.
2.2.1.1 Exploitant individuel
Pour un individuel, elle s’entend comme le fait d’être affilié à l’ATEXA pour son propre
compte pour les activités mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 722-1 du CRPM.
Les exploitants « chef d’exploitation », au sens de la Mutualité sociale agricole (MSA), sont
affiliés à l’ATEXA. Les cotisants de solidarité peuvent également être affiliés à l’ATEXA dans
les conditions suivantes : l’agriculteur doit avoir une exploitation dont la superficie est inférieure
à une SMA (surface minimale d’assujettissement) mais supérieure à 2/5ème de la SMA, ou
consacrer au moins 150 heures et moins de 1200 heures par an à une activité agricole ; et les
revenus générés par l’activité agricole sont inférieurs à 800 SMIC.
L’information relative à l’affiliation ATEXA est apportée par l’échange automatisé de données
entre la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) et l’ASP dans le cadre de
l’instruction du critère « agriculteur actif ». Dans le cas où cet échange ne serait pas conclusif,
il conviendra, dans un premier temps, de se rapprocher de la caisse départementale de la
MSA pour vérifier la situation de l’agriculteur. En cas de nécessité, des pièces
complémentaires pourront être demandées à l’agriculteur pour justifier de la situation.
2.2.1.2 Forme sociétaire
Dans le cas d’un associé de société, la notion d’installation est définie comme :
Dans le cas général des sociétés, le fait d’être affilié à l’ATEXA au titre de son activité
au sein de la société pour les activités mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 722-1 du
CRPM ;
Dans le cas des sociétés sans associé affilié à l’ATEXA, le fait de détenir directement
ou indirectement 40% du capital social (une partie de cette part minimale peut être
détenue indirectement) ET d’être dans l’une des situations suivantes :
o Dans le cas d’une SA et SARL, être dirigeant-associé affilié à l’AT/MP au titre
du 8° du L722-20 du CRPM ;
o Dans le cas d’une SAS, être dirigeant-associé affilié à l’AT/MP au titre du 9° du
L722-20 du CRPM ;
o Dans le cas d’une SCEA, être gérant-associé-salarié affilié à l’AT/MP au titre
du 1° du L722-20 du CRPM.
Pour ces sociétés, la détention du capital social, se fait selon les modalités décrites
dans l’instruction technique relative à l’éligibilité du demandeur.
L’information relative à l’affiliation à l’ATEXA ou à l’AT/MP des associés sera apportée dans la
plupart des cas par échange automatisé de données entre la CCMSA et l’ASP. Dans le cas
où cet échange ne serait pas conclusif, il conviendra, dans un premier temps, de se rapprocher
de la caisse départementale de la MSA pour vérifier la situation de l’agriculteur. En cas de
nécessité, des pièces complémentaires pourront être demandées à l’agriculteur pour justifier
de la situation.
2.2.1.3 Conséquence de la nouvelle notion d’installation
Les petits cotisants solidaires et les associés de société qui ne sont pas affiliés à l’ATEXA (ou
à l’AT/MP selon les cas), ne sont plus considérés comme installés, contrairement à la
programmation précédente.
Exemple 1 : un agriculteur détient un petit cheptel de moutons en tant que petit
cotisant solidaire. Après plusieurs années, il décide de se consacrer à l’élevage et
augmente son cheptel. Il sera considéré comme installé le jour de son affiliation à
l’ATEXA et non pas le jour de son enregistrement comme cotisant solidaire.
Exemple 2 : un mineur devenant associé d’une exploitation agricole au décès de
son père, ne sera pas considéré comme installé. S’il s’installe en individuel ou en
société à sa majorité, il sera considéré comme installé au jour de son affiliation à
l’ATEXA et pourra faire bénéficier son exploitation agricole des aides JA.
https://info.agriculture.gouv.fr/boagri/instruction-2024-455
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A… B… ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, pour un montant global de 63 326 euros.
Par un jugement n° 2002490 du 28 janvier 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 mars 2022, 14 octobre 2022, 18 septembre 2023 et 29 décembre 2023, ce dernier mémoire n’ayant pas été communiqué, M. et Mme B…, représentés par Me Vey, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 janvier 2022 ;
2°) d’annuler la décision du 27 août 2020 de rejet de leur réclamation préalable ;
3°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, pour un montant global de 63 326 euros ;
4°) d’enjoindre à l’administration de recalculer le revenu perçu au titre des années 2014 et 2015 sur la base des pièces comptables analysées et mises à disposition de l’administration fiscale ;
5°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– le revenu agricole au titre des années 2014 et 2015 sur lequel s’appuie l’administration fiscale pour le calcul de leur impôt sur le revenu, est excessif et ne tient pas compte de leur situation économique et du redressement judiciaire dont ils font l’objet ; les documents comptables produits permettent d’établir l’existence d’une erreur dans le résultat imposable retenu par l’administration fiscale ;
– la majoration de 40 % appliquée n’est pas justifiée dès lors qu’ils n’ont pas reçu de relance pour déposer les comptes et qu’il n’est pas démontré de volonté de leur part d’éluder l’impôt.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 septembre 2022, 11 septembre 2023 et 21 novembre 2023, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B… ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 27 novembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 8 janvier 2024 à 12h00.
Vu :
– les autres pièces du dossier
Vu :
– le code général des impôts et livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Pauline Reynaud,
– et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L’EARL La Venverdière, relevant de l’imposition des bénéfices agricoles selon le régime réel, et dont le capital est détenu par M. et Mme B…, exerce une activité agricole d’élevage caprins et ovins et de culture de céréales. Cette entreprise a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période courant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, à l’issue de laquelle l’administration fiscale l’a informée, par propositions de rectification du 21 décembre 2017 et du 24 janvier 2018, des rehaussements envisagés en matière de bénéfices agricoles. Par deux propositions de rectification du même jour, l’administration fiscale a informé M. et Mme B… des rehaussements en matière d’impôt sur le revenu en résultant au titre des années 2014, 2015 et 2016. Par jugement du 4 juillet 2019, l’EARL La Venverdière a été placée en redressement judiciaire, procédure étendue par jugement du 13 mars 2020 à M. et Mme B… à titre personnel. Le 30 juin 2020, ces derniers ont été informés des créances déclarées par l’administration dans ce cadre. La réclamation formée par M. et Mme B… le 24 août 2020 ayant été rejetée par décision de l’administration fiscale du 27 août 2020, les intéressés ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, mises à leur charge au titre des années 2014 et 2015. M. et Mme B… relèvent appel du jugement n° 2002490 du 28 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 193 du livre des procédures fiscales dispose : » Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition « . Aux termes de l’article R. 193-1 du même code : » Dans le cas prévu à l’article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l’imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré « .
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 68 du livre des procédures fiscales : » La procédure de taxation d’office prévue aux 2° et 5° de l’article L. 66 n’est applicable que si le contribuable n’a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d’une mise en demeure (…) « . L’article L. 73 de ce livre prévoit que : » Peuvent être évalués d’office : / 1° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus provenant d’entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, ou des revenus d’exploitations agricoles imposables selon un régime de bénéfice réel, lorsque la déclaration annuelle prévue à l’article 53 A du code général des impôts n’a pas été déposée dans le délai légal ; (…) / Les dispositions de l’article L. 68 sont applicables dans les cas d’évaluation d’office prévus aux 1° et 2° « .
4. Enfin, selon l’article 63 du code général des impôts : » Sont considérés comme bénéfices de l’exploitation agricole pour l’application de l’impôt sur le revenu, les revenus que l’exploitation de biens ruraux procure soit aux fermiers, métayers, soit aux propriétaires exploitant eux-mêmes (…) « . L’article 69 de code prévoit que : » I. Lorsque la moyenne des recettes d’un exploitant agricole, pour l’ensemble de ses exploitations, dépasse 120 000 €, hors taxes, sur trois années consécutives, l’intéressé est obligatoirement imposé d’après un régime réel d’imposition à compter de l’imposition des revenus de la première année suivant la période triennale considérée. / II. II. Un régime simplifié d’imposition s’applique aux petits et moyens exploitants agricoles relevant de l’impôt sur le revenu : / a. Sur option, aux exploitants normalement placés sous le régime du forfait ; / b. De plein droit, aux autres exploitants, y compris ceux dont le forfait a été dénoncé par l’administration, dont la moyenne des recettes, mesurée sur deux années consécutives, n’excède pas 350 000 € (…) « . Aux termes de l’article 72 de code : » I. Sous réserve de l’application des articles 71 et 72 A à 73 E, le bénéfice réel de l’exploitation agricole est déterminé et imposé selon les principes généraux applicables aux entreprises industrielles et commerciales, conformément à toutes les dispositions législatives et à leurs textes d’application, sans restriction ni réserve notamment de vocabulaire, applicables aux industriels ou commerçants ayant opté pour le régime réel mais avec des règles et modalités adaptées aux contraintes et caractéristiques particulières de la production agricole, et de leur incidence sur la gestion, qui sont notamment : / Le faible niveau du chiffre d’affaires par rapport au capital investi, ce qui se traduit par une lente rotation des capitaux ; / La proportion exagérément importante des éléments non amortissables dans le bilan : foncier non bâti, amélioration foncière permanente, parts de coopératives et de SICA ; / L’irrégularité importante des revenus « . Enfin, selon l’article 38 sexdecies P de l’annexe III du même code : » I. – Les exploitants placés sous un régime réel d’imposition doivent tenir et présenter aux agents de l’administration : /a. Un livre-journal servi au jour le jour et enregistrant le détail de leurs opérations ; / b. Un livre d’inventaire ; / c. Les factures et autres pièces justificatives relatives aux recettes, aux dépenses et aux stocks « .
5. Il résulte de l’instruction que, malgré les mises en demeure adressées à l’EARL La Venverdière, celle-ci s’est abstenue de déposer les déclarations de bénéfices agricoles au régime réel simplifié au titre de la période en litige. Par ailleurs, lors des opérations de vérification, l’EARL La Venverdière n’a pas présenté de comptabilité à l’administration fiscale. Ce défaut de présentation de comptabilité a d’ailleurs été constaté par le vérificateur par procès-verbal du 26 juillet 2017, contresigné par M. B…. Dans ces conditions, l’administration a procédé à l’évaluation d’office du résultat net de l’entreprise, au titre des exercices 2014, 2015 et 2016, sur le fondement des dispositions précitées. Afin de déterminer son résultat imposable, l’administration fiscale s’est fondée sur les factures des clients et des fournisseurs présentées lors de la vérification, et le montant de ces résultats a par ailleurs fait l’objet d’une majoration de 25 %, compte tenu du défaut d’adhésion de l’EARL à un centre de gestion agréé.
6. M. et Mme B… soutiennent que le résultat net imposable de l’EARL La Venderdière retenu par l’administration fiscale est excessif, dès lors qu’elle n’a pas pris en compte les résultats ressortant des différents documents comptables produits, à savoir un compte de résultat, les liasses fiscales des années 2014 et 2015, le récapitulatif du chiffre d’affaires jusqu’en 2020, ainsi que, pour la première fois en appel, des éditions de grands livres et de journaux relatifs aux exercices 2014 et 2015. Toutefois, en se bornant à se prévaloir, sans autre précision ni critique de la méthode de reconstitution retenue par l’administration fiscale, du résultat net résultant des éléments de comptabilité reconstitués par un centre comptable agréé, postérieurement aux opérations de contrôle et dès lors dépourvus de valeur probante, les requérants n’apportent pas la preuve, qui leur incombe, de l’exagération du résultat net retenu par l’administration fiscale au titre des années 2014 et 2015. Par suite, ce moyen doit être écarté.
7. En second lieu, aux termes de l’article 1728 du code général des impôts : » 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt entraîne l’application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l’acte déposé tardivement, d’une majoration de : / (…) b. 40 % lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d’avoir à le produire dans ce délai (…) « .
8. Il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été rappelé au point 5, que malgré la mise en demeure du 24 juillet 2017 dont elle a accusé réception le 25 juillet suivant, l’EARL La Venverdière n’a pas produit la déclaration n° 2139 des bénéfices agricoles ainsi que les annexes afférentes aux années 2014 et 2015. Dans ces conditions, c’est à bon droit que l’administration fiscale a appliqué la majoration de 40 % prévue par les dispositions du 1.b précité de l’article 1728 du code général des impôts.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fins d’injonction et celles tendant à ce que soit mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme d’argent au titre des frais de justice ne peuvent qu’être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B… est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l’audience du 11 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La rapporteure,
Pauline ReynaudLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
CAA de BORDEAUX – 4ème chambre
- Inédit au recueil Lebon
- N° 22BX00770
mardi 02 juillet 2024
Président Mme BALZAMO
Rapporteur Mme Pauline REYNAUD
Lorsque le substitué prend l’engagement de louer le bien acquis à un preneur agréé par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural dans les conditions prévues par l’article R. 142-1, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.
Selon l’article L. 141-1, II, 2°, du Code rural et de la pêche maritime, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) peuvent se substituer un ou plusieurs attributaires pour céder des biens ruraux, terres, exploitations agricoles ou forestières, soit par une promesse unilatérale de vente, soit par une promesse synallagmatique de vente.
Aux termes de l’article R. 142-1, alinéa 2, du même code, les SAFER peuvent céder ces biens à des personnes qui s’engagent à les louer à des preneurs agréés par la SAFER, à condition que cela permette l’installation, la réinstallation ou le maintien d’agriculteurs, ou la consolidation d’exploitations viables selon les critères régionaux.
Lorsque le substitué s’engage à louer le bien à un preneur agréé par la SAFER selon l’article R.142-1 alinéa 2, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.
Source
Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 23-11.688, FS-B
Le preneur dont le bail a été annulé peut-il prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds ? Non, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 11 juillet.
Pour ordonner une expertise judiciaire en vue de l’évaluation de l’éventuelle indemnité due aux preneurs sortants en application de l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime, l’arrêt d’appel, rendu sur renvoi après cassation, retient que, même en cas d’annulation d’un bail rural signé par l’usufruitier sans le consentement du nu-propriétaire, le preneur est recevable à solliciter le bénéfice d’une telle indemnité (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-23.457).
Parce qu’il avait constaté la nullité des baux, l’arrêt critiqué est cassé.
Pour le juge de cassation, il résulte de l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article L. 411-69, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime, que le preneur dont le bail a été annulé et est donc censé n’avoir jamais existé ne peut prétendre à l’indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue par le second de ces textes.
Il faut retenir que le preneur dont le bail a été annulé ne peut pas prétendre à l’indemnité, prévue à l’article L. 411-69, pour les améliorations apportées au fonds loué par son travail ou ses investissements. Cette indemnité n’est due qu’à l’expiration régulière d’un bail valide, et non en cas de nullité rétroactive du bail. En résumé, la nullité du bail fait obstacle au versement de l’indemnité de sortie pour améliorations, car le bail annulé est censé n’avoir jamais existé juridiquement.
Source : Entreprise agricole > Baux ruraux Date : 18 juillet 2024
Par un arrêt avant dire droit n° 22NT00179 du 1er juillet 2022, la cour a, avant de statuer sur la requête de la Société coopérative agricole (SCA) » Les Vergers d’Anjou » ordonné une expertise afin de déterminer, après examen de l’ensemble des pièces détenues par la SCA » Les Vergers d’Anjou « , si ces pièces permettent d’identifier, et dans quelle mesure, les personnes ou entreprises, destinataires finaux, des aides perçues au titre des » plans de campagne » entre 1998 et 2002.
L’expert a remis son rapport le 4 décembre 2023.
Par deux mémoires, enregistrés les 19 février 2024 et 17 mai 2024, la SCA » Les Vergers d’Anjou « , représentée par Me Berkani, maintient les conclusions de sa requête d’appel par lesquelles elle demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis le 25 juin 2018 par le directeur général de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue d’obtenir le remboursement de la somme de 3 705 767,46 euros correspondant à un montant global d’aides versées dans le cadre du » programme Plans de campagne » au titre des années 1998 à 2002, augmenté des intérêts moratoires et à la décharge de cette somme ;
2°) d’annuler le titre de recettes émis le 25 juin 2018 ;
3°) de la décharger de la somme de 3 705 767,46 euros que le titre de recettes a pour objet de recouvrer ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’expert a confirmé les difficultés d’ordre matériel qu’elle avait mises en avant pour retrouver l’intégralité des archives susceptibles d’attester des flux financiers afférents au versement des aides » Plans de campagne » aux producteurs en raison notamment de la très grande ancienneté du versement des aides, de la disparition de l’Union des Vergers de France par laquelle les aides ont transité, et de la disparition des archives de l’Union des documents relatifs à l’exercice 1998-1999 ;
– l’expert a en outre relevé les difficultés d’ordre comptable liées à l’asymétrie des dates de clôture des exercices comptables et au versement échelonné des aides ;
– ces difficultés doivent être prises en considération au stade de l’identification des bénéficiaires finaux des aides et du montant dont chacun a pu bénéficier ;
– en dépit de ces difficultés, les conclusions de l’expert confirment que les producteurs membres de la SCA Les Vergers d’Anjou ont bien été les destinataires finaux des aides :
o bien que le montant reversé à chaque producteur n’ait pu être » attesté » par l’expert comptablement à défaut de mention explicite sur les bordereaux de règlement du montant des aides incluses dans les sommes versées à chaque producteur, l’expert a conclu que les éléments produits étaient de nature à permettre de comprendre le cheminement des aides issues des » plans de campagne » depuis l’ONIFHLOR jusqu’aux producteurs via le comité économique agricole du Val de Loire, l’Union des vergers de France et la SCA ;
o en vertu de la jurisprudence de la CJUE, l’aide illégalement accordée ne peut être récupérée auprès de l’organisation de producteurs que si l’Etat établit que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été versée à ces derniers ;
o l’identification des producteurs qui ont bénéficié des aides issues des » plans de campagne » et du montant qu’ils ont perçu s’effectue de manière pragmatique et l’utilisation d’une méthode de calcul peut être admise, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, dès lors que le producteur est présumé être le destinataire final des aides ;
– dès lors qu’elle n’est pas la bénéficiaire finale des aides dont la restitution est réclamée par le titre litigieux, ce titre méconnaît le droit européen tel qu’interprété par la CJUE ;
– les conclusions de l’expert révèlent l’absence de justification des sommes réclamées par FranceAgriMer.
Par des mémoires, enregistrés les 28 mars 2024 et 24 mai 2024, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête de la SCA » Les Vergers d’Anjou » et à ce qu’il soit mis à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l’expertise n’a pas permis d’établir que la SCA Les Vergers d’Anjou a effectivement versé les fonds aux producteurs, dès lors que la SCA a procédé à une reconstitution théorique, réalisée à partir d’une règle de trois.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– l’ ordonnance du 4 janvier 2024 , par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais de l’expertise réalisée par M. A… à la somme de 8 853,94 euros toutes taxes comprises.
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D portant modalités d’application de l’ article 93 du traité CE A61DBBD8B146A7526679B0B4F47C9163 ;
– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 8D97F606DDD05BB17DF0F493C29A4705 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D ;
– la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 99A73B968F65CC22A362FE27CD50415D relative aux aides dites » plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;
– l’arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– le code de commerce ;
– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 BE71313B3E61C870AE3C669452A7AE85 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Lellouch,
– les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
– et les observations de Me Sanguinette, substituant Me Berkani, représentant la SCA » Les Vergers d’Anjou « , et de Me Alibert, représentant l’établissement FranceAgriMer.
1. L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l’établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites » plans de campagne » étaient versées par l’ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d’une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les » plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d’Etat instituées en méconnaissance du droit de l’Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 25 juin 2018 à l’encontre de la société coopérative agricole (SCA) « Les Vergers d’Anjou » un titre de recettes d’un montant de 3 705 767,46 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées dans le cadre des » plans de campagne » au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCA » Les Vergers d’Anjou » relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce titre de recette et à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par le titre exécutoire.
Sur le bien-fondé de la créance :
2. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne du 28 janvier 2009 citée au point 1 : » (…) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l’initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles « . Aux termes, toutefois, du point 49 de cette même décision : » (…) il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l’aide n’ait pas été transféré par l’organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l’aide sera l’organisation de producteurs « . La Commission européenne conclut au point 84 de sa décision que : » L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière « . Et il résulte du point 85 que les Etats ne peuvent procéder à la récupération des aides illégales auprès des organisations professionnelles sans chercher à démontrer que ces organisations professionnelles auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers.
3. Il résulte du point précédant qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend récupérer les aides en litige, non auprès des producteurs membres d’une organisation de producteurs, mais de l’organisation de producteurs elle-même, de démontrer que les aides n’ont pas été transférées par celle-ci à ces producteurs mais conservées par elle. Cette règle en vertu de laquelle la charge de la preuve de la conservation des aides par l’organisation de producteurs pèse sur l’autorité administrative doit être combinée avec celle suivant laquelle s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Or, pour que l’autorité administrative soit susceptible de déterminer l’identité de la personne ayant bénéficié des montants d’aides, il importe qu’elle dispose de données, qui ne peuvent lui être fournies que par la SCA Les Vergers d’Anjou en sa qualité d’organisme venant aux droits et obligations de l’Union Les Vergers de France.
4. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise, que les aides aux exportations lointaines, issues des plans de campagne 1998 à 2002, versées par l’ONIFLHOR, transitaient par le Comité économique du Val de Loire, qui reversait les fonds à trois organisations de producteurs, dont la SCA Les Vergers d’Anjou, lesquelles les reversaient à leur tour intégralement à l’Union des Vergers de France, chargée notamment de mettre en œuvre des actions commerciales en faveur des producteurs, financées notamment par les fonds des plans de campagne. En 2008, l’Union commerciale Les Vergers de France a été dissoute sans liquidation, entraînant la transmission universelle de son patrimoine à la SCA Les Vergers d’Anjou, qui en était à cette date la seule associée.
5. La SCA Les Vergers d’Anjou fait valoir qu’une fois les opérations commerciales réalisées, l’Union des Vergers de France restituait les aides aux producteurs, grâce aux marges dégagées par ces opérations, et sous forme de complément de prix du règlement des ventes en fonction de la part que leurs productions représentaient dans la commercialisation, par l’intermédiaire des organisations de producteurs membres de l’Union. Au soutien de ces allégations, la SCA Les Vergers d’Anjou a produit, pour la première fois en appel, quatre tableaux qu’elle a établis à partir des données dont elle disposait, dans lesquels elle a reconstitué les aides indirectement versées aux producteurs dans le cadre du programme » plans de campagnes » au titre des exercices 1999-2000, 2000-2001, 2001-2002 et 2002-2003, pour un montant total de 1 405 848,93 euros. La SCA a ainsi identifié, pour chacun de ces quatre exercices comptables, les producteurs individuels bénéficiaires en indiquant précisément, par producteur nommément identifié, le montant de l’aide qui leur a été chacun reversé en fonction de la quantité de fruits qu’ils avaient eux-mêmes apportés. Il résulte de l’expertise ordonnée avant dire droit qu’il s’agit d’une reconstitution théorique du cheminement des aides intégrées dans les prix de vente unitaires sur les bordereaux de règlement, qui ne font cependant pas explicitement mention du montant de l’aide ainsi reversée. Bien que l’expert ait indiqué qu’il n’avait pas les moyens de vérifier l’origine des informations contenues dans ces tableaux, sauf à les rapprocher de tous les bons de calibrage, ce qu’il n’a pas estimé possible de faire, il a toutefois, pour chacun des quatre exercices concernés, et en s’appuyant à chaque fois sur un exemple de variété de pomme, détaillé le circuit de ces aides. Si l’expert judiciaire n’a pas été en mesure, à défaut de flux financiers matérialisés ou directement identifiables, de vérifier la réalité du reversement individualisé aux producteurs des sommes figurant sur les tableaux, il a toutefois attesté de l’existence, constatée par huissier de justice, des documents qui ont servi à les élaborer et a pu observer qu’il existait une méthode de calcul de prix définitifs aux organisations de producteurs et aux producteurs individuels qui tenait compte des aides de campagne, en s’appuyant notamment sur les extraits de procès-verbaux du conseil d’administration de la SCA Les Vergers d’Anjou produits par cette dernière. Au terme de l’analyse approfondie à laquelle il s’est livré, l’expert n’a pas remis en cause le fait que les aides ont bien été reversées aux producteurs en complément du prix de vente des fruits. Il a conclu son rapport en confirmant l’existence d’un calcul intégrant les aides issues des plans de campagne dans le prix de règlement des ventes aux producteurs individuels et en a déduit que » cette méthode appliquée pour déterminer les prix de vente tend à démontrer que les aides étaient indirectement restituées aux producteurs adhérents de l’Union « . Au regard de l’ensemble de ces éléments, en se bornant à relever qu’aucun document comptable ne retrace les flux financiers des aides, FranceAgriMer ne peut être regardée comme renversant la présomption de perception par les producteurs finaux, que la SCA a précisément identifiés, des aides illégalement versées. FranceAgriMer ne peut ainsi être regardée comme apportant la preuve que les aides n’auraient pas été reversées aux producteurs individuels identifiés dans les tableaux au titre des quatre exercices mentionnés ci-dessus et à hauteur des sommes qui y sont indiquées par la SCA requérante, correspondant à un montant total de 1 405 848,93 euros.
6. En revanche, compte tenu de la disparition des archives de l’Union des Vergers de France des documents relatifs à l’exercice 1998-1999, il est constant que la SCA Les Vergers d’Anjou n’a pas été en mesure d’identifier les producteurs individuels bénéficiaires des aides versées dans le cadre du programme des plans de campagne au titre de cette période. Pour cette période, et en application des principes rappelés au point 3, FranceAgriMer pouvait estimer que les aides d’Etat n’avaient pas été transférées aux producteurs et que la SCA Les Vergers d’Anjou, qui s’est vu transmettre l’ensemble du patrimoine de l’Union des Vergers de France, devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des aides illégales.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Les Vergers d’Anjou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à son encontre en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance et à ce qu’elle soit déchargée de la somme correspondante.
Sur les dépens :
8. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens « .
9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l’essentiel, la somme de 8 853,84 euros toutes taxes comprises au titre des frais d’expertise.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCA Les Vergers d’Anjou, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que FranceAgriMer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCA Les Vergers d’Anjou et non compris dans les dépens.
Article 1er : Le titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à l’encontre de la SCA Les Vergers d’Anjou est annulé en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 18 novembre 2021 est annulé en ce qu’il est contraire à l’article 1er.
Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de FranceAgriMer pour un montant de 8 853,84 euros toutes taxes comprises.
Article 4 :FranceAgriMer versera à la SCA Les Vergers d’Anjou une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 :Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 :Le présent arrêt sera notifié à la Société coopérative agricole Les Vergers d’Anjou, à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Cour administrative d’appel Nantes 3e chambre 28 Juin 2024 Numéro de requête : 22NT00179
03/07/2024
Clara LAVIELLE
Rédactrice en chef de la revue Droit des sociétés
Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation
L’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant la renonciation à la revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Par ailleurs, la renonciation faite lors de l’apport effectué à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.
Aux termes des statuts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), l’épouse commune en biens de l’un des deux fondateurs du groupement « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté […], consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC », et « ne requiert pas la qualité d’associé ».
Suivant un procès-verbal d’une assemblée générale, cette épouse a été agréée, à sa demande, en qualité d’associée à concurrence de la moitié des parts dépendance de la communauté de biens existant entre elle et son époux. Lors de deux assemblées générales postérieures à cet agrément, l’existence du GAEC a été prorogée et les comptes approuvés. L’époux et co-fondateur du groupement a assigné ce dernier en annulation de ces assemblées.
Par un arrêt du 4 mars 2022, la cour d’appel d’Amiens a jugé que l’épouse du co-fondateur du GAEC n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé du groupement et, partant, a déclaré nulles et de nul effet les assemblées générales, constaté la dissolution du groupement et ordonné sa liquidation conformément aux statuts (CA Amiens, 4 mars 2022, n°19/00756).
Par cet arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, sauf en ce qu’il a reconnu recevable la demande formée par le co-fondateur du groupement.
En premier lieu, elle valide le raisonnement de la cour d’appel s’agissant de l’interprétation des deux clauses statutaires litigeuses, jugeant que bien qu’elles ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du Code civil, elles établissent que l’épouse du coassocié a « renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». Elle rappelle ainsi, d’une part, qu’un conjoint peut renoncer à revendiquer la qualité d’associé et, d’autre part, que cette renonciation présente un caractère définitif (Cass. com. 12 janv. 1993, n° 90-21.126). Mais, plus que cela, elle précise également que l’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant l’absence de revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Cette souplesse dans l’interprétation de la renonciation à la revendication de la qualité d’associé, favorisant l’esprit plutôt que la lettre des dispositions statutaires y afférentes, se situe dans le droit fil d’un arrêt du 21 septembre 2022 ayant reconnu la validité d’unerenonciation tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer (Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26.203).
En second lieu, contrairement à la cour d’appel, la Haute Juridiction juge qu’il résulte de l’ancien article 1134 du Code civil – qui constitue, pour rappel, le siège de la force obligatoire du contrat reprise aujourd’hui à l’article 1103 du même code – que « la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité ». Partant, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur les seules dispositions statutaires afférentes à cette renonciation pour dire que l’épouse du co-fondateur du groupement n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé et que l’assemblée l’ayant agréée est nulle ; il convenait qu’elle recherche si les deux associés n’avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à son entrée dans le groupement. S’il était déjà acquis que « renoncer à la revendication […] n’équivaut pas nécessairement à abandonner définitivement la possibilité d’entrer dans la société » (Cl. Farge, N. Jullian, N. Kilgus et R. Mortier, « Parts sociales non négociables : les dangers de l’article 1832-2 du Code civil » : JCP N n° 43, 2022, 1244), puisque celui qui a renoncé à revendiquer la qualité d’associé peut la réclamer « à l’occasion d’un autre apport ou d’une autre acquisition opérée ultérieurement à raison des parts nouvelles souscrites ou acquises [avec], éventuellement […], l’agrément des coassociés dans les termes de l’article 1832-2, alinéa 3, du Code civil » ou « grâce à la cession d’une partie des droits sociaux en cause que lui consentirait son époux, sous réserve le cas échéant d’un agrément par les associés stipulé dans les statuts » (JCl Civil Code, art. 1832 à 1844-17, fasc. 10), il est désormais admis qu’en dehors de ces hypothèses, l’unanimité des associés lui reconnaisse à sa demande, postérieurement à sa renonciation, cette qualité.
Au regard des réponses inédites apportées par la Cour de cassation dans cet arrêt, il le fait nul doute que les questions soulevées lors du 118e Congrès des notaires de France tenant à l’utilité de l’article 1832-2 du Code civil, dans un contexte global où nombre d’auteurs militent pour la suppression de cette disposition (A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l’article 1832-2 du Code civil, in Mél. M. Germain : LexisNexis, 2015, p. 697 ; E. Naudin, Champ d’application de l’article 1832-2 du code civil : pour une approche restrictive : JCP N 2015, n° 44, 1193), refassent surface…
Source
RESUME
En application de l’article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement
Cassation
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUIN 2024
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 avril 2022), le 31 juillet 1989, [Z] [R] et [W] [F], son épouse, ont consenti à M. [N] un bail rural à long terme pour une durée de dix-huit ans à compter du 1er avril 1989 portant sur diverses parcelles dont l’une a été divisée en six parcelles suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009.
2. Par acte du 26 mai 2010, un partage est intervenu entre les héritiers de [Z] [R] et [W] [F], et M. [R] s’est vu attribuer une parcelle issue de la division de l’une des parcelles données à bail suivant le document d’arpentage précité.
3. Il a reçu, par acte du 10 septembre 2010, une donation de son frère portant sur deux autres parcelles incluses dans ce document.
4. M. [R] a délivré congé pour les trois parcelles précitées à M. [N] par acte du 28 mars 2019 à effet au 30 septembre 2019, se prévalant du régime des petites parcelles.
5. M. [N] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [N] fait grief à l’arrêt de constater la validité du congé, alors « que des parcelles données à bail ayant une superficie inférieure au seuil maximum fixé par arrêté du préfet du département relèvent du statut du fermage si elles sont issues d’une division du bien loué intervenue depuis moins de neuf ans ; que le statut du fermage demeure applicable jusqu’à l’expiration du bail renouvelé au cours duquel la division du fonds donné à bail est intervenue, de sorte que la condition de délai de neuf ans, qui commence à courir à partir de la date de la division, doit être appréciée à la date du renouvellement de ce bail ; qu’en retenant, pour dire que les parcelles A [Cadastre 3], A [Cadastre 4] et A [Cadastre 5] échappaient partiellement au statut du fermage et valider le congé délivré le 28 mars 2019 pour le 30 septembre 2019, qu’il résultait de l’acte de partage du 10 septembre 2010 que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] avait été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objet du congé, suivant document d’arpentage établi par un géomètre-expert le 30 novembre 2009, de sorte qu’à la date de la délivrance du congé, la condition de neuf ans était remplie, après avoir constaté que le bail s’était tacitement renouvelé 1er avril 2016, ce dont il résultait qu’à cette date, la condition de neuf ans n’était pas remplie, la cour d’appel a violé l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-1 et L. 411-3 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 411-47 et L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime :
7. Selon le premier de ces textes, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
8. Aux termes du premier alinéa du second texte, après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l’autorité administrative fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d’une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3. La nature et la superficie maximum des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location sont celles mentionnées dans l’arrêté en vigueur à cette date.
9. Aux termes du deuxième alinéa de ce second texte, la dérogation prévue au premier alinéa ne s’applique pas aux parcelles ayant fait l’objet d’une division depuis moins de neuf ans.
10. L’indivisibilité du bail cessant à son expiration, dès lors que le bail renouvelé est un nouveau bail, la nature et la superficie des parcelles susceptibles d’échapper aux dispositions d’ordre public relatives au statut du fermage doivent être appréciées au jour où le bail a été renouvelé (3e Civ., 1er octobre 2008, pourvoi n° 07-17.959, Bull. 2008, III, n° 142).
11. Il en résulte que le régime dérogatoire des baux de petites parcelles ne s’applique pas au bail renouvelé si la division des parcelles, qui a eu pour effet de faire naître une pluralité de bailleurs, a eu lieu moins de neuf ans avant ce renouvellement.
12. Pour valider le congé, l’arrêt retient que la division s’entend, en l’espèce, du morcellement d’une parcelle par le biais d’une division parcellaire et non d’un simple allotissement dans le cadre d’une procédure de partage, et que l’ancienne parcelle A n° [Cadastre 2] a été divisée en six nouvelles parcelles dont les trois parcelles objets du congé, suivant document d’arpentage établi le 30 novembre 2009, et énonce que, si la division parcellaire est intervenue durant la durée initiale d’exécution du bail, un congé ne peut être donné qu’à l’issue d’un délai de neuf ans à compter du renouvellement de celui-ci, mais que, si la division intervient, alors que le bail a déjà été renouvelé, alors le délai de neuf ans commence à courir à compter de la division parcellaire.
13. Elle en déduit qu’à la date de la délivrance du congé, le 28 mars 2019, la condition de neuf ans qui a commencé à courir avant la fin de l’année 2009 était remplie, dès lors que cette division était intervenue alors que le bail rural était déjà renouvelé, échappant ainsi au principe d’indivisibilité.
14. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le bail en cours s’était renouvelé le 1er avril 2016, soit moins de neuf ans après la division intervenue par acte de partage du 26 mai 2010, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 avril 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille vingt-quatre.
Cour de cassation 3 juin 2024 Pourvoi n° 22-18.861