Chemins d’exploitation et Délimitation par alignement.

Solution. – La modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation suppose le consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir.

Impact. – À défaut d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’autorisation d’empiétement consentie par un propriétaire riverain sur sa parcelle dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’a pas pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation.

Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 22-22.025 : JurisData n° 2024-010342

Note :

Un chemin d’exploitation sépare deux parcelles dont l’une supporte un hangar exploité par une société. À la suite d’un premier différend relatif à l’accès à ce bâtiment, un protocole d’accord signé entre la société et le propriétaire de l’autre parcelle a autorisé les véhicules lourds empruntant le chemin à empiéter sur cette dernière moyennant le versement d’une indemnité mensuelle.

La société et le propriétaire du terrain sur lequel se trouve le hangar, ont ultérieurement contesté leur obligation de payer et obtenu en première instance l’annulation du protocole d’accord pour absence de cause et, en conséquence, la condamnation de la partie adverse à rembourser les indemnités perçues indûment.

Saisis de l’appel formé par le voisin, les juges du second degré ont, eu égard aux éléments probants soumis à leur appréciation, infirmé le jugement en retenant que le droit d’utiliser le chemin d’exploitation dont bénéficiait la société ne portait pas sur la totalité de l’assiette qu’elle utilisait réellement, qui comporte une emprise sur le fonds voisin.

Un pourvoi en cassation a été formé par la partie adverse, faisant grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1131 du Code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce, alors que, le droit d’usage d’un chemin d’exploitation par un propriétaire riverain n’étant pas lié à la propriété du sol sur lequel son assiette est établie, le droit d’usage de la société et du propriétaire du terrain sur lequel le hangar avait été construit pouvait s’exercer sur l’intégralité de l’assiette du chemin, peu important qu’une partie de cette assiette ait comporté une emprise sur le fonds opposé.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi sur le fondement de l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime, d’où il résulte que « la modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation, comme sa disparition, ne peut résulter que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir », d’où il se déduit que « lorsqu’un propriétaire dont le fonds est desservi par un chemin d’exploitation, accepte, pour la commodité de l’accès au fonds voisin desservi par le même chemin, de réaliser un aménagement par emprise sur son terrain, celui-ci n’opère aucune modification de l’assiette du chemin d’exploitation existant ».

Forte de ce raisonnement, elle en a conclu qu’en relevant que les appelants avaient facilité l’accès au fonds des intimés par une emprise sur leur propre parcelle, la cour d’appel a fait ressortir qu’en l’absence d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’aménagement consenti dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’avait pas eu pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation et a pu en déduire que le protocole d’accord, en ce qu’il permettait de prolonger l’autorisation d’utiliser un passage excédant l’assiette du chemin d’exploitation, n’était pas dépourvu de cause.

Cette décision, tout en mettant fin à un litige en matière de droit des obligations, apporte un éclairage supplémentaire sur les conditions d’évolution de l’assiette des chemins d’exploitation en étendant l’exigence d’un consensus prévue, en ce qui concerne la disparition de ces chemins, par l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime qui dispose : « Les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir. »

La Haute Juridiction civile avait précédemment déduit de cette disposition que les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être déviés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir (Cass. 3e civ., 13 avr. 2022, n° 21-14.551 : JurisData n° 2022-006082 ; RD rur. 2022, comm. 107, D. Lochouarn ; Dr. voirie 2022, n° 229, Synthèse, J. Debeaurain). Elle tient le même raisonnement à l’égard de l’élargissement de l’assiette d’un tel chemin et, plus généralement, de toute modification de cette dernière.

À l’évidence, sa réponse s’inscrit totalement dans un principe jurisprudentiel de modification consensuelle et donc d’intangibilité unilatérale de l’assiette des chemins d’exploitation admis, dans le silence de la loi, par parallélisme avec les règles qui président à leur suppression.

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Commentaire par Denis Lochouarn docteur en droit

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. civ., art. 1131. – C. rur., art. L. 162-3

Conditions de résiliation du bail rural en cas de mise à disposition des biens loués à une société ou un groupement

Trois arrêts publiés le même jour illustrent que la participation active et continue des locataires à l’exploitation des biens loués est essentielle pour éviter la résiliation du bail, même si les biens sont mis à la disposition d’une société ou d’un groupement dont ils ne sont pas membres. Le bailleur doit prouver que le manquement lui cause un préjudice pour obtenir la résiliation du bail.

Ainsi, dans l’un de ces arrêts (n° 23-13.893), la Cour de cassation juge que lorsqu’un locataire, ou en cas de cotitularité, l’un des locataires, met les biens loués à la disposition d’une société dont ils ne sont pas associés, mais continuent à participer activement et de manière permanente aux travaux sur place, ils ne cèdent pas la jouissance du bien loué à cette société. Par conséquent, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que sur la base de l’article L. 411-31, II, 3°, du Code rural et de la pêche maritime, et doit prouver que le manquement lui cause un préjudice.

Dans une situation similaire à la première (n° 23-12.967), si un des cotitulaires du bail cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le cotitulaire restant dispose de trois mois pour demander au bailleur, par lettre recommandée avec accusé de réception, que le bail se poursuive à son seul nom (V. art. L. 411-35, alinéa 3, du même, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014). Le propriétaire ne peut s’y opposer qu’en saisissant le tribunal paritaire dans un délai de deux mois. Le juge, saisi de l’opposition du bailleur, doit alors statuer en tenant compte des intérêts légitimes du bailleur, notamment la capacité du cotitulaire restant à assurer la bonne exploitation du bien et à respecter ses obligations légales et contractuelles.

Dans le troisième et dernier arrêt (n° 23-14.685), la Cour retient que lorsque les biens loués sont mis à la disposition d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) dont les locataires ne sont pas membres, mais qu’ils continuent à participer activement et de manière permanente aux travaux sur place, ils ne cèdent pas la jouissance du bien loué à ce groupement. Ainsi, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que sur la base de l’article L. 411-31, II, 3°, du Code rural et de la pêche maritime, et doit prouver que le manquement lui cause un préjudice.

En synthèse, ces décisions affirment le principe suivant : tant que les locataires continuent à participer activement à l’exploitation des biens loués, même s’ils les mettent à disposition d’une société ou d’un groupement, ils conservent leurs droits de locataires et le bailleur ne peut pas résilier le bail sans motif légitime.

La Cour souligne que la participation active et permanente des locataires aux travaux sur les biens loués est essentielle pour éviter de considérer qu’il y a cession de la jouissance du bien au profit de la société ou du groupement. Cette participation directe démontre que les locataires conservent le contrôle de l’exploitation des biens. Si les locataires respectent cette condition de participation active, le bailleur ne peut pas résilier le bail librement. Il doit invoquer un motif précis prévu par la loi, à savoir un manquement du locataire qui lui cause un préjudice. La simple mise à disposition des biens à une société ou à un groupement ne suffit pas à justifier une résiliation.

Source

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-13.893, FS-B

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-12.967, FS-B

Cass. 3e civ., 26 sept. 2024, n° 23-14.685, FS-B

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Donation déguisée et rapport à la succession au titre des fermages

26/09/2024

Pour qu’il y ait donation déguisée et rapport à la succession, le défunt doit s’être abstenu de réclamer le paiement des fermages dans l’intention de gratifier son descendant.

Des exploitants avaient consenti un bail à cheptel et donné en bail à ferme leur exploitation agricole à leur fils. L’époux décède laissant son épouse commune en biens et ses deux enfants pour lui succéder. Les cohéritiers demandent alors le rapport à la succession, au titre de donations déguisées, du montant des fermages impayés par le preneur. La cour d’appel fait droit à leur demande, le preneur n’ayant pu justifier de l’apurement des fermages et du loyer du bail à cheptel.

Sa décision est cassée et annulée pour manque de bases légales. La cour aurait dû constater l’existence de l’intention libérale du bailleur. En effet, seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession (C. civ., art. 843).

Source

Cass. civ, 1ère, 11 sept. 2024, n° 22-19.129, F-D

COOPERATIVE AGRICOLE ET RETRAIT D’UN ASSOCIE COOPERATEUR : SUR LA FORME ET SUR LE FOND

EXPOSE DU LITIGE

La société coopérative agricole « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» effectue pour le compte de ses associés coopérateurs les opérations de stockage, d’assemblage, de vieillissement, d’embouteillage et de commercialisation des récoltes.

L’E.A.R.L [Adresse 5] est adhérente de la coopérative depuis 2014.

Le 29 septembre 2019 elle a notifié au président du directoire de la Société LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ sa volonté de ne pas renouveler son engagement quinquennal avec interdiction d’utiliser la marque «[Localité 4]» à compter du 1er janvier 2020.

La coopérative LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ a considéré que cette demande de retrait était irrégulière, qu’elle était en conséquence de nul effet et emportait de fait la tacite reconduction de l’engagement quinquennal de l’E.A.R.L. [Adresse 5].

Cependant, l’E.A.R.L. [Localité 4] a refusé d’apporter à la coopérative sa récolte 2019, malgré une mise en demeure.

Du fait de cette absence d’apport, la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié, le 16 décembre 2019, à l’E.A.R.L. [Adresse 5] la décision de son Conseil de Surveillance de retenir à son endroit le paiement d’une participation aux frais fixes d’un montant de 385 048,09 € TTC.

Le Conseil de Surveillance a par ailleurs sollicité auprès de l’E.A.R.L. [Localité 4] le paiement de diverses indemnités :

– 73 659,62 € HT au titre du stock de matières sèches spécifiquement réservé à la production du «[Localité 4]»,

– 113 492 € HT au titre du montant des commissions dues aux divers agents et VRP sur la commercialisation des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5],

– 10 790 € HT au titre du déclassement des vins rouges de la récolte 2018, initialement prévus pour la commercialisation en 2020.

Devant le refus de l’E.A.R.L. [Localité 4] de payer une quelconque somme, la coopérative l’a fait assigner en paiement devant le juge des référés du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN, ainsi qu’en désignation d’un expert aux fins d’évaluer le préjudice économique qu’elle aurait subi.

Par ordonnance du 16 septembre 2020, le juge des référés a condamné l’E.A.R.L. [Adresse 5] à payer à la coopérative la somme provisionnelle de 366 133,61 € et a ordonné une expertise.

Sur appel de la défenderesse, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a, par arrêt du 16 décembre 2021, confirmé la décision déférée en ce qui concerne l’organisation d’une expertise et l’a réformée pour le surplus.

L’expert a déposé son rapport le 8 mars 2022.

Par acte d’huissier du 2 mars 2022, la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a fait assigner de l’E.A.R.L. [Adresse 5] aux fins de :

– Voir dire et juger que de l’E.A.R.L. [Localité 4] n’a pas respecté son engagement d’apporter sa récolte 2019, suite à sa décision de retrait,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] au paiement de la somme de 402 996,96 € TTC au titre de la participation aux frais fixes retenue pour le défaut d’apport de la récolte 2019, avec triplement du taux légal des intérêts de retard,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] au paiement de la somme de 206 331,36 € au titre du préjudice économique direct subi, assortie des intérêts au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Dire et juger que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier et de nul effet et emporte de facto la tacite reconduction de son engagement quinquennal auprès de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

En conséquence,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à remettre la récolte des années 2020 et 2021 à la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» et à défaut à régler la participation aux frais fixes des années 2020 et 2021, assortie des intérêts de retard au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Débouter l’E.A.R.L. [Adresse 5] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] à payer à la société « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise d’un montant de 23 050,39 €.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2023, La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» maintient et précise ses demandes de :

– Voir dire et juger que de l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’a pas respecté son engagement d’apporter sa récolte 2019, suite à sa décision de retrait,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] au paiement de la somme de 402 996,96 € TTC au titre de la participation aux frais fixes retenue pour le défaut d’apport de la récolte 2019, avec triplement du taux légal des intérêts de retard,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] au paiement de la somme de 195 764,97 € au titre du préjudice économique direct subi, assortie des intérêts au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

o Soit 11 835 € TTC au titre de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Localité 4],

o 47 739,47 € TTC au titre des matières sèches,

o 136 190,40 € TTC au titre du préjudice subi par les VRP

– Dire et juger que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier et de nul effet et emporte de facto la tacite reconduction de son engagement quinquennal auprès de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

En conséquence,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à remettre la récolte des années 2020 et 2021 et 2022 à la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» et à défaut à régler la participation aux frais fixes des années 2020, 2021 et 2022, pour un montant de 402 996,96 € par année, assorti des intérêts de retard au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Débouter l’E.A.R.L. [Adresse 5] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Ordonner la compensation des sommes dues par la société« LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à l’E.A.R.L. [Adresse 5] avec les condamnations prononcées à l’encontre de l’E.A.R.L. [Localité 4] au profit de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à payer à la société « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise.

Elle soutient que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier au motif que l’article 11 des statuts impose à tout associé coopérateur désirant ne pas renouveler son engagement de notifier sa décision, par LRAR au moins 3 mois avant la date de fin de cet engagement, au président du Conseil de surveillance ; qu’en l’espèce, la fin du dernier engagement quinquennal de l’E.A.R.L. [Localité 4] expirait le 31 décembre 2019 ; que celle-ci a notifié sa décision de retrait par LRAR du 26 septembre 2019, reçue le 30 septembre 2019 et adressée à Monsieur [Z] [B], président du directoire, ce qui rend cette décision nulle et de nul effet ; que le fait de se retirer 48 heures avant le délai contractuel, en pleine saison de récolte, alors que toutes les ventes sont déjà conclues et toute l’organisation matérielle du traitement des récoltes mises en place, et s’adresser à une personne non habilitée constitue une volonté de nuire.

Elle considère, en tout état de cause que l’E.A.R.L. [Adresse 5] est toujours associée coopérateur de la SCEA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ».

La coopérative fait valoir qu’en tout état de cause l’E.A.R.L. [Adresse 5] avait l’obligation d’apporter sa récolte 2019 en application de l’article 8 des statuts dans la mesure où son engagement quinquennal se termine le 31 décembre et non le 30 septembre, que si le Conseil de surveillance peut décider de ne pas mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes c’est seulement en cas de force majeure, qui n’est pas établi en l’espèce, et pas seulement sur« un juste motif», que l’absence d’apport de sa récolte 2019 à la coopérative pour laquelle ses vins sont des produits phare, constitue donc une faute contractuelle de l’E.A.R.L. [Localité 4].

La coopérative soutient qu’elle a perdu de ce fait plus de 2 millions de chiffre d’affaires, sa crédibilité et des parts de marché dans la mesure où elle a été dans l’impossibilité de proposer une alternative crédible.

Elle chiffre ainsi qu’il suit ses différents préjudices

– Une participation aux frais fixes serait due en application du point 6 de l’article 8 de ses statuts pour un montant de 402 996,96 € TTC,

– Du fait de l’absence d’apport de la récolte 2019, la coopérative se serait trouvée dans l’incapacité d’écouler les stocks de matières sèches spécifiquement réservés à la gamme des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5], il en résulterait un préjudice s’élevait à la somme de 47 739,47 € TTC.

– Le versement d’une indemnité aux agents commerciaux et VRP afin de maintenir leur rémunération dans la mesure où elle a été dans l’incapacité de leur proposer des produits de notoriété identique, pour un montant de 136 190,40 € TTC,

– Une somme de 9 279 € HT, soit 11 254,80 € TTC en indemnisation de l’incapacité dans laquelle elle s’est trouvée de commercialiser le vin rouge 2018 « [Localité 4]» en 2020 devant l’interdiction qui lui a été faite d’utiliser la marque  » PAMPELONNE « ,

La SCEA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» fait valoir que les comptes de l’expert doivent être réactualisés en tenant compte le paiement d’une somme de 223 706,60 € correspondant au paiement de trois acomptes sur la récolte 2018 intervenus le 21 janvier 2022.

Dans ses dernières conclusions en réponse n° 2, notifiées par voie électronique le 8 février 2023 l’E.A.R.L. [Adresse 5] demande au tribunal de :

– Débouter la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– Déclarer que les conclusions de l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 relatives à la détermination de l’impossibilité d’écouler le stock de matières sèches réservées à la gamme de vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5] et de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Localité 4] sont nulles,

– Déclarer que l’application par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 du triple du taux d’intérêt légal pour le calcul des intérêts moratoires courant sur les sommes prétendument dues par l’E.A.R.L. [Adresse 5] est nulle et que le taux d’intérêt légal est applicable en l’espèce,

– Déclarer que les compensations opérées par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 sont nulles,

A titre reconventionnel,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 21 184 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] en remboursement de ses parts sociales d’activité et de ses parts sociales d’épargne,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 68 527 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] en règlement des ristournes au titre des récoltes 2016, 2017 et 2018, assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 11 juin 2022 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 63 200,10 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] correspondant au complément de prix sur la récolte 2018, assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 14 septembre 2020 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 4 373,45 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] correspondant à l’auto-facturation n° 30/20 du 24 juillet 2020 assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 14 septembre 2020 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la «SCA LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 96 725 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» au paiement de la somme de 64 298,43 € HT au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise.

L’E.A.R.L. [Adresse 5] soutient que les conclusions de l’expert doivent être partiellement annulées au motif qu’il a entièrement délégué au sapiteur certains éléments de sa mission alors, qu’en application de l’article 233 du Code de procédure civile, il doit remplir personnellement la mission qui lui a été confiée.

Elle soutient ensuite que son retrait de la coopérative est régulier et effectif ; que le document unique récapitulatif qui lui a été remis mentionne que son engagement se renouvellera pour une période de 5 ans au terme de l’année civile 2019 et qu’elle a bien notifié sa décision de retrait pendant la période impartie, soit dans les trois mois précédant l’expiration de l’exercice.

En ce qui concerne la personne à laquelle la décision de retrait devait être adressée, elle fait valoir que cette précision ne saurait être considérée comme une formalité substantielle et que l’erreur dans la désignation de l’organe représentant d’une personne morale ne constitue qu’une irrégularité de forme n’entraînant la nullité de l’acte qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.

Elle soutient que son retrait est valide et que de ce fait elle ne doit plus aucune récolte à la coopérative , pas même celle de 2019 dans la mesure où son engagement de 5 ans s’étant terminé le 31 décembre 2019, a commencé le 1er janvier 2015 ; qu’il était d’apporter cinq récoltes pour cinq exercices consécutifs, que la réservation de la récolte par la coopérative se fait au début de l’année suivant et que la récolte de 2019 n’avait donc pas à être apportée en raison de son retrait au 31 décembre 2019.

A titre subsidiaire, la défenderesse critique le chiffrage des indemnités réclamées par la coopérative . Elle fait valoir que la demande concernant les années 2020 et 2021 est irrecevable car non chiffrée ; que l’indemnité de retrait de 206 361,36 € n’est pas due car elle n’a pas commis de faute ; que les matières sèches ont été en partie utilisées et qu’elle a proposé de les racheter ; que l’expert n’a pas retenu de préjudice pour l’indemnisations des agents commerciaux en l’absence de justificatifs de versements ; qu’elle avait proposé de racheter les vins rouges 2018.

Reconventionnellement, elle demande le remboursement de ses parts sociales qui n’est toujours pas intervenu car en perdant sa qualité d’associé- coopérateur elle a droit au remboursement des parts sociales qu’elle détient dans le capital de la coopérative , le remboursement des ristournes qui lui sont dues dans la mesure où elles ont été votées par l’assemblée générale de la coopérative et que les associés conservent leurs droits à percevoir les ristournes constituées alors qu’ils faisaient encore partie de la coopérative , qui n’ont pas encore été distribuées au jour de leur départ, attribuées au titre des années 2016, 2017 et 2018 que l’expert a évalué à une somme totale de 68 527 € TTC, un complément de prix d’un montant de 63 200,10 € TTC au titre de la récolte 2018 selon décision de l’assemblée générale d’approbation des comptes clos le 31 décembre 2019, une somme de 4 373,45 € TTC au titre du remboursement de 50 % des taxes sur la récolte 2018, ce que la coopérative ne conteste pas.

Elle sollicite par ailleurs l’allocation de dommages-intérêts au motif que la coopérative a manqué à son obligation de bonne foi en niant la réalité de son départ de l’EARL et en appliquant à son encontre des mesures de rétorsion consistant notamment à ne plus régler aucune des sommes qu’elle lui devait, en cherchant à anéantir sa réputation et obérer ses finances, en multipliant les procédures judiciaires inutiles qui ont déjà par deux fois été jugées abusives par le juge de l’exécution, ce qui lui a causé un préjudice moral qu’elle chiffre à 20 000 € et un préjudice matériel s’élevant la somme de 76 725 € dû aux importants frais de conseil qu’elle a exposé pour défendre ses droits face à l’attitude irrationnelle et agressive de la coopérative , soit 41 525 € HT pour les procédures devant le juge de l’exécution et 35 200 HT pour les procédures de référé.

Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure au 11 janvier 2024.

Le 29 janvier 2024, la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié des conclusions en réplique au fond avec demande de rabat de l’ordonnance de clôture.

Par courrier du 1er février 2024 l’E.A.R.L. [Adresse 5] s’oppose à ce renvoi au motif notamment qu’elle-même a conclu dès le 8 février 2023.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 4 juillet 2024. A cette audience, à l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 11 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Observations à titre liminaire

A titre liminaire, Il sera rappelé qu’il sera fait application des dispositions de l’article 768 du Code de procédure civile pour considérer demandes formulées, celui-ci prévoyant en son alinéa 2 que « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. ».

A cet égard, il sera répondu exclusivement aux demandes formulées dans le dispositif des conclusions des parties, demandes relevant de l’office juridictionnel du Juge au sens de la loi, soit les demandes déterminées, actuelles et certaines.

Sur le rabat de l’ordonnance de clôture

L’article 802 du Code de procédure civile dispose que «après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut plus être déposée ni aucune pièce produite aux débats…».

Selon les dispositions de l’article 803 du même code « l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue….».

En l’espèce, les dernières conclusions de l’E.U.R.L. [Localité 4] ont été notifiées le 8 février 2023 et la demanderesse a répliqué le 6 décembre 2023, soit avant la date de la clôture fixée au 11 janvier 2024.

La coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié de nouvelles conclusions le 29 janvier 2024.

Elle fait valoir qu’elle souhaitait de nouveau conclure, mais ne justifie, ni même n’allègue aucune cause grave permettant d’ordonner la révocation de l’ordonnance ayant mis fin à la procédure.

Cette demande sera en conséquence rejetée.

I – LES DEMANDES DE LA COOPERATIVE «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

Sur la validité de la décision de retrait du 26 septembre 2019 et la demande d’apport des récoltes 2020, 2021 et 2022

L’article 8-4. des statuts de la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ», mis à jour à la suite de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 14 juin 2019, prévoit que «la durée initiale de l’engagement est fixée à cinq exercices consécutifs à compter de l’expiration de l’exercice en cours à la date à laquelle il a été pris…».

Selon leur article 8-5. «A l’expiration de cette durée, comme à l’expiration des reconductions postérieures, si l’associé coopérateur n’a pas notifié sa volonté de se retirer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, trois mois au moins avant l’expiration du dernier exercice de la période d’engagement concernée, l’engagement se renouvelle par tacite reconduction par périodes de cinq ans. Les effets de la dénonciation sont réglés par l’article 13».

Quant à l’article 11-3, il dispose que «la décision de retrait en fin de période d’engagement doit être notifiée, sous peine de forclusion, trois mois au moins avant la date d’expiration de cet engagement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au président du conseil de surveillance, qui en donne acte».

Le «document unique récapitulatif» à l’en tête de la coopérative , versé aux débats par la défenderesse stipule quant à lui au paragraphe «durée de l’engagement »: «… compte-tenu de votre adhésion à la constitution de la coopérative en 1986, de la période d’engagement initial de 3 ans, portée à 5 ans au cours de l’assemblée générale extraordinaire du 14 décembre 2004, votre engagement se renouvellera pour une période de 5 ans au terme de l’année civile 2019».

Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception en date 26 septembre 2019, distribué le 30 septembre suivant, adressé à M. [Z] [B], président du Directoire de la coopérative , l’EARL [Adresse 5] informait celle-ci de sa décision de se retirer de la coopérative au 31 décembre 2019 et du fait qu’elle résiliait le contrat de la marque exclusive Pampelonne à cette même date.

Il n’est pas contesté que la décision de retrait de la coopérative a été notifiée par la demanderesse à cette dernière, trois mois avant l’expiration du dernier exercice de sa dernière période d’engagement, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, respectant en cela les dispositions de l’article 11-3 des statuts précités.

Cependant, dans la mesure où cette décision a été envoyée au président du directoire et non à la présidente du conseil de surveillance, la coopérative prétend qu’elle est sans effet.

Toutefois, il est de jurisprudence constante que l’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale habilitée à recevoir une notification ne constitue qu’une irrégularité pour vice de forme et ne peut priver cette notification de ses effets que si celui qui l’invoque prouve que cette irrégularité lui cause un grief.

En l’espèce, la coopérative n’établit, ni même ne prétend qu’elle a ainsi subi un grief du fait de cette erreur.

Or, les formes requises pour la notification du retrait d’un coopérateur visent nécessairement à l’information en temps utile, de l’organe dirigeant de la coopérative , de cette décision.

En l’espèce, outre que le directoire a pour rôle la gestion et l’administration de l’entreprise et qu’il est de ce fait au plus près du fonctionnement de l’entreprise, il ressort d’un courriel adressé par la dirigeante de l’EARL [Localité 4], le 4 octobre 2019, à [Z] [W], membre du directoire de la coopérative , avec notamment copie à la présidente du conseil de surveillance, qu’un entretien avec les dirigeants de la coopérative a eu lieu dès le 1er octobre 2019 concernant son retrait et la récolte 2019.

De ce fait, la coopérative , qui a été très rapidement informée de la décision de la défenderesse ne justifie pas d’un grief, et ne peut prétendre, de ce fait, à l’absence d’effet de la décision de retrait du 26 septembre 2019.

La décision de retrait notifiée par l’E.A.R.L. [Adresse 5] à la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera, en conséquence considérée comme régulière.

De ce fait, il apparaît que l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’est plus associée de la coopérative depuis le 31 décembre 2019.

En conséquence, il convient de débouter la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à lui remettre ses récoltes 2020, 2021 et 2022.

Sur l’obligation de l’E.A.R.L. [Localité 4] d’apporter sa récolte 2019 à la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

Par contrat du 15 juin 2014, l’E.U.R. L. [Adresse 5] a repris l’exploitation viticole de [L] [F] ainsi que les parts sociales de la coopérative dont celui-ci était propriétaire.

Le conseil d’administration de la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a approuvé la cession des parts sociale le 24 juin 2014 et il a été remis à sa dirigeante un  » document unique récapitulatif  » fixant la fin de son engagement renouvelable  » au terme de l’année civile 2019 « .

Il a été rappelé ci-dessus que la durée initiale de l’engagement est fixée à cinq exercices consécutifs, renouvelable par tacite reconduction et qu’à chaque fin de période le coopérateur peut décider de se retirer de la coopérative dans les conditions et formes prévues à l’article 11.3 précité.

En l’absence de précision dans les statuts et les différents documents produits par la coopérative quant au nombre de récolte devant être cédées à la coopérative au cours d’un engagement quinquennal et du sort de la récolte de l’année du retrait, il doit être considéré qu’un coopérateur est tenu d’apporter cinq récoltes pendant cette période de cinq ans.

Au titre de cet engagement de 2014 à 2019, l’E.U.R. L. [Adresse 5] a apporté cinq récoltes à la coopérative :

– – La récolte 2014 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 12 février 2015,

– La récolte 2015 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 1er février 2016,

– La récolte 2016 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 19 février 2017,

– La récolte 2017 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 15 janvier 2018,

– La récolte 2018 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 14 janvier 2019.

Il apparaît, en conséquence que l’E.U.R. L. [Localité 4] a rempli son engagement.

En effet, prétendre que l’E.U.R.L. [Adresse 5] devait apporter la récolte 2019, c’est prétendre que pour un engagement portant sur cinq exercices, elle devrait apporter six récoltes, ce qui n’est pas prévu et contraire aux statuts.

Par ailleurs, il apparait au vu des différents documents produits que, chaque année, la coopérative réserve auprès de chaque coopérateur la quantité de vin qu’elle souhaite acquérir. Au vu de la notification de cette réservation au coopérateur , celui-ci a alors l’obligation de la lui transférer.

La coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»ne saurait valablement soutenir que la récolte 2019 lui est due dans la mesure où elle a réservé cette récolte en 2019 et que de ce fait, conformément au règlement intérieur, la défenderesse avait l’obligation de la lui transférer.

En effet, il est établi par l’E.U.R.L. [Adresse 5] et non contesté que, depuis 1986, chaque année, la récolte a été cédée à la coopérative l’année suivante et plus précisément depuis 2014, comme mentionné ci-dessus, les réservations se sont faites en janvier ou février de l’année suivant la récolte.

Le fait qu’en 2019 la réservation de la récolte de cette année-là ait été exceptionnellement effectuée en décembre 2019, contrairement au fonctionnement habituel de la coopérative et, en conséquence, de nature à assurer le transfert de propriété cette même année, ne peut donc s’analyser que comme une manœuvre destinée artificiellement à contraindre la défenderesse à lui transférer cette récolte.

Or, il apparaît de toute évidence que le transfert de la récolte de l’année de retrait ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre des statuts.

En effet, les statuts consacrent le principe selon lequel, au terme de son engagement quinquennal, un coopérateur peut choisir de reprendre sa complète liberté et indépendance, en se retirant de la coopérative .

Dans la mesure où, dans le cadre de cet engagement, le vin issu d’une récolte n’appartient plus au coopérateur à partir de la notification de sa réservation par la coopérative et que celle-ci a alors, seule, le droit de décision et de contrôle quant au suivi du vin, à son embouteillage, son stockage et sa commercialisation, imposer au coopérateur de remettre à la coopérative la récolte de l’année du retrait, c’est le priver de toute indépendance économique et technique sur l’année correspondant à cette récolte et sur l’année suivante, ce qui est antinomique avec le principe ci-dessus rappelé.

En l’espèce, les conséquences de cette remise sur l’entreprise concernée pourraient être aggravées du fait des nombreux problèmes de suivi de ses vins dont elle se plaint depuis plusieurs années et en raison des relations très conflictuelles entre les parties.

Pour tous les motifs ci-dessus énoncés, il ne peut être considéré, faute de précision contraire dans les documents contractuels, que le coopérateur qui se retire de la coopérative est tenu d’apporter la production qu’il a récoltée l’année de ce retrait.

Il convient, en conséquence, de dire que l’engagement quinquennal de l’E.U.R.L. [Localité 4] ayant débuté en 2014 pour se terminer en 2019 n’emportait pas l’obligation d’apporter à la coopérative la récolte 2019 et il convient de débouter la coopérative de sa demande en ce sens.

Sur les demandes visant à voir déclarer nulles certaines conclusions de l’expert judiciaire

L’E.U.R.L. [Adresse 5] demande au tribunal de :

– Déclarer que les conclusions de l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 relatives à la détermination de l’impossibilité d’écouler le stock de matières sèches réservées à la gamme de vins de l’E.A.R.L. [Localité 4] et de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5] sont nulles,

– Déclarer que l’application par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 du triple du taux d’intérêt légal pour le calcul des intérêts moratoires courant sur les sommes prétendument dues par l’E.A.R.L. [Localité 4] est nulle et que le taux d’intérêt légal est applicable en l’espèce,

– Déclarer que les compensations opérées par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 sont nulles.

Ces demandes ne peuvent être considérées que comme des moyens et non des prétentions sur lesquelles le juge doit se prononcer au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

Il n’y a donc pas lieu à statuer sur ces demandes en tant que telles. Il en sera seulement tenu compte dans la résolution du litige opposant les parties.

Sur les demandes d’indemnisation de la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

En refusant d’apporter sa récolte 2019, l’E.U.R.L. [Adresse 5] n’a pas commis de faute. En conséquence la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera déboutée de sa demande de voir condamner la défenderesse à lui verser la somme de 402.996,96 € au titre de la participation aux frais fixes de la coopérative prévue aux statuts en cas de retrait irrégulier.

De même, elle sera déboutée de sa demande d’indemnisation au titre des matières sèches au motif qu’une partie de ces matières a été utilisée par elle et surtout qu’elle ne peut reprocher à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une mauvaise gestion du stock qui lui incombe, le retrait de cette dernière devant être pris en compte et même anticipé.

En ce qui concerne l’indemnisation du préjudice qu’aurait subi les VRP, il ne peut davantage être mis à la charge de l’E.U.R.L. [Localité 4] en raison d’une absence de comportement fautif de l’EURL, précision étant faite que l’expert n’a pas trouvé trace d’indemnités qui leur auraient été versées contrairement à ce que prétend la coopérative .

Par ailleurs, la coopérative demande l’allocation d’une somme de 11 835 € au motif que, compte-tenu de l’interdiction faite par la défenderesse d’utiliser la marque« Pampelonne» à partir du 1er janvier 2020, elle était dans l’impossibilité de commercialiser le vin rouge 2018 produit par cette dernière.

Cependant le procès-verbal du conseil de surveillance du 25 novembre 2019 établit que l’E.U.R.L. [Adresse 5] avait proposé de reprendre ce vin. La coopérative ne démontre pas que cette proposition n’a pu être suivie d’effet du fait de la défenderesse.

Elle ne peut en conséquence se plaindre d’un préjudice et sera déboutée de cette demande.

II – LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE L’E.U.R.L. [Localité 4]

Sur la demande de remboursement des parts sociales de la coopérative détenues par l’E.U.R.L. [Adresse 5]

L’E.U.R.L. [Localité 4] détient 850 parts sociales d’activité d’une valeur de 13 600 € et 474 parts sociales d’épargne d’une valeur de 7 584 €.

Selon l’article 20.2 des statuts de la coopérative «ces parts sociales donnent lieu également à remboursement en cas de démission du coopérateur à l’expiration normale de sa période d’engagement dans les conditions prévues à l’article 11, paragraphe 3, ci-dessus»

L’article 20.4 prévoit que le remboursement de ces différentes parts s’effectue à leur valeur nominale.

Il apparaît que la coopérative ne s’oppose pas au remboursement de ces parts pour le montant sollicité.

Il sera en conséquence fait droit à cette demande.

Sur la demande de remboursement des ristournes au titre des récoltes 2016, 2017 et 2018

L’article 48-3 des statuts de la coopérative dispose que «la provision pour ristournes éventuelles (est) répartie entre les associés coopérateurs… au prorata des opérations effectuées par chacun d’eux au titre de l’exercice au cours duquel elle a été constituée».

Il apparaît que des ristournes ont été accordées aux coopérateurs pour les récoltes 2016, 2017 et 2018.

Selon le rapport d’expertise, il est dû à ce titre à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une somme totale de 57 106 € HT, soit 68 527 € TTC, se décomposant de la façon suivante : 10 264 € HT au titre de la récolte 2016, 27 852 € HT au titre de la récolte 2017 et 18 990 € HT au titre de la récolte 2018.

La coopérative «reconnaît qu'(elle) doit à l’EARL la somme de 67 016 € au titre des ristournes».

Cette somme correspond à sa facture d’auto-facturation du 28 juillet 2020 mais elle ne s’explique pas sur la différence existant avec les conclusions de l’expert et cette dernière mentionne dans son rapport qu’elle n’a pas produit les documents qu’elle sollicitait pour justifier de quantités de vin inférieures alors qu’elle-même s’est rapportée aux bons de réservation.

Dans ces conditions, c’est le calcul opéré par l’expert qui doit être retenu et il sera fait droit à la demande de l’E.U.R.L. [Localité 4] de voir condamner la coopérative à lui payer la somme de 68 527 € TTC en principal.

Par ailleurs, l’assemblée générale de la coopérative a voté ces ristournes lors de l’assemblée générale du 9 juillet 2020 et a prévu leur libération effective avec le règlement du solde de la récolte 2020.

L’assemblée générale du 10 juin 2022 qui a statué sur les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2021 a rendu ces ristournes exigibles.

En conséquence, la coopérative sera condamnée à payer la somme de 68 527 € TTC avec intérêts égal à trois fois le taux légal conformément à la mention apposée sur sa facture, outre une somme forfaitaire de 40 € au titre des frais de recouvrement, somme également mentionnée sur l’auto-facture.

Sur la demande de paiement du complément de prix et de remboursement de taxes sur la récolte 2018

La coopérative a accordé à l’E.U.R.L. [Adresse 5] un complément de prix sur ses apports en AOP Côte de Provence qu’elle a formalisé par une auto-facture établie le 24 juillet 2020 pour un montant de 61 881,42 € payable 45 jours fin de mois.

A la même date et dans les mêmes conditions, elle a émis une auto-facture de 4 375,45 € pour le remboursement des taxes à hauteur de 50 % sur cette récolte

Ces sommes ne sont pas contestées par la coopérative .

Il convient par ailleurs d’assortir ces sommes d’intérêts égaux à trois fois l’intérêt légal à compter du 30 septembre 2020 et d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 € pour chacune d’elle conformément aux mentions portées sur les auto-factures.

Sur les demandes de réparation de son préjudice moral et économique formée par l’E.U.R.L. [Localité 4]

L’E.U.R.L. [Adresse 5] sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 € au titre du préjudice moral et 76 725 € HT au titre de son préjudice économique.

1) Le préjudice moral

Il apparaît que la coopérative , vu le manque de précision des statuts qui lui est toutefois imputable, pouvait être convaincue que la récolte 2019 lui était due et que du fait de l’absence d’apport de cette récolte elle subissait un préjudice.

Cependant, dès le 4 octobre 2019, elle a menacé l’E.U.R.L. [Localité 4] de «procédures violentes» et de contraintes «dont on ne peut même pas estimer la portée.»

Ces menaces vont au-delà d’une simple protection de ses droits.

Par ailleurs, la coopérative a retenu divers paiements dus sur la récolte 2018, ainsi que divers compléments de prix sur les récoltes passées, sans doute pour garantir ce qu’elle considérait comme ses droits ainsi qu’il résulte du courrier de la coopérative du 21 mars 2022 dans lequel elle indique «vous savez être débiteur à notre encontre de sommes bien supérieures» à la demande qui lui était formulée, ce qui n’établit pas en soi une intention de nuire.

Cependant, par ordonnance du 16 septembre 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN a condamné l’E.U.R.L. [Adresse 5] à payer à la coopérative une somme provisionnelle de 396.133,61 € au titre de la participation à ses frais fixes qu’elle sollicitait du fait de l’absence d’apport de la récolte 2019.

Par une autre ordonnance rendue à la même date, le même juge a condamné la coopérative à payer à l’E.U.R.L. [Localité 4] la somme provisionnelle de 211.454,10 €.

La coopérative a notifié le 15 octobre 2020 à l’E.U.R.L. [Adresse 5] l’ordonnance dont elle était bénéficiaire.

Dès le 16 octobre 2020, elle a procédé à une saisie-attribution entre ses propres mains pour une somme de 396.133,61 €.

De son côté, l’E.U.R.L. [Localité 4] entendant procéder au paiement auquel elle avait été condamnée par compensation entre les deux décisions rendues par le juge des référé, ainsi que par compensation avec deux factures dont il a été vu précédemment qu’elles lui étaient bien dues et dont la coopérative ne contestait pas être débitrice : la facture de complément de prix sur la récolte 2018 d’un montant de 63.208,83 € et la facture de 50 % des taxes sur cette récolte pour un montant de 4.374,05 €, a versé à la coopérative , le 28 octobre 2020 le complément par virement, soit la somme de 113.975,75 €.

Par jugement du 27 juillet 2021 le juge de l’exécution a ordonné la main levée de la saisie attribution diligentée le 15 octobre 2020 au motif que cette saisie exécutée dès le lendemain de la signification de l’ordonnance de référé la déclarant créancière d’une somme de 211.454,10 €, sans commandement de payer préalable exposant les sommes précises réclamées, alors même que la coopérative avait souhaité devant le juge des référés une compensation entre les deux ordonnances rendues le même jour et que si les deux factures de 63.208,83 € et 4.374,05 € ne pouvaient bénéficier de la compensation légale, leur existence, qui n’était pas contestée, était indéniablement de nature à justifier l’établissement d’un décompte préalable des sommes dues entre les parties avant toute mesure d’exécution forcée, était abusive.

Par arrêt du 7 décembre 2021, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a infirmé l’ordonnance du 16 septembre 2019 en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par la coopérative en raison de contestations sérieuses du caractère fautif du refus de l’E.U.R.L. [Adresse 5] d’apporter sa récolte 2019 et subséquemment de la créance de la coopérative .

Malgré cette décision mettant pourtant à mal ses certitudes sur ses droits, la coopérative n’a versé à la défenderesse, le 21 janvier 2022, que le montant de la condamnation prononcée à son encontre par le juge des référés dans sa seconde ordonnance, soit 211.454,10 €.

L’E.U.R.L. [Localité 4] a donc dû procéder à des saisies-attribution pour recouvrer la somme de 113.975,75 € qui devait lui être remboursée après la décision de la Cour d’Appel.

Cette résistance, qui dépasse la simple sauvegarde de ses droits est abusive.

La coopérative a ensuite fait procéder, le 12 mai 2020, par ordonnance sur requête rendue par le juge de l’exécution de DRAGUIGNAN, dans les locaux de l’E.U.R.L. [Adresse 5] à la saisie conservatoire de 1 300 hectolitres de vin de la récolte 2019.

Par jugement du 16 juin 2020, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN a ordonné la rétraction de l’ordonnance ayant autorisée la saisie motivant ainsi qu’il suit sa décision «en choisissant de pratiquer une saisie rendant indisponible une quantité de 1300 hectolitres sur une récolte de 2184 hectolitres sans avoir tenté au préalable une saisie des avoirs plus liquides comme les comptes bancaires, la société coopérative a fait le choix de réduire fortement l’activité commerciale de l’EARL en lui interdisant de commercialiser une partie de sa récolte dans le but de la sanctionner pour avoir refusé de la livrer…Il ressort de ces éléments que le choix de saisir une grande partie de sa récolte procède d’une volonté de nuire à l’EARL pour l’empêcher de commercialiser elle-même la récolte de 2019 dont la société coopérative agricole affirme qu’elle lui revenait de droit plutôt que d’une volonté de se procurer une garantie pour conserver sa créance. La saisie pratiquée, qui plus est sans justifier d’une menace réelle sur le recouvrement est donc abusive.

La mesure pratiquée qui est intervenue par surcroît à une période de reprise d’activité où il serait nécessaire pour l’EARL de disposer de la totalité de sa récolte pour une commercialisation rapide et dans un but vexatoire et de représailles, a causé à cette société à associé unique un préjudice moral qu’il convient de réparer par l’octroi d’une somme de 10 000 €».

A travers l’ensemble de ces procédures, la coopérative a procédé à un véritable harcèlement de l’EURL qui n’a pas cessé après la décision de la Cour d’Appel qui a pourtant dit que ses prétentions étaient sérieusement contestables, démontrant ainsi une véritable intention de lui nuire, allant bien au-delà de la sauvegarde de ses droits, qui a causé à cette dernière un indiscutable préjudice moral.

De ce fait, il sera fait droit à la demande de l’E.U.R.L. [Localité 4] et il lui sera alloué une somme de 20 000 € en réparation de ce préjudice.

b) Le préjudice économique

L’E.U.R.L. [Adresse 5] soutien que «dès lors que (la juridiction de céans) jugera que (la coopérative ) a violé ses obligations contractuelles à l’encontre de son ancienne associée, le principe de la réparation intégrale du dommage commande d’allouer à l’EARL des dommages-intérêts pour compenser l’entièreté du préjudice qu’elle subit, qui inclut nécessairement les frais de défense qu’elle a été contrainte d’exposer».

Elle sollicite en conséquence une somme de 41.525 € HT pour les procédures devant le juge de l’exécution de DRAGUIGNAN et celle de 35.200 € HT pour les procédures de référé et joint une attestation d’honoraires.

Cependant, ces frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l’article 700 Code de procédure civile, lequel devait donc être sollicité devant chacune des juridictions ayant eu à statuer.

De ce fait, cette demande sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» qui succombe dans l’ensemble de ses demandes sera condamnée aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise conformément aux dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.

De ce fait elle sera également condamnée à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile que le tribunal fixe à la somme de 50.000 € eu égard à la complexité de la procédure.

La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera, en revanche déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience civile, après débats publics, par jugement contradictoire par mise à disposition au greffe, en premier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Rejette la demande de rabat de l’ordonnance de clôture formée par la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

Dit que la décision de retrait notifiée par l’E.A.R.L. [Adresse 5] à la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» le 26 septembre 2019 est régulière,

Dit que l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’est plus associée de la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» depuis le 31 décembre 2019,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à lui remettre ses récoltes des années 2020, 2021 et 2022,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui apporter sa récolte de l’année 2019,

Dit qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les demandes de l’E.A.R.L. [Localité 4] visant à voir déclarer nulles certaines conclusions de l’expert judiciaire,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui verser la somme de 402 996,96 € au titre d’une participation aux frais fixes de la coopérative ,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui payer la somme de 195 764,97 € au titre d’un préjudice économique,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 21 184 € en remboursement de ses parts sociales d’activité et de ses parts sociales d’épargne détenues dans le capital de la coopérative ,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 68 527 € en règlement des ristournes qu’elle lui a consenties sur les récoltes 2016, 2017 et 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 63 200,10 € au titre du complément de prix dû sur la récolte 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 4 373,45 € au titre de l’auto-facturation n°30/20 du 24 juillet 2020 au titre d’un remboursement de taxes sur la récolte de l’année 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral,

Déboute l’E.U.R.L. [Localité 4] de sa demande au titre d’un préjudice financier,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 50 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» aux entiers dépens de la présente instance.

Tribunal judiciaire, Draguignan, 1re chambre, 11 Septembre 2024 – n° 22/01623

l’article L. 411-4, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime : Baux ruraux successifs consentis à des preneurs différents : préférence donnée au bail ayant acquis le premier

Dans une décision du 12 septembre rendue au visa de l’article L. 411-4, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime et de l’article 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la troisième chambre civile se prononce sur les conditions d’opposabilité du bail au preneur en place en présence de deux baux ruraux successifs portant sur les mêmes biens consentis à des preneurs différents. Elle juge que dans une telle hypothèse, le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable au locataire qui, à cette date, était déjà en possession des biens loués en vertu d’un titre antérieur n’ayant pas date certaine si le preneur qui se prévaut de l’antériorité de son titre est de bonne foi, à défaut pour lui de connaître cette situation. A contrario donc, le fait que le preneur qui se prévaut de l’antériorité de son titre a connaissance de cette situation exclut sa bonne foi (V. Cass. 3e civ., 25 juin 1975, n° 74-10.397).

Source

Cass. 3e civ., 12 sept. 2024, n° 22-17.070, FS-B

Assimilation de l’association d’un membre de sa famille au bail rural à une cession

Obs. sous Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 22-22.156

Solution. – La faculté d’associer un membre de sa famille au bail en qualité de copreneur, prévue à l’article L. 411-35 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime, est réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire à celui qui s’est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail. La condition de bonne foi est appréciée à la date de la demande en justice d’autorisation d’association. Il résulte des articles L. 331-2 et L. 411-35 alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime que l’autorisation par le tribunal de l’association d’un membre de la famille au bail en qualité de copreneur est subordonnée à la conformité de la situation au contrôle des structures.

Impact. – La Cour de cassation, pour la première fois, par le présent arrêt, précise que l’association d’un proche, tout comme la cession intrafamiliale, en tant qu’exception au principe d’incessibilité du bail rural et à son caractère intuitu personae, est une faculté réservée au preneur de bonne foi, c’est-à-dire celui qui s’est acquitté de toutes ses obligations légales ou conventionnelles. Elle ajoute, par analogie à la cession intrafamiliale, que l’autorisation de l’association d’un proche au bail rural est conditionnée au respect par ce dernier des exigences du contrôle des structures.

L’exception du cadre familial. Le bail rural est conclu en considération de la personne. Il est dépourvu d’une valeur patrimoniale. Par exception au principe d’interdiction des cessions, et sous certaines conditions, le preneur peut céder son titre à son conjoint ou partenaire pacsé ou à ses descendants ou encore associer ces mêmes personnes à son bail (C. rur., art L. 411-35). Cette disposition « est destinée à permettre une transition avant la retraite effective du preneur en place » (J.-F. Le Petit, « L’interdiction de céder ou de sous-louer un bail rural et ses exceptions progressives », Administrer, août-sept. 1998, p. 26). 

L’association d’un proche au bail et la cession ont, très souvent, été abordée ensemble, voire indistinctement (V. contra S. Pringent, Répertoire de droit immobilier Dalloz, v° Bail rural, n°390, qui sans aborder indistinctement l’association au bail et cession admet que « [la première] opération suppose une autorisation concédée dans les mêmes conditions que pour les cessions familiales »). Cependant ce n’est qu’en matière rurale que ce rapprochement est opéré. La cession de contrat, telle que définie civilement (C. civ. art. 1216), se distingue de l’association au bail, laquelle n’opère pas une substitution de preneurs mais l’adjonction d’un nouveau preneur au preneur existant.

La Cour de cassation par un arrêt du 11 juillet 2024, qui a les honneurs d’une publication, a eu l’occasion d’apporter une clarification sur les conditions de l’association d’un proche au bail. Celles-ci sont déterminées par analogie aux conditions de la cession intrafamiliale déjà posées par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 21 févr. 1996, n° 94-12.134, Bull. III, n°51, 1996 ; Cass. 3e civ., 5 juin 2002, n° 00-21.893, Bull. III, n°128, 2002). Il apparait toutefois surprenant que les conditions de l’association au bail soient précisées par le récent arrêt, s’agissant d’une disposition usitée depuis plusieurs années (la disposition est insérée dans le Code rural par une loi du 1er août 1984 pour le descendant, une loi du 30 décembre 1988 pour le conjoint et la loi du 5 janvier 2006 opère une extension au partenaire pacsé. V. en ce sens L. Lorvellec et F. Collart Dutilleul, Les baux ruraux, éd. Sirey, 1993, n° 250).

Faits de l’espèce. Par acte du 24 décembre 1959, un domaine agricole est donné à bail à ferme. Le 19 septembre 2011, la bailleresse, invoquant divers manquements des preneurs, leur a délivré congé à effet au 25 mars 2013. Les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. Ils ont demandé, à titre additionnel, l’autorisation d’associer leur fils ou bail.

Procédure. Le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac a annulé le congé délivré par la bailleresse et a autorisé les preneurs à associer leur fils au bail en qualité de copreneur. La cour d’appel de Riom rend, le 27 septembre 2022, un arrêt confirmatif. La baillleresse, demanderesse au pourvoi, fait grief à l’arrêt d’autoriser les preneurs à associer leur fils au bail, alors « que l’association au bail d’un descendant, qui aboutit à pérenniser le bail, est une faveur réservée au preneur qui n’a commis aucun agissement susceptible d’entraîner la résiliation du bail ; que la cour d’appel a constaté que M. [S] [D] avait effectivement quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’avait jamais été informé officiellement de cette situation ; qu’en considérant qu’il ne s’agirait pas d’une faute et en autorisant l’association au bail de [R] [D], la cour d’appel a violé les articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ».  La bailleresse fait le même grief à l’arrêt alors « que le bénéficiaire de l’association est tenu de respecter les règles du contrôle des structures ; qu’il doit donc selon le cas justifier avoir obtenu une autorisation d’exploiter ou avoir respecté la législation sur les structures agricoles ».

L’autorisation de l’association de membre de la famille au bail en qualité de copreneur est-elle soumise aux conditions de bonne foi du preneur et de régularité de la situation du candidat à l’association au contrôle des structures ? À quelles conditions la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité prévue à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, est-elle susceptible d’entraîner la déchéance de la faculté d’associer un membre de la famille au bail ? L’association au bail est-elle conditionnée à la conformité de la situation du candidat au contrôle des structure et/ou, si les terres sont exploitées dans un cadre sociétaire, à la conformité de la situation de cette société à cette législation ?

La Cour de cassation affirme explicitement que les conditions exigées dans le cadre de l’autorisation judiciaire de la cession intrafamiliale du bail rural sont applicables à l’association au bail d’un proche en qualité de copreneur. Ces conditions tiennent d’une part au respect scrupuleux par le preneur en place des obligations mises à sa charge par le statut du fermage (I) et d’autre part à la satisfaction par le candidat à l’association aux exigences du contrôle des structures (II)

      I-Une assimilation sur le terrain du statut du fermage

L’article L. 411-35 al. 2 du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur d’associer à son bail, en qualité de copreneur, son conjoint, son partenaire pacsé ou un descendant majeur. L’opération suppose l’agrément du bailleur, lequel peut être tacite (Cass. 3e civ., 25 mars 2015, n° 13-18.874 ; Cass. 3e civ., 10 oct. 2019, n° 18-17.031). « Si elle n’a pas été autorisée, [l’association] peut être sanctionnée de la même façon qu’une cession occulte : le preneur encourt la résiliation de son bail » (J.-P. Moreau et B. Grimonprez, Jurisclasseur Baux ruraux, Fasc. 320 : Baux ruraux- Droits et obligations du preneur- Exploitation du fonds- Cession de bail et sous-location). L’absence d’agrément peut être suppléée par une autorisation judiciaire. Celle-ci est accordée en considération de la bonne foi du preneur (A), laquelle est appréciée par les juges au moment de la demande (B).

   A-Exigence de bonne foi

Exécution diligente des obligations légales ou conventionnelles. S’agissant d’une demande d’autorisation de cession, la Cour de cassation impose que le preneur soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il se soit acquitté de ses obligations légales et de celles nées du bail. Cette exigence ne découle pas des textes mais est admise depuis fort longtemps en jurisprudence (V. en ce sens Cass. 3e civ., 6 nov. 1973, n° 72-14.717 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-15.343).

Aussi, la haute juridiction, par le présent arrêt, a-t-elle soumise l’autorisation d’associer un proche au bail, en qualité de copreneur, à la condition de bonne foi du preneur. Cette condition est justifiée par le fait que la faculté de cession intrafamiliale tout comme celle d’associer une proche au bail constitue une exception au principe d’incessibilité du bail et son caractère intuitu personae, qui doit être réservée au preneur qui a fait preuve de diligence dans l’exécution de l’ensemble des obligations mises à sa charge par le statut du fermage. Il est vrai, cependant, que l’association d’un membre de famille porte atteinte au caractère intuitu personae du bail rural dans une moindre mesure que la cession. Le bailleur conserve, malgré l’adjonction d’un nouvel exploitant en qualité de copreneur, le preneur qu’il a choisi originairement.

La solution retenue par la Cour de cassation ne s’impose pas avec évidence. Civilement, l’association au bail n’est pas une cession de contrat. Mais l’assimilation des conditions de l’association au bail à celles de la cession trouve une justification en matière rurale, en ce sens que ces deux opérations sont abordées en plein cœur de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime siège de l’interdiction des cessions et sous-location. L’association au bail demeure une exception au principe d’interdiction des cessions et sous-location. Par conséquent, pour bénéficier de cette exception, le preneur doit scrupuleusement respecter l’ensemble de ses obligations.

La Cour de cassation tient également compte du moment où l’autorisation d’associer un proche au bail est soumise pour apprécier la bonne foi du preneur.

   B-Appréciation de la bonne foi

Antériorité de la faute – même au renouvellement du bail – et déchéance de la faculté d’associer.  La Haute juridiction prend en considération pour autoriser l’association d’un proche au bail, la date de la demande judiciaire. Par le présent arrêt, la Cour de cassation précise que la condition tenant à la bonne foi du preneur s’apprécie au moment de la demande de l’association au bail. Il convient alors de retenir à l’égard du preneur négligent la déchéance de la faculté d’associer un proche au bail, a fortiori, de le céder. Sont suffisants pour justifier le refus d’une association d’un proche au bail – également de la cession – les manquements mêmes antérieurs au renouvellement (Cass. 3e civ., 11 juill. 2019, n° 18-14.783).

La solution apparait sévère, car un manquement quelconque aux obligations conventionnelles ou légales, peu important son incidence à l’égard de la bonne exploitation du fonds et portant relativement atteinte aux intérêts du bailleur, est une cause de déchéance de la faculté du preneur d’associer un membre de sa famille. Cependant, malgré sa sévérité, cette solution a du sens en se plaçant sur le terrain du statut du fermage.

Ainsi, par exemple, l’inobservation par le preneur des formalités d’information du bailleur en cas de cessation d’activité d’un des copreneurs apparait comme un obstacle à l’association d’un proche au bail. Par un arrêt remarqué du 30 novembre 2023, la Cour de cassation s’est prononcée en précisant que les formalités prévues à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, ne créent pour le copreneur resté en activité, qu’une simple faculté dont le non-usage ne constitue pas une infraction de nature à permettre une résiliation péremptoire du bail (V. Obs. sous Cass. 3e civ., 30 nov. 2023, n° 21-22.539 FS-B : Agridroit, Quinzomadaire n°2, 18 janv. 2024, par J.-V. Kouassi). Toutefois, cette solution n’empêche pas de supposer que le preneur qui manque de satisfaire aux formalités d’information du bailleur, en cas de départ de son coobligé, s’expose ultérieurement à la déchéance de sa faculté de céder son bail ou d’associer un proche.

Au cas présent, la demanderesse au pourvoi soutient que la cessation d’activité d’un copreneur, sans la réalisation de la formalité d’information prévu à l’article L. 411-35 al. 3 et 4 du Code rural, prive le preneur restant de sa faculté d’associer un membre de sa famille au bail. En effet, il n’était pas contesté que l’époux, copreneur à bail, a quitté l’exploitation pour prendre sa retraite le 1er juillet 2019 et que le bailleur n’a jamais été informé de ce départ. Cependant, quand bien même un manquement aux formalités d’information du bailleur pourrait être caractérisé, les époux-copreneurs échappent aux sanctions prévues par les articles L. 411-35 et L. 411-31, II, 1° du Code rural. La solution est bien établie en jurisprudence, par application de l’article L. 411-46 al. 2 du Code de rural, qui dispose qu’en cas de départ de l’un des conjoints ou partenaires d’un pacte civil de solidarité copreneur du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l’exploitation a droit au renouvellement du bail (Cass. 3e civ., 6 juill. 2022, n° 21-12. 833).

L’invocation de l’article L. 411-46 al. 2 du Code rural est salvatrice en l’espèce mais reste une exception. En l’espèce, le manquement à la formalité d’information invoqué par la demanderesse au pourvoi étant intervenu postérieurement à la demande d’autorisation, celui-ci s’avère inopérant.

      II-Une assimilation sur le terrain du contrôle des structures

Le contrôle des structures se déclenche en présence d’une installation, d’un agrandissement ou d’une réunion d’exploitations agricoles (C. rur., art. L. 331-2). Si le preneur est tenu d’obtenir une autorisation d’exploiter en application de l’article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime, la validité de la cession du bail est subordonnée à l’octroi de cette autorisation (C. rur., art. L. 331-6). Dans le prolongement d’une assimilation à la cession, sur le terrain du statut du fermage, l’association d’un proche au bail peut être subordonnée aux dispositions relatives au contrôle des structures (A). Le présent commentaire ne fait pas l’économie d’une appréciation du bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures (B).

   A-Conformité au contrôle des structures

Analogie entre l’association au bail et la cession sur le terrain du contrôle des structures. La législation relative au contrôle des structures se déclenche en présence d’opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunions d’exploitations agricoles. L’association au bail peut être considérée comme une installation si le proche proposé comme copreneur n’avait pas été jusque là exploitant. A fortiori, si le membre de la famille envisagé pour une association était déjà agriculteur, l’opération peut consister en un agrandissement ou une réunion d’exploitations. Le déclenchement du contrôle des structures, dans le cadre d’une association au bail, se trouve justifié par ces hypothèses.

Ainsi, dans le prolongement de l’analogie initiée sur le terrain du respect des obligations instituées par le statut du fermage, la validité de l’association au bail est soumise au respect par le futur copreneur des exigences du contrôle des structures, tout comme le cessionnaire est tenu.  Le régime de la nullité de la cession en cas de manquement par le cessionnaire des exigences du contrôle des structures est applicable à l’association au bail.

Dans le cadre d’une cession, la sanction de la nullité du bail appliquée en cas de défaut d’autorisation d’exploiter pour le cessionnaire (C. rur., art. L. 331-6). L’action en nullité doit être précédée d’une mise en demeure du cessionnaire (C. rur., art. L. 331-7). La nullité du bail est prononcée en cas de refus définitif d’autorisation d’exploiter ou d’absence de présentation d’une demande d’autorisation dans le délai imparti par le préfet (Cass. 3e civ., 7 mars 2001, n° 99-16.396 : JurisData n° 2001-008635).

La solution retenue par le présent arrêt, qui fait du respect des exigences du contrôle des structures l’une des conditions de validité de l’association au bail, apparait justifiée. L’analogie entre l’association au bail et la cession se trouve renforcée. Cependant, il n’est pas exclu d’évoquer certaines interrogations que suscitent encore l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures.

   B –Bienfondé de l’assimilation de l’association au bail à la cession sur le terrain du contrôle des structures

Ecran de la société d’exploitation bénéficiaire d’une mise à disposition des terres louées. Suivant une jurisprudence constante, lorsque le cessionnaire du bail est également membre d’un GAEC bénéficiaire de la mise à disposition des biens loués, et que ce GAEC est déjà titulaire de l’autorisation d’exploiter, cette autorisation dispense le cessionnaire de solliciter lui-même une nouvelle autorisation (Cass. 3e civ., 4 mars 2009, n° 08-13.697, n° 282 FS-P+B+I, Delfolie c/ Verdonck et a. : Bull. civ. 2009, III, n° 54 ; JCP N 2011, 1124, obs. F. Roussel ; D. 2009, p. 812 obs. G. Forest ; Dict. perm. Entreprise agricole, bull. 418, repère p. 9275 ; Rev. Loyers 2009, p. 289, analyse B. Peignot ; AJDI 2009, p. 724, obs. S. Prigent).  

Par un arrêt du 14 novembre 2019 rendu dans l’hypothèse d’une association au bail, la Cour de cassation affirme que « lorsque les biens loués sont destinés à être exploités, dès l’association au bail, par la mise à disposition d’une société, l’activité de ce groupement doit être conforme à la réglementation sur le contrôle des structures » (Cass. 3e civ., 14 nov. 2019, n° 18-21.276 ; V. aussi Cass. 3e civ., 6 janv. 2010, n° 08-20.928). La jurisprudence consacre en matière de contrôle des structures un effacement de la personne du cessionnaire et par analogie du candidat à l’association derrière celle du groupement. Ainsi seul le groupement doit éventuellement disposer d’une autorisation d’exploitation si les conditions de mise en valeur des terres l’y obligent (C. rur., art. L. 331-1).

En l’espèce, même si l’arrêt commenté ne constate pas explicitement le mode d’exploitation en société, il n’est pas contesté que les terres louées étaient exploitées dans le cadre d’un GAEC. Par conséquent serait justifiée, dans le présent arrêt, la dispense du candidat à l’association de requérir une autorisation personnelle d’exploiter, sauf motif personnel l’y assujettissant comme un défaut de diplôme ou d’expérience (Cass. 3e civ., 5 nov. 2014, n°13-10.888).

Depuis la loi du 13 octobre 2014 et le décret du 22 juin 2015, l’article R. 331-1 du Code rural et de la pêche maritime énonce que : « pour l’application des dispositions du 1° de l’article L. 331-1 une personne associée d’une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de ces unités de production ». Dès lors, le cessionnaire potentiel devrait solliciter une autorisation s’il ne remplit pas personnellement les conditions, comme celle relative à la capacité professionnelle, quand bien même la société exploitante bénéficie déjà de l’autorisation (en ce sens, Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-16.965).

Appliquée à l’association au bail, il est envisageable de soutenir que le bénéficiaire de l’opération, en cas d’installation, agrandissement ou réunion d’exploitations, doit répondre aux exigences du contrôle des structures, nonobstant l’autorisation d’exploiter dont dispose le groupement.

📄 J.-V. Kouassi, Assimilation de l’association d’un proche au bail à une cession.pdf

Par Jean-Vianney Kouassi, Docteur en droit privé, membre de la Chaire de droit rural et de droit de l’environnement de l’Université de Bourgogne

source :  Le Quinzomadaire n°16/2024 est en ligne – Assimilation de l’association d’un membre de sa famille au bail rural à une cession

Date : 21 août 2024

Nullité du congé pour reprise pour défaut d’engagement d’activité agricole et absence de compatibilité des activités du bailleur avec celle nécessaire sur le fond

Entreprise agricole > Baux ruraux

Date : 01 septembre 2024

La rédaction

Source :

CA Nîmes, 2e ch., sect. B, arrêt, 11 juin 2024, n° 23/00041

Le congé pour reprise par le bailleur doit être annulé, car les conditions posées par l’article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime ne sont pas remplies.

Le bailleur justifie d’une autorisation d’exploiter et est dès lors dispensé de la preuve de son expérience professionnelle ou de l’obtention de diplômes spécifiques. En revanche, il n’est communiqué aucun projet relatif aux 10 hectares de prairies qu’entend reprendre le bailleur et qui s’intègrerait dans l’activité agricole qu’il exerce déjà, ayant simplement indiqué à l’audience, sur interrogation, vouloir faire du foin. Il n’est propriétaire que d’un seul tracteur. Or, ce seul matériel est insuffisant pour mener à bien l’activité décrite, notamment faucher le foin, le récolter ou encore le stocker. Il ne justifie pas plus d’aide ou d’entraide dont il pourrait bénéficier au moment de la récolte ni de potentiels clients intéressés par ses récoltes. En outre, s’il dispose effectivement avec son épouse de revenus liés à d’autres activités, il ne donne aucun élément financier sur ses capacités financières ou encore l’existence de fonds disponibles dont il pourrait se servir pour mener à bien son activité, aucun élément chiffré quant à cette exploitation n’étant produit. Quant à la participation de manière effective et permanente à l’exploitation et la possibilité de reprise tout en ayant une autre activité professionnelle, il appartient au bénéficiaire de la reprise de faire la démonstration et d’apporter la preuve de la compatibilité de ses activités avec celle nécessaire sur le fonds. Le bailleur est cadre autonome à l’office français de la biodiversité et ajoute bénéficier, pour son activité de maire, d’un crédit d’heure, à raison d’un jour par semaine, que lui octroierait son employeur et ce depuis 2020. Il n’est cependant aucunement justifié d’un tel aménagement. Il n’est, en outre, aucunement établi d’une information de l’employeur quant au souhait du bailleur de pouvoir mener une activité complémentaire d’exploitant agricole.

Cour d’appel, Nîmes, 2e chambre, section B, 11 Juin 2024 – n° 23_00041.pdf

DEFINITION DU JEUNE AGRICULTEUR ET PAC

L’instruction technique DGPE/SDPAC/2024-455 du 01/08/2024

2 DEFINITION DU JA
A compter de la campagne 2023, pour les aides du premier pilier de la PAC (attribution de
DPB par la réserve et ACJA), le JA est une personne physique qui respecte trois conditions :
 Une condition d’âge ;
 Une condition de première et récente installation ;
 Une condition de diplôme et de compétence.
Pour ces aides, ces conditions s’apprécient à la date de la demande d’aide concernée pour ce
qui concerne l’âge ou à la date limite de dépôt de la demande d’aide surface pour ce qui
concerne l’installation et les diplômes.
Calendrier de dépôt des demandes d’aide
Année de campagne Date limite de dépôt Date limite de dépôt tardif
2023 Lundi 15 mai 2023 Vendredi 09 juin 2023
2024 Mercredi 15 mai 2024 Lundi 10 juin 2024
2025 Jeudi 15 mai 2025 Mardi 10 juin 2025
2026 Vendredi 15 mai 2026 Mercredi 09 juin 2026
2027 Mardi 18 mai 2027 Lundi 14 juin 2027
A noter que pour l’ACJA, la date de la demande s’entend comme la première date de demande
d’ACJA (le JA pourra donc avoir plus de 40 ans lors du versement des annuités 2 à 5 de cette
aide).
Dans le cas d’une forme sociétaire, la demande considérée est la première demande d’aide
déposée par la société après l’entrée du JA en son sein.


2.1 Etre âgé de quarante ans au maximum à la date de la demande
Article 4 du règlement (UE) n° 2021/2115
Article D. 614-2 du code rural et de la pêche maritime
L’agriculteur doit avoir au maximum 40 ans à la date de sa demande d’aide, c’est-à-dire jusqu’à
la veille du 41ème anniversaire.
Exemple 1 : un agriculteur né le 15/03/1984 s’installe en 2023. Sa demande d’ACJA
a été introduite le 14/04/2024, avant son 41ème anniversaire. Il avait donc bien au
maximum 40 ans. Il pourra bénéficier de l’aide concernée, sous réserve de
respecter les autres critères d’éligibilité.
Exemple 2 : un agriculteur né le 05/05/1983 dépose sa demande d’attribution de
DPB par la réserve le 31/05/2024. Il a 41 ans le jour de sa demande et n’est donc
pas éligible à l’aide concernée.
Dans le cas d’une forme sociétaire, l’âge s’apprécie à la date de la première demande
d’ACJA/PJA (nom du paiement complémentaire pour les jeunes agriculteurs dans la
programmation 2014-2022) ou d’attribution de DPB déposée par la société après l’entrée du
JA en son sein.
Attention : à compter de 2023, la demande d’attribution de DPB ne fait plus partie du dossier
surface. En cas de dépôt échelonné du dossier surface (contenant la demande d’ACJA) et de
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la demande d’attribution de DPB par la réserve, l’âge du demandeur sera examiné à deux
dates différentes.
Exemple : un agriculteur dépose son dossier PAC le 4 avril 2024, en ayant coché
la demande d’ACJA. Il demande à bénéficier d’une attribution de DPB par la réserve
le 8 mai.
Au regard de la demande d’ACJA, son âge sera examiné à la date du 4 avril 2024.
Au regard de la demande d’attribution de DPB par la réserve, son âge sera examiné
à la date du 8 mai.
Pièce justificative :
Si la DDT(M) n’a pas déjà l’information en sa possession, une copie d’une pièce d’identité
(carte d’identité, permis de conduire, passeport) ou un extrait d’acte de naissance.
NB : Une pièce justificative pour être recevable doit comporter l’ensemble des informations nécessaires à
l’instruction du dossier et être en cours de validité.
Un extrait d’état civil peut être pris en compte, quelle que soit sa date de délivrance (article R113-7 du Code des
relations entre le public et l’administration).
2.2 Critère de première et récente installation
Articles 26 et 30 du règlement (UE) n°2021/2115
Article D. 614-2 du code rural et de la pêche maritime
Arrêté du 13 mai 2023 fixant la part minimale du capital social à détenir pour l’application de la définition de
l’agriculteur actif à certaines formes sociétaires dans le cadre de la politique agricole commune
Pour être reconnu comme tel, le JA doit s’installer pour la première fois ou s’être installé au
cours des cinq années civiles précédant la date limite de dépôt du dossier surface de l’année
de la demande.


2.2.1 Nouvelle notion d’installation
La notion d’installation a évolué par rapport à la programmation antérieure.


2.2.1.1 Exploitant individuel
Pour un individuel, elle s’entend comme le fait d’être affilié à l’ATEXA pour son propre
compte pour les activités mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 722-1 du CRPM.
Les exploitants « chef d’exploitation », au sens de la Mutualité sociale agricole (MSA), sont
affiliés à l’ATEXA. Les cotisants de solidarité peuvent également être affiliés à l’ATEXA dans
les conditions suivantes : l’agriculteur doit avoir une exploitation dont la superficie est inférieure
à une SMA (surface minimale d’assujettissement) mais supérieure à 2/5ème de la SMA, ou
consacrer au moins 150 heures et moins de 1200 heures par an à une activité agricole ; et les
revenus générés par l’activité agricole sont inférieurs à 800 SMIC.
L’information relative à l’affiliation ATEXA est apportée par l’échange automatisé de données
entre la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) et l’ASP dans le cadre de
l’instruction du critère « agriculteur actif ». Dans le cas où cet échange ne serait pas conclusif,
il conviendra, dans un premier temps, de se rapprocher de la caisse départementale de la
MSA pour vérifier la situation de l’agriculteur. En cas de nécessité, des pièces
complémentaires pourront être demandées à l’agriculteur pour justifier de la situation.

2.2.1.2 Forme sociétaire
Dans le cas d’un associé de société, la notion d’installation est définie comme :
 Dans le cas général des sociétés, le fait d’être affilié à l’ATEXA au titre de son activité
au sein de la société pour les activités mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 722-1 du
CRPM ;
 Dans le cas des sociétés sans associé affilié à l’ATEXA, le fait de détenir directement
ou indirectement 40% du capital social (une partie de cette part minimale peut être
détenue indirectement) ET d’être dans l’une des situations suivantes :
o Dans le cas d’une SA et SARL, être dirigeant-associé affilié à l’AT/MP au titre
du 8° du L722-20 du CRPM ;
o Dans le cas d’une SAS, être dirigeant-associé affilié à l’AT/MP au titre du 9° du
L722-20 du CRPM ;
o Dans le cas d’une SCEA, être gérant-associé-salarié affilié à l’AT/MP au titre
du 1° du L722-20 du CRPM.
Pour ces sociétés, la détention du capital social, se fait selon les modalités décrites
dans l’instruction technique relative à l’éligibilité du demandeur.
L’information relative à l’affiliation à l’ATEXA ou à l’AT/MP des associés sera apportée dans la
plupart des cas par échange automatisé de données entre la CCMSA et l’ASP. Dans le cas
où cet échange ne serait pas conclusif, il conviendra, dans un premier temps, de se rapprocher
de la caisse départementale de la MSA pour vérifier la situation de l’agriculteur. En cas de
nécessité, des pièces complémentaires pourront être demandées à l’agriculteur pour justifier
de la situation.


2.2.1.3 Conséquence de la nouvelle notion d’installation
Les petits cotisants solidaires et les associés de société qui ne sont pas affiliés à l’ATEXA (ou
à l’AT/MP selon les cas), ne sont plus considérés comme installés, contrairement à la
programmation précédente.
Exemple 1 : un agriculteur détient un petit cheptel de moutons en tant que petit
cotisant solidaire. Après plusieurs années, il décide de se consacrer à l’élevage et
augmente son cheptel. Il sera considéré comme installé le jour de son affiliation à
l’ATEXA et non pas le jour de son enregistrement comme cotisant solidaire.
Exemple 2 : un mineur devenant associé d’une exploitation agricole au décès de
son père, ne sera pas considéré comme installé. S’il s’installe en individuel ou en
société à sa majorité, il sera considéré comme installé au jour de son affiliation à
l’ATEXA et pourra faire bénéficier son exploitation agricole des aides JA.

https://info.agriculture.gouv.fr/boagri/instruction-2024-455

EARL : Vérification de la comptabilité et conséquences du défaut de présentation de documents comptables

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A… B… ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, pour un montant global de 63 326 euros.

Par un jugement n° 2002490 du 28 janvier 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 mars 2022, 14 octobre 2022, 18 septembre 2023 et 29 décembre 2023, ce dernier mémoire n’ayant pas été communiqué, M. et Mme B…, représentés par Me Vey, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 janvier 2022 ;

2°) d’annuler la décision du 27 août 2020 de rejet de leur réclamation préalable ;

3°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, pour un montant global de 63 326 euros ;
4°) d’enjoindre à l’administration de recalculer le revenu perçu au titre des années 2014 et 2015 sur la base des pièces comptables analysées et mises à disposition de l’administration fiscale ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– le revenu agricole au titre des années 2014 et 2015 sur lequel s’appuie l’administration fiscale pour le calcul de leur impôt sur le revenu, est excessif et ne tient pas compte de leur situation économique et du redressement judiciaire dont ils font l’objet ; les documents comptables produits permettent d’établir l’existence d’une erreur dans le résultat imposable retenu par l’administration fiscale ;
– la majoration de 40 % appliquée n’est pas justifiée dès lors qu’ils n’ont pas reçu de relance pour déposer les comptes et qu’il n’est pas démontré de volonté de leur part d’éluder l’impôt.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 septembre 2022, 11 septembre 2023 et 21 novembre 2023, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B… ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 27 novembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 8 janvier 2024 à 12h00.
Vu :
– les autres pièces du dossier

Vu :
– le code général des impôts et livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Pauline Reynaud,
– et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L’EARL La Venverdière, relevant de l’imposition des bénéfices agricoles selon le régime réel, et dont le capital est détenu par M. et Mme B…, exerce une activité agricole d’élevage caprins et ovins et de culture de céréales. Cette entreprise a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période courant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, à l’issue de laquelle l’administration fiscale l’a informée, par propositions de rectification du 21 décembre 2017 et du 24 janvier 2018, des rehaussements envisagés en matière de bénéfices agricoles. Par deux propositions de rectification du même jour, l’administration fiscale a informé M. et Mme B… des rehaussements en matière d’impôt sur le revenu en résultant au titre des années 2014, 2015 et 2016. Par jugement du 4 juillet 2019, l’EARL La Venverdière a été placée en redressement judiciaire, procédure étendue par jugement du 13 mars 2020 à M. et Mme B… à titre personnel. Le 30 juin 2020, ces derniers ont été informés des créances déclarées par l’administration dans ce cadre. La réclamation formée par M. et Mme B… le 24 août 2020 ayant été rejetée par décision de l’administration fiscale du 27 août 2020, les intéressés ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, mises à leur charge au titre des années 2014 et 2015. M. et Mme B… relèvent appel du jugement n° 2002490 du 28 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 193 du livre des procédures fiscales dispose :  » Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition « . Aux termes de l’article R. 193-1 du même code :  » Dans le cas prévu à l’article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l’imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré « .

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 68 du livre des procédures fiscales :  » La procédure de taxation d’office prévue aux 2° et 5° de l’article L. 66 n’est applicable que si le contribuable n’a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d’une mise en demeure (…) « . L’article L. 73 de ce livre prévoit que :  » Peuvent être évalués d’office : / 1° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus provenant d’entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, ou des revenus d’exploitations agricoles imposables selon un régime de bénéfice réel, lorsque la déclaration annuelle prévue à l’article 53 A du code général des impôts n’a pas été déposée dans le délai légal ; (…) / Les dispositions de l’article L. 68 sont applicables dans les cas d’évaluation d’office prévus aux 1° et 2° « .

4. Enfin, selon l’article 63 du code général des impôts :  » Sont considérés comme bénéfices de l’exploitation agricole pour l’application de l’impôt sur le revenu, les revenus que l’exploitation de biens ruraux procure soit aux fermiers, métayers, soit aux propriétaires exploitant eux-mêmes (…) « . L’article 69 de code prévoit que :  » I. Lorsque la moyenne des recettes d’un exploitant agricole, pour l’ensemble de ses exploitations, dépasse 120 000 €, hors taxes, sur trois années consécutives, l’intéressé est obligatoirement imposé d’après un régime réel d’imposition à compter de l’imposition des revenus de la première année suivant la période triennale considérée. / II. II. Un régime simplifié d’imposition s’applique aux petits et moyens exploitants agricoles relevant de l’impôt sur le revenu : / a. Sur option, aux exploitants normalement placés sous le régime du forfait ; / b. De plein droit, aux autres exploitants, y compris ceux dont le forfait a été dénoncé par l’administration, dont la moyenne des recettes, mesurée sur deux années consécutives, n’excède pas 350 000 € (…) « . Aux termes de l’article 72 de code :  » I. Sous réserve de l’application des articles 71 et 72 A à 73 E, le bénéfice réel de l’exploitation agricole est déterminé et imposé selon les principes généraux applicables aux entreprises industrielles et commerciales, conformément à toutes les dispositions législatives et à leurs textes d’application, sans restriction ni réserve notamment de vocabulaire, applicables aux industriels ou commerçants ayant opté pour le régime réel mais avec des règles et modalités adaptées aux contraintes et caractéristiques particulières de la production agricole, et de leur incidence sur la gestion, qui sont notamment : / Le faible niveau du chiffre d’affaires par rapport au capital investi, ce qui se traduit par une lente rotation des capitaux ; / La proportion exagérément importante des éléments non amortissables dans le bilan : foncier non bâti, amélioration foncière permanente, parts de coopératives et de SICA ; / L’irrégularité importante des revenus « . Enfin, selon l’article 38 sexdecies P de l’annexe III du même code :  » I. – Les exploitants placés sous un régime réel d’imposition doivent tenir et présenter aux agents de l’administration : /a. Un livre-journal servi au jour le jour et enregistrant le détail de leurs opérations ; / b. Un livre d’inventaire ; / c. Les factures et autres pièces justificatives relatives aux recettes, aux dépenses et aux stocks « .

5. Il résulte de l’instruction que, malgré les mises en demeure adressées à l’EARL La Venverdière, celle-ci s’est abstenue de déposer les déclarations de bénéfices agricoles au régime réel simplifié au titre de la période en litige. Par ailleurs, lors des opérations de vérification, l’EARL La Venverdière n’a pas présenté de comptabilité à l’administration fiscale. Ce défaut de présentation de comptabilité a d’ailleurs été constaté par le vérificateur par procès-verbal du 26 juillet 2017, contresigné par M. B…. Dans ces conditions, l’administration a procédé à l’évaluation d’office du résultat net de l’entreprise, au titre des exercices 2014, 2015 et 2016, sur le fondement des dispositions précitées. Afin de déterminer son résultat imposable, l’administration fiscale s’est fondée sur les factures des clients et des fournisseurs présentées lors de la vérification, et le montant de ces résultats a par ailleurs fait l’objet d’une majoration de 25 %, compte tenu du défaut d’adhésion de l’EARL à un centre de gestion agréé.

6. M. et Mme B… soutiennent que le résultat net imposable de l’EARL La Venderdière retenu par l’administration fiscale est excessif, dès lors qu’elle n’a pas pris en compte les résultats ressortant des différents documents comptables produits, à savoir un compte de résultat, les liasses fiscales des années 2014 et 2015, le récapitulatif du chiffre d’affaires jusqu’en 2020, ainsi que, pour la première fois en appel, des éditions de grands livres et de journaux relatifs aux exercices 2014 et 2015. Toutefois, en se bornant à se prévaloir, sans autre précision ni critique de la méthode de reconstitution retenue par l’administration fiscale, du résultat net résultant des éléments de comptabilité reconstitués par un centre comptable agréé, postérieurement aux opérations de contrôle et dès lors dépourvus de valeur probante, les requérants n’apportent pas la preuve, qui leur incombe, de l’exagération du résultat net retenu par l’administration fiscale au titre des années 2014 et 2015. Par suite, ce moyen doit être écarté.
7. En second lieu, aux termes de l’article 1728 du code général des impôts :  » 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt entraîne l’application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l’acte déposé tardivement, d’une majoration de : / (…) b. 40 % lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d’avoir à le produire dans ce délai (…) « .

8. Il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été rappelé au point 5, que malgré la mise en demeure du 24 juillet 2017 dont elle a accusé réception le 25 juillet suivant, l’EARL La Venverdière n’a pas produit la déclaration n° 2139 des bénéfices agricoles ainsi que les annexes afférentes aux années 2014 et 2015. Dans ces conditions, c’est à bon droit que l’administration fiscale a appliqué la majoration de 40 % prévue par les dispositions du 1.b précité de l’article 1728 du code général des impôts.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fins d’injonction et celles tendant à ce que soit mis à la charge de l’Etat le versement d’une somme d’argent au titre des frais de justice ne peuvent qu’être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B… est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l’audience du 11 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

La rapporteure,
Pauline ReynaudLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

CAA de BORDEAUX – 4ème chambre

  • Inédit au recueil Lebon
  • N° 22BX00770

mardi 02 juillet 2024

Président Mme BALZAMO

Rapporteur Mme Pauline REYNAUD

Vente d’un domaine agricole : effet de l’engagement de l’acquéreur substitué de louer le bien acquis à un preneur agréé par la SAFER


Lorsque le substitué prend l’engagement de louer le bien acquis à un preneur agréé par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural dans les conditions prévues par l’article R. 142-1, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.

Selon l’article L. 141-1, II, 2°, du Code rural et de la pêche maritime, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) peuvent se substituer un ou plusieurs attributaires pour céder des biens ruraux, terres, exploitations agricoles ou forestières, soit par une promesse unilatérale de vente, soit par une promesse synallagmatique de vente.

Aux termes de l’article R. 142-1, alinéa 2, du même code, les SAFER peuvent céder ces biens à des personnes qui s’engagent à les louer à des preneurs agréés par la SAFER, à condition que cela permette l’installation, la réinstallation ou le maintien d’agriculteurs, ou la consolidation d’exploitations viables selon les critères régionaux.

Lorsque le substitué s’engage à louer le bien à un preneur agréé par la SAFER selon l’article R.142-1 alinéa 2, ce dernier peut demander l’exécution forcée de cet engagement.

Source

Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 22-23.678, FS-B

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