Les députés ont voté plusieurs amendements visant en principe à sauvegarder les chemins ruraux. Mais l’un d’eux, adopté sans discussion, pourrait avoir l’effet exactement contraire.

Explications. Biodiversité  |  22 avril 2021  |  Laurent Radisson  |  Actu-Environnement.com

Projet de loi climat : cet amendement qui menace les chemins ruraux

Un amendement autorise l’échange des terrains d’emprise d’un chemin rural.

On n’atttendait pas forcément de dispositions relatives aux chemins ruraux dans le projet de loi climat que l’Assemblée nationale doit voter en première lecture le 4 mai prochain. Pourtant, un article leur est consacré. Il résulte de plusieurs amendements adoptés lors de l’examen en commission spéciale, puis en séance publique.

Les discussions, assez consensuelles, des députés ont porté sur la sauvegarde de ces chemins qui ont perdu 50 % de leur linéaire en quarante ans. Mais, dans le même temps, ceux-ci ont adopté sans discussion un amendement qui pourrait avoir un effet totalement contraire.

Sanctuariser les chemins ruraux

Le 16 avril, l’Assemblée nationale adoptait l’article du projet de loi consacré aux chemins ruraux après avoir voté un amendement du député Modem Jean-Pierre Cubertafon (Dordogne). La disposition adoptée permet à une commune de déléguer à titre gratuit la restauration et/ou l’entretien d’un chemin rural à une association de type loi 1901. Une convention entre les deux parties devra encadrer la délégation. Cette disposition, utile mais non stratégique, a recueilli l’avis favorable du rapporteur Lionel Causse et de la secrétaire d’État à la biodiversité Bérangère Abba.

Les principales dispositions de l’article, assez techniques, avaient été adoptées le 17 mars lors de l’examen du texte en commission spéciale. Deux amendements identiques des députés Julien Aubert (LR – Vaucluse) et Antoine Herth (Agir ensemble – Bas-Rhin) ont modifié le régime de désaffectation des chemins ruraux en vue de renforcer leur protection. Ces dispositions viennent contrer une évolution de la jurisprudence, explique M. Aubert dans l’exposé de son amendement. Dans un arrêt du 22 septembre 2020, la cour administrative d’appel de Nantes a en effet reconnu la possibilité pour un conseil municipal de mettre fin par une simple délibération à l’affectation d’un chemin à l’usage du public. Ce qui permet aux communes de les céder plus facilement à des riverains ou à des aménageurs, et donc d’accélérer leur disparition.

Pour remédier à cela, les amendements prévoient que la désaffectation des chemins à l’usage du public ne peut résulter que « d’une cause naturelle et spontanée consécutive à un désintérêt durable du public ». Ils prévoient aussi que les chemins ne peuvent être désaffectés lorsque l’inutilisation par le public résulte d’actes empêchant le passage ou rendant le chemin impropre à son usage. Les discussions consensuelles ont porté exclusivement sur ces dispositions, qui ont recueilli un avis de sagesse de Mme Abba et du rapporteur, qui est revenu sur son premier avis défavorable.   Une portion de chemin rural située au milieu d’un champ cultivé pourrait être échangée avec une bande de terrain située en périmètre du champ.   Pierre Venteau, député   « Les amendements permettent de sanctuariser l’avenir des chemins ruraux, au bénéfice du monde rural mais aussi du monde urbain, dont les habitants s’y promènent », a ainsi salué le député LR Jean-Marie Sermier (Jura). « Je soutiens les amendements, a appuyé André Chassaigne (GDR – Puy-de-Dôme). La désaffectation d’un chemin n’est jamais durable (…). Un chemin est désaffecté, faute d’usage agricole, jusqu’au jour où des habitants férus de randonnée décident qu’il mérite d’être rouvert, et souvent participent à son nettoyage. Un chemin désaffecté pendant dix, vingt ou trente ans peut, un beau jour, répondre à un besoin des populations ».

Autoriser l’échange de terrains d’emprise d’un chemin

Mais sans aucune discussion, et sur un avis de sagesse du rapporteur et de la secrétaire d’État, les députés de la commission ont également adopté un amendement du député LReM Pierre Venteau (Haute-Vienne) qui autorise l’échange des terrains d’emprise d’un chemin rural. « Une portion de chemin rural située au milieu d’un champ cultivé pourrait être échangée avec une bande de terrain située en périmètre du champ. De même, des continuités pourraient être facilement établies en mettant en liaison des chemins en impasse », explique le député, ex-directeur général adjoint de la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne, dans l’exposé de son amendement.

Le texte prévoit quelques garde-fous : clause permettant de garantir la continuité du chemin dans l’acte d’échange, maintien de la largeur et de la qualité environnementale du chemin remplacé, nouvelle emprise cédée de plein droit dans le réseau des chemins ruraux de la commune. Mais, malgré cela, cette disposition pourrait se révéler fatale à de nombreux chemins patrimoniaux et aux talus, haies et alignements d’arbres qui les accompagnent. Elle pourrait en effet permettre des opérations de remembrement, jusque-là impossibles, conduisant à une perte nette pour la biodiversité.

Reste à voir si ces dispositions passeront le cap de la discussion du projet de loi au Sénat et surtout celui du Conseil constitutionnel s’il venait à être saisi de ces dispositions. En août 2016, ce dernier avait considéré que les dispositions contenues dans le projet de loi de reconquête de la biodiversité constituaient des cavaliers législatifs et les avaient donc jugés non conformes. Si les Sages n’ont pas établi de lien entre les chemins ruraux et la biodiversité, peut-être le feront-ils avec le dérèglement climatique ?

Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef délégué aux marchés HSE
© Tous droits réservés Actu-Environnement Reproduction interdite sauf accord de l’Éditeur ou établissement d’un lien préformaté [37420] / utilisation du flux d’actualité.