Catégorie : chemin rural

Chemins d’exploitation et Délimitation par alignement.

Solution. – La modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation suppose le consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir.

Impact. – À défaut d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’autorisation d’empiétement consentie par un propriétaire riverain sur sa parcelle dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’a pas pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation.

Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 22-22.025 : JurisData n° 2024-010342

Note :

Un chemin d’exploitation sépare deux parcelles dont l’une supporte un hangar exploité par une société. À la suite d’un premier différend relatif à l’accès à ce bâtiment, un protocole d’accord signé entre la société et le propriétaire de l’autre parcelle a autorisé les véhicules lourds empruntant le chemin à empiéter sur cette dernière moyennant le versement d’une indemnité mensuelle.

La société et le propriétaire du terrain sur lequel se trouve le hangar, ont ultérieurement contesté leur obligation de payer et obtenu en première instance l’annulation du protocole d’accord pour absence de cause et, en conséquence, la condamnation de la partie adverse à rembourser les indemnités perçues indûment.

Saisis de l’appel formé par le voisin, les juges du second degré ont, eu égard aux éléments probants soumis à leur appréciation, infirmé le jugement en retenant que le droit d’utiliser le chemin d’exploitation dont bénéficiait la société ne portait pas sur la totalité de l’assiette qu’elle utilisait réellement, qui comporte une emprise sur le fonds voisin.

Un pourvoi en cassation a été formé par la partie adverse, faisant grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1131 du Code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce, alors que, le droit d’usage d’un chemin d’exploitation par un propriétaire riverain n’étant pas lié à la propriété du sol sur lequel son assiette est établie, le droit d’usage de la société et du propriétaire du terrain sur lequel le hangar avait été construit pouvait s’exercer sur l’intégralité de l’assiette du chemin, peu important qu’une partie de cette assiette ait comporté une emprise sur le fonds opposé.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi sur le fondement de l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime, d’où il résulte que « la modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation, comme sa disparition, ne peut résulter que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir », d’où il se déduit que « lorsqu’un propriétaire dont le fonds est desservi par un chemin d’exploitation, accepte, pour la commodité de l’accès au fonds voisin desservi par le même chemin, de réaliser un aménagement par emprise sur son terrain, celui-ci n’opère aucune modification de l’assiette du chemin d’exploitation existant ».

Forte de ce raisonnement, elle en a conclu qu’en relevant que les appelants avaient facilité l’accès au fonds des intimés par une emprise sur leur propre parcelle, la cour d’appel a fait ressortir qu’en l’absence d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’aménagement consenti dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’avait pas eu pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation et a pu en déduire que le protocole d’accord, en ce qu’il permettait de prolonger l’autorisation d’utiliser un passage excédant l’assiette du chemin d’exploitation, n’était pas dépourvu de cause.

Cette décision, tout en mettant fin à un litige en matière de droit des obligations, apporte un éclairage supplémentaire sur les conditions d’évolution de l’assiette des chemins d’exploitation en étendant l’exigence d’un consensus prévue, en ce qui concerne la disparition de ces chemins, par l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime qui dispose : « Les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir. »

La Haute Juridiction civile avait précédemment déduit de cette disposition que les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être déviés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir (Cass. 3e civ., 13 avr. 2022, n° 21-14.551 : JurisData n° 2022-006082 ; RD rur. 2022, comm. 107, D. Lochouarn ; Dr. voirie 2022, n° 229, Synthèse, J. Debeaurain). Elle tient le même raisonnement à l’égard de l’élargissement de l’assiette d’un tel chemin et, plus généralement, de toute modification de cette dernière.

À l’évidence, sa réponse s’inscrit totalement dans un principe jurisprudentiel de modification consensuelle et donc d’intangibilité unilatérale de l’assiette des chemins d’exploitation admis, dans le silence de la loi, par parallélisme avec les règles qui président à leur suppression.

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Commentaire par Denis Lochouarn docteur en droit

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. civ., art. 1131. – C. rur., art. L. 162-3

Chemin d’exploitation – Riverains d’un chemin d’exploitation : la propriété d’un seul exclut le droit d’enfouissement des autres – Commentaire par Denis Lochouarn

Droit rural n° 10, Octobre 2023, comm. 95

Riverains d’un chemin d’exploitation : la propriété d’un seul exclut le droit d’enfouissement des autres

Commentaire par Denis Lochouarn docteur en droit

Chemin d’exploitation

Solution. – Un propriétaire riverain d’un chemin d’exploitation ne peut pas implanter une canalisation dans le tréfonds de ce chemin si l’assiette de celui-ci appartient à un autre riverain.

Impact. – Cette décision apporte une importante limitation au droit d’user du tréfonds reconnu à tout propriétaire riverain sur le fondement de l’usage d’un chemin d’exploitation.

Cass. 3e civ., 29 juin 2023, n° 21-25.526 : JurisData n° 2023-015746

Note :

La Cour de cassation a eu à se prononcer une nouvelle fois sur le droit au sous-sol des chemins d’exploitation.

Un propriétaire ayant assigné un de ses voisins en reconnaissance d’un chemin d’exploitation afin d’implanter dans son sous-sol des canalisations s’est pourvu en cassation contre l’arrêt confirmatif par lequel la cour d’appel, tout en admettant l’existence d’un tel chemin, lui a refusé ce droit dès lors qu’il n’établissait pas l’état d’enclave de sa propriété (CA Toulouse, 26 juill. 2021, n° 18/01993 : JurisData n° 2021-011813). Pour les juges du fond, l’existence d’un chemin d’exploitation n’implique pas le bénéfice d’une servitude de réseaux.

Selon le pourvoi, le riverain d’un chemin d’exploitation a le droit d’y installer des canalisations souterraines en vue d’obtenir tous les avantages que cette voie de communication est susceptible de lui procurer, sans qu’il soit tenu de démontrer un état d’enclave du tréfonds de sa parcelle.

Ce droit a effectivement été reconnu par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 4 juill. 1972, n° 71-11.172 : Bull. civ. III, n° 444. – Cass. 3e civ., 29 sept. 2015, n° 14-17.816), sur le fondement de la fonction des chemins d’exploitation et du droit d’usage commun reconnu par l’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime. Il en résulte qu’un riverain d’un tel chemin peut l’exercer sans l’autorisation des autres (Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247. – CA Paris, 12 sept. 2012, n° 12/204. – CA Aix-en-Provence, 6 mars 2014, n° 13/05918). Toutefois, il est admis que le droit d’enfouissement peut être restreint ou supprimé par une convention déterminant l’usage de chemin (Cass. 3e civ., 4 juill. 1972, n° 71-11.172 : Bull. civ. III, n° 444. – Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247), voire écarté s’il diminue ou fragilise cet usage (Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247).

En l’espèce, aucune convention n’a été invoquée mais les juges du fond ont constaté que le terrain d’assiette du chemin litigieux appartenait à la partie adverse. La Cour de cassation en a conclu que l’auteur du pourvoi n’était pas en droit d’installer en dessous des canalisations au titre du droit d’usage. Ainsi, tout en rappelant qu’il résulte de l’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime que le riverain d’un chemin d’exploitation a le droit d’y installer des canalisations souterraines en vue d’obtenir tous les avantages que cette voie de communication est susceptible de lui procurer dans le respect, le cas échéant, de la convention qui en détermine l’usage, l’arrêt précise que « tel n’est pas le cas lorsqu’un autre riverain est propriétaire du sol constituant son assiette ».

On observera que cette décision est en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle le propriétaire par titre de l’assiette d’un chemin d’exploitation peut obtenir la suppression des installations effectuées par un voisin, notamment en dessous, quand bien même elles ne font pas obstacle au passage (Cass. 3e civ., 31 mai 2018, n° 17-17.933 : JurisData n° 2018-010407 ; RD rur. 2018, comm. 139, D. Lochouarn).

Mots clés : Droit rural. – Espace rural. – Chemin d’exploitation. – Tréfonds.

Mots clés : Canalisation. – Servitude de réseaux. – Droit d’usage.

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. rur., art. L. 162-1

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Chemin d’exploitation – autorisation de tous les riverains – Chemin de randonnée

Par acte authentique du 4 novembre 2020, M. [J] [E] a fait l’acquisition d’une propriété rurale dénommée « [27] » sise commune [Localité 34] lieudits [….

Un chemin , classé au Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (PDIPR) par délibération du Conseil Général du 03 avril 2006, traverse la propriété dit de « [Localité 38] à [Localité 28] », jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26].

Par courrier du 21 juin 2021, M. [J] [E] avisait le Maire de la commune de [Localité 1] qu’à défaut pour lui de justifier de la propriété du chemin litigieux dans un délai de deux mois il reprendrait ses droits et clôturerait le chemin afin de jouir paisiblement de sa propriété.

Sans réponse de la commune, M. [E] posait deux barrières de chaque côté de sa propriété devant le château afin de faire obstacle au passage sur le chemin jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26].

Par exploit d’huissier du 29 novembre 2021, la commune de [Localité 1] a saisi 1e juge des référés du tribunal judiciaire de Privas pour voir constater sur le fondement des articles 835 du code de procédure civile et L.161-1 et suivants du code de la voirie routière que le chemin de « Sausses à [Localité 28] » inscrit au PDIPR, utilisé par les habitants de la commune et les randonneurs depuis des temps immémoriaux, est un chemin rural lui appartenant et d’ordonner à M. [J] [E] d’enlever tous obstacles, dont la suppression des portes installées sur ledit chemin dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard et condamner le défendeur a lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 14 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Privas a :

– au principal, renvoyé les parties à se pourvoir comme elles en aviseront mais dès à présent ;

– condamné Monsieur [J] [E] à procéder au retrait des deux portails faisant obstacle au passage sur le chemin de randonnée dit de « [Localité 38] à [Localité 28] », portion du GR de la haute Cévennes d’Ardèche, jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26] devant le château de Gallimard ;

– dit que cette mesure sera assortie d’une astreinte de 150 euros par jour de retard, pendant trois mois, passé le délai de quinze jours suivant la signification de la présente ordonnance ;

– condamné M. [J] [E] à payer à la commune de [Localité 1] la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [J] [E] de sa demande en paiement an titre des frais irrépétibles,

– condamné M. [J] [E] aux dépens.

Par déclaration du 29 avril 2022, M. [J] [E] a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

*

Par ordonnance de référé du 08 juillet 2022, le Premier Président de la cour d’appel de Nîmes a débouté M. [E] de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire assortissant l’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Privas en date du 14 avril 2022,

*

Aux termes de ses conclusions notifiées le 13 octobre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, M. [J] [E], appelant, demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile et des articles 544 et suivants du code civil, de :

– juger son appel recevable et bien fondé,

– ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture et déclare recevables les nouvelles pièces et conclusions produites aux débats ;

– juger que le chemin jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26] devant le château de Gallimard n’est pas un chemin rural ;

– infirmer l’ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Privas du 14 avril 2022 en toutes ses dispositions ;

– condamner la commune de [Localité 1] à payer à M. [J] [E] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens et dire que, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, Me [N] [G] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

Au soutien de son appel, M. [J] [E] rappelle que si les dispositions légales ainsi que les jurisprudences qui en découlent créent une présomption de chemins ruraux, il est possible de remettre en cause cette présomption.

Il conteste à cet effet l’existence d’un chemin rural relevant pour sa part un état de friches et produit diverses pièces permettant d’écarter cette qualification ainsi que l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Il affirme que le cadastre napoléonien n’établit nullement l’existence d’un chemin rural passant devant sa propriété et ajoute qu’un échange avec les archives départementales de [Localité 32] permet d’écarter toute corrélation entre le trait jaune figurant au plan, qui signale en réalité la limite cadastrale, et l’existence d’un chemin rural.

Il s’appuie enfin sur le rapport de l’assemblée plénière du 14 avril 2022 de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture qui se réfère expressément à l’existence d’une allée privative qui longe le château.

Il rappelle pour finir l’historique de cette situation exposant qu’une première demande de création de chemin rural a été formulée en 1930 par un groupe de 15 riverains et n’a pu aboutir ce que confirme l’attestation de M. [P] qui évoque l’existence d’un chemin passant derrière la propriété et non devant.

*

La Commune de [Localité 1], en sa qualité d’intimée, par conclusions en date du 4 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, au visa des articles L.161-1 et suivant du code de la voirie routière et de l’article 835 du code de procédure civile, de :

– la recevoir en ses conclusions et l’y déclarer bien fondée ;

– débouter M. [J] [E] de toutes demandes plus amples ou contraires ;

– confirmer l’ordonnance RG n° 21/00338 du 14 avril 2022 en toutes ses dispositions ;

– Y ajoutant, condamner M. [J] [E] à lui verser la somme de 3500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance.

La Commune de [Localité 1] rappelle, à titre principal, que le juge des référés dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite et pour ordonner la mesure de remise en état qui lui paraît s’imposer pour le faire cesser. En l’espèce, il indique que le trouble étant manifestement illicite, le juge a, à bon droit, prescrit une mesure de remise en état du chemin rural puisque les portes installées de part et d’autre des bâtiments entravent le passage sur ce sentier, d’autant plus que le chemin rural était emprunté par le public.

A titre subsidiaire, elle soutient l’absence de contestation sérieuse dans la mesure où la commune rapporte parfaitement la preuve de sa propriété sur le chemin rural arguant qu’une voie affectée à l’usage du public, est présumée, sauf preuve contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle est située la voie. Elle indique s’être comportée comme le propriétaire véritable de cette voie ouverte à l’usage du public depuis des temps immémoriaux et en avoir également assuré l’entretien régulier. Elle précise qu’il existe une présomption d’affectation à l’usage du public si l’utilisation du chemin comme voie de passage est avérée ou s’il bénéficie d’actes réitérés, donc réguliers, de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale. Elle ajoute que l’appelant ne présente strictement aucune preuve qui lui permettrait de justifier être propriétaire du chemin litigieux.

Elle souligne que la question de la propriété du chemin n’intéresse pas les débats dans la mesure où le juge des référés peut même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, l’existence même d’une contestation sérieuse étant donc indifférente à la solution du litige.

Elle soutient qu’aucune violation de la loi n’est à retenir en l’espèce étant donné que, dans la mesure où l’appelant n’est pas propriétaire du chemin situé devant son château, il n’est pas porté atteinte à son prétendu droit de propriété sur ledit chemin .

De plus, elle met en exergue la nature rurale du chemin litigieux puisque celui-ci n’a pas de numéro parcellaire, M. [E] n’a pas de titre de propriété portant sur ce chemin , son titre de propriété mentionne le chemin de randonnée traversant son bien, le rapport du CRIDON souligne qu’il s’agit d’un chemin rural affecté à l’usage du public depuis des temps immémoriaux et est classé en tant que chemin de randonnée depuis 2005.

En tout état de cause, elle considère que le fait de clôturer ou obstruer un chemin appartenant au domaine privé d’une commune constitue un trouble manifestement illicite auquel il faut mettre un terme.

*

La clôture de la procédure est intervenue le 10 octobre 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience du 17 octobre 2022.

Par ordonnance du 17 octobre 2022, l’ordonnance de clôture du 10 octobre 2022 a été révoquée, la clôture de la procédure fixée au 14 novembre 2022 et l’affaire renvoyée à l’audience du 21 novembre 2022, pour être mise en délibéré, par mise à disposition au greffe, au 9 janvier 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il y a lieu de préciser que la cour ne statuera pas sur « les dire et juger » figurant au dispositif des conclusions de l’appelant dans la mesure où ces mentions ne constituent pas des prétentions saisissant la cour.

Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le premier juge, reprenant diverses attestations produites par la commune confirmant l’utilisation régulière d’un chemin de randonnée, ainsi que la demande générale de renseignements datée du 25 août 2020 annexée à l’acte de vente du 4 novembre 2020 précisant que le bien est traversé par un chemin de grande randonnée GR de la haute Cévennes d’Ardèche, outre les délibérations de la commission permanente du Conseil Général de [Localité 32] des 18 novembre 2005 et 3 avril 2006 qui portent inscription de ce chemin rural au plan départemental des itinéraires de promenade et randonnée sur le canton de [Localité 1] et dans le circuit des hameaux, a retenu que le chemin jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26] est présumé rural, conformément à l’article L 161-2 du code rural.

Le juge des référés a relevé ensuite que l’obstacle mis en place par M. [E] créé une entrave à la libre-circulation des particuliers puisque le chemin n’est plus affecté à l’usage du public ni ouvert à la circulation générale et constitue donc un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser.

M. [E] conteste en appel cette décision estimant que la présomption de chemin rural doit être écartée, la nature privative de ce passage étant rapportée.

La commune soutient, pour sa part, que le chemin litigieux bénéficie de la présomption posée par l’article L 161-3 du code rural et invoque un trouble manifestement illicite en raison de l’obstruction du passage par l’appelant.

A titre liminaire, il est rappelé que le juge des référés ne dispose pas du pouvoir de statuer sur le fond du droit. Il s’ensuit qu’il ne peut se prononcer sur la qualification juridique du chemin sur laquelle s’opposent les parties.

Néanmoins, le juge des référés peut prendre des dispositions conservatoires ou des mesures de remise en état, si l’une des conditions prévues par l’article 835 du code de procédure civile susvisé est remplie.

Ainsi, même en présence de contestations sérieuses ayant trait notamment à la qualification privative ou non du chemin litigieux, dès lors qu’il est démontré un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite qu’il importe de faire cesser, le juge des référés peut ordonner la remise en état pour faire cesser ce trouble.

Le trouble manifestement illicite peut se définir comme « toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ». L’illicéité résulte de la méconnaissance d’une norme juridique obligatoire dont l’origine est délictuelle ou contractuelle.

En application des articles L 161-1 à L 161-3 du code rural, les chemins ruraux sont des chemins appartenant aux communes affectés à l’usage du public qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. L’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voierie de l’autorité municipale. La destination du chemin peut être définie notamment par l’inscription sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée. Enfin, tout chemin affecté à l’usage du public est présumé, jusqu’à preuve contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé.

Pour prétendre au bénéfice de cette présomption, la commune intimée a versé aux débats une délibération du 18 novembre 2005 aux termes de laquelle le conseil municipal de [Localité 1] accepte l’inscription au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée du «  chemin rural de [Localité 38] à [Localité 28] ».

Elle produit également la délibération de la commission départementale du conseil général de [Localité 32] du 3 avril 2006 procédant à l’inscription du chemin traversant la propriété dit de « [Localité 38] à [Localité 28] », jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26], au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) tout en précisant qu’il s’agit d’un chemin communal. Cette inscription en chemin de randonnée est reprise dans une attestation de la direction des territoires du département de [Localité 32] confirmant que le chemin présumé rural, conformément à l’article L 161-3 du code rural, jouxte les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26] sur la commune de [Localité 1].

Sont également produits un plan de situation annexé au permis de construire sollicité par l’appelant, le plan cadastral actuel et le cadastre napoléonien qui mettent en évidence l’existence d’un chemin bien délimité passant entre deux portes et devant le château de Gallimard sans que celui-ci ne porte de référence cadastrale et dont l’assiette n’est pas comprise dans les parcelles cadastrées [Cadastre 23] et [Cadastre 26] appartenant à M. [E].

L’acte de vente du 4 novembre 2020 (page 21) précise par ailleurs dans la partie « Urbanisme- Enonciation des documents obtenus » que le bien est traversé par un chemin de grande randonnée GR de la Haute Cévenne d’Ardèche, précision faite que « l’acquéreur déclare vouloir faire son affaire personnelle de ces éléments ».

Sont ajoutées enfin plusieurs attestations confirmant l’existence d’un chemin de randonnée partant du [Localité 1] allant vers le col de Moucharzse passant par les deux portes devant le bâtiment « [27] », sans la présence d’obstacle de quelque nature que ce soit. Il est attesté d’une utilisation régulière depuis plus de 20 ans.

Ces éléments établissent de façon concordante et non équivoque que depuis au moins 2006, le chemin litigieux était utilisé de façon continue comme sentier de randonnée et ils constituent la preuve de son utilisation comme voie de passage ouverte au public.

Il s’ensuit que ce chemin est en conséquence présumé appartenir à la commune de [Localité 1], en application de la présomption édictée aux articles L 161-1à L 161-3 du code rural.

En appel, M. [E] se prétend propriétaire du chemin litigieux contestant de ce fait la présomption posée par l’article L 161-3 du code rural par la production des pièces suivantes:

– un échange avec les archives départementales de [Localité 32] confirmant l’absence de corrélation entre le trait jaune marquant la limite cadastrale du lieudit et l’existence d’un chemin rural ;

– le rapport de la séance plénière du 14 avril 2022 de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture indiquant que « l’accès dans la dernière clôture se faisait par un portail extérieur dont les vantaux ont aujourd’hui disparu, puis par une allée privative qui longe la maison menant jusqu’à la porte principale cintrée et surmontée de deux blasons désormais illisibles » ;

– une photo de l’état des lieux datée du 4 novembre 2020 laissant apparaître, non pas un chemin , mais un état de friches excluant de ce fait tout entretien par la commune de [Localité 1] ;

– l’attestation de M. [P], habitant de la commune, confirmant l’absence de chemin rural devant la propriété ;

– courriers émanant du Préfet de [Localité 32] et du Ministre de l’Agriculture (pièces 18, 19 et 20) démontrant l’absence de chemin rural.

En l’état de ces éléments, M. [E] échoue à rapporter la preuve de la propriété du chemin .

En effet, les courriers émanant du Préfet de [Localité 32] et du Ministre de l’Agriculture datés de 1930 ne sont pas inconciliables avec la présomption posée par l’article L 121-3 du code rural en présence d’une voie de passage ouverte au public depuis près de 20 ans. Par ailleurs, si les documents produits se réfèrent à la demande présentée par une association de 15 propriétaires de créer un chemin d’ exploitation pour accéder à leurs parcelles en présence de « sentiers muletiers impraticables aux voitures », il n’est nullement spécifié qu’il s’agisse de sentiers privatifs.

Par ailleurs, le rapport de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture n’a quant à lui aucune valeur juridique s’agissant de simples données historiques et ne peut établir la nature privative du chemin , étant précisé que cette commission n’était nullement saisie de cette question.

Le titre de propriété ne permet pas davantage de rapporter la preuve que le chemin fasse partie de la propriété de M. [E], faute de références cadastrales, et les plans communiqués démontrant que l’assiette du chemin ne fait nullement partie des parcelles cadastrées [Cadastre 23] et [Cadastre 26] dont il est propriétaire.

De même, la présence d’un trait jaune, qui marque la limite cadastrale, n’exclut nullement l’existence d’un chemin rural et conforte au contraire le constat de ce que la voie litigieuse ne se situe pas sur la propriété de M. [E].

Enfin, les témoignages produits, et notamment ceux émanant de Mme [X] et Mme [D], ne mettent nullement en évidence le caractère privatif du chemin puisqu’il ait fait référence à une rencontre entre l’agent immobilier, M. [E], et le maire de la commune dans l’objectif de proposer la modification du tracé du chemin « [Localité 38] à [Localité 28] » et de privatiser la propriété acquise. Quant aux autres témoignages, ils reconnaissent l’existence d’un chemin passant devant le château mais considéraient qu’il s’agissait d’une propriété privée sans qu’aucun élément objectif ne vienne confirmer cette constatation subjective.

L’attestation de M. [P] est quant à elle insuffisante à renverser la présomption posée par l’article L 121-3 du code rural, le témoin rapportant des propos tenus par un de ses ascendants selon lequel le chemin passait derrière le château sans qu’il puisse attester directement de la configuration des lieux allégués. Par ailleurs, il évoque l’ autorisation donnée avec sa mère pour un chemin passant sur leur parcelle, propriété privée, afin de désenclaver le château justifiant la nature privative de cette voie. Cette déclaration peu circonstanciée n’est nullement confirmée par un élément objectif et rien ne permet de vérifier qu’il s’agisse du même chemin .

Pour finir, l’état de friche du chemin et le défaut d’entretien de la commune sont indifférents puisqu’il est établi l’utilisation du chemin comme voie de passage ouverte au public, l’article L 161-2 du code rural imposant, pour justifier de la présomption, la preuve d’un des éléments alternatifs, l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou des actes réitérés de surveillance ou de voierie de l’autorité municipale.

Dès lors, en interdisant l’accès par l’apposition de portails en bois comme cela résulte du procès-verbal du 27 août 2021 faisant obstacle à la libre-circulation, M. [E] a causé un trouble manifestement illicite qu’il importe de faire cesser sans qu’il soit nécessaire de rechercher la nature de l’accès litigieux, qui relève de la compétence du juge du fond.

L’ordonnance sera donc confirmée en ce qu’elle a ordonné à Monsieur [J] [E] de procéder au retrait des deux portails faisant obstacle au passage sur le chemin de randonnée dit de « [Localité 38] à [Localité 28] », portion du GR de la haute Cévennes d’Ardèche, jouxtant les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 26] devant le château de Gallimard, et ce, sous astreinte.

Les dépens et les frais irrépétibles ont été exactement réglés par le premier juge.

En cause d’appel, il convient d’accorder à la commune de [Localité 1], contrainte d’exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Monsieur [J] [E], qui succombe, devra supporter les dépens de l’instance d’appel et ne saurait bénéficier d’une somme au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en référés et en dernier ressort,

Confirme l’ordonnance rendue le 14 avril 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Privas en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [J] [E] de la demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne M. [J] [E] à payer à la commune de [Localité 1] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [J] [E] aux dépens d’appel.

Cour d’appel, Nîmes, 2e chambre, section B, 9 Janvier 2023 – n° 22/01535

Rappel du régime juridique des chemins d’exploitation à usage agricole

Sénat, Réponse ministérielle n° 25279, 6 janvier 2022

Le ministère de l’Agriculture rappelle et interprète les dispositions relatives aux chemins et sentiers d’exploitation.

❔ La question

Un sénateur a soulevé une question portant sur le point de savoir si un chemin d’exploitation à usage agricole peut être interdit d’accès au public.

Par ailleurs, en l’absence de titre, à qui est censé appartenir ledit chemin d’exploitation ?

💡 La réponse

En réponse, le ministre de l’Agriculture rappelle que le régime juridique des chemins d’exploitation est régi par les dispositions des articles L. 162-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime.

Ce régime est déterminé par la propriété de leur assiette, qui est privée et divisée, ainsi que par leur usage, qui est collectif.

L’article L. 162-1 dispose que les chemins et sentiers d’exploitation sont « ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l’absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l’usage en est commun à tous les intéressés. L’usage de ces chemins peut être interdit au public ».

En conséquence, chaque riverain a une part de propriété qui se détermine comme celle du lit des cours d’eau non domaniaux (Code civil, article 563), donc constituée par la partie du chemin jouxtant leur fonds jusqu’à une ligne présumée passer au milieu de la voie.

Le droit d’usage du chemin ou sentier d’exploitation appartient à chaque propriétaire riverain et limitrophe.

Les propriétaires de fonds enclavés en ont également l’usage mais par servitude.

Un riverain ne peut limiter l’usage du chemin aux autres propriétaires riverains.

Ainsi, toute obstruction de l’accès au chemin par la pose d’une clôture ou d’une barrière est prohibée, sauf à en permettre l’usage à tous les ayants-droit en les mettant en mesure de les ouvrir.

De fait, tout propriétaire riverain peut interdire l’accès du chemin aux non-riverains, à condition que les autres riverains puissent continuer à y accéder, ou peut clore son fonds à la condition qu’il ne restreigne pas ou ne rende pas incommode le passage des autres propriétaires riverains du chemin.

Par l’arrêt n° 17-22508 du 29 novembre 2018, la Cour de cassation rappelle à cet égard que l’usage commun des chemins d’exploitation n’est pas régi par les règles de l’indivision et que chaque propriétaire riverain dispose du droit d’en interdire l’accès aux non-riverains.

Espace rural et environnement > Aménagement foncier ruralDate : 07 janvier 2022La rédactionSource :

CHEMIN RURAL

Préservation des chemins ruraux.

Question de M. Jean Pierre Vogel Sénateur – à L’Assemblée

M. Jean Pierre Vogel attire l’attention de Mme la ministre de la transition écologique sur l’annulation par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021), des dispositions concernant les chemins ruraux adoptées à l’article 235 (57Ter) du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Les chemins ruraux ont été l’objet de plus de cinquante amendements déposés par les parlementaires pour améliorer la préservation de ce patrimoine, et nombre d’entre eux ont reçu un avis favorable du Gouvernement lors des discussions. Ces chemins et sentiers sont menacés d’aliénations et de suppressions souvent inconsidérées. Ils ont une utilité pour le maintien du bocage et pour le tourisme rural.

Les nouvelles dispositions qui avaient été adoptées permettaient de soulager les communes de l’entretien des chemins ruraux de terre en confiant leur restauration et entretien aux associations à titre gratuit. Elles leurs permettaient aussi de réaliser des échanges de terrain pour rétablir la continuité d’un chemin rural, ce que le Conseil d’État a toujours sanctionné.

Avant la censure du Conseil constitutionnel, le Sénat a adopté le 21 juillet 2021 en première lecture du projet de loi (texte n° 144, Sénat, 2020-2021) relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, les dispositions relatives aux chemins ruraux qu’il avait adoptées en 2015 dans une proposition de loi (texte adopté n° 77, Sénat, 2014-2015) visant à renforcer la protection des chemins ruraux, dont l’échange. Celle-ci, adoptée à l’unanimité, n’a jamais été mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale (texte n° 70, 15ème législature).

Cependant la majorité des dispositions adoptées dans la loi climat et résilience sont annulées pour une question de forme, alors qu’elles étaient adoptées par les deux chambres et confortées en commission mixte paritaire. Il s’agit notamment des modifications touchant les articles L. 161-2, L. 161-8, L. 161-11 du code rural). Elles ne peuvent disparaître.

Il lui demande quelles initiatives elle entend prendre à ce sujet, et si au besoin elle entend déposer elle-même un texte intégrant ces dispositions.

Publication au JO : Sénat du 16 sept. 2021

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