Droit rural n° 10, Octobre 2023, comm. 95

Riverains d’un chemin d’exploitation : la propriété d’un seul exclut le droit d’enfouissement des autres

Commentaire par Denis Lochouarn docteur en droit

Chemin d’exploitation

Solution. – Un propriétaire riverain d’un chemin d’exploitation ne peut pas implanter une canalisation dans le tréfonds de ce chemin si l’assiette de celui-ci appartient à un autre riverain.

Impact. – Cette décision apporte une importante limitation au droit d’user du tréfonds reconnu à tout propriétaire riverain sur le fondement de l’usage d’un chemin d’exploitation.

Cass. 3e civ., 29 juin 2023, n° 21-25.526 : JurisData n° 2023-015746

Note :

La Cour de cassation a eu à se prononcer une nouvelle fois sur le droit au sous-sol des chemins d’exploitation.

Un propriétaire ayant assigné un de ses voisins en reconnaissance d’un chemin d’exploitation afin d’implanter dans son sous-sol des canalisations s’est pourvu en cassation contre l’arrêt confirmatif par lequel la cour d’appel, tout en admettant l’existence d’un tel chemin, lui a refusé ce droit dès lors qu’il n’établissait pas l’état d’enclave de sa propriété (CA Toulouse, 26 juill. 2021, n° 18/01993 : JurisData n° 2021-011813). Pour les juges du fond, l’existence d’un chemin d’exploitation n’implique pas le bénéfice d’une servitude de réseaux.

Selon le pourvoi, le riverain d’un chemin d’exploitation a le droit d’y installer des canalisations souterraines en vue d’obtenir tous les avantages que cette voie de communication est susceptible de lui procurer, sans qu’il soit tenu de démontrer un état d’enclave du tréfonds de sa parcelle.

Ce droit a effectivement été reconnu par la jurisprudence (Cass. 3e civ., 4 juill. 1972, n° 71-11.172 : Bull. civ. III, n° 444. – Cass. 3e civ., 29 sept. 2015, n° 14-17.816), sur le fondement de la fonction des chemins d’exploitation et du droit d’usage commun reconnu par l’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime. Il en résulte qu’un riverain d’un tel chemin peut l’exercer sans l’autorisation des autres (Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247. – CA Paris, 12 sept. 2012, n° 12/204. – CA Aix-en-Provence, 6 mars 2014, n° 13/05918). Toutefois, il est admis que le droit d’enfouissement peut être restreint ou supprimé par une convention déterminant l’usage de chemin (Cass. 3e civ., 4 juill. 1972, n° 71-11.172 : Bull. civ. III, n° 444. – Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247), voire écarté s’il diminue ou fragilise cet usage (Cass. 3e civ., 29 juin 2010, n° 09-15.840 : AJDI 2010, p. 247).

En l’espèce, aucune convention n’a été invoquée mais les juges du fond ont constaté que le terrain d’assiette du chemin litigieux appartenait à la partie adverse. La Cour de cassation en a conclu que l’auteur du pourvoi n’était pas en droit d’installer en dessous des canalisations au titre du droit d’usage. Ainsi, tout en rappelant qu’il résulte de l’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime que le riverain d’un chemin d’exploitation a le droit d’y installer des canalisations souterraines en vue d’obtenir tous les avantages que cette voie de communication est susceptible de lui procurer dans le respect, le cas échéant, de la convention qui en détermine l’usage, l’arrêt précise que « tel n’est pas le cas lorsqu’un autre riverain est propriétaire du sol constituant son assiette ».

On observera que cette décision est en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle le propriétaire par titre de l’assiette d’un chemin d’exploitation peut obtenir la suppression des installations effectuées par un voisin, notamment en dessous, quand bien même elles ne font pas obstacle au passage (Cass. 3e civ., 31 mai 2018, n° 17-17.933 : JurisData n° 2018-010407 ; RD rur. 2018, comm. 139, D. Lochouarn).

Mots clés : Droit rural. – Espace rural. – Chemin d’exploitation. – Tréfonds.

Mots clés : Canalisation. – Servitude de réseaux. – Droit d’usage.

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. rur., art. L. 162-1

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