Mois : mai 2025

Bail rural : possibilité pour le preneur de se fonder sur un motif déjà invoqué lors du contrôle a priori du congé initial

21/05/2025

Le manquement à son obligation d’exploitation, invoqué pour contester le congé initial dans le cadre d’un contrôle a priori, peut être repris pour contester un congé en fin de prorogation de bail dans le cadre d’un contrôle a posteriori en cas d’élément nouveau inconnu du preneur lors du contrôle a priori.

Un bailleur délivre un congé à des preneurs aux fins de reprise au bénéfice de son fils, gérant d’une société civile d’exploitation agricole (SCEA). Les preneurs contestent ce congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux, souhaitant pouvoir continuer à bénéficier du bail jusqu’à leur retraite puis le transmettre à leur propre fils. En appel, le bail est prorogé, de plein droit, jusqu’à la fin de l’année culturale au cours de laquelle les preneurs atteindront leur retraite, mais leur demande en autorisation de céder le bail à leur fils est rejetée.

Dix-huit mois avant le terme de la période de prorogation (« C. rur., art. L. 411-47 »), le bailleur délivre, conformément aux dispositions de l’article L. 411-58 du Code rural et de la pêche maritime, un nouveau congé pour reprise. Les preneurs en place ont en conséquence libéré les parcelles, mais obtiennent par la suite leur réintégration avec cession du bail à leur fils doublée d’une indemnisation. Lors d’un contrôle a posteriori, il a en effet été constaté que le bénéficiaire de la reprise ne participait pas de façon effective et permanente aux travaux agricoles sur les parcelles en cause. À preuve, il a consenti un bail à son épouse sur ces parcelles. Aussi le repreneur conteste-t-il la décision de la cour d’appel. Selon lui, le second congé ne constitue que le renouvellement du précédent congé validé, et non un congé distinct ; il ne peut donc être contesté à nouveau devant le tribunal paritaire des baux ruraux :

– ni au titre du contrôle a priori portant sur les exigences et engagements pesant sur lui, notamment l’obligation d’exploiter le bien repris durant neuf ans (C. rur. art. L. 411-59),

– ni au titre du contrôle a posteriori destiné à vérifier ses engagements, et plus particulièrement son implication dans l’exploitation des parcelles en cause (C. rur., art. L. 411-66).

En effet, les preneurs, s’étant fondés sur le motif du défaut d’exploitation lors de la demande d’annulation du congé initial dans le cadre du contrôle a priori, ne pouvaient plus l’invoquer faute d’élément nouveau.

La cour d’appel n’abonde pas en ce sens. Le fait de consentir un bail à son épouse constitue, selon elle, un fait nouveau l’autorisant à vérifier, lors du contrôle a posteriori, s’il se consacrait effectivement à l’exploitation du bien repris. À cet argument, le requérant oppose un cas de force majeure tenant à la parution, entre les deux congés, du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA), qui le prive du régime de la déclaration préalable et l’oblige à faire exploiter les parcelles par son épouse. Le fait est que les conditions lui permettant de reprendre l’exploitation des parcelles en cause à la date d’effet du premier congé ne l’étaient-elles plus à la date d’effet du second congé.

La Cour de cassation avait donc plusieurs questions à trancher :

  • Le juge peut-il réexaminer lors d’un contrôle a posteriori un motif déjà invoqué lors du contrôle a priori du congé initial en cas d’événement survenant postérieurement à la date d’effet de ce congé et parfaitement inconnu du preneur durant l’instance en annulation de ce congé ? ;
  • Le bénéficiaire de la reprise se trouvait-il, par force majeure, dans l’impossibilité d’exploiter aux conditions prévues par les articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 du Code rural et de la pêche maritime compte tenu du changement de législation sur le contrôle des structures de sorte qu’il n’avait pas d’autre choix que de faire exploiter les parcelles par un tiers ?

À la première question, la Cour de cassation répond par l’affirmative et approuve la décision des juges du fond : des éléments nouveaux, tel que l’octroi d’un bail rural à l’épouse du bénéficiaire de la reprise, justifient un réexamen, dans le cadre d’un contrôle a posteriori, de « motifs » déjà invoqués lors du contrôle a priori du congé initial. Dans ce cas, le preneur peut contester l’intention d’exploiter du bénéficiaire de la reprise dans le cadre du contrôle a priori du congé initial et, lors de la contestation du second congé en fin de période de prorogation du bail, demander au juge de vérifier si le bénéficiaire de la reprise se consacre bien à l’exploitation des parcelles en cause dans le cadre d’un contrôle a posteriori.

Sur la notion de force majeure, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel. Un cas de force majeure ne peut être qu’imprévisible et irrésistible. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce. La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 modifiant la réglementation du contrôle des structures était entrée en vigueur le 15 octobre 2014. Le SDREA était, quant à lui, intervenu le 27 juin 2016 ce qui laissait au repreneur un délai de quatre mois pour demander une autorisation d’exploiter du fait du changement du seuil de surface déclenchant le contrôle des structures ; le congé étant donné pour le 31 octobre 2016. Aussi, sachant dès le mois de juin 2016 qu’il ne remplissait plus les conditions pour bénéficier du régime de la déclaration, il aurait dû soit renoncer à la reprise soit solliciter une autorisation d’exploiter. Rien qui ne soit imprévisible et irrésistible même si le changement de réglementation est parfaitement indépendant de sa volonté et qu’il ne peut en être tenu responsable.

Il s’ensuit que l’interdiction de céder le bail se limitant à la période de prorogation de ce bail (C. rur., art. L. 411-58), c’est à juste titre que les juges du fond ont accordé aux preneurs leur réintégration avec cession du bail à leur fils à l’issue de la période de prorogation du bail dans les conditions de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime.

À retenir : Lorsque le bailleur a délivré un nouveau congé pour reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation dont a bénéficié le preneur, le contrôle a posteriori de la reprise ne peut, lorsque le congé initial a été contesté par le preneur dans le cadre du contrôle a priori, se fonder sur un motif déjà invoqué par ce preneur, sauf en cas d’éléments nouveaux, qui étaient inconnus du preneur lors du contrôle a priori ou qu’il ne pouvait alors utilement opposer.

Source

Cass. 3e civ., 7 mai 2025, n° 23-15.142, FS-B

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Obligations statutaires dans la coopérative agricole : la lettre de démission doit respecter les délais statutaires

« En sa qualité d’associé coopérateur, M. [Z] ne pouvait ignorer que la clôture de l’exercice était fixée au 31 juillet 2019 et qu’il devait donc, pour exercer son retrait, que sa lettre de démission soit reçue au plus tard le 30 avril 2019, à défaut de quoi la coopérative pouvait lui opposer le renouvellement par tacite reconduction de son engagement d’apport.« 

LES FAITS

1- Le 17 juin 2019, M. [U] [Z], viticulteur, a notifié à La cave du pays de Quarante (ci-après la coopérative) sa décision de révoquer ses engagements envers elle à compter de la campagne 2019/2020.

Le 11 juillet 2019, la coopérative a contesté cette décision au motif qu’elle est intervenue hors du délai prévu par les statuts.

2- Le 24 février 2020, la coopérative a sommé M. [Z] d’indiquer les raisons de l’absence d’apport de la récolte 2019.

3- Par courrier du 25 mars 2020, M. [Z] a confirmé que la coopérative ne pouvait lui reprocher le caractère tardif de sa décision et l’a mise en demeure de lui payer les sommes dues en contrepartie de ses apports de récoltes à savoir :

– 10 504,29 ‘ pour la récolte 2016,

– 15 535,56 ‘ pour la récolte 2017,

– le solde de la récolte 2018 pour laquelle il n’a reçu aucun décompte.

4- Par courrier du 16 avril 2020, la coopérative a indiqué que le conseil d’administration avait décidé de procéder à la compensation des dettes et créances, fixées comme suit :

– participation aux frais fixes : 43 645,056 ‘.

– pénalité : 17 458,02 ‘.

5- Le 22 septembre 2020, M. [Z] a mis en demeure la coopérative de lui régler la somme de 47 756,02 ‘ au titre de la rémunération de ses apports de récolte 2016, 2017 et 2018, lui proposant un mode de résolution amiable du conflit, en vain.

6- C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier de justice du 9 novembre 2020, M. [Z] a assigné la coopérative devant le tribunal judiciaire de Béziers avant d’être lui-même assigné par acte d’huissier de justice du 10 novembre 2020.

Par ordonnance du 28 janvier 2021, la jonction des deux affaires a été prononcée.

7- Par jugement du 13 janvier 2021, une procédure de redressement judiciaire a été prononcée à l’encontre de La cave du pays de Quarante.

Par actes d’huissier de justice des 8 et 12 février 2021, M.[Z] a déclaré sa créance au passif de la cave et assigné en intervention forcée la société FHB SELARL, représentée par Me [O] ès-qualités d’administrateur et Me [L] [D], ès-qualités de mandataire judiciaire.

Par ordonnance du 10 juin 2021, la jonction des deux affaires a été prononcée.

8- Par jugement du 6 octobre 2021, La cave du pays de Quarante a fait l’objet d’une conversion en liquidation judiciaire et le tribunal de commerce de Béziers a désigné Me [D] en qualité de liquidateur.

9- Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal judiciaire de Béziers a :

– Constaté l’intervention de Maître [L] [D] es qualité de liquidateur de la SCA Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric, nommé par le jugement du tribunal de commerce de Béziers du 6 octobre 2021,

– Débouté la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D], liquidateur, de ses entières prétentions à l’encontre de M. [Z],

– Condamné la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D], liquidateur, à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

> 50 360,01 ‘ augmentés des intérêts légaux dus à compter du 22 septembre 2020 au titre des apports de récoltes restés impayés,

> 2 500 ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

– Fixé en conséquence la créance totale de M. [U] [Z] au passif de la procédure collective de la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » au montant de 52860,01 ‘,

– Condamné la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D] ès-qualités, au paiement des entiers dépens.

10- Maître [D], ès-qualités, a relevé appel de ce jugement le 19 juin 2023.

PRÉTENTIONS

11- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 10 février 2025, Me [D], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric, demande en substance à la cour de :

– Réformer le jugement du 15 mai 2023,

Statuer à nouveau :

– Juger que M. [Z] a bien la qualité d’associé coopérateur, et ne pouvait pas être qualifié de tiers non associé,

– Juger que M. [Z] n’a pas donné sa démission avec un préavis de trois mois avant la clôture de l’exercice, conformément aux dispositions des articles 8 et 45 des statuts.

En conséquence,

– Condamner M. [Z] à payer à la coopérative Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric les sommes suivantes :

> 43 645,05 ‘ au titre du non apport,

> 17 458,02 ‘ au titre de pénalité,

> soit la somme totale de 61 193,08 ‘ avec intérêt au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 16 avril 2020 en application de l’article 1231-6 du Code civil et qui seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1154 du même code, à parfaire jusqu’au terme de son engagement,

– Juger qu’il est fait application du principe de la compensation entre les dettes et les créances, c’est-à-dire déduction de la seule somme retenue à titre chirographaire par Me [D], 45 861,47 ‘ conformément à l’article 8-9 des statuts,

– Rejeter toutes les demandes formées par M. [Z],

– Condamner M. [Z] à payer à la coopérative Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric la somme de 3 000 ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.

12- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 4 novembre 2024, M. [Z] demande en substance à la cour, au visa des articles L.641-3 du Code de commerce, L. 521-3-1, R522-4 et R.524-12 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime dans leur version applicable à l’époque des faits, et 1231 et suivants du Code civil de :

– Confirmer le jugement du 15 mai 2023 qui a fixé la créance de M. [Z] :

> à la somme de 50 360, 01 ‘ au titre des apports de récoltes impayés majorée du montant des intérêts du 22 septembre 2020 au 14 janvier 2021 ;

> à la somme de 2500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] de sa demande de fixation à la somme de 5 000 ‘ de l’indemnité de réparation du préjudice subi par ce dernier du fait du non-respect par Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric de ses obligations contractuelles, légales et réglementaires ;

– Accueillir l’appel incident,

– Infirmer le jugement du 15 mai 2023 sur ce point,

Statuant à nouveau,

– Fixer en sus de la créance d’un montant de 52 860,01 ‘ retenue par le jugement du 15 mai 2023 dont il est sollicité la confirmation, la créance de réparation tous préjudices confondus à la somme de 5 000 ‘.

En tout état de cause :

– Condamner la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D] ès-qualités, au paiement des entiers dépens sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

13- Vu l’ordonnance de clôture en date du 11 février 2025.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

14- La cour observe en liminaire n’être saisie d’aucune conclusion de M. [Z] tendant à écarter les conclusions adverses déposées la veille de l’ordonnance de clôture.

Sur la qualité d’associé coopérateur de M. [Z]

15- Selon l’article R.522-2 du code rural et de la pêche maritime,

‘La qualité d’associé coopérateur est établie par la souscription ou par l’acquisition d’une ou plusieurs parts sociales de la coopérative.

Toute société coopérative agricole doit avoir obligatoirement à son siège un fichier des associés coopérateurs sur lequel ces derniers sont inscrits par ordre chronologique d’adhésion et numéros d’inscription avec indication du capital souscrit par catégorie de parts telles que prévues à l’article R. 523-1.’

Selon l’article 4 du règlement intérieur de la coopérative, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquière que par la souscription ou l’acquisition de parts sociales de la coopérative après agrément du conseil d’administration.

16- Il est acquis que si la preuve ‘reine’ de la qualité de coopérateur résulte du fichier évoqué ci-dessus, elle peut être établie par tout moyen dont la charge incombe à celui qui s’en prévaut, la coopérative en l’espèce. Cette preuve peut résulter d’un faisceau d’indices.

17- Pour établir la qualité d’associé coopérateur de M. [Z] et démentir ce qu’il n’était pas, à savoir tiers non coopérateur, la coopérative produit aux débats ce faisceau d’indices caractérisant la souscription de parts sociales par M. [Z], dont les plus probants tiennent à son statut d’administrateur et à son comportement dans la phase pré contentieuse.

18- Ainsi, selon les statuts, la coopérative est administrée par un conseil composé de 15 membres élus par l’assemblée générale parmi les associés coopérateurs. Nul ne peut être élu adminsitrateur s’il n’est associé coopérateur.

19- De la combinaison du procès verbal d’assemblée générale du 26 avril 2018 où M. [Z] était proposé en qualité d’administrateur -quand bien même la mention de l’adoption du vote serait absente- et du procès-verbal du conseil d’administration du 23 avril 2019 où M. [Z] siégeait en qualité d’administrateur avec émargement de la feuille de présence, il résulte sans ambiguïté que M. [Z] avait été élu administrateur. Après que le conseil d’administration en a pris acte le 10 juillet 2019 suite à sa démission remise en main propre le 3 juin 2019, l’assemblée générale du 19 décembre 2019 en a également pris acte en troisième résolution.

20- Dans les courriers pré contentieux des 17 juillet 2019 et 25 mars 2020 en réponse aux courriers des 11 et 27 juillet 2019 puis du 24 février 2020, non seulement M. [Z] ne conteste pas la qualité d’associé coopérateur qui lui est prêtée mais fait valoir les obligations statutaires gouvernant la coopérative dans ses relations avec les coopérateurs, notamment l’absence de tenue de l’assemblée générale ordinaire dans les six mois de la clôture de l’exercice (soit avant le 31 janvier), revendiquant le délai de prévenance de trois mois pour le retrait du coopérateur.

21- Encore, la coopérative produit en pièce 16 une feuille de présence à l’assemblée générale du 16 avril 2015, émargée par M.[Z], titulaire de 570 parts sociales.

22- Le surplus des documents produits par la coopérative, établis en réaction à la conscience d’un manifeste laisser aller dans la gestion administrative (fiche individuelle de parts sociales au 12 octobre 2020 ; document unique récapitulatif non daté mais faisant référence à la mise à jour du 25 mars 2020 du règlement intérieur) ne font que corroborer a posteriori le statut d’associé coopérateur de M. [Z].

23- Selon l’article R522-4 du code rural et de la pêche maritime,

‘L’associé coopérateur est engagé avec sa société coopérative pour une durée déterminée.

En cas de force majeure dûment justifiée, le retrait anticipé d’un associé coopérateur est accepté par l’organe chargé de l’administration de la coopérative. Ce retrait peut également être accepté dans les conditions prévues par les statuts en cas de motif valable et si le départ de l’associé coopérateur ne porte pas préjudice au bon fonctionnement de la coopérative.

Si l’associé coopérateur n’a pas notifié au président de la société coopérative, avant le terme de son engagement, sa décision de se retirer au terme de celui-ci, cet engagement est renouvelé par tacite reconduction par périodes de même durée, selon les dispositions des statuts et du règlement intérieur en vigueur à la date du renouvellement.

Toutefois, si la période initiale d’engagement est supérieure à cinq ans, chaque période de tacite reconduction est de cinq ans au plus.’

Selon l’article 8 des statuts, si l’associé coopérateur n’a pas notifié sa volonté de se retirer par lettre recommandée avec avis de réception trois mois au moins avant l’expiration du dernier exercice de la période d’engagement concernée, l’engagement se renouvelle par tacite reconduction par périodes de 5 ans pour l’activité de collecte vente.

Selon l’article 45 de ce ces mêmes statuts, l’exercice commence le 1er août et finit le 31 juillet.

24- Par son courrier du 17 juin 219, M. [Z] a informé la coopérative de son souhait de la quitter et de ne pas apporter sa récolte pour la campagne 2019-2020. Il ne donnait aucun motif.

Par son courrier en réponse du 11 juillet 2019, la coopérative l’informait de ce que sa lettre de démission n’était pas recevable pour ne pas avoir respecté les délais de l’article 8 point 5 des statuts, évoqué ci-dessus.

M. [Z] répliquait le 17 juillet 2019, sans contester la matérialité du dépassement du délai de sa lettre de démission, en invoquant l’article 40 alinéa 1 des statuts selon lequel ‘l’assemblée générale ordinaire doit être convoquée au moins une fois par an, dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice.’ Il en tirait pour conséquence, ce qu’il renouvelle dans l’instance judiciaire, que l’assemblée générale ordinaire ne s’étant pas tenue dans les six mois de la clôture de l’exercice, il disposait d’un délai de trois mois pour analyser la situation financière et économique de la cave et qu’en fonction de cette analyse, il peut informer la cave de son intention de se retirer avant le 30 avril.

25- M. [Z] fait valoir que la coopérative ne justifie pas de la date de son engagement, laquelle déterminerait par application de l’article 8 des statuts, la date de son retrait. Alors qu’il fait état d’avoir apporté ses récoltes à compter de l’année 2012 et que sa qualité de coopérateur est établie, il ne conteste pas la teneur du document unique récapitulatif qui fait courir son engagement à compter du 10 mai 2012, quand bien même n’aurait-il pas signé ce document dont la validité n’est pas subordonné à son émargement. Il n’est pas plus amplement querellé que 2019 était le dernier exercice de la période concernée.

26- Toutefois, en sa qualité d’associé coopérateur, M. [Z] ne pouvait ignorer que la clôture de l’exercice était fixée au 31 juillet 2019 et qu’il devait donc, pour exercer son retrait, que sa lettre de démission soit reçue au plus tard le 30 avril 2019, à défaut de quoi la coopérative pouvait lui opposer le renouvellement par tacite reconduction de son engagement d’apport. Ce n’est pourtant que le 17 juin 2019 qu’il a notifié sa démission, laquelle apparaît ainsi hors délai, peu important que l’assemblée générale n’ait pas été tenue avant le 31 janvier 2019 pour l’exercice 2018, alors que cet élément qu’il met en avant aurait dû le conduire à une vigilance particulière dans l’exercice de son droit de retrait.

Le non-respect du délai par la coopérative n’apparaît en rien exonératoire du non-respect du délai par M. [Z] étant observé que les manoeuvres déloyales invoquées par M. [Z] à l’encontre de la coopérative qui aurait volontairement retardé la tenue de l’assemblée générale pour dissimuler la situation désastreuse dans laquelle elle se trouvait afin d’éviter le départ de coopérateurs en fin d’engagement ne sont en rien caractérisées, M.[Z] ne pouvant conclure du seul constat d’une situation dégradée décrite le 19 décembre 2019 une volonté dolosive antérieure.

27- Il en résulte que l’appel de la coopérative est bien fondé et que le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande tendant à obtenir la condamnation de M. [Z] au paiement de la somme de 61 193,08′ (43645,05′ au titre du non-apport et 17458,02′) avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2020, selon décompte non discuté, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

28- S’agissant de la créance de M. [Z] au titre des apports de récoltes impayés au titre des exercices 2016, 2017 et 2018, l’admission à titre chirographaire de la seule somme de 45 861,47′ n’emporte pas de facto infirmation du jugement en ce qu’il a arrêté le montant de la créance à la somme de 50 360,01′, résultant des fiches de solde analysées par le premier juge, montant qui sera confirmé avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2020.

29- Le principe de la compensation étant énoncé à l’article 8.9 des statuts et les parties disposant de créances certaines liquides et exigibles l’une envers l’autre, la compensation en sera ordonnée.

30- S’agissant de l’appel incident de M. [Z] à l’encontre du jugement qui a rejeté sa demande indemnitaire formulée à hauteur de 5000 ‘, la cour constate que la demande d’infirmation n’a pas été formulée par les premières conclusions transmises par voie électronique le 7 décembre 2023 et que par application des dispositions combinées des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la cour ne peut que confirmer le jugement sur ce point.

31- Le jugement de première instance étant infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la coopérative, l’équité commande de réformer l’indemnité allouée à M. [Z] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

32- Partie globalement perdante en appel, M. [Z] supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté la coopérative ‘Les caves du pays de Quarante et du pays de l’Héric’ de ses entières prétentions, condamné cette même coopérative à payer à M.[U] [Z] la somme de 2 500 ‘ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et fixé en conséquence la créance totale de celui-ci à la procédure collective à la somme de 52 680,01 ‘.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [U] [Z] à payer à Me [D], ès-qualités, la somme de 61 193,08 ‘ avec intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2020 et capitalisation annuelle dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance au profit de M.[Z].

Fixe la créance de M. [U] [Z] au passif de la procédure collective de la coopérative ‘Les caves du pays de Quarante et du pays de l’Héric’ à la somme de 50 360,01 ‘.

Opère compensation entre les créances respectives des parties.

Confirme le jugement pour le surplus.

Condamne M. [U] [Z] aux dépens d’appel.

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel.

Cour d’appel, Montpellier, 4e chambre civile, 7 Mai 2025 – n° 23/03135

Reprise du bail rural par une SCI familiale : nécessité d’un objet agricole

Reprise du bail rural par une SCI familiale : nécessité d’un objet agricole

Dans un arrêt du 30 avril 2025, la Cour de cassation clarifie les conditions de reprise d’un bail rural par une société civile immobilière (SCI) familiale. Elle rappelle que, bien que les sociétés constituées entre membres d’une même famille ne soient pas soumises à certaines exigences relatives aux apports ou à l’ancienneté des parts sociales, l’objet agricole de la société demeure une condition impérative pour pouvoir exercer le droit de reprise.

Une SCI, propriétaire d’un domaine agricole, souhaite désormais en assurer l’exploitation directe. À cette fin, elle délivre à la preneuse deux congés pour reprise. Contestant la validité de ces congés, cette dernière saisit le tribunal paritaire des baux ruraux afin d’en obtenir l’annulation.

La cour d’appel de Versailles rejette cette demande, valide les congés et ordonne son expulsion (CA Versailles, 5 sept. 2023, n° 21/01022). Elle considère qu’en application de l’article L. 411-60 du Code rural et de la pêche maritime, il n’est pas requis que la SCI ait un objet agricole pour exercer son droit de reprise, contrairement à ce que soutenait la preneuse.

La Cour de cassation infirme le raisonnement de la cour d’appel. Au visa de l’article L. 411-60 précité, elle rappelle qu’une société, y compris familiale (constituée entre conjoints, partenaires, parents ou alliés), doit avoir un objet agricole pour pouvoir exercer son droit de reprise sur les biens qui lui ont été apportés. La cour d’appel a donc mal interprété le texte en considérant, à tort, qu’une telle société pouvait se prévaloir du droit de reprise d’un bail rural sans justifier d’un objet agricole.

Aussi, dans le cas d’espèce, la SCI disposait effectivement d’un objet agricole à la date de délivrance des congés. Il était ainsi précisé que la société avait pour objet « la propriété, la jouissance et l’administration des immeubles et droits immobiliers à destination agricole dont elle a et elle aura la propriété, aux fins de création et/ou de conservation d’une ou plusieurs exploitations ». Les statuts précisaient également qu’« elle assurera la gestion des biens dont elle est propriétaire en les exploitant directement ou en les donnant à bail ».

Enfin, la Haute Juridiction précise que les deux conditions classiques de reprise d’un bail rural ne s’appliquent pas aux sociétés à caractère familial. Il n’est donc pas nécessaire que le bien ait été apporté en propriété ou en jouissance au moins neuf ans avant la date du congé. De même, les parts sociales n’ont pas à être détenues depuis neuf ans lorsqu’elles ont été acquises à titre onéreux par les membres repreneurs.

Dès lors, par la substitution d’un motif de pur droit aux motifs critiqués, la décision se trouve légalement justifiée. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé.

Mélissa KASHI
Éditrice sur le JCl. Notarial Formulaire, la semaine juridique Notariale et Immobilière (JCP N) et Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniale (APSP)Source

Cass. 3e civ., 30 avr. 2025, n° 23-22.354, FS-B

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