Solution. – La modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation suppose le consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir.

Impact. – À défaut d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’autorisation d’empiétement consentie par un propriétaire riverain sur sa parcelle dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’a pas pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation.

Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 22-22.025 : JurisData n° 2024-010342

Note :

Un chemin d’exploitation sépare deux parcelles dont l’une supporte un hangar exploité par une société. À la suite d’un premier différend relatif à l’accès à ce bâtiment, un protocole d’accord signé entre la société et le propriétaire de l’autre parcelle a autorisé les véhicules lourds empruntant le chemin à empiéter sur cette dernière moyennant le versement d’une indemnité mensuelle.

La société et le propriétaire du terrain sur lequel se trouve le hangar, ont ultérieurement contesté leur obligation de payer et obtenu en première instance l’annulation du protocole d’accord pour absence de cause et, en conséquence, la condamnation de la partie adverse à rembourser les indemnités perçues indûment.

Saisis de l’appel formé par le voisin, les juges du second degré ont, eu égard aux éléments probants soumis à leur appréciation, infirmé le jugement en retenant que le droit d’utiliser le chemin d’exploitation dont bénéficiait la société ne portait pas sur la totalité de l’assiette qu’elle utilisait réellement, qui comporte une emprise sur le fonds voisin.

Un pourvoi en cassation a été formé par la partie adverse, faisant grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1131 du Code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce, alors que, le droit d’usage d’un chemin d’exploitation par un propriétaire riverain n’étant pas lié à la propriété du sol sur lequel son assiette est établie, le droit d’usage de la société et du propriétaire du terrain sur lequel le hangar avait été construit pouvait s’exercer sur l’intégralité de l’assiette du chemin, peu important qu’une partie de cette assiette ait comporté une emprise sur le fonds opposé.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi sur le fondement de l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime, d’où il résulte que « la modification de l’assiette d’un chemin d’exploitation, comme sa disparition, ne peut résulter que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir », d’où il se déduit que « lorsqu’un propriétaire dont le fonds est desservi par un chemin d’exploitation, accepte, pour la commodité de l’accès au fonds voisin desservi par le même chemin, de réaliser un aménagement par emprise sur son terrain, celui-ci n’opère aucune modification de l’assiette du chemin d’exploitation existant ».

Forte de ce raisonnement, elle en a conclu qu’en relevant que les appelants avaient facilité l’accès au fonds des intimés par une emprise sur leur propre parcelle, la cour d’appel a fait ressortir qu’en l’absence d’accord de l’ensemble des propriétaires riverains, l’aménagement consenti dans l’intérêt exclusif du fonds voisin n’avait pas eu pour effet d’élargir l’assiette du chemin d’exploitation et a pu en déduire que le protocole d’accord, en ce qu’il permettait de prolonger l’autorisation d’utiliser un passage excédant l’assiette du chemin d’exploitation, n’était pas dépourvu de cause.

Cette décision, tout en mettant fin à un litige en matière de droit des obligations, apporte un éclairage supplémentaire sur les conditions d’évolution de l’assiette des chemins d’exploitation en étendant l’exigence d’un consensus prévue, en ce qui concerne la disparition de ces chemins, par l’article L. 162-3 du Code rural et de la pêche maritime qui dispose : « Les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir. »

La Haute Juridiction civile avait précédemment déduit de cette disposition que les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être déviés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir (Cass. 3e civ., 13 avr. 2022, n° 21-14.551 : JurisData n° 2022-006082 ; RD rur. 2022, comm. 107, D. Lochouarn ; Dr. voirie 2022, n° 229, Synthèse, J. Debeaurain). Elle tient le même raisonnement à l’égard de l’élargissement de l’assiette d’un tel chemin et, plus généralement, de toute modification de cette dernière.

À l’évidence, sa réponse s’inscrit totalement dans un principe jurisprudentiel de modification consensuelle et donc d’intangibilité unilatérale de l’assiette des chemins d’exploitation admis, dans le silence de la loi, par parallélisme avec les règles qui président à leur suppression.

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Commentaire par Denis Lochouarn docteur en droit

icon_paragraph_marker.gif Textes :  C. civ., art. 1131. – C. rur., art. L. 162-3