EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1 – M. [S] est propriétaire de parcelles de luzerne reçues par legs universel en 2010.

2 – Le 5 juillet 2016 plusieurs agriculteurs, dont M. [T] [S], ont constitué une SCA dénommée La Cuma Luzerne Verteillacoise dont l’objet était l’acquisition d’un séchoir à luzerne pour utilisation de celui-ci par les associés de la coopérative. La société La Cuma Luzerne Verteillacoise émet chaque année à l’adresse de ses associés coopérateurs une facture relative à cette utilisation.

3 – Par arrêt de la cour de cassation du 8 mars 2017, le legs universel a été annulé, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 3 novembre 2015.

4 – M. [S] a payé les factures correspondant à la mise à disposition du séchoir pour les années 2016, 2017, 2018 et par courrier du 8 avril 2019 a adressé à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise un courrier de « démission d’adhérent à la Cuma », pour devenir effective à la réception du courrier.

5 – M. [S] n’ayant pas payé la facture de 2019 ni celles des années 2020 et 2021 pour un montant global de 7 668 euros TTC, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise a effectué plusieurs relances et mise en demeure de payer envers M. [S], qu’il a refusé au motif que du fait de l’annulation d’un legs il n’était plus propriétaire de l’exploitation agricole ayant motivé son adhésion.

6 – Par acte du 23 mars 2022, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise a fait assigner M. [S] devant le tribunal judiciaire de Périgueux, aux fins, notamment d’obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 7 668 euros au titre des trois factures impayées.

7 – Par jugement contradictoire du 23 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– condamné M. [S] à payer à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise, la somme de 7 688 euros au titre des trois factures impayées, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 février 2022 et ce, jusqu’à parfait paiement ;

– débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné M. [S] aux dépens ;

– débouté l’ensemble des parties de leurs autres demandes ;

– rappelé que l’exécution provisoire de la décision est de droit.

8 – M. [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 2 mars 2023, en ce qu’il a:

– condamné M. [S] à payer à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise, la somme de 7 688 euros au titre des trois factures impayées, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 février 2022 et ce, jusqu’à parfait paiement ;

– débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné M. [S] aux dépens ;

– débouté l’ensemble des parties de leurs autres demandes.

9 – Le 5 avril 2023, les parties ont été enjointes de procéder à une médiation. Par ordonnance du 26 avril 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Bordeaux a rétracté l’ordonnance du 5 avril 2023.

10 – Par dernières conclusions déposées le 1er juin 2023, M. [S] demande à la cour de:

sur les demandes initiales de la Cuma :

– débouter la société la Cuma Luzerne Verteillacoise de l’ensemble de ses demandes formulées contre M. [S].

Sur la demande reconventionnelle de M. [S] :

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise à restituer à M. [S] les redevances indûment payées soit une somme de 5 058 euros plus la somme correspondant à la facture 2016, subsidiairement une somme de 3 206,32 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise aux entiers dépens ;

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise à payer à M. [S] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– débouter la société la Cuma Luzerne Verteillacoise de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

11 – Par dernières conclusions déposées le 7 août 2023, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise demande à la cour de :

– confirmer purement et simplement la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

– débouter M. [S] de ses demandes plus amples ou contraires ;

– condamner M. [S] à verser à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter M. [S] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

– condamner M. [S] aux entiers dépens.

12 – L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 12 juin 2025.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

13 – Soutenant ne plus disposer d’aucun droit d’usage ou d’exploitation en vertu duquel il aurait pu continuer de récolter de la luzerne et utiliser le séchoir de la CUMA, l’appelant sollicite l’infirmation du jugement déféré qui, malgré sa décision de retrait de la CUMA, l’a condamné à payer l’utilisation du séchoir à luzerne pour les années 2019 à 2021 et l’a débouté de la restitution des sommes versées à torts pour les années 2016 à 2018, dans les conditions prévues à l’adhésion à la CUMA du temps où il était propriétaire des parcelles agricoles par legs universel annulé judiciairement le 8 mars 2017.

14 – L’appelant s’oppose au paiement des factures dépourvues de fondement, aucune obligation n’étant faite aux adhérents de payer une quelconque redevance ni dans le principe ni dans le montant et par conséquent, sollicite la restitution des sommes versées à tort en paiement des factures des années 2016 à 2018.

Subsidiairement, il fait valoir la nullité de son adhésion à la CUMA et par conséquent la participation aux charges y afférentes suite à l’annulation judiciaire du legs universel le 8 mars 2017.

Très subsidiairement, l’appelant oppose que son adhésion à la CUMA et ses suites sont atteintes de caducité dès lors que le but du contrat qui était l’utilisation du séchoir à Luzerne dont il disposait conformément à l’objet social de la CUMA a disparu avec l’annulation du legs universel, conformément aux articles 1186 et 1187 du code civil. Il précise que la cause objective du contrat n’est pas tant dans sa qualité de propriétaire des parcelles mais dans l’utilité et l’intérêt qu’il peut retirer du séchoir à Luzerne de la CUMA.

Dans l’ hypothèse de caducité, sa demande de restitution des sommes réglées ne porte qu’à compter du 8 mars 2017, la caducité ne pouvant avoir d’effet rétroactif.

15 – L’intimée, rappelle que l’acquisition du séchoir a été financée via un emprunt bancaire, chaque adhérent s’étant engagé sur une période 8 années à régler une facture d’utilisation du matériel en fonction du nombre d’hectares exploité soit 15 hectares pour le cas personnel de M. [S]. L’objectif de la CUMA étant de mutualiser les coûts, l’adhésion emportait nécessairement une participation financière à ceux-ci, l’appelant ayant d’ailleurs régulièrement payé les factures des trois premières années, n’en contestant pas l’obligation.

Elle soutient qu’au moment de son adhésion à la CUMA, M. [S] n’était déjà plus propriétaire des parcelles, par l’effet de l’annulation du legs universel par la cour d’appel de Bordeaux du 3 novembre 2015, confirmant par ailleurs la décision de première instance, de sorte qu’il ne peut se prévaloir ni de la nullité de son adhésion pas plus que de sa caducité.

En tout état de cause, elle fait valoir que la propriété des parcelles contenues dans le legs n’a jamais été érigée en condition à son engagement auprès de la CUMA, seule étant exigé d’être exploitant agricole, ce qu’il est toujours. En effet, se reportant à l’utilisation faite par M. [S] du séchoir à Luzerne jusqu’en 2018, après la décision de la cour de cassation, l’intimée soutient qu’il est toujours agriculteur et propriétaire d’autres parcelles, n’en justifiant pas le contraire.

Elle conteste que l’engagement de M. [S] à la CUMA serait un acte subséquent du legs litigieux.

Enfin, elle relève que la démission de M. [S] n’est pas motivée par sa perte de terres et sa qualité de propriétaire et n’a pas été acceptée par la CUMA comme il est contractuellement prévu.

Sur ce :

16 – A titre liminaire, il convient de rappeler qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L. 521-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable à la date de la signature du contrat , ‘les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité’, l’alinéa suivant précisant que ‘les sociétés coopératives agricoles et leurs unions forment une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales’.

L’article L. 521-1-1 dispose pour sa part que ‘la relation entre l’associé coopérateur et la coopérative agricole à laquelle il adhère (…) est régie par les principes et règles spécifiques du présent titre et par la loi n 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et définie dans les statuts et le règlement intérieur des coopératives agricoles ou unions’.

Et ce même article de préciser, in fine, qu’une telle relation ‘repose, notamment, sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé mentionné au a du I de l’article L.521-3″.

C’est ainsi qu’aux termes de l’ article L. 521-3, ‘ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative […] que les sociétés dont les statuts prévoient […] l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité’.

I – Sur l’existence de l’obligation

17 – Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formée tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

L’article 1353 du même code précise que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

18 – Aux termes de l’article 1342 du code civil, ‘le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due.Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.’, l’article 1342-3 précisant que ‘le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.’

19 – M. [S] en sa qualité d’exploitant agricole a adhéré le 5 juillet 2016 à la CUMA aux fins d’utiliser de manière mutualisée le séchoir à Luzerne.

20 – Les statuts de la CUMA prévoient que l’adhésion à la coopérative entraîne pour l’associé coopérateur l’engagement d’utiliser en ce qui concerne son exploitation un ou plusieurs des services que la coopérative est en mesure de lui procurer en contre partie de l’acquisition de parts sociales. La durée initiale de l’engagement est fixée à 8 ans, seul étant prévue la mise à la charge d’une participation financière aux frais fixes en cas de non respect de l’associé à ses engagements.

21 – En l’espèce les factures adressées à M. [S] des 30 septembre 2019, 2020 et 2021, portent mention de l’utilisation des ‘séchoirs à bottes’ exprimées en nombre d’unités, sans faire référence à une quote-part de participation proportionnelle aux charges (frais fixes).

22 – Il ressort des termes de ce contrat que la participation financière de chaque associé n’a pas été contractuellement définie, mais qu’entre 2016 et 2018, M. [S] a réglé les factures émises par la CUMA pour l’utilisation du séchoir pour ses 15 hectares de terre dans les délais et sans s’y opposer.

23 – Ces paiements non contestés jusqu’à la présente procédure établissent l’existence d’une participation financière des associés pendant 8 années, correspondant à l’objet social de la CUMA et conformément aux articles du code rural et de la pêche maritime ci-dessus rappelés.

24 – Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

II – Sur le retrait de l’engagement de M. [S]

25 – Aux termes de l’ article R. 522-4 du code rural et de la pêche maritime ‘sauf en cas de force majeure dûment justifié et soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant l’expiration de sa période d’engagement. Toutefois, en cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter sa démission au cours de cette période si son départ ne doit porter aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et s’il n’a pas pour effet de réduire le capital au-dessous de la limite fixée à l’article R. 523-3, alinéas 3 et 4″.

26 – L’article 11 du contrat rappelle ces dispositions en mentionnant que le retrait prévu en cas de force majeure ‘dûment justifié est soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant expiration de la période d’engagement en cours.

‘En cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter la démission d’un associé coopérateur en cours de période d’engagement si le départ de celui-ci ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet , en absence de cession des parts sociales, d’entraîner la réduction du capital souscrit par les associés coopérateurs dans le cadre de leur engagement d’activité au-dessous des 3/4 du montant le plus élevé constaté par une assemblée générale depuis la constitution de la coopérative.

Le conseil apprécie les raisons invoquées à l’appui de la demande de démission en cours de période d’engagement et fait connaître à l’intéressé sa décision motivée dans les trois mois de la date à laquelle la demande a été notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au président du conseil d’administration.

La décision du conseil peut faire l’objet d’un recours devant la plus prochaine assemblée générale sans préjudice d’une action éventuelle devant le tribunal de grande instance compétent.’

27 – En l’espèce M. [S] a délivré congé par courrier recommandé du 8 avril 2019 sans en motiver les raisons et la CUMA n’a pu se prononcer en l’absence de motivation, aucun cas de force majeur n’étant par ailleurs invoqué.

28 – Ainsi, M. [S] ne justifie pas avoir notifié, au cours de la période des huit ans de son engagement, sa volonté de se retirer ni avoir reçu l’autorisation de se retirer au cours de cette période dans les conditions prévues par les statuts.

29 – Sans avoir besoin d’examiner le motif invoqué par M. [S] au soutien de sa volonté de se retirer, faute d’avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, l’appelant avait toujours la qualité d’associé coopérateur, sans que soit opérant la nullité judiciaire du legs universel sur son engagement statutaire, ni même la caducité de cet engagement.

30 – Les demandes reconventionnelles en restitution des sommes versées sur les années 2016 à 2018 alors qu’il a utilisé le séchoir à Luzerne seront rejetées pour les mêmes motifs, M. [S] ayant la qualité d’associé coopérateur.

31 – Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

32 – M. [S] succombant en son appel sera condamné aux dépens outre le paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré

Y ajoutant,

Condamne M. [S] à verser à la CUMA Luzerne Verteillacoise la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] aux dépens.

Cour d’appel, Bordeaux, 1re chambre civile, 10 Juillet 2025 – n° 23/01046