Catégorie : Coopérative agricole Page 1 of 4

CUMA : EXCLUSION D’UN ASSOCIE COOPERATEUR au visa des articles R.522-3 du code rural et de la pêche maritime et 1231-1 du code civil

EXPOSE DU LITIGE :

La CUMA des Chambarands Drômois (la CUMA) immatriculée au greffe du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 22 avril 1982 a pour activité principale l’acquisition de matériel principalement d’ensilage et de travaux agricoles, utilisé ensuite par les membres associés coopérateurs.

Le GAEC de [Adresse 4] composé de deux associés, [S] [T] et [C] [U], spécialisé dans l’activité d’élevage et céréalière pour alimenter le cheptel, a adhéré à la CUMA Des Chambarands Drômois en 1988.

Le 18 février 2014, préalablement à l’acquisition d’une nouvelle ensileuse, les associés coopérateurs de la CUMA intéressés ont signé un engagement visant ainsi qu’il suit à :« utiliser ce matériel sur leur exploitation pendant une durée minimale de 10 années (durée d’amortissement) et pour un volume de travaux correspondant aux unités de travail souscrites ci-après sauf cas de force majeure reconnu valable par le conseil d’administration».

Le Gaec de [Adresse 4] a signé ce bulletin d’adhésion et d’engagement pour une surface de 60 hectares.

Par courrier du 15 juillet 2022, la CUMA a notifié au Gaec de [Adresse 4] son exclusion votée par le conseil d’administration le 7 juin 2022 pour ne pas avoir fait travailler en priorité la CUMA et pour non-respect de ses engagements moraux vis-à-vis de cette dernière.

Le Gaec de [Adresse 4] a contesté les motifs de son exclusion, ainsi que les conditions de forme dans laquelle elle est intervenue. Il a adressé deux mises en demeure à la CUMA des Chambarands Drômois, demeurées sans réponse.

Par acte de commissaire de justice du 26 octobre 2023, le GAEC de [Adresse 3] a fait délivrer assignation à la CUMA des Chambarands Drômois devant le tribunal judiciaire de Valence aux fins de voir :

– déclarer sa demande recevable et bien fondée, et en conséquence :

– condamner le requis à lui payer la somme de :

*36.897,08 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure du 9 mars 2022,

*3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions statutaires,

*3.000 euros au titre du préjudice moral,

*3.165,88 euros au titre du reliquat du remboursement des parts sociales,

– ordonner l’exécution provisoire,

– condamner le requis à payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la CUMA des Chambarands de l’intégralité de ses prétentions,

– condamner les requis aux entiers dépens et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Vincent Bard pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

Par jugement du 22 février 2024, le tribunal judiciaire de Valence a :

– débouté le GAEC de [Adresse 4] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné le GAEC de [Adresse 4] aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration du 4 mars 2024, le GAEC de [Adresse 4] a interjeté appel de ce jugement.

Prétentions et moyens du GAEC de [Adresse 4] :

Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives n°2 notifiées par voie dématérialisée le 20 décembre 2024, le GAEC de [Adresse 4], demande à la cour de :

– déclarer son appel recevable et bien fondée, et en conséquence :

– réformer dans toutes ses dispositions la décision querellée,

-condamner le requis à lui payer la somme de :

*36.897,08 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure du 9 mars 2022,

*3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions statutaires,

*3.000 euros au titre du préjudice moral,

*3.165,88 euros au titre du reliquat du remboursement des parts sociales,

– condamner le requis à payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la CUMA des Chambarands de l’intégralité de ses prétentions,

– condamner les requis aux entiers dépens et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Vincent Bard pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que la décision d’exclusion est fautive ce qui lui cause un préjudice et justifie sa demande d’indemnisation dès lors que :

– en application des statuts, l’exclusion ne peut être prononcée qu’à la double majorité des 2/3 des membres du conseil d’administration présents et statuant à la majorité des 2/3 en faveur de l’exclusion,

– le tribunal judiciaire de Valence a donc commis une erreur de droit en mettant à sa charge la preuve du respect de cette formalité alors qu’il lui appartenait de vérifier si les conditions avaient été remplies, dès lors que l’intimée n’a pas comparu en première instance,

– il appartient à l’intimée de justifier du respect de cette double majorité,

Elle fait également valoir que la décision d’exclusion est infondée dès lors que :

– elle a réclamé à plusieurs reprises le règlement intérieur dont se prévaut l’intimée sans que copie ne lui en soit transmis,

– le document produit n’est ni daté ni signé, de sorte que l’intimée ne peut se prévaloir de ce document qui lui est totalement inopposable,

– il résulte de la délibération du 7 juin 2022 ayant prononcé l’exclusion du GAEC, qu’aucune démarche contradictoire n’a été initiée à son égard et que contrairement à ce qui est mentionné, aucune démarche amiable n’a été initiée par le président pour un accord amiable, aucune pièce ne vient d’ailleurs corroborer cette affirmation,

– au contraire il ressort des pièce 6a et 6c que M. [T], pourtant administrateur de la CUMA et associé du GAEC de [Adresse 3], n’a pas été convoqué ce qui vicie d’autant la procédure,

– aucun document comptable n’est produit par l’intimée à l’appui de ses affirmations sur les risques d’une prétendue faillite financière, laquelle se contente de produire en cause d’appel un succinct bilan 2022 de deux pages et un relevé de compte au 31 mars 2023 qui n’apporte strictement rien aux débats si ce n’est la situation sur un compte bancaire au 31 mars 2023 soit plus de neuf mois après son exclusion,

– en revanche, le bilan au 31 décembre 2022 démontre que la CUMA a, à cette date, effectivement des capitaux propres de plus de 412.000 et des liquidités supérieures à 97.000 euros le tout permettant de largement faire face au solde des prêts bancaires pour environ 81.000 euros sans qu’il ne soit par ailleurs possible de les rattacher aux ensileuses et ces chiffres démontrent que la CUMA ne souffrait nullement de l’attitude du GAEC de [Adresse 4],

– surtout, les ensileuses ont été achetées en 2014 et à la date de la sanction prononcée à l’encontre du GAEC de [Adresse 4] ces machines agricoles étaient payées et amorties sans que l’attitude du GAEC de [Adresse 4] n’ait mis en cause la pérennité de la CUMA et ce d’autant que ses engagements hors CUMA ont débuté la même année que l’achat des ensileuses,

– l’article 8 des statuts précise que les coopérateurs devront recourir aux prestations et matériels de la CUMA dans « la mesure de ses besoins », de sorte qu’il n’est pas stipulé un recours exclusif aux prestations/matériels de la CUMA et à ce titre, le matériel proposé ne correspondait pas aux besoins du GAEC de [Adresse 4] qui devait faire face à une surface de 60 hectares à ensiler sur des terres principalement pentues, comme en attestent ses deux dirigeants, M. [T] et M. [U],

– d’autres coopérateurs avaient également recours à des prestataires extérieurs sans susciter les moindres sanctions, comme cela résulte des nombreuses attestations versées aux débats,

– les alinéas 6 et 7 de l’article 8 des statuts prévoient que des pénalités pouvant être mises à la charge des coopérateurs qui ne respecteraient pas leurs engagements avec notamment la prise en charge de frais fixes, ainsi qu’une pénalité de 30%, de sorte que préalablement à toute exclusion ces dispositions prévoyaient des sanctions éventuelles, l’exclusion demeurant l’exception sans doute pour les récidivistes,

– les attestations de messieurs [V] confirment que l’exclusion du GAEC de [Adresse 3] a surpris nombre d’adhérents et ce d’autant que tout le monde savait que compte tenu des particularismes liées à sa production de ray gras, le GAEC utilisait une entreprise extérieure, la CUMA ne pouvant fournir de matériel adéquat.

Pour justifier de son préjudice financier, il indique que :

– compte tenu de son exclusion, il n’a pu bénéficier des prestations dont il pouvait bénéficier en qualité d’associé de la CUMA notamment en période de moissons, soit, pour la saison 2021, le bénéfice de tarifs lui permettant de louer des remorques permettant le transport du maïs et du sorgho, ainsi que la location de l’ensileuse et le roulage des produits, le tout pour un montant global de 5.085,25 euros HT soit 6.102.3 euros TTC,

– il a dû avoir recours à deux prestataires, la société Domagri pour le transport d’orge et de maïs et la société [E] [K] pour les travaux d’ensilage, l’ensemble de ces prestations ont été réalisées en 2022 pour un montant total de 20.344,65 euros TTC, soit 17.384,28 euros HT, soit un surcoût par rapport à l’exercice précédent de 12.299,03 euros,

– l’engagement se termine au terme de l’exercice 2024, de sorte qu’il est donc fondé à solliciter une indemnité de 36.897,08 euros, somme à parfaire en cours de procédure.

Pour justifier de son préjudice pour violation des dispositions statutaires, il expose que le non-respect de ces dispositions lui cause un préjudice distinct du préjudice financier d’un montant de 3.000 euros.

Il indique que son préjudice moral est évalué également à 3.000 euros.

Au soutien de sa demande en remboursement des parts sociales, il fait valoir que le seul fait d’encaisser le chèque ne vaut nullement reconnaissance du bien-fondé de la sanction, alors qu’il a toujours précisé qu’il imputait ce versement sur son préjudice futur et qu’il s’est engagé sur 60 hectares à 69 euros la part, soit un montant total de 4.140 euros, de sorte que le remboursement opéré ne couvre nullement cet engagement puisqu’il a été remboursé au GAEC de [Adresse 4] la somme de 974,12 euros soit un manquant de 3.165,88 euros.

Pour s’opposer aux demandes indemnitaires de l’intimée, il expose que la CUMA des Chambarands n’a subi aucun préjudice et que les demandes ne sont pas étayées.

Prétentions et moyens de la CUMA des Chambarands Drômois:

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 8 avril 2025, la CUMA des Chambarands Drômois demande à la cour au visa des articles R.522-3 du code rural et de la pêche maritime et 1231-1 du code civil de :

– confirmer en toutes ces dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence le 22 février 2024,

Statuant à nouveau,

– condamner le GAEC de [Adresse 4] à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le GAEC de [Adresse 4] aux entiers dépens.

Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, elle fait valoir que l’appelant n’a pas respecté les engagements fixés à l’article 8 des statuts de la CUMA et à l’article 4 du règlement intérieur, ce qui justifie son exclusion, dès lors que :

– l’article 8 de ses statuts intitulé « Obligations des associés » rappelle les obligations des associés notamment des associés coopérateurs indiquées à l’article R.522-3 du code rural, à savoir que ‘l’adhésion à la coopérative entraîne pour l’associé coopérateur l’engagement d’utiliser, en ce qui concerne son exploitation et dans toute la mesure de ses besoins, un ou plusieurs services que la coopérative est en mesure de lui procurer, l’engagement d’utiliser, en ce qui concerne son exploitation et dans la mesure de ses besoins, l’activité de groupement d’employeurs que la coopérative est en mesure de lui procurer et l’obligation, en application des dispositions du paragraphe 4 de l’article 14 ci-dessous, de souscrire ou d’acquérir par voie de cession, et dans ce dernier cas avec l’accord de la coopérative, le nombre de parts sociales correspondant aux engagements pris’,

– l’article 12 point 1 de ses statuts intitulé « Exclusion » fixe la procédure et les modalités de contestation prévue par l’associé coopérateur exclu en ces termes: «l’exclusion d’un associé coopérateur peut être prononcée par le conseil d’administration pour des raisons graves, notamment si l’associé coopérateur a été condamné à une peine criminelle, s’il a nui ou tenté de nuire sérieusement à la coopérative par des actes injustifiés, s’il a contrevenu sans l’excuse justifiée de la force majeure aux engagements contractés aux termes de l’article 8. La décision du conseil d’administration est immédiatement exécutoire »,

– or, l’appelant reconnaît avoir fait intervenir des prestataires autres que la CUMA pour faire réaliser des prestations d’ensilage alors qu’elle fournit cette prestation et les termes utilisés à l’article 8 des statuts « dans la mesure de ses besoins » ne l’autorise pas à se libérer de ses engagements quand il le souhaite, alors que ces termes doivent permettre aux associés coopérateurs, quelle que soit la taille de leur exploitation, de pouvoir profiter des services de la CUMA et n’autorisent pas un associé coopérateur, qui s’est engagé préalablement à l’acquisition des matériels d’ensilage par la CUMA à rompre son engagement à son égard en utilisant les services de prestataires concurrents,

– l’engagement dans la CUMA est dû et contraignant, une fois l’engagement pris, il doit être respecté pendant toute la durée de vie du matériel quand bien même les services ne correspondraient pas exactement à l’évolution des besoins du GAEC de [Adresse 4], ce dernier restant engagé à hauteur des heures indiquées sur le bulletin d’engagement,

– si ses services ne correspondaient plus à ses besoins, le GAEC de [Adresse 4] aurait pu solliciter une diminution de son engagement ou le retrait de la CUMA, ou l’acquisition par celle-ci de nouveaux matériels, démarches qu’il n’a jamais engagées,

– si le GAEC de [Adresse 4] avait considéré en 2014 que le matériel n’était pas adapté à ses besoins, il avait une totale liberté pour ne pas adhérer au service ensilage pendant dix ans, temps nécessaire pour l’amortissement des ensileuses, et à ce titre, le bulletin d’adhésion daté du 18 février 2014 montre que certains associés coopérateurs n’ont pas souhaité adhérer à ce service, le GAEC de [Adresse 4] a fait un autre choix en s’engageant à utiliser l’ensileuse acquise pendant dix ans,

– de plus, les autres membres de la CUMA sont aussi éleveurs et à ce titre soumis à des contraintes de qualité,

– l’appelant a préféré utiliser les services de prestataires faisant directement concurrence aux services qu’elle propose pour l’activité ensilage et en agissant ainsi, il a obligé ses autres membres à assumer la prise en charge de l’amortissement du matériel d’ensilage,

– l’appelant ne produit aucun élément caractérisant la force majeure et permettant de justifier le défaut d’utilisation du matériel,

– l’appelant ne fournit aucune demande de dérogation faite au conseil d’administration le dispensant d’utiliser les services ensilage de la CUMA et a fortiori, il ne fournit aucune réponse que lui aurait faite son conseil d’administration visant à l’autoriser à ne pas utiliser son service d’ensilage.

Elle fait également valoir que le GAEC de [Adresse 4] n’a pas respecté la procédure de contestation de son exclusion, dès lors que :

– l’article 12 point 3 des statuts de la CUMA des Chambarands Drômois intitulé « Exclusion » fixe les modalités de contestation de l’exclusion par l’associé coopérateur exclu en ces termes : « la décision d’exclusion peut faire l’objet d’un recours devant l’assemblée générale. Ce recours doit être exercé à peine de forclusion par l’associé coopérateur dans les deux ans suivant la date de notification par le conseil d’administration de la décision d’exclusion. Il doit être notifié au président du conseil d’administration qui en saisira la première assemblée générale convoquée postérieurement à la réception par lui de la notification. Ce recours n’est pas suspensif »,

– l’appelant reconnaît dans ses écritures avoir reçu le 15 juillet 2022 une lettre lui notifiant son exclusion votée par le conseil d’administration le 7 juin 2022, et la possibilité d’être entendu par l’assemblée générale de la CUMA pour contester la décision d’exclusion lui a été rappelée par la Fédération Départementale des CUMA de la Drôme par courrier du 3 juillet 2023, de sorte qu’il disposait alors encore d’un délai d’un an pour contester la décision d’exclusion, ce qu’il n’a pas fait durant le délai de deux ans suivant son exclusion,

– à défaut d’utilisation de la possibilité de recours devant l’assemblée générale, son exclusion est devenue définitive.

Pour s’opposer aux demandes indemnitaires du GAEC de [Adresse 4], elle soutient que ce dernier ne justifie pas d’un quelconque préjudice.

S’agissant de la demande de remboursement des parts sociales, elle expose que

ne peuvent être remboursées que les parts qui ont été souscrites au départ, et que, le GAEC de [Adresse 4] ayant souscrit des parts pour un montant de 974.12 euros, il ne peut prétendre exiger le remboursement d’un montant de capital social qu’il n’a pas souscrit. Il n’y a pas lieu de rembourser 3165.88 euros. La sincérité d’une telle demande peut être mise en doute venant d’un ancien administrateur de la CUMA.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2025, l’affaire a été appelée à l’audience du 19 juin 2025 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 2 octobre 2025.

Par conclusions notifiées le 2 juin 2025, la CUMA des Chambarands Drômois, demande à la cour au visa des articles 15, 16 et 135 et 802 du code de procédure civile de rejeter des débats les conclusions récapitulatives du GAEC de [Adresse 4] et la pièce n° 21 communiquée par le GAEC de [Adresse 4] au motif que ces conclusions récapitulatives et cette pièce ont été communiquées respectivement le 22 mai 2025 à 11h27 et à 11h28, soit après la clôture prononcée le même jour à 09h00.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le rejet des conclusions du GAEC de [Adresse 4] notifiées par voie dématérialisée le 22 mai 2025

Les conclusions récapitulatives du GAEC de [Adresse 4] signifiées le 22 mai 2025 à 11h27 et la nouvelle pièce n°21 communiquée le même jour à 11h28, après la clôture prononcée le même jour à 09h00, sont en conséquence irrecevables.

Sur les demandes indemnitaires du GAEC de [Adresse 4]

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Conformément à l’article 1104 du même code, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.

En l’espèce, l’article 12 des statuts mis à jour le 30 mars 2019 stipule ainsi qu’il suit : ‘ l’exclusion d’un associé coopérateur peut être prononcée par le conseil d’administration pour des raisons graves, notamment si l’associé coopérateur a été condamné à une peine criminelle, s’il a nui ou tenté de nuire sérieusement à la coopérative par des actes injustifiés, s’il a contrevenu sans excuse justifiée de la force majeure aux engagements contracté aux termes de l’article 8. La décision du conseil d’administration est immédiatement exécutoire.

Le conseil d’administration ne peut délibérer valablement à cet égard qu’à la condition de réunir le quorum des deux tiers de ses membres et de se prononcer à la majorité des deux tiers des voix des administrateurs présents.

La décision d’exclusion peut faire l’objet d’un recours devant l’assemblée générale. Ce recours doit être exercé à peine de forclusion par l’associé coopérateurs dans les deux ans, suivant la date de la notification par le conseil d’administration de la décision d’exclusion. Il doit être notifié au président du conseil d’administration qui en saisira la première assemblée générale, convoquée postérieurement à la réception par lui de la notification. Ce recours n’est pas suspensif’.

Par ailleurs, l’article 8 des statuts stipule ainsi qu’il suit : ‘l’adhésion à la coopérative entraîne pour l’associé coopérateur :

1°l’engagement d’utiliser, en ce qui concerne son exploitation et dans toute la mesure de ses besoins, un ou plusieurs des services, que la coopérative est en mesure de lui procurer,

1° Bis l’engagement d’utiliser, en ce qui concerne son exploitation dans la mesure de ses besoins, l’activité de groupement d’employeur que la coopérative est en mesure de lui procurer,

2° l’obligation en application des dispositions du paragraphe quatre de l’article 14, ci-dessous de souscrire ou d’acquérir par voie de cession et dans ce dernier cas avec l’accord de la coopérative, le nombre de parts correspondant aux engagements pris.

L’engagement d’activité de la société coopérateurs est formalisé par la signature d’un bulletin d’engagement, reprenant la nature, la durée et les modalités de cet engagement’.

Il est constant que le GAEC de [Adresse 4] a régularisé le 18 février 2014, le bulletin d’adhésion et d’engagement de la CUMA par lequel il s’est engagé à régler le capital social correspondant à l’achat d’une ensileuse de marque CLAAS type Jaguar 840, neuf pour un nombre d’unité souscrite de 60 hectares et à utiliser ce matériel sur son exploitation pendant une durée minimale de 10 années (durée d’amortissement) et pour un volume de travaux correspondant aux unités de travail souscrites, sauf cas de force majeure reconnu valable par le conseil d’administration.

Selon délibération en date du 7 juin 2022, le conseil d’administration de la CUMA a constaté que le GAEC de [Adresse 4] a fait appel à une ETA pour un ensilage sans andaineur en avril 2022 alors que c’est exactement le service que fourni la CUMA et a en conséquence, prononcé son exclusion aux motifs ‘du non respect des engagements de l’adhérent et d’esprit coopératif, de problèmes relationnels avec les adhérents de la CUMA, de problèmes d’équité avec les autres adhérents et de mise en péril de l’activité de la CUMA sur le long terme’.

Contrairement à ce que soutient la CUMA, l’absence de recours contre la décision d’exclusion devant l’assemblée générale n’est pas de nature à rendre définitive la décision d’exclusion, alors que l’article 12.3 des statuts, qui stipule que la décision d’exclusion peut faire l’objet d’un recours devant l’assemblée générale, n’érige pas un tel recours en obligation et alors qu’une décision d’exclusion même définitive ne prive pas l’adhérent comme en l’espèce du droit d’en demander l’annulation devant les juridictions de l’ordre judiciaire.

S’agissant du grief tenant à l’absence de respect du quorum nécessaire pour prononcer l’exclusion d’un membre de la coopérative, la cour observe que c’est sans inverser la charge de la preuve que le premier juge a retenu qu’il appartient au GAEC de [Adresse 3], qui se prévaut de l’absence de respect de la règle de majorité fixée par les statuts pour prononcer l’exclusion d’un membre de la coopérative, de rapporter la preuve de la méconnaissance des dispositions de l’article 12 des statuts précité.

En conséquence, le GAEC de [Adresse 4] qui se contente d’affirmer qu’il appartient à l’intimée de justifier du respect de la règle de la double majorité, échoue à rapporter la preuve de l’irrégularité alléguée.

S’agissant du grief tenant à l’absence de fondement de la décision d’exclusion, la cour observe qu’il est constant que le GAEC de [Adresse 4] a eu recours à l’utilisation d’un autre matériel d’ensilage que celui de la CUMA des Chambarands Drômois pour l’exploitation de ses terres agricoles, ce qu’il reconnaît expressément.

Or, si M. [X] atteste qu’en sa qualité de chauffeur d’ensileuse auprès de l’ETA [E] [K], il effectue un travail d’ensilage au GAEC de [Adresse 3] et dans d’autres exploitations, il ne résulte aucunement de ce témoignage, que ces autres exploitations sont également membres de la CUMA et le seul témoignage de M. [E], affirmant que d’autres adhérents de la CUMA

font appel à ses services, qui est isolé, imprécis et dont l’impartialité est questionnée, s’agissant d’un client de l’appelant, est insuffisant à établir la réalité de cette affirmation.

Par ailleurs, s’il n’est pas contestable que l’article 8 des statuts précités, fait obligation aux adhérents d’utiliser un ou plusieurs des services que la coopérative est en mesure de leur procurer, la cour observe que le premier juge a exactement retenu que le GAEC de [Adresse 4] ne justifie pas que le matériel proposé par la CUMA ne correspond pas à ses besoins. En effet, d’une part, les témoignages en ce sens de M.[T] et de M.[U], constituent des preuves à soi-même dépourvues de force probante s’agissant de membres du GAEC de [Adresse 4]. D’autre part, les témoignages de [Y] et [G] [V], rédigés en des termes sinon identiques et tout cas très proches, et attestant de ce que le recours par l’appelant à un autre prestataire résulte de ce que la CUMA n’accepte pas, par peur de casse du matériel, le prefannage et l’andainage nécessaire au GAEC engagé dans le développement d’une activité d’ensilage de ray grass, qui sont isolés, et non circonstanciés, sont insuffisants à établir que le matériel fourni par la CUMA ne correspond pas aux besoins de l’exploitation du GAEC de [Adresse 4].

C’est encore vainement que l’appelant soutient qu’à la date de son exclusion, le 7 juin 2022, l’ensileuse achetée en 2014 était amortie, de sorte qu’aucune mise en cause de la pérennité de la coopérative ne résulterait du recours à un autre prestataire, alors qu’il ressort des termes mêmes du bulletin d’adhésion et d’engagement à la CUMA des Chambarands Drômois régularisé le 18 février 2014, que la durée minimale de 10 ans de son engagement à utiliser l’ensileuse litigieuse sur son exploitation correspond à la durée d’amortissement du matériel.

Le moyen tiré de ce que le règlement intérieur ne lui est pas opposable en ce qu’il n’est ni daté ni signé, est inopérant, alors que la décision d’exclusion se fonde expressément sur les statuts de la CUMA.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le GAEC de [Adresse 4] qui en 2022 a eu recours à du matériel d’un autre prestataire de service, sans qu’il soit démontré que l’ensileuse acquise par la CUMA des Chambarands Drômois et qu’il s’est engagé à utiliser pendant 10 ans, n’était pas adapté aux besoins de son exploitation, a contrevenu sans excuse de la force majeure aux engagements contractés aux termes de l’article 8 des statuts de la coopérative, de sorte que la décision d’exclusion est parfaitement fondée et le jugement déféré est confirmé.

Sur la demande en paiment de la somme de 3.165,88 euros au titre d’un reliquat de remboursement des parts sociales

En l’espèce, par application de l’article 12. 4 des statuts de la CUMA, l’associé coopérateur exclu a droit au remboursement de ses parts de capital social dans les conditions prévues à l’article 20.

L’article 20 des statuts stipule ainsi que le remboursement des parts sociales s’effectue à leur valeur nominale sans préjudice des Intérêts, des dividendes et des ristournes qui peuvent revenir à l’intéressé mais sous déduction des sommes éventuellement dues au titre de l’article 8, paragraphes 6 et 7. En tout état de cause, le remboursement du capital social est réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan au jour de la perte de la qualité d’associé, lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves autres que la réserve légale, les réserves indisponibles et la réserve constituée pour compenser les parts annulées.

L’article 14 stipule que ‘le capital social initial s’élevait à la somme de 67.500 francs, Par suite des augmentations de capital réalisées depuis la constitution de la société, le capital social souscrit à la date du 31/12/2017 s’élève à 47.340 euros. Il est divisé en 30 941 parts d’un montant de 1,53 euros chacune.

Il est divisé en deux fractions correspondant l’une aux souscriptions des associés coopérateurs, l’autre aux souscriptions ou acquisitions des associés non coopérateurs. Le capital social souscrit ou acquis dans le cadre de l’engagement d’activité est réparti entre les associés coopérateurs en fonction des opérations qu’ils s’engagent à effectuer avec la coopérative selon les modalités et conditions suivantes : cf. règlement intérieur’.

Le règlement intérieur précise le détail des souscriptions par matériel de la manière suivante: 45 parts/ha ensilés – montant part sociale = 1,53 euros.

Enfin, il ressort du bulletin d’engagement et d’adhésion en date du 18 février 2014 signé par l’ensemble des adhérents dont le GAEC de Mongalix, que ce dernier a souscrit pour 60 hectares et s’est engagé à régler le capital social à hauteur de 69 euros / hectare ( 45 parts x 1,53 euros), soit la somme de 4.140 euros. Dès lors la CUMA n’est pas fondée à soutenir que le GAEC de [Adresse 4] a souscrit des parts pour un montant de 974.12 euros.

En conséquence, et alors que l’intimée n’allègue ni a fortiori ne démontre que le GAEC de [Adresse 4] n’a pas versé le montant relatif à la souscription des parts sociales, ce dernier est en droit, en application des statuts de la CUMA, d’obtenir remboursement de la somme de 3.165,88 euros déduction faite de la somme déja versée à hauteur de 974.12 euros.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Le GAEC de [Adresse 4] doit supporter les dépens de première instance et d’appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés. Il convient en revanche de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles et de les débouter en conséquence de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d’appel. Il convient en outre de confirmer le jugement déféré s’agissant des dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare irrecevables les conclusions récapitulatives du GAEC de [Adresse 4] signifiées le 22 mai 2025 à 11h27 et la nouvelle pièce communiquée le même jour à 11h28,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté le GAEC de [Adresse 4] de sa demande en paiement de la somme de 3.165,88 euros au titre du reliquat du remboursement des parts sociales,

Statuant à nouveau,

Condamne la CUMA des Chambarands Drômois à payer au GAEC de [Adresse 4] la somme de 3.165,88 euros au titre du reliquat du remboursement des parts sociales,

Ajoutant,

Déboute le GAEC de [Adresse 4] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d’appel,

Déboute la CUMA des Chambarands Drômois de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d’appel,

SCA : Démission d’un associé coopérateur : faute d’avoir notifié sa démission dans les délais requis par les statuts, le coopérateur a toujours la qualité d’associé

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1 – M. [S] est propriétaire de parcelles de luzerne reçues par legs universel en 2010.

2 – Le 5 juillet 2016 plusieurs agriculteurs, dont M. [T] [S], ont constitué une SCA dénommée La Cuma Luzerne Verteillacoise dont l’objet était l’acquisition d’un séchoir à luzerne pour utilisation de celui-ci par les associés de la coopérative. La société La Cuma Luzerne Verteillacoise émet chaque année à l’adresse de ses associés coopérateurs une facture relative à cette utilisation.

3 – Par arrêt de la cour de cassation du 8 mars 2017, le legs universel a été annulé, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 3 novembre 2015.

4 – M. [S] a payé les factures correspondant à la mise à disposition du séchoir pour les années 2016, 2017, 2018 et par courrier du 8 avril 2019 a adressé à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise un courrier de « démission d’adhérent à la Cuma », pour devenir effective à la réception du courrier.

5 – M. [S] n’ayant pas payé la facture de 2019 ni celles des années 2020 et 2021 pour un montant global de 7 668 euros TTC, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise a effectué plusieurs relances et mise en demeure de payer envers M. [S], qu’il a refusé au motif que du fait de l’annulation d’un legs il n’était plus propriétaire de l’exploitation agricole ayant motivé son adhésion.

6 – Par acte du 23 mars 2022, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise a fait assigner M. [S] devant le tribunal judiciaire de Périgueux, aux fins, notamment d’obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 7 668 euros au titre des trois factures impayées.

7 – Par jugement contradictoire du 23 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– condamné M. [S] à payer à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise, la somme de 7 688 euros au titre des trois factures impayées, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 février 2022 et ce, jusqu’à parfait paiement ;

– débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné M. [S] aux dépens ;

– débouté l’ensemble des parties de leurs autres demandes ;

– rappelé que l’exécution provisoire de la décision est de droit.

8 – M. [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 2 mars 2023, en ce qu’il a:

– condamné M. [S] à payer à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise, la somme de 7 688 euros au titre des trois factures impayées, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 février 2022 et ce, jusqu’à parfait paiement ;

– débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné M. [S] aux dépens ;

– débouté l’ensemble des parties de leurs autres demandes.

9 – Le 5 avril 2023, les parties ont été enjointes de procéder à une médiation. Par ordonnance du 26 avril 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Bordeaux a rétracté l’ordonnance du 5 avril 2023.

10 – Par dernières conclusions déposées le 1er juin 2023, M. [S] demande à la cour de:

sur les demandes initiales de la Cuma :

– débouter la société la Cuma Luzerne Verteillacoise de l’ensemble de ses demandes formulées contre M. [S].

Sur la demande reconventionnelle de M. [S] :

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise à restituer à M. [S] les redevances indûment payées soit une somme de 5 058 euros plus la somme correspondant à la facture 2016, subsidiairement une somme de 3 206,32 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise aux entiers dépens ;

– condamner la société la Cuma Luzerne Verteillacoise à payer à M. [S] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– débouter la société la Cuma Luzerne Verteillacoise de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

11 – Par dernières conclusions déposées le 7 août 2023, la société la Cuma Luzerne Verteillacoise demande à la cour de :

– confirmer purement et simplement la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

– débouter M. [S] de ses demandes plus amples ou contraires ;

– condamner M. [S] à verser à la société la Cuma Luzerne Verteillacoise la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter M. [S] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

– condamner M. [S] aux entiers dépens.

12 – L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 12 juin 2025.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

13 – Soutenant ne plus disposer d’aucun droit d’usage ou d’exploitation en vertu duquel il aurait pu continuer de récolter de la luzerne et utiliser le séchoir de la CUMA, l’appelant sollicite l’infirmation du jugement déféré qui, malgré sa décision de retrait de la CUMA, l’a condamné à payer l’utilisation du séchoir à luzerne pour les années 2019 à 2021 et l’a débouté de la restitution des sommes versées à torts pour les années 2016 à 2018, dans les conditions prévues à l’adhésion à la CUMA du temps où il était propriétaire des parcelles agricoles par legs universel annulé judiciairement le 8 mars 2017.

14 – L’appelant s’oppose au paiement des factures dépourvues de fondement, aucune obligation n’étant faite aux adhérents de payer une quelconque redevance ni dans le principe ni dans le montant et par conséquent, sollicite la restitution des sommes versées à tort en paiement des factures des années 2016 à 2018.

Subsidiairement, il fait valoir la nullité de son adhésion à la CUMA et par conséquent la participation aux charges y afférentes suite à l’annulation judiciaire du legs universel le 8 mars 2017.

Très subsidiairement, l’appelant oppose que son adhésion à la CUMA et ses suites sont atteintes de caducité dès lors que le but du contrat qui était l’utilisation du séchoir à Luzerne dont il disposait conformément à l’objet social de la CUMA a disparu avec l’annulation du legs universel, conformément aux articles 1186 et 1187 du code civil. Il précise que la cause objective du contrat n’est pas tant dans sa qualité de propriétaire des parcelles mais dans l’utilité et l’intérêt qu’il peut retirer du séchoir à Luzerne de la CUMA.

Dans l’ hypothèse de caducité, sa demande de restitution des sommes réglées ne porte qu’à compter du 8 mars 2017, la caducité ne pouvant avoir d’effet rétroactif.

15 – L’intimée, rappelle que l’acquisition du séchoir a été financée via un emprunt bancaire, chaque adhérent s’étant engagé sur une période 8 années à régler une facture d’utilisation du matériel en fonction du nombre d’hectares exploité soit 15 hectares pour le cas personnel de M. [S]. L’objectif de la CUMA étant de mutualiser les coûts, l’adhésion emportait nécessairement une participation financière à ceux-ci, l’appelant ayant d’ailleurs régulièrement payé les factures des trois premières années, n’en contestant pas l’obligation.

Elle soutient qu’au moment de son adhésion à la CUMA, M. [S] n’était déjà plus propriétaire des parcelles, par l’effet de l’annulation du legs universel par la cour d’appel de Bordeaux du 3 novembre 2015, confirmant par ailleurs la décision de première instance, de sorte qu’il ne peut se prévaloir ni de la nullité de son adhésion pas plus que de sa caducité.

En tout état de cause, elle fait valoir que la propriété des parcelles contenues dans le legs n’a jamais été érigée en condition à son engagement auprès de la CUMA, seule étant exigé d’être exploitant agricole, ce qu’il est toujours. En effet, se reportant à l’utilisation faite par M. [S] du séchoir à Luzerne jusqu’en 2018, après la décision de la cour de cassation, l’intimée soutient qu’il est toujours agriculteur et propriétaire d’autres parcelles, n’en justifiant pas le contraire.

Elle conteste que l’engagement de M. [S] à la CUMA serait un acte subséquent du legs litigieux.

Enfin, elle relève que la démission de M. [S] n’est pas motivée par sa perte de terres et sa qualité de propriétaire et n’a pas été acceptée par la CUMA comme il est contractuellement prévu.

Sur ce :

16 – A titre liminaire, il convient de rappeler qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L. 521-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable à la date de la signature du contrat , ‘les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité’, l’alinéa suivant précisant que ‘les sociétés coopératives agricoles et leurs unions forment une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales’.

L’article L. 521-1-1 dispose pour sa part que ‘la relation entre l’associé coopérateur et la coopérative agricole à laquelle il adhère (…) est régie par les principes et règles spécifiques du présent titre et par la loi n 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et définie dans les statuts et le règlement intérieur des coopératives agricoles ou unions’.

Et ce même article de préciser, in fine, qu’une telle relation ‘repose, notamment, sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé mentionné au a du I de l’article L.521-3″.

C’est ainsi qu’aux termes de l’ article L. 521-3, ‘ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative […] que les sociétés dont les statuts prévoient […] l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité’.

I – Sur l’existence de l’obligation

17 – Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formée tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

L’article 1353 du même code précise que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

18 – Aux termes de l’article 1342 du code civil, ‘le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due.Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.’, l’article 1342-3 précisant que ‘le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable.’

19 – M. [S] en sa qualité d’exploitant agricole a adhéré le 5 juillet 2016 à la CUMA aux fins d’utiliser de manière mutualisée le séchoir à Luzerne.

20 – Les statuts de la CUMA prévoient que l’adhésion à la coopérative entraîne pour l’associé coopérateur l’engagement d’utiliser en ce qui concerne son exploitation un ou plusieurs des services que la coopérative est en mesure de lui procurer en contre partie de l’acquisition de parts sociales. La durée initiale de l’engagement est fixée à 8 ans, seul étant prévue la mise à la charge d’une participation financière aux frais fixes en cas de non respect de l’associé à ses engagements.

21 – En l’espèce les factures adressées à M. [S] des 30 septembre 2019, 2020 et 2021, portent mention de l’utilisation des ‘séchoirs à bottes’ exprimées en nombre d’unités, sans faire référence à une quote-part de participation proportionnelle aux charges (frais fixes).

22 – Il ressort des termes de ce contrat que la participation financière de chaque associé n’a pas été contractuellement définie, mais qu’entre 2016 et 2018, M. [S] a réglé les factures émises par la CUMA pour l’utilisation du séchoir pour ses 15 hectares de terre dans les délais et sans s’y opposer.

23 – Ces paiements non contestés jusqu’à la présente procédure établissent l’existence d’une participation financière des associés pendant 8 années, correspondant à l’objet social de la CUMA et conformément aux articles du code rural et de la pêche maritime ci-dessus rappelés.

24 – Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

II – Sur le retrait de l’engagement de M. [S]

25 – Aux termes de l’ article R. 522-4 du code rural et de la pêche maritime ‘sauf en cas de force majeure dûment justifié et soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant l’expiration de sa période d’engagement. Toutefois, en cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter sa démission au cours de cette période si son départ ne doit porter aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et s’il n’a pas pour effet de réduire le capital au-dessous de la limite fixée à l’article R. 523-3, alinéas 3 et 4″.

26 – L’article 11 du contrat rappelle ces dispositions en mentionnant que le retrait prévu en cas de force majeure ‘dûment justifié est soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant expiration de la période d’engagement en cours.

‘En cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter la démission d’un associé coopérateur en cours de période d’engagement si le départ de celui-ci ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet , en absence de cession des parts sociales, d’entraîner la réduction du capital souscrit par les associés coopérateurs dans le cadre de leur engagement d’activité au-dessous des 3/4 du montant le plus élevé constaté par une assemblée générale depuis la constitution de la coopérative.

Le conseil apprécie les raisons invoquées à l’appui de la demande de démission en cours de période d’engagement et fait connaître à l’intéressé sa décision motivée dans les trois mois de la date à laquelle la demande a été notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au président du conseil d’administration.

La décision du conseil peut faire l’objet d’un recours devant la plus prochaine assemblée générale sans préjudice d’une action éventuelle devant le tribunal de grande instance compétent.’

27 – En l’espèce M. [S] a délivré congé par courrier recommandé du 8 avril 2019 sans en motiver les raisons et la CUMA n’a pu se prononcer en l’absence de motivation, aucun cas de force majeur n’étant par ailleurs invoqué.

28 – Ainsi, M. [S] ne justifie pas avoir notifié, au cours de la période des huit ans de son engagement, sa volonté de se retirer ni avoir reçu l’autorisation de se retirer au cours de cette période dans les conditions prévues par les statuts.

29 – Sans avoir besoin d’examiner le motif invoqué par M. [S] au soutien de sa volonté de se retirer, faute d’avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, l’appelant avait toujours la qualité d’associé coopérateur, sans que soit opérant la nullité judiciaire du legs universel sur son engagement statutaire, ni même la caducité de cet engagement.

30 – Les demandes reconventionnelles en restitution des sommes versées sur les années 2016 à 2018 alors qu’il a utilisé le séchoir à Luzerne seront rejetées pour les mêmes motifs, M. [S] ayant la qualité d’associé coopérateur.

31 – Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

32 – M. [S] succombant en son appel sera condamné aux dépens outre le paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré

Y ajoutant,

Condamne M. [S] à verser à la CUMA Luzerne Verteillacoise la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] aux dépens.

Cour d’appel, Bordeaux, 1re chambre civile, 10 Juillet 2025 – n° 23/01046

COMPETENCE DU TRIBUNAL et Litige avec un tiers non associé dans une coopérative agricole ?

22/07/2025

Litige entre une coopérative agricole et un tiers non coopérateur : quel est le tribunal compétent ?

Dans une décision du 10 juin 2025, le tribunal de commerce d’Aurillac, auprès duquel une requête en injonction de paiement a été déposée, rappelle la spécificité des sociétés coopératives agricoles et renvoie l’affaire devant le tribunal judiciaire.

Les sociétés coopératives agricoles et leurs unions formant une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales (C. rur., art. L. 521-1), la loi donne compétence aux juridictions civiles pour connaître des litiges les concernant (C. rur., art. L. 521-5). Mais cette attribution n’est pas exclusive. Les litiges entre les sociétés coopératives agricoles et des tiers non coopérateurs nés d’actes de commerce relèvent de la compétence du tribunal de commerce. En fait, la compétence juridictionnelle en cas de litige avec une société coopérative agricole dépend de la nature de l’acte en cause.

Un litige né entre un sous-traitant d’un cabinet d’architecte et une société coopérative laitière avait été soumis au tribunal de commerce d’Aurillac. La coopérative laitière avait, en effet, fait appel à un cabinet d’architecte pour la construction d’une unité fromagère avec circuit pédagogique. Le cabinet a sous-traité une partie de sa mission (une étude technique) avant d’être mis en liquidation judiciaire.

Le sous-traitant s’est retourné contre la société coopérative pour le règlement de sa prestation et a donc déposé une requête en injonction de paiement devant le tribunal de commerce. La société coopérative agricole a formé opposition à l’encontre de l’ordonnance d’injonction de payer et soulevé l’incompétence du tribunal de commerce tout en demandant le renvoi de l’affaire devant le tribunal judiciaire.

La prestation du sous-traitant n’étant pas un acte de commerce au sens de l’article L. 110-1 du Code de commerce, mais un acte mixte passé entre un commerçant (le sous-traitant) et un non commerçant (la coopérative laitière), le tribunal de commerce d’Aurillac se déclare incompétent et renvoie l’affaire devant le tribunal judiciaire.

Source

Trib. com., Aurillac, 10 juin 2025, n° 2025J00016

Obligations statutaires dans la coopérative agricole : la lettre de démission doit respecter les délais statutaires

« En sa qualité d’associé coopérateur, M. [Z] ne pouvait ignorer que la clôture de l’exercice était fixée au 31 juillet 2019 et qu’il devait donc, pour exercer son retrait, que sa lettre de démission soit reçue au plus tard le 30 avril 2019, à défaut de quoi la coopérative pouvait lui opposer le renouvellement par tacite reconduction de son engagement d’apport.« 

LES FAITS

1- Le 17 juin 2019, M. [U] [Z], viticulteur, a notifié à La cave du pays de Quarante (ci-après la coopérative) sa décision de révoquer ses engagements envers elle à compter de la campagne 2019/2020.

Le 11 juillet 2019, la coopérative a contesté cette décision au motif qu’elle est intervenue hors du délai prévu par les statuts.

2- Le 24 février 2020, la coopérative a sommé M. [Z] d’indiquer les raisons de l’absence d’apport de la récolte 2019.

3- Par courrier du 25 mars 2020, M. [Z] a confirmé que la coopérative ne pouvait lui reprocher le caractère tardif de sa décision et l’a mise en demeure de lui payer les sommes dues en contrepartie de ses apports de récoltes à savoir :

– 10 504,29 ‘ pour la récolte 2016,

– 15 535,56 ‘ pour la récolte 2017,

– le solde de la récolte 2018 pour laquelle il n’a reçu aucun décompte.

4- Par courrier du 16 avril 2020, la coopérative a indiqué que le conseil d’administration avait décidé de procéder à la compensation des dettes et créances, fixées comme suit :

– participation aux frais fixes : 43 645,056 ‘.

– pénalité : 17 458,02 ‘.

5- Le 22 septembre 2020, M. [Z] a mis en demeure la coopérative de lui régler la somme de 47 756,02 ‘ au titre de la rémunération de ses apports de récolte 2016, 2017 et 2018, lui proposant un mode de résolution amiable du conflit, en vain.

6- C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier de justice du 9 novembre 2020, M. [Z] a assigné la coopérative devant le tribunal judiciaire de Béziers avant d’être lui-même assigné par acte d’huissier de justice du 10 novembre 2020.

Par ordonnance du 28 janvier 2021, la jonction des deux affaires a été prononcée.

7- Par jugement du 13 janvier 2021, une procédure de redressement judiciaire a été prononcée à l’encontre de La cave du pays de Quarante.

Par actes d’huissier de justice des 8 et 12 février 2021, M.[Z] a déclaré sa créance au passif de la cave et assigné en intervention forcée la société FHB SELARL, représentée par Me [O] ès-qualités d’administrateur et Me [L] [D], ès-qualités de mandataire judiciaire.

Par ordonnance du 10 juin 2021, la jonction des deux affaires a été prononcée.

8- Par jugement du 6 octobre 2021, La cave du pays de Quarante a fait l’objet d’une conversion en liquidation judiciaire et le tribunal de commerce de Béziers a désigné Me [D] en qualité de liquidateur.

9- Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal judiciaire de Béziers a :

– Constaté l’intervention de Maître [L] [D] es qualité de liquidateur de la SCA Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric, nommé par le jugement du tribunal de commerce de Béziers du 6 octobre 2021,

– Débouté la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D], liquidateur, de ses entières prétentions à l’encontre de M. [Z],

– Condamné la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D], liquidateur, à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

> 50 360,01 ‘ augmentés des intérêts légaux dus à compter du 22 septembre 2020 au titre des apports de récoltes restés impayés,

> 2 500 ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,

– Fixé en conséquence la créance totale de M. [U] [Z] au passif de la procédure collective de la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » au montant de 52860,01 ‘,

– Condamné la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D] ès-qualités, au paiement des entiers dépens.

10- Maître [D], ès-qualités, a relevé appel de ce jugement le 19 juin 2023.

PRÉTENTIONS

11- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 10 février 2025, Me [D], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric, demande en substance à la cour de :

– Réformer le jugement du 15 mai 2023,

Statuer à nouveau :

– Juger que M. [Z] a bien la qualité d’associé coopérateur, et ne pouvait pas être qualifié de tiers non associé,

– Juger que M. [Z] n’a pas donné sa démission avec un préavis de trois mois avant la clôture de l’exercice, conformément aux dispositions des articles 8 et 45 des statuts.

En conséquence,

– Condamner M. [Z] à payer à la coopérative Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric les sommes suivantes :

> 43 645,05 ‘ au titre du non apport,

> 17 458,02 ‘ au titre de pénalité,

> soit la somme totale de 61 193,08 ‘ avec intérêt au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure du 16 avril 2020 en application de l’article 1231-6 du Code civil et qui seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1154 du même code, à parfaire jusqu’au terme de son engagement,

– Juger qu’il est fait application du principe de la compensation entre les dettes et les créances, c’est-à-dire déduction de la seule somme retenue à titre chirographaire par Me [D], 45 861,47 ‘ conformément à l’article 8-9 des statuts,

– Rejeter toutes les demandes formées par M. [Z],

– Condamner M. [Z] à payer à la coopérative Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric la somme de 3 000 ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.

12- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 4 novembre 2024, M. [Z] demande en substance à la cour, au visa des articles L.641-3 du Code de commerce, L. 521-3-1, R522-4 et R.524-12 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime dans leur version applicable à l’époque des faits, et 1231 et suivants du Code civil de :

– Confirmer le jugement du 15 mai 2023 qui a fixé la créance de M. [Z] :

> à la somme de 50 360, 01 ‘ au titre des apports de récoltes impayés majorée du montant des intérêts du 22 septembre 2020 au 14 janvier 2021 ;

> à la somme de 2500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] de sa demande de fixation à la somme de 5 000 ‘ de l’indemnité de réparation du préjudice subi par ce dernier du fait du non-respect par Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric de ses obligations contractuelles, légales et réglementaires ;

– Accueillir l’appel incident,

– Infirmer le jugement du 15 mai 2023 sur ce point,

Statuant à nouveau,

– Fixer en sus de la créance d’un montant de 52 860,01 ‘ retenue par le jugement du 15 mai 2023 dont il est sollicité la confirmation, la créance de réparation tous préjudices confondus à la somme de 5 000 ‘.

En tout état de cause :

– Condamner la coopérative agricole « Les caves du pays de Quarante et du pays d’Héric » représentée par Me [D] ès-qualités, au paiement des entiers dépens sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

13- Vu l’ordonnance de clôture en date du 11 février 2025.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

14- La cour observe en liminaire n’être saisie d’aucune conclusion de M. [Z] tendant à écarter les conclusions adverses déposées la veille de l’ordonnance de clôture.

Sur la qualité d’associé coopérateur de M. [Z]

15- Selon l’article R.522-2 du code rural et de la pêche maritime,

‘La qualité d’associé coopérateur est établie par la souscription ou par l’acquisition d’une ou plusieurs parts sociales de la coopérative.

Toute société coopérative agricole doit avoir obligatoirement à son siège un fichier des associés coopérateurs sur lequel ces derniers sont inscrits par ordre chronologique d’adhésion et numéros d’inscription avec indication du capital souscrit par catégorie de parts telles que prévues à l’article R. 523-1.’

Selon l’article 4 du règlement intérieur de la coopérative, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquière que par la souscription ou l’acquisition de parts sociales de la coopérative après agrément du conseil d’administration.

16- Il est acquis que si la preuve ‘reine’ de la qualité de coopérateur résulte du fichier évoqué ci-dessus, elle peut être établie par tout moyen dont la charge incombe à celui qui s’en prévaut, la coopérative en l’espèce. Cette preuve peut résulter d’un faisceau d’indices.

17- Pour établir la qualité d’associé coopérateur de M. [Z] et démentir ce qu’il n’était pas, à savoir tiers non coopérateur, la coopérative produit aux débats ce faisceau d’indices caractérisant la souscription de parts sociales par M. [Z], dont les plus probants tiennent à son statut d’administrateur et à son comportement dans la phase pré contentieuse.

18- Ainsi, selon les statuts, la coopérative est administrée par un conseil composé de 15 membres élus par l’assemblée générale parmi les associés coopérateurs. Nul ne peut être élu adminsitrateur s’il n’est associé coopérateur.

19- De la combinaison du procès verbal d’assemblée générale du 26 avril 2018 où M. [Z] était proposé en qualité d’administrateur -quand bien même la mention de l’adoption du vote serait absente- et du procès-verbal du conseil d’administration du 23 avril 2019 où M. [Z] siégeait en qualité d’administrateur avec émargement de la feuille de présence, il résulte sans ambiguïté que M. [Z] avait été élu administrateur. Après que le conseil d’administration en a pris acte le 10 juillet 2019 suite à sa démission remise en main propre le 3 juin 2019, l’assemblée générale du 19 décembre 2019 en a également pris acte en troisième résolution.

20- Dans les courriers pré contentieux des 17 juillet 2019 et 25 mars 2020 en réponse aux courriers des 11 et 27 juillet 2019 puis du 24 février 2020, non seulement M. [Z] ne conteste pas la qualité d’associé coopérateur qui lui est prêtée mais fait valoir les obligations statutaires gouvernant la coopérative dans ses relations avec les coopérateurs, notamment l’absence de tenue de l’assemblée générale ordinaire dans les six mois de la clôture de l’exercice (soit avant le 31 janvier), revendiquant le délai de prévenance de trois mois pour le retrait du coopérateur.

21- Encore, la coopérative produit en pièce 16 une feuille de présence à l’assemblée générale du 16 avril 2015, émargée par M.[Z], titulaire de 570 parts sociales.

22- Le surplus des documents produits par la coopérative, établis en réaction à la conscience d’un manifeste laisser aller dans la gestion administrative (fiche individuelle de parts sociales au 12 octobre 2020 ; document unique récapitulatif non daté mais faisant référence à la mise à jour du 25 mars 2020 du règlement intérieur) ne font que corroborer a posteriori le statut d’associé coopérateur de M. [Z].

23- Selon l’article R522-4 du code rural et de la pêche maritime,

‘L’associé coopérateur est engagé avec sa société coopérative pour une durée déterminée.

En cas de force majeure dûment justifiée, le retrait anticipé d’un associé coopérateur est accepté par l’organe chargé de l’administration de la coopérative. Ce retrait peut également être accepté dans les conditions prévues par les statuts en cas de motif valable et si le départ de l’associé coopérateur ne porte pas préjudice au bon fonctionnement de la coopérative.

Si l’associé coopérateur n’a pas notifié au président de la société coopérative, avant le terme de son engagement, sa décision de se retirer au terme de celui-ci, cet engagement est renouvelé par tacite reconduction par périodes de même durée, selon les dispositions des statuts et du règlement intérieur en vigueur à la date du renouvellement.

Toutefois, si la période initiale d’engagement est supérieure à cinq ans, chaque période de tacite reconduction est de cinq ans au plus.’

Selon l’article 8 des statuts, si l’associé coopérateur n’a pas notifié sa volonté de se retirer par lettre recommandée avec avis de réception trois mois au moins avant l’expiration du dernier exercice de la période d’engagement concernée, l’engagement se renouvelle par tacite reconduction par périodes de 5 ans pour l’activité de collecte vente.

Selon l’article 45 de ce ces mêmes statuts, l’exercice commence le 1er août et finit le 31 juillet.

24- Par son courrier du 17 juin 219, M. [Z] a informé la coopérative de son souhait de la quitter et de ne pas apporter sa récolte pour la campagne 2019-2020. Il ne donnait aucun motif.

Par son courrier en réponse du 11 juillet 2019, la coopérative l’informait de ce que sa lettre de démission n’était pas recevable pour ne pas avoir respecté les délais de l’article 8 point 5 des statuts, évoqué ci-dessus.

M. [Z] répliquait le 17 juillet 2019, sans contester la matérialité du dépassement du délai de sa lettre de démission, en invoquant l’article 40 alinéa 1 des statuts selon lequel ‘l’assemblée générale ordinaire doit être convoquée au moins une fois par an, dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice.’ Il en tirait pour conséquence, ce qu’il renouvelle dans l’instance judiciaire, que l’assemblée générale ordinaire ne s’étant pas tenue dans les six mois de la clôture de l’exercice, il disposait d’un délai de trois mois pour analyser la situation financière et économique de la cave et qu’en fonction de cette analyse, il peut informer la cave de son intention de se retirer avant le 30 avril.

25- M. [Z] fait valoir que la coopérative ne justifie pas de la date de son engagement, laquelle déterminerait par application de l’article 8 des statuts, la date de son retrait. Alors qu’il fait état d’avoir apporté ses récoltes à compter de l’année 2012 et que sa qualité de coopérateur est établie, il ne conteste pas la teneur du document unique récapitulatif qui fait courir son engagement à compter du 10 mai 2012, quand bien même n’aurait-il pas signé ce document dont la validité n’est pas subordonné à son émargement. Il n’est pas plus amplement querellé que 2019 était le dernier exercice de la période concernée.

26- Toutefois, en sa qualité d’associé coopérateur, M. [Z] ne pouvait ignorer que la clôture de l’exercice était fixée au 31 juillet 2019 et qu’il devait donc, pour exercer son retrait, que sa lettre de démission soit reçue au plus tard le 30 avril 2019, à défaut de quoi la coopérative pouvait lui opposer le renouvellement par tacite reconduction de son engagement d’apport. Ce n’est pourtant que le 17 juin 2019 qu’il a notifié sa démission, laquelle apparaît ainsi hors délai, peu important que l’assemblée générale n’ait pas été tenue avant le 31 janvier 2019 pour l’exercice 2018, alors que cet élément qu’il met en avant aurait dû le conduire à une vigilance particulière dans l’exercice de son droit de retrait.

Le non-respect du délai par la coopérative n’apparaît en rien exonératoire du non-respect du délai par M. [Z] étant observé que les manoeuvres déloyales invoquées par M. [Z] à l’encontre de la coopérative qui aurait volontairement retardé la tenue de l’assemblée générale pour dissimuler la situation désastreuse dans laquelle elle se trouvait afin d’éviter le départ de coopérateurs en fin d’engagement ne sont en rien caractérisées, M.[Z] ne pouvant conclure du seul constat d’une situation dégradée décrite le 19 décembre 2019 une volonté dolosive antérieure.

27- Il en résulte que l’appel de la coopérative est bien fondé et que le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande tendant à obtenir la condamnation de M. [Z] au paiement de la somme de 61 193,08′ (43645,05′ au titre du non-apport et 17458,02′) avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2020, selon décompte non discuté, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

28- S’agissant de la créance de M. [Z] au titre des apports de récoltes impayés au titre des exercices 2016, 2017 et 2018, l’admission à titre chirographaire de la seule somme de 45 861,47′ n’emporte pas de facto infirmation du jugement en ce qu’il a arrêté le montant de la créance à la somme de 50 360,01′, résultant des fiches de solde analysées par le premier juge, montant qui sera confirmé avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2020.

29- Le principe de la compensation étant énoncé à l’article 8.9 des statuts et les parties disposant de créances certaines liquides et exigibles l’une envers l’autre, la compensation en sera ordonnée.

30- S’agissant de l’appel incident de M. [Z] à l’encontre du jugement qui a rejeté sa demande indemnitaire formulée à hauteur de 5000 ‘, la cour constate que la demande d’infirmation n’a pas été formulée par les premières conclusions transmises par voie électronique le 7 décembre 2023 et que par application des dispositions combinées des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la cour ne peut que confirmer le jugement sur ce point.

31- Le jugement de première instance étant infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la coopérative, l’équité commande de réformer l’indemnité allouée à M. [Z] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

32- Partie globalement perdante en appel, M. [Z] supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté la coopérative ‘Les caves du pays de Quarante et du pays de l’Héric’ de ses entières prétentions, condamné cette même coopérative à payer à M.[U] [Z] la somme de 2 500 ‘ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et fixé en conséquence la créance totale de celui-ci à la procédure collective à la somme de 52 680,01 ‘.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [U] [Z] à payer à Me [D], ès-qualités, la somme de 61 193,08 ‘ avec intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2020 et capitalisation annuelle dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance au profit de M.[Z].

Fixe la créance de M. [U] [Z] au passif de la procédure collective de la coopérative ‘Les caves du pays de Quarante et du pays de l’Héric’ à la somme de 50 360,01 ‘.

Opère compensation entre les créances respectives des parties.

Confirme le jugement pour le surplus.

Condamne M. [U] [Z] aux dépens d’appel.

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel.

Cour d’appel, Montpellier, 4e chambre civile, 7 Mai 2025 – n° 23/03135

COOPERATIVE AGRICOLE ET RETRAIT D’UN ASSOCIE COOPERATEUR : SUR LA FORME ET SUR LE FOND

EXPOSE DU LITIGE

La société coopérative agricole « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» effectue pour le compte de ses associés coopérateurs les opérations de stockage, d’assemblage, de vieillissement, d’embouteillage et de commercialisation des récoltes.

L’E.A.R.L [Adresse 5] est adhérente de la coopérative depuis 2014.

Le 29 septembre 2019 elle a notifié au président du directoire de la Société LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ sa volonté de ne pas renouveler son engagement quinquennal avec interdiction d’utiliser la marque «[Localité 4]» à compter du 1er janvier 2020.

La coopérative LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ a considéré que cette demande de retrait était irrégulière, qu’elle était en conséquence de nul effet et emportait de fait la tacite reconduction de l’engagement quinquennal de l’E.A.R.L. [Adresse 5].

Cependant, l’E.A.R.L. [Localité 4] a refusé d’apporter à la coopérative sa récolte 2019, malgré une mise en demeure.

Du fait de cette absence d’apport, la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié, le 16 décembre 2019, à l’E.A.R.L. [Adresse 5] la décision de son Conseil de Surveillance de retenir à son endroit le paiement d’une participation aux frais fixes d’un montant de 385 048,09 € TTC.

Le Conseil de Surveillance a par ailleurs sollicité auprès de l’E.A.R.L. [Localité 4] le paiement de diverses indemnités :

– 73 659,62 € HT au titre du stock de matières sèches spécifiquement réservé à la production du «[Localité 4]»,

– 113 492 € HT au titre du montant des commissions dues aux divers agents et VRP sur la commercialisation des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5],

– 10 790 € HT au titre du déclassement des vins rouges de la récolte 2018, initialement prévus pour la commercialisation en 2020.

Devant le refus de l’E.A.R.L. [Localité 4] de payer une quelconque somme, la coopérative l’a fait assigner en paiement devant le juge des référés du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN, ainsi qu’en désignation d’un expert aux fins d’évaluer le préjudice économique qu’elle aurait subi.

Par ordonnance du 16 septembre 2020, le juge des référés a condamné l’E.A.R.L. [Adresse 5] à payer à la coopérative la somme provisionnelle de 366 133,61 € et a ordonné une expertise.

Sur appel de la défenderesse, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a, par arrêt du 16 décembre 2021, confirmé la décision déférée en ce qui concerne l’organisation d’une expertise et l’a réformée pour le surplus.

L’expert a déposé son rapport le 8 mars 2022.

Par acte d’huissier du 2 mars 2022, la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a fait assigner de l’E.A.R.L. [Adresse 5] aux fins de :

– Voir dire et juger que de l’E.A.R.L. [Localité 4] n’a pas respecté son engagement d’apporter sa récolte 2019, suite à sa décision de retrait,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] au paiement de la somme de 402 996,96 € TTC au titre de la participation aux frais fixes retenue pour le défaut d’apport de la récolte 2019, avec triplement du taux légal des intérêts de retard,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] au paiement de la somme de 206 331,36 € au titre du préjudice économique direct subi, assortie des intérêts au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Dire et juger que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier et de nul effet et emporte de facto la tacite reconduction de son engagement quinquennal auprès de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

En conséquence,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à remettre la récolte des années 2020 et 2021 à la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» et à défaut à régler la participation aux frais fixes des années 2020 et 2021, assortie des intérêts de retard au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Débouter l’E.A.R.L. [Adresse 5] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] à payer à la société « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise d’un montant de 23 050,39 €.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2023, La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» maintient et précise ses demandes de :

– Voir dire et juger que de l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’a pas respecté son engagement d’apporter sa récolte 2019, suite à sa décision de retrait,

– Condamner l’E.A.R.L. [Localité 4] au paiement de la somme de 402 996,96 € TTC au titre de la participation aux frais fixes retenue pour le défaut d’apport de la récolte 2019, avec triplement du taux légal des intérêts de retard,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] au paiement de la somme de 195 764,97 € au titre du préjudice économique direct subi, assortie des intérêts au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

o Soit 11 835 € TTC au titre de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Localité 4],

o 47 739,47 € TTC au titre des matières sèches,

o 136 190,40 € TTC au titre du préjudice subi par les VRP

– Dire et juger que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier et de nul effet et emporte de facto la tacite reconduction de son engagement quinquennal auprès de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

En conséquence,

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à remettre la récolte des années 2020 et 2021 et 2022 à la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» et à défaut à régler la participation aux frais fixes des années 2020, 2021 et 2022, pour un montant de 402 996,96 € par année, assorti des intérêts de retard au taux légal x 3 à compter du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,

– Débouter l’E.A.R.L. [Adresse 5] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Ordonner la compensation des sommes dues par la société« LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à l’E.A.R.L. [Adresse 5] avec les condamnations prononcées à l’encontre de l’E.A.R.L. [Localité 4] au profit de la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

– Condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à payer à la société « LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, ce compris les frais d’expertise.

Elle soutient que le retrait de l’E.A.R.L. [Adresse 5] est irrégulier au motif que l’article 11 des statuts impose à tout associé coopérateur désirant ne pas renouveler son engagement de notifier sa décision, par LRAR au moins 3 mois avant la date de fin de cet engagement, au président du Conseil de surveillance ; qu’en l’espèce, la fin du dernier engagement quinquennal de l’E.A.R.L. [Localité 4] expirait le 31 décembre 2019 ; que celle-ci a notifié sa décision de retrait par LRAR du 26 septembre 2019, reçue le 30 septembre 2019 et adressée à Monsieur [Z] [B], président du directoire, ce qui rend cette décision nulle et de nul effet ; que le fait de se retirer 48 heures avant le délai contractuel, en pleine saison de récolte, alors que toutes les ventes sont déjà conclues et toute l’organisation matérielle du traitement des récoltes mises en place, et s’adresser à une personne non habilitée constitue une volonté de nuire.

Elle considère, en tout état de cause que l’E.A.R.L. [Adresse 5] est toujours associée coopérateur de la SCEA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ».

La coopérative fait valoir qu’en tout état de cause l’E.A.R.L. [Adresse 5] avait l’obligation d’apporter sa récolte 2019 en application de l’article 8 des statuts dans la mesure où son engagement quinquennal se termine le 31 décembre et non le 30 septembre, que si le Conseil de surveillance peut décider de ne pas mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes c’est seulement en cas de force majeure, qui n’est pas établi en l’espèce, et pas seulement sur« un juste motif», que l’absence d’apport de sa récolte 2019 à la coopérative pour laquelle ses vins sont des produits phare, constitue donc une faute contractuelle de l’E.A.R.L. [Localité 4].

La coopérative soutient qu’elle a perdu de ce fait plus de 2 millions de chiffre d’affaires, sa crédibilité et des parts de marché dans la mesure où elle a été dans l’impossibilité de proposer une alternative crédible.

Elle chiffre ainsi qu’il suit ses différents préjudices

– Une participation aux frais fixes serait due en application du point 6 de l’article 8 de ses statuts pour un montant de 402 996,96 € TTC,

– Du fait de l’absence d’apport de la récolte 2019, la coopérative se serait trouvée dans l’incapacité d’écouler les stocks de matières sèches spécifiquement réservés à la gamme des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5], il en résulterait un préjudice s’élevait à la somme de 47 739,47 € TTC.

– Le versement d’une indemnité aux agents commerciaux et VRP afin de maintenir leur rémunération dans la mesure où elle a été dans l’incapacité de leur proposer des produits de notoriété identique, pour un montant de 136 190,40 € TTC,

– Une somme de 9 279 € HT, soit 11 254,80 € TTC en indemnisation de l’incapacité dans laquelle elle s’est trouvée de commercialiser le vin rouge 2018 « [Localité 4]» en 2020 devant l’interdiction qui lui a été faite d’utiliser la marque  » PAMPELONNE « ,

La SCEA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» fait valoir que les comptes de l’expert doivent être réactualisés en tenant compte le paiement d’une somme de 223 706,60 € correspondant au paiement de trois acomptes sur la récolte 2018 intervenus le 21 janvier 2022.

Dans ses dernières conclusions en réponse n° 2, notifiées par voie électronique le 8 février 2023 l’E.A.R.L. [Adresse 5] demande au tribunal de :

– Débouter la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– Déclarer que les conclusions de l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 relatives à la détermination de l’impossibilité d’écouler le stock de matières sèches réservées à la gamme de vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5] et de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Localité 4] sont nulles,

– Déclarer que l’application par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 du triple du taux d’intérêt légal pour le calcul des intérêts moratoires courant sur les sommes prétendument dues par l’E.A.R.L. [Adresse 5] est nulle et que le taux d’intérêt légal est applicable en l’espèce,

– Déclarer que les compensations opérées par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 sont nulles,

A titre reconventionnel,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 21 184 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] en remboursement de ses parts sociales d’activité et de ses parts sociales d’épargne,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 68 527 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] en règlement des ristournes au titre des récoltes 2016, 2017 et 2018, assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 11 juin 2022 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 63 200,10 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] correspondant au complément de prix sur la récolte 2018, assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 14 septembre 2020 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 4 373,45 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] correspondant à l’auto-facturation n° 30/20 du 24 juillet 2020 assorties d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux d’intérêts légal, à compter du 14 septembre 2020 et ce, jusqu’à complet paiement, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

– Condamner la «SCA LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à verser la somme de 96 725 € à l’E.A.R.L. [Adresse 5] à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» au paiement de la somme de 64 298,43 € HT au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner la SCA «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise.

L’E.A.R.L. [Adresse 5] soutient que les conclusions de l’expert doivent être partiellement annulées au motif qu’il a entièrement délégué au sapiteur certains éléments de sa mission alors, qu’en application de l’article 233 du Code de procédure civile, il doit remplir personnellement la mission qui lui a été confiée.

Elle soutient ensuite que son retrait de la coopérative est régulier et effectif ; que le document unique récapitulatif qui lui a été remis mentionne que son engagement se renouvellera pour une période de 5 ans au terme de l’année civile 2019 et qu’elle a bien notifié sa décision de retrait pendant la période impartie, soit dans les trois mois précédant l’expiration de l’exercice.

En ce qui concerne la personne à laquelle la décision de retrait devait être adressée, elle fait valoir que cette précision ne saurait être considérée comme une formalité substantielle et que l’erreur dans la désignation de l’organe représentant d’une personne morale ne constitue qu’une irrégularité de forme n’entraînant la nullité de l’acte qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.

Elle soutient que son retrait est valide et que de ce fait elle ne doit plus aucune récolte à la coopérative , pas même celle de 2019 dans la mesure où son engagement de 5 ans s’étant terminé le 31 décembre 2019, a commencé le 1er janvier 2015 ; qu’il était d’apporter cinq récoltes pour cinq exercices consécutifs, que la réservation de la récolte par la coopérative se fait au début de l’année suivant et que la récolte de 2019 n’avait donc pas à être apportée en raison de son retrait au 31 décembre 2019.

A titre subsidiaire, la défenderesse critique le chiffrage des indemnités réclamées par la coopérative . Elle fait valoir que la demande concernant les années 2020 et 2021 est irrecevable car non chiffrée ; que l’indemnité de retrait de 206 361,36 € n’est pas due car elle n’a pas commis de faute ; que les matières sèches ont été en partie utilisées et qu’elle a proposé de les racheter ; que l’expert n’a pas retenu de préjudice pour l’indemnisations des agents commerciaux en l’absence de justificatifs de versements ; qu’elle avait proposé de racheter les vins rouges 2018.

Reconventionnellement, elle demande le remboursement de ses parts sociales qui n’est toujours pas intervenu car en perdant sa qualité d’associé- coopérateur elle a droit au remboursement des parts sociales qu’elle détient dans le capital de la coopérative , le remboursement des ristournes qui lui sont dues dans la mesure où elles ont été votées par l’assemblée générale de la coopérative et que les associés conservent leurs droits à percevoir les ristournes constituées alors qu’ils faisaient encore partie de la coopérative , qui n’ont pas encore été distribuées au jour de leur départ, attribuées au titre des années 2016, 2017 et 2018 que l’expert a évalué à une somme totale de 68 527 € TTC, un complément de prix d’un montant de 63 200,10 € TTC au titre de la récolte 2018 selon décision de l’assemblée générale d’approbation des comptes clos le 31 décembre 2019, une somme de 4 373,45 € TTC au titre du remboursement de 50 % des taxes sur la récolte 2018, ce que la coopérative ne conteste pas.

Elle sollicite par ailleurs l’allocation de dommages-intérêts au motif que la coopérative a manqué à son obligation de bonne foi en niant la réalité de son départ de l’EARL et en appliquant à son encontre des mesures de rétorsion consistant notamment à ne plus régler aucune des sommes qu’elle lui devait, en cherchant à anéantir sa réputation et obérer ses finances, en multipliant les procédures judiciaires inutiles qui ont déjà par deux fois été jugées abusives par le juge de l’exécution, ce qui lui a causé un préjudice moral qu’elle chiffre à 20 000 € et un préjudice matériel s’élevant la somme de 76 725 € dû aux importants frais de conseil qu’elle a exposé pour défendre ses droits face à l’attitude irrationnelle et agressive de la coopérative , soit 41 525 € HT pour les procédures devant le juge de l’exécution et 35 200 HT pour les procédures de référé.

Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure au 11 janvier 2024.

Le 29 janvier 2024, la société «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié des conclusions en réplique au fond avec demande de rabat de l’ordonnance de clôture.

Par courrier du 1er février 2024 l’E.A.R.L. [Adresse 5] s’oppose à ce renvoi au motif notamment qu’elle-même a conclu dès le 8 février 2023.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 4 juillet 2024. A cette audience, à l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 11 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Observations à titre liminaire

A titre liminaire, Il sera rappelé qu’il sera fait application des dispositions de l’article 768 du Code de procédure civile pour considérer demandes formulées, celui-ci prévoyant en son alinéa 2 que « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. ».

A cet égard, il sera répondu exclusivement aux demandes formulées dans le dispositif des conclusions des parties, demandes relevant de l’office juridictionnel du Juge au sens de la loi, soit les demandes déterminées, actuelles et certaines.

Sur le rabat de l’ordonnance de clôture

L’article 802 du Code de procédure civile dispose que «après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut plus être déposée ni aucune pièce produite aux débats…».

Selon les dispositions de l’article 803 du même code « l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue….».

En l’espèce, les dernières conclusions de l’E.U.R.L. [Localité 4] ont été notifiées le 8 février 2023 et la demanderesse a répliqué le 6 décembre 2023, soit avant la date de la clôture fixée au 11 janvier 2024.

La coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a notifié de nouvelles conclusions le 29 janvier 2024.

Elle fait valoir qu’elle souhaitait de nouveau conclure, mais ne justifie, ni même n’allègue aucune cause grave permettant d’ordonner la révocation de l’ordonnance ayant mis fin à la procédure.

Cette demande sera en conséquence rejetée.

I – LES DEMANDES DE LA COOPERATIVE «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

Sur la validité de la décision de retrait du 26 septembre 2019 et la demande d’apport des récoltes 2020, 2021 et 2022

L’article 8-4. des statuts de la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ», mis à jour à la suite de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 14 juin 2019, prévoit que «la durée initiale de l’engagement est fixée à cinq exercices consécutifs à compter de l’expiration de l’exercice en cours à la date à laquelle il a été pris…».

Selon leur article 8-5. «A l’expiration de cette durée, comme à l’expiration des reconductions postérieures, si l’associé coopérateur n’a pas notifié sa volonté de se retirer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, trois mois au moins avant l’expiration du dernier exercice de la période d’engagement concernée, l’engagement se renouvelle par tacite reconduction par périodes de cinq ans. Les effets de la dénonciation sont réglés par l’article 13».

Quant à l’article 11-3, il dispose que «la décision de retrait en fin de période d’engagement doit être notifiée, sous peine de forclusion, trois mois au moins avant la date d’expiration de cet engagement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au président du conseil de surveillance, qui en donne acte».

Le «document unique récapitulatif» à l’en tête de la coopérative , versé aux débats par la défenderesse stipule quant à lui au paragraphe «durée de l’engagement »: «… compte-tenu de votre adhésion à la constitution de la coopérative en 1986, de la période d’engagement initial de 3 ans, portée à 5 ans au cours de l’assemblée générale extraordinaire du 14 décembre 2004, votre engagement se renouvellera pour une période de 5 ans au terme de l’année civile 2019».

Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception en date 26 septembre 2019, distribué le 30 septembre suivant, adressé à M. [Z] [B], président du Directoire de la coopérative , l’EARL [Adresse 5] informait celle-ci de sa décision de se retirer de la coopérative au 31 décembre 2019 et du fait qu’elle résiliait le contrat de la marque exclusive Pampelonne à cette même date.

Il n’est pas contesté que la décision de retrait de la coopérative a été notifiée par la demanderesse à cette dernière, trois mois avant l’expiration du dernier exercice de sa dernière période d’engagement, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, respectant en cela les dispositions de l’article 11-3 des statuts précités.

Cependant, dans la mesure où cette décision a été envoyée au président du directoire et non à la présidente du conseil de surveillance, la coopérative prétend qu’elle est sans effet.

Toutefois, il est de jurisprudence constante que l’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale habilitée à recevoir une notification ne constitue qu’une irrégularité pour vice de forme et ne peut priver cette notification de ses effets que si celui qui l’invoque prouve que cette irrégularité lui cause un grief.

En l’espèce, la coopérative n’établit, ni même ne prétend qu’elle a ainsi subi un grief du fait de cette erreur.

Or, les formes requises pour la notification du retrait d’un coopérateur visent nécessairement à l’information en temps utile, de l’organe dirigeant de la coopérative , de cette décision.

En l’espèce, outre que le directoire a pour rôle la gestion et l’administration de l’entreprise et qu’il est de ce fait au plus près du fonctionnement de l’entreprise, il ressort d’un courriel adressé par la dirigeante de l’EARL [Localité 4], le 4 octobre 2019, à [Z] [W], membre du directoire de la coopérative , avec notamment copie à la présidente du conseil de surveillance, qu’un entretien avec les dirigeants de la coopérative a eu lieu dès le 1er octobre 2019 concernant son retrait et la récolte 2019.

De ce fait, la coopérative , qui a été très rapidement informée de la décision de la défenderesse ne justifie pas d’un grief, et ne peut prétendre, de ce fait, à l’absence d’effet de la décision de retrait du 26 septembre 2019.

La décision de retrait notifiée par l’E.A.R.L. [Adresse 5] à la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera, en conséquence considérée comme régulière.

De ce fait, il apparaît que l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’est plus associée de la coopérative depuis le 31 décembre 2019.

En conséquence, il convient de débouter la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à lui remettre ses récoltes 2020, 2021 et 2022.

Sur l’obligation de l’E.A.R.L. [Localité 4] d’apporter sa récolte 2019 à la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

Par contrat du 15 juin 2014, l’E.U.R. L. [Adresse 5] a repris l’exploitation viticole de [L] [F] ainsi que les parts sociales de la coopérative dont celui-ci était propriétaire.

Le conseil d’administration de la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» a approuvé la cession des parts sociale le 24 juin 2014 et il a été remis à sa dirigeante un  » document unique récapitulatif  » fixant la fin de son engagement renouvelable  » au terme de l’année civile 2019 « .

Il a été rappelé ci-dessus que la durée initiale de l’engagement est fixée à cinq exercices consécutifs, renouvelable par tacite reconduction et qu’à chaque fin de période le coopérateur peut décider de se retirer de la coopérative dans les conditions et formes prévues à l’article 11.3 précité.

En l’absence de précision dans les statuts et les différents documents produits par la coopérative quant au nombre de récolte devant être cédées à la coopérative au cours d’un engagement quinquennal et du sort de la récolte de l’année du retrait, il doit être considéré qu’un coopérateur est tenu d’apporter cinq récoltes pendant cette période de cinq ans.

Au titre de cet engagement de 2014 à 2019, l’E.U.R. L. [Adresse 5] a apporté cinq récoltes à la coopérative :

– – La récolte 2014 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 12 février 2015,

– La récolte 2015 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 1er février 2016,

– La récolte 2016 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 19 février 2017,

– La récolte 2017 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 15 janvier 2018,

– La récolte 2018 en exécution de la réservation faite par la coopérative le 14 janvier 2019.

Il apparaît, en conséquence que l’E.U.R. L. [Localité 4] a rempli son engagement.

En effet, prétendre que l’E.U.R.L. [Adresse 5] devait apporter la récolte 2019, c’est prétendre que pour un engagement portant sur cinq exercices, elle devrait apporter six récoltes, ce qui n’est pas prévu et contraire aux statuts.

Par ailleurs, il apparait au vu des différents documents produits que, chaque année, la coopérative réserve auprès de chaque coopérateur la quantité de vin qu’elle souhaite acquérir. Au vu de la notification de cette réservation au coopérateur , celui-ci a alors l’obligation de la lui transférer.

La coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»ne saurait valablement soutenir que la récolte 2019 lui est due dans la mesure où elle a réservé cette récolte en 2019 et que de ce fait, conformément au règlement intérieur, la défenderesse avait l’obligation de la lui transférer.

En effet, il est établi par l’E.U.R.L. [Adresse 5] et non contesté que, depuis 1986, chaque année, la récolte a été cédée à la coopérative l’année suivante et plus précisément depuis 2014, comme mentionné ci-dessus, les réservations se sont faites en janvier ou février de l’année suivant la récolte.

Le fait qu’en 2019 la réservation de la récolte de cette année-là ait été exceptionnellement effectuée en décembre 2019, contrairement au fonctionnement habituel de la coopérative et, en conséquence, de nature à assurer le transfert de propriété cette même année, ne peut donc s’analyser que comme une manœuvre destinée artificiellement à contraindre la défenderesse à lui transférer cette récolte.

Or, il apparaît de toute évidence que le transfert de la récolte de l’année de retrait ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre des statuts.

En effet, les statuts consacrent le principe selon lequel, au terme de son engagement quinquennal, un coopérateur peut choisir de reprendre sa complète liberté et indépendance, en se retirant de la coopérative .

Dans la mesure où, dans le cadre de cet engagement, le vin issu d’une récolte n’appartient plus au coopérateur à partir de la notification de sa réservation par la coopérative et que celle-ci a alors, seule, le droit de décision et de contrôle quant au suivi du vin, à son embouteillage, son stockage et sa commercialisation, imposer au coopérateur de remettre à la coopérative la récolte de l’année du retrait, c’est le priver de toute indépendance économique et technique sur l’année correspondant à cette récolte et sur l’année suivante, ce qui est antinomique avec le principe ci-dessus rappelé.

En l’espèce, les conséquences de cette remise sur l’entreprise concernée pourraient être aggravées du fait des nombreux problèmes de suivi de ses vins dont elle se plaint depuis plusieurs années et en raison des relations très conflictuelles entre les parties.

Pour tous les motifs ci-dessus énoncés, il ne peut être considéré, faute de précision contraire dans les documents contractuels, que le coopérateur qui se retire de la coopérative est tenu d’apporter la production qu’il a récoltée l’année de ce retrait.

Il convient, en conséquence, de dire que l’engagement quinquennal de l’E.U.R.L. [Localité 4] ayant débuté en 2014 pour se terminer en 2019 n’emportait pas l’obligation d’apporter à la coopérative la récolte 2019 et il convient de débouter la coopérative de sa demande en ce sens.

Sur les demandes visant à voir déclarer nulles certaines conclusions de l’expert judiciaire

L’E.U.R.L. [Adresse 5] demande au tribunal de :

– Déclarer que les conclusions de l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 relatives à la détermination de l’impossibilité d’écouler le stock de matières sèches réservées à la gamme de vins de l’E.A.R.L. [Localité 4] et de l’indemnité compensatrice de déclassement des vins de l’E.A.R.L. [Adresse 5] sont nulles,

– Déclarer que l’application par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 du triple du taux d’intérêt légal pour le calcul des intérêts moratoires courant sur les sommes prétendument dues par l’E.A.R.L. [Localité 4] est nulle et que le taux d’intérêt légal est applicable en l’espèce,

– Déclarer que les compensations opérées par l’expert judiciaire dans son rapport final du 8 mars 2022 sont nulles.

Ces demandes ne peuvent être considérées que comme des moyens et non des prétentions sur lesquelles le juge doit se prononcer au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

Il n’y a donc pas lieu à statuer sur ces demandes en tant que telles. Il en sera seulement tenu compte dans la résolution du litige opposant les parties.

Sur les demandes d’indemnisation de la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»

En refusant d’apporter sa récolte 2019, l’E.U.R.L. [Adresse 5] n’a pas commis de faute. En conséquence la coopérative «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera déboutée de sa demande de voir condamner la défenderesse à lui verser la somme de 402.996,96 € au titre de la participation aux frais fixes de la coopérative prévue aux statuts en cas de retrait irrégulier.

De même, elle sera déboutée de sa demande d’indemnisation au titre des matières sèches au motif qu’une partie de ces matières a été utilisée par elle et surtout qu’elle ne peut reprocher à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une mauvaise gestion du stock qui lui incombe, le retrait de cette dernière devant être pris en compte et même anticipé.

En ce qui concerne l’indemnisation du préjudice qu’aurait subi les VRP, il ne peut davantage être mis à la charge de l’E.U.R.L. [Localité 4] en raison d’une absence de comportement fautif de l’EURL, précision étant faite que l’expert n’a pas trouvé trace d’indemnités qui leur auraient été versées contrairement à ce que prétend la coopérative .

Par ailleurs, la coopérative demande l’allocation d’une somme de 11 835 € au motif que, compte-tenu de l’interdiction faite par la défenderesse d’utiliser la marque« Pampelonne» à partir du 1er janvier 2020, elle était dans l’impossibilité de commercialiser le vin rouge 2018 produit par cette dernière.

Cependant le procès-verbal du conseil de surveillance du 25 novembre 2019 établit que l’E.U.R.L. [Adresse 5] avait proposé de reprendre ce vin. La coopérative ne démontre pas que cette proposition n’a pu être suivie d’effet du fait de la défenderesse.

Elle ne peut en conséquence se plaindre d’un préjudice et sera déboutée de cette demande.

II – LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE L’E.U.R.L. [Localité 4]

Sur la demande de remboursement des parts sociales de la coopérative détenues par l’E.U.R.L. [Adresse 5]

L’E.U.R.L. [Localité 4] détient 850 parts sociales d’activité d’une valeur de 13 600 € et 474 parts sociales d’épargne d’une valeur de 7 584 €.

Selon l’article 20.2 des statuts de la coopérative «ces parts sociales donnent lieu également à remboursement en cas de démission du coopérateur à l’expiration normale de sa période d’engagement dans les conditions prévues à l’article 11, paragraphe 3, ci-dessus»

L’article 20.4 prévoit que le remboursement de ces différentes parts s’effectue à leur valeur nominale.

Il apparaît que la coopérative ne s’oppose pas au remboursement de ces parts pour le montant sollicité.

Il sera en conséquence fait droit à cette demande.

Sur la demande de remboursement des ristournes au titre des récoltes 2016, 2017 et 2018

L’article 48-3 des statuts de la coopérative dispose que «la provision pour ristournes éventuelles (est) répartie entre les associés coopérateurs… au prorata des opérations effectuées par chacun d’eux au titre de l’exercice au cours duquel elle a été constituée».

Il apparaît que des ristournes ont été accordées aux coopérateurs pour les récoltes 2016, 2017 et 2018.

Selon le rapport d’expertise, il est dû à ce titre à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une somme totale de 57 106 € HT, soit 68 527 € TTC, se décomposant de la façon suivante : 10 264 € HT au titre de la récolte 2016, 27 852 € HT au titre de la récolte 2017 et 18 990 € HT au titre de la récolte 2018.

La coopérative «reconnaît qu'(elle) doit à l’EARL la somme de 67 016 € au titre des ristournes».

Cette somme correspond à sa facture d’auto-facturation du 28 juillet 2020 mais elle ne s’explique pas sur la différence existant avec les conclusions de l’expert et cette dernière mentionne dans son rapport qu’elle n’a pas produit les documents qu’elle sollicitait pour justifier de quantités de vin inférieures alors qu’elle-même s’est rapportée aux bons de réservation.

Dans ces conditions, c’est le calcul opéré par l’expert qui doit être retenu et il sera fait droit à la demande de l’E.U.R.L. [Localité 4] de voir condamner la coopérative à lui payer la somme de 68 527 € TTC en principal.

Par ailleurs, l’assemblée générale de la coopérative a voté ces ristournes lors de l’assemblée générale du 9 juillet 2020 et a prévu leur libération effective avec le règlement du solde de la récolte 2020.

L’assemblée générale du 10 juin 2022 qui a statué sur les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2021 a rendu ces ristournes exigibles.

En conséquence, la coopérative sera condamnée à payer la somme de 68 527 € TTC avec intérêts égal à trois fois le taux légal conformément à la mention apposée sur sa facture, outre une somme forfaitaire de 40 € au titre des frais de recouvrement, somme également mentionnée sur l’auto-facture.

Sur la demande de paiement du complément de prix et de remboursement de taxes sur la récolte 2018

La coopérative a accordé à l’E.U.R.L. [Adresse 5] un complément de prix sur ses apports en AOP Côte de Provence qu’elle a formalisé par une auto-facture établie le 24 juillet 2020 pour un montant de 61 881,42 € payable 45 jours fin de mois.

A la même date et dans les mêmes conditions, elle a émis une auto-facture de 4 375,45 € pour le remboursement des taxes à hauteur de 50 % sur cette récolte

Ces sommes ne sont pas contestées par la coopérative .

Il convient par ailleurs d’assortir ces sommes d’intérêts égaux à trois fois l’intérêt légal à compter du 30 septembre 2020 et d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 € pour chacune d’elle conformément aux mentions portées sur les auto-factures.

Sur les demandes de réparation de son préjudice moral et économique formée par l’E.U.R.L. [Localité 4]

L’E.U.R.L. [Adresse 5] sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 € au titre du préjudice moral et 76 725 € HT au titre de son préjudice économique.

1) Le préjudice moral

Il apparaît que la coopérative , vu le manque de précision des statuts qui lui est toutefois imputable, pouvait être convaincue que la récolte 2019 lui était due et que du fait de l’absence d’apport de cette récolte elle subissait un préjudice.

Cependant, dès le 4 octobre 2019, elle a menacé l’E.U.R.L. [Localité 4] de «procédures violentes» et de contraintes «dont on ne peut même pas estimer la portée.»

Ces menaces vont au-delà d’une simple protection de ses droits.

Par ailleurs, la coopérative a retenu divers paiements dus sur la récolte 2018, ainsi que divers compléments de prix sur les récoltes passées, sans doute pour garantir ce qu’elle considérait comme ses droits ainsi qu’il résulte du courrier de la coopérative du 21 mars 2022 dans lequel elle indique «vous savez être débiteur à notre encontre de sommes bien supérieures» à la demande qui lui était formulée, ce qui n’établit pas en soi une intention de nuire.

Cependant, par ordonnance du 16 septembre 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN a condamné l’E.U.R.L. [Adresse 5] à payer à la coopérative une somme provisionnelle de 396.133,61 € au titre de la participation à ses frais fixes qu’elle sollicitait du fait de l’absence d’apport de la récolte 2019.

Par une autre ordonnance rendue à la même date, le même juge a condamné la coopérative à payer à l’E.U.R.L. [Localité 4] la somme provisionnelle de 211.454,10 €.

La coopérative a notifié le 15 octobre 2020 à l’E.U.R.L. [Adresse 5] l’ordonnance dont elle était bénéficiaire.

Dès le 16 octobre 2020, elle a procédé à une saisie-attribution entre ses propres mains pour une somme de 396.133,61 €.

De son côté, l’E.U.R.L. [Localité 4] entendant procéder au paiement auquel elle avait été condamnée par compensation entre les deux décisions rendues par le juge des référé, ainsi que par compensation avec deux factures dont il a été vu précédemment qu’elles lui étaient bien dues et dont la coopérative ne contestait pas être débitrice : la facture de complément de prix sur la récolte 2018 d’un montant de 63.208,83 € et la facture de 50 % des taxes sur cette récolte pour un montant de 4.374,05 €, a versé à la coopérative , le 28 octobre 2020 le complément par virement, soit la somme de 113.975,75 €.

Par jugement du 27 juillet 2021 le juge de l’exécution a ordonné la main levée de la saisie attribution diligentée le 15 octobre 2020 au motif que cette saisie exécutée dès le lendemain de la signification de l’ordonnance de référé la déclarant créancière d’une somme de 211.454,10 €, sans commandement de payer préalable exposant les sommes précises réclamées, alors même que la coopérative avait souhaité devant le juge des référés une compensation entre les deux ordonnances rendues le même jour et que si les deux factures de 63.208,83 € et 4.374,05 € ne pouvaient bénéficier de la compensation légale, leur existence, qui n’était pas contestée, était indéniablement de nature à justifier l’établissement d’un décompte préalable des sommes dues entre les parties avant toute mesure d’exécution forcée, était abusive.

Par arrêt du 7 décembre 2021, la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE a infirmé l’ordonnance du 16 septembre 2019 en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par la coopérative en raison de contestations sérieuses du caractère fautif du refus de l’E.U.R.L. [Adresse 5] d’apporter sa récolte 2019 et subséquemment de la créance de la coopérative .

Malgré cette décision mettant pourtant à mal ses certitudes sur ses droits, la coopérative n’a versé à la défenderesse, le 21 janvier 2022, que le montant de la condamnation prononcée à son encontre par le juge des référés dans sa seconde ordonnance, soit 211.454,10 €.

L’E.U.R.L. [Localité 4] a donc dû procéder à des saisies-attribution pour recouvrer la somme de 113.975,75 € qui devait lui être remboursée après la décision de la Cour d’Appel.

Cette résistance, qui dépasse la simple sauvegarde de ses droits est abusive.

La coopérative a ensuite fait procéder, le 12 mai 2020, par ordonnance sur requête rendue par le juge de l’exécution de DRAGUIGNAN, dans les locaux de l’E.U.R.L. [Adresse 5] à la saisie conservatoire de 1 300 hectolitres de vin de la récolte 2019.

Par jugement du 16 juin 2020, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN a ordonné la rétraction de l’ordonnance ayant autorisée la saisie motivant ainsi qu’il suit sa décision «en choisissant de pratiquer une saisie rendant indisponible une quantité de 1300 hectolitres sur une récolte de 2184 hectolitres sans avoir tenté au préalable une saisie des avoirs plus liquides comme les comptes bancaires, la société coopérative a fait le choix de réduire fortement l’activité commerciale de l’EARL en lui interdisant de commercialiser une partie de sa récolte dans le but de la sanctionner pour avoir refusé de la livrer…Il ressort de ces éléments que le choix de saisir une grande partie de sa récolte procède d’une volonté de nuire à l’EARL pour l’empêcher de commercialiser elle-même la récolte de 2019 dont la société coopérative agricole affirme qu’elle lui revenait de droit plutôt que d’une volonté de se procurer une garantie pour conserver sa créance. La saisie pratiquée, qui plus est sans justifier d’une menace réelle sur le recouvrement est donc abusive.

La mesure pratiquée qui est intervenue par surcroît à une période de reprise d’activité où il serait nécessaire pour l’EARL de disposer de la totalité de sa récolte pour une commercialisation rapide et dans un but vexatoire et de représailles, a causé à cette société à associé unique un préjudice moral qu’il convient de réparer par l’octroi d’une somme de 10 000 €».

A travers l’ensemble de ces procédures, la coopérative a procédé à un véritable harcèlement de l’EURL qui n’a pas cessé après la décision de la Cour d’Appel qui a pourtant dit que ses prétentions étaient sérieusement contestables, démontrant ainsi une véritable intention de lui nuire, allant bien au-delà de la sauvegarde de ses droits, qui a causé à cette dernière un indiscutable préjudice moral.

De ce fait, il sera fait droit à la demande de l’E.U.R.L. [Localité 4] et il lui sera alloué une somme de 20 000 € en réparation de ce préjudice.

b) Le préjudice économique

L’E.U.R.L. [Adresse 5] soutien que «dès lors que (la juridiction de céans) jugera que (la coopérative ) a violé ses obligations contractuelles à l’encontre de son ancienne associée, le principe de la réparation intégrale du dommage commande d’allouer à l’EARL des dommages-intérêts pour compenser l’entièreté du préjudice qu’elle subit, qui inclut nécessairement les frais de défense qu’elle a été contrainte d’exposer».

Elle sollicite en conséquence une somme de 41.525 € HT pour les procédures devant le juge de l’exécution de DRAGUIGNAN et celle de 35.200 € HT pour les procédures de référé et joint une attestation d’honoraires.

Cependant, ces frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l’article 700 Code de procédure civile, lequel devait donc être sollicité devant chacune des juridictions ayant eu à statuer.

De ce fait, cette demande sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» qui succombe dans l’ensemble de ses demandes sera condamnée aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise conformément aux dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.

De ce fait elle sera également condamnée à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile que le tribunal fixe à la somme de 50.000 € eu égard à la complexité de la procédure.

La société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» sera, en revanche déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience civile, après débats publics, par jugement contradictoire par mise à disposition au greffe, en premier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Rejette la demande de rabat de l’ordonnance de clôture formée par la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ»,

Dit que la décision de retrait notifiée par l’E.A.R.L. [Adresse 5] à la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» le 26 septembre 2019 est régulière,

Dit que l’E.A.R.L. [Adresse 5] n’est plus associée de la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» depuis le 31 décembre 2019,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.A.R.L. [Adresse 5] à lui remettre ses récoltes des années 2020, 2021 et 2022,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui apporter sa récolte de l’année 2019,

Dit qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les demandes de l’E.A.R.L. [Localité 4] visant à voir déclarer nulles certaines conclusions de l’expert judiciaire,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui verser la somme de 402 996,96 € au titre d’une participation aux frais fixes de la coopérative ,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande de voir condamner l’E.U.R.L. [Adresse 5] à lui payer la somme de 195 764,97 € au titre d’un préjudice économique,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 21 184 € en remboursement de ses parts sociales d’activité et de ses parts sociales d’épargne détenues dans le capital de la coopérative ,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 68 527 € en règlement des ristournes qu’elle lui a consenties sur les récoltes 2016, 2017 et 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 63 200,10 € au titre du complément de prix dû sur la récolte 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 4 373,45 € au titre de l’auto-facturation n°30/20 du 24 juillet 2020 au titre d’un remboursement de taxes sur la récolte de l’année 2018, assortie d’intérêts au triple du taux de l’intérêt légal, à compter du 11 juin 2022, outre la somme de 40 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral,

Déboute l’E.U.R.L. [Localité 4] de sa demande au titre d’un préjudice financier,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» à payer à l’E.U.R.L. [Adresse 5] la somme de 50 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Déboute la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société coopérative agricole «LES MAITRES VIGNERONS DE LA PRESQU’ILE DE SAINT TROPEZ» aux entiers dépens de la présente instance.

Tribunal judiciaire, Draguignan, 1re chambre, 11 Septembre 2024 – n° 22/01623

PLANS DE CAMPAGNE DITS ILLEGAUX : ANNULATION DU TITRE DE RECETTES

Par un arrêt avant dire droit n° 22NT00179 du 1er juillet 2022, la cour a, avant de statuer sur la requête de la Société coopérative agricole (SCA)  » Les Vergers d’Anjou  » ordonné une expertise afin de déterminer, après examen de l’ensemble des pièces détenues par la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , si ces pièces permettent d’identifier, et dans quelle mesure, les personnes ou entreprises, destinataires finaux, des aides perçues au titre des  » plans de campagne  » entre 1998 et 2002.

L’expert a remis son rapport le 4 décembre 2023.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 février 2024 et 17 mai 2024, la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , représentée par Me Berkani, maintient les conclusions de sa requête d’appel par lesquelles elle demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis le 25 juin 2018 par le directeur général de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) en vue d’obtenir le remboursement de la somme de 3 705 767,46 euros correspondant à un montant global d’aides versées dans le cadre du  » programme Plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, augmenté des intérêts moratoires et à la décharge de cette somme ;

2°) d’annuler le titre de recettes émis le 25 juin 2018 ;

3°) de la décharger de la somme de 3 705 767,46 euros que le titre de recettes a pour objet de recouvrer ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– l’expert a confirmé les difficultés d’ordre matériel qu’elle avait mises en avant pour retrouver l’intégralité des archives susceptibles d’attester des flux financiers afférents au versement des aides  » Plans de campagne  » aux producteurs en raison notamment de la très grande ancienneté du versement des aides, de la disparition de l’Union des Vergers de France par laquelle les aides ont transité, et de la disparition des archives de l’Union des documents relatifs à l’exercice 1998-1999 ;

– l’expert a en outre relevé les difficultés d’ordre comptable liées à l’asymétrie des dates de clôture des exercices comptables et au versement échelonné des aides ;

– ces difficultés doivent être prises en considération au stade de l’identification des bénéficiaires finaux des aides et du montant dont chacun a pu bénéficier ;

– en dépit de ces difficultés, les conclusions de l’expert confirment que les producteurs membres de la SCA Les Vergers d’Anjou ont bien été les destinataires finaux des aides :

o bien que le montant reversé à chaque producteur n’ait pu être  » attesté  » par l’expert comptablement à défaut de mention explicite sur les bordereaux de règlement du montant des aides incluses dans les sommes versées à chaque producteur, l’expert a conclu que les éléments produits étaient de nature à permettre de comprendre le cheminement des aides issues des  » plans de campagne  » depuis l’ONIFHLOR jusqu’aux producteurs via le comité économique agricole du Val de Loire, l’Union des vergers de France et la SCA ;

o en vertu de la jurisprudence de la CJUE, l’aide illégalement accordée ne peut être récupérée auprès de l’organisation de producteurs que si l’Etat établit que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été versée à ces derniers ;

o l’identification des producteurs qui ont bénéficié des aides issues des  » plans de campagne  » et du montant qu’ils ont perçu s’effectue de manière pragmatique et l’utilisation d’une méthode de calcul peut être admise, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, dès lors que le producteur est présumé être le destinataire final des aides ;

– dès lors qu’elle n’est pas la bénéficiaire finale des aides dont la restitution est réclamée par le titre litigieux, ce titre méconnaît le droit européen tel qu’interprété par la CJUE ;

– les conclusions de l’expert révèlent l’absence de justification des sommes réclamées par FranceAgriMer.

Par des mémoires, enregistrés les 28 mars 2024 et 24 mai 2024, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête de la SCA  » Les Vergers d’Anjou  » et à ce qu’il soit mis à la charge de cette société une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l’expertise n’a pas permis d’établir que la SCA Les Vergers d’Anjou a effectivement versé les fonds aux producteurs, dès lors que la SCA a procédé à une reconstitution théorique, réalisée à partir d’une règle de trois.

Vu :

– les autres pièces du dossier ;

– l’ ordonnance du 4 janvier 2024 , par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais de l’expertise réalisée par M. A… à la somme de 8 853,94 euros toutes taxes comprises.

Vu :

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– le règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D portant modalités d’application de l’ article 93 du traité CE A61DBBD8B146A7526679B0B4F47C9163 ;

– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 8D97F606DDD05BB17DF0F493C29A4705 concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 du Conseil 101A8D710D8A8CCB22827C573218C02D ;

– la décision n° 2009/402/CE de la Commission du 28 janvier 2009 99A73B968F65CC22A362FE27CD50415D relative aux aides dites  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France ;

– l’arrêt C-277/00 du 29 avril 2004 de la Cour de justice de l’Union européenne ;

– le code de commerce ;

– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 BE71313B3E61C870AE3C669452A7AE85 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Lellouch,

– les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

– et les observations de Me Sanguinette, substituant Me Berkani, représentant la SCA  » Les Vergers d’Anjou « , et de Me Alibert, représentant l’établissement FranceAgriMer.

Considérant ce qui suit :

1. L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l’établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), a mis en place, entre 1998 et 2002, un soutien financier en faveur des producteurs français de fruits et légumes frais, pour faciliter la commercialisation des produits agricoles concernés. Les aides dites  » plans de campagne  » étaient versées par l’ONIFLHOR à des comités économiques agricoles qui les reversaient ensuite aux organisations de producteurs, lesquelles les distribuaient en dernier lieu à leurs membres. Saisie d’une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les  » plans de campagne  » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l’écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d’Etat instituées en méconnaissance du droit de l’Union européenne et a prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2012, France c/ Commission (T-139/09) et Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom) c/ Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l’administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de fruits et légumes. A ce titre, FranceAgriMer a émis le 25 juin 2018 à l’encontre de la société coopérative agricole (SCA) « Les Vergers d’Anjou » un titre de recettes d’un montant de 3 705 767,46 euros correspondant aux aides qui lui ont été versées dans le cadre des  » plans de campagne  » au titre des années 1998 à 2002, assorties des intérêts. La SCA  » Les Vergers d’Anjou  » relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce titre de recette et à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer la somme mise à sa charge par le titre exécutoire.

Sur le bien-fondé de la créance :

2. Aux termes du point 48 de la décision du 28 janvier 2009 de la Commission européenne du 28 janvier 2009 citée au point 1 :  » (…) il résulte aussi des explications données par le FEDECOM et non contestées par les autorités françaises que les fonds utilisés dans le cadre des plans de campagne ont été dans un premier temps répartis par les comités économiques agricoles entre les organisations de producteurs, qui avaient adhéré à l’initiative des plans de campagne et payé les parts professionnelles, le bénéfice de ces aides étant transféré ensuite aux producteurs par les organisations professionnelles « . Aux termes, toutefois, du point 49 de cette même décision :  » (…) il ne peut être exclu, dans certains cas exceptionnels, que le bénéfice de l’aide n’ait pas été transféré par l’organisation de producteurs à ses membres, de sorte que, dans ces cas très particuliers, le bénéficiaire final de l’aide sera l’organisation de producteurs « . La Commission européenne conclut au point 84 de sa décision que :  » L’aide doit être récupérée auprès des bénéficiaires de l’aide. Comme indiqué plus haut, les bénéficiaires finaux de l’aide sont en principe les producteurs membres des organisations professionnelles qui ont participé aux plans de campagne. Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible que le bénéfice de l’aide ne leur ait pas été transféré par l’organisation de producteurs. La récupération de l’aide doit donc s’effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l’État membre pourra démontrer que l’aide ne leur a pas été transférée par l’organisation de producteurs, auquel cas la récupération s’effectuera auprès de cette dernière « . Et il résulte du point 85 que les Etats ne peuvent procéder à la récupération des aides illégales auprès des organisations professionnelles sans chercher à démontrer que ces organisations professionnelles auraient répercuté cette récupération sur les producteurs individuels ou, alternativement, que l’aide n’aurait pas, exceptionnellement, été transférée à ces derniers.

3. Il résulte du point précédant qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend récupérer les aides en litige, non auprès des producteurs membres d’une organisation de producteurs, mais de l’organisation de producteurs elle-même, de démontrer que les aides n’ont pas été transférées par celle-ci à ces producteurs mais conservées par elle. Cette règle en vertu de laquelle la charge de la preuve de la conservation des aides par l’organisation de producteurs pèse sur l’autorité administrative doit être combinée avec celle suivant laquelle s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Or, pour que l’autorité administrative soit susceptible de déterminer l’identité de la personne ayant bénéficié des montants d’aides, il importe qu’elle dispose de données, qui ne peuvent lui être fournies que par la SCA Les Vergers d’Anjou en sa qualité d’organisme venant aux droits et obligations de l’Union Les Vergers de France.

4. Il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise, que les aides aux exportations lointaines, issues des plans de campagne 1998 à 2002, versées par l’ONIFLHOR, transitaient par le Comité économique du Val de Loire, qui reversait les fonds à trois organisations de producteurs, dont la SCA Les Vergers d’Anjou, lesquelles les reversaient à leur tour intégralement à l’Union des Vergers de France, chargée notamment de mettre en œuvre des actions commerciales en faveur des producteurs, financées notamment par les fonds des plans de campagne. En 2008, l’Union commerciale Les Vergers de France a été dissoute sans liquidation, entraînant la transmission universelle de son patrimoine à la SCA Les Vergers d’Anjou, qui en était à cette date la seule associée.

5. La SCA Les Vergers d’Anjou fait valoir qu’une fois les opérations commerciales réalisées, l’Union des Vergers de France restituait les aides aux producteurs, grâce aux marges dégagées par ces opérations, et sous forme de complément de prix du règlement des ventes en fonction de la part que leurs productions représentaient dans la commercialisation, par l’intermédiaire des organisations de producteurs membres de l’Union. Au soutien de ces allégations, la SCA Les Vergers d’Anjou a produit, pour la première fois en appel, quatre tableaux qu’elle a établis à partir des données dont elle disposait, dans lesquels elle a reconstitué les aides indirectement versées aux producteurs dans le cadre du programme  » plans de campagnes  » au titre des exercices 1999-2000, 2000-2001, 2001-2002 et 2002-2003, pour un montant total de 1 405 848,93 euros. La SCA a ainsi identifié, pour chacun de ces quatre exercices comptables, les producteurs individuels bénéficiaires en indiquant précisément, par producteur nommément identifié, le montant de l’aide qui leur a été chacun reversé en fonction de la quantité de fruits qu’ils avaient eux-mêmes apportés. Il résulte de l’expertise ordonnée avant dire droit qu’il s’agit d’une reconstitution théorique du cheminement des aides intégrées dans les prix de vente unitaires sur les bordereaux de règlement, qui ne font cependant pas explicitement mention du montant de l’aide ainsi reversée. Bien que l’expert ait indiqué qu’il n’avait pas les moyens de vérifier l’origine des informations contenues dans ces tableaux, sauf à les rapprocher de tous les bons de calibrage, ce qu’il n’a pas estimé possible de faire, il a toutefois, pour chacun des quatre exercices concernés, et en s’appuyant à chaque fois sur un exemple de variété de pomme, détaillé le circuit de ces aides. Si l’expert judiciaire n’a pas été en mesure, à défaut de flux financiers matérialisés ou directement identifiables, de vérifier la réalité du reversement individualisé aux producteurs des sommes figurant sur les tableaux, il a toutefois attesté de l’existence, constatée par huissier de justice, des documents qui ont servi à les élaborer et a pu observer qu’il existait une méthode de calcul de prix définitifs aux organisations de producteurs et aux producteurs individuels qui tenait compte des aides de campagne, en s’appuyant notamment sur les extraits de procès-verbaux du conseil d’administration de la SCA Les Vergers d’Anjou produits par cette dernière. Au terme de l’analyse approfondie à laquelle il s’est livré, l’expert n’a pas remis en cause le fait que les aides ont bien été reversées aux producteurs en complément du prix de vente des fruits. Il a conclu son rapport en confirmant l’existence d’un calcul intégrant les aides issues des plans de campagne dans le prix de règlement des ventes aux producteurs individuels et en a déduit que  » cette méthode appliquée pour déterminer les prix de vente tend à démontrer que les aides étaient indirectement restituées aux producteurs adhérents de l’Union « . Au regard de l’ensemble de ces éléments, en se bornant à relever qu’aucun document comptable ne retrace les flux financiers des aides, FranceAgriMer ne peut être regardée comme renversant la présomption de perception par les producteurs finaux, que la SCA a précisément identifiés, des aides illégalement versées. FranceAgriMer ne peut ainsi être regardée comme apportant la preuve que les aides n’auraient pas été reversées aux producteurs individuels identifiés dans les tableaux au titre des quatre exercices mentionnés ci-dessus et à hauteur des sommes qui y sont indiquées par la SCA requérante, correspondant à un montant total de 1 405 848,93 euros.

6. En revanche, compte tenu de la disparition des archives de l’Union des Vergers de France des documents relatifs à l’exercice 1998-1999, il est constant que la SCA Les Vergers d’Anjou n’a pas été en mesure d’identifier les producteurs individuels bénéficiaires des aides versées dans le cadre du programme des plans de campagne au titre de cette période. Pour cette période, et en application des principes rappelés au point 3, FranceAgriMer pouvait estimer que les aides d’Etat n’avaient pas été transférées aux producteurs et que la SCA Les Vergers d’Anjou, qui s’est vu transmettre l’ensemble du patrimoine de l’Union des Vergers de France, devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des aides illégales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Les Vergers d’Anjou est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à son encontre en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance et à ce qu’elle soit déchargée de la somme correspondante.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :  » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens « .

9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l’essentiel, la somme de 8 853,84 euros toutes taxes comprises au titre des frais d’expertise.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCA Les Vergers d’Anjou, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que FranceAgriMer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCA Les Vergers d’Anjou et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le titre de recettes émis par FranceAgriMer le 25 juin 2018 à l’encontre de la SCA Les Vergers d’Anjou est annulé en tant qu’il porte sur une créance de 1 405 848,93 euros en droits et sur les pénalités afférentes à cette créance.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 18 novembre 2021 est annulé en ce qu’il est contraire à l’article 1er.

Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de FranceAgriMer pour un montant de 8 853,84 euros toutes taxes comprises.

Article 4 :FranceAgriMer versera à la SCA Les Vergers d’Anjou une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 :Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 :Le présent arrêt sera notifié à la Société coopérative agricole Les Vergers d’Anjou, à l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cour administrative d’appel Nantes 3e chambre 28 Juin 2024 Numéro de requête : 22NT00179

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

03/07/2024

Clara LAVIELLE
Rédactrice en chef de la revue Droit des sociétés

Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le régime de la renonciation

L’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant la renonciation à la revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Par ailleurs, la renonciation faite lors de l’apport effectué à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.

Aux termes des statuts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), l’épouse commune en biens de l’un des deux fondateurs du groupement « déclare avoir été avertie de l’intention de son époux de faire apport de biens de communauté […], consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d’associé du GAEC », et « ne requiert pas la qualité d’associé ».

Suivant un procès-verbal d’une assemblée générale, cette épouse a été agréée, à sa demande, en qualité d’associée à concurrence de la moitié des parts dépendance de la communauté de biens existant entre elle et son époux. Lors de deux assemblées générales postérieures à cet agrément, l’existence du GAEC a été prorogée et les comptes approuvés. L’époux et co-fondateur du groupement a assigné ce dernier en annulation de ces assemblées.

Par un arrêt du 4 mars 2022, la cour d’appel d’Amiens a jugé que l’épouse du co-fondateur du GAEC n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé du groupement et, partant, a déclaré nulles et de nul effet les assemblées générales, constaté la dissolution du groupement et ordonné sa liquidation conformément aux statuts (CA Amiens, 4 mars 2022, n°19/00756).

Par cet arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, sauf en ce qu’il a reconnu recevable la demande formée par le co-fondateur du groupement.

En premier lieu, elle valide le raisonnement de la cour d’appel s’agissant de l’interprétation des deux clauses statutaires litigeuses, jugeant que bien qu’elles ne fassent pas mention de l’article 1832-2 du Code civil, elles établissent que l’épouse du coassocié a « renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d’associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». Elle rappelle ainsi, d’une part, qu’un conjoint peut renoncer à revendiquer la qualité d’associé et, d’autre part, que cette renonciation présente un caractère définitif (Cass. com. 12 janv. 1993, n° 90-21.126). Mais, plus que cela, elle précise également que l’absence de mention de l’article 1832-2 du Code civil dans la disposition statutaire abritant l’absence de revendication de la qualité d’associé n’empêche pas de reconnaître une telle renonciation sur le fondement de ce texte, dès lors que la renonciation est claire et sans réserve. Cette souplesse dans l’interprétation de la renonciation à la revendication de la qualité d’associé, favorisant l’esprit plutôt que la lettre des dispositions statutaires y afférentes, se situe dans le droit fil d’un arrêt du 21 septembre 2022 ayant reconnu la validité d’unerenonciation tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer (Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26.203).

En second lieu, contrairement à la cour d’appel, la Haute Juridiction juge qu’il résulte de l’ancien article 1134 du Code civil – qui constitue, pour rappel, le siège de la force obligatoire du contrat reprise aujourd’hui à l’article 1103 du même code – que « la renonciation par l’époux à sa qualité d’associé lors de l’apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l’unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité ». Partant, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur les seules dispositions statutaires afférentes à cette renonciation pour dire que l’épouse du co-fondateur du groupement n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé et que l’assemblée l’ayant agréée est nulle ; il convenait qu’elle recherche si les deux associés n’avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à son entrée dans le groupement. S’il était déjà acquis que « renoncer à la revendication […] n’équivaut pas nécessairement à abandonner définitivement la possibilité d’entrer dans la société » (Cl. Farge, N. Jullian, N. Kilgus et R. Mortier, « Parts sociales non négociables : les dangers de l’article 1832-2 du Code civil » : JCP N n° 43, 2022, 1244), puisque celui qui a renoncé à revendiquer la qualité d’associé peut la réclamer « à l’occasion d’un autre apport ou d’une autre acquisition opérée ultérieurement à raison des parts nouvelles souscrites ou acquises [avec], éventuellement […], l’agrément des coassociés dans les termes de l’article 1832-2, alinéa 3, du Code civil » ou « grâce à la cession d’une partie des droits sociaux en cause que lui consentirait son époux, sous réserve le cas échéant d’un agrément par les associés stipulé dans les statuts » (JCl Civil Code, art. 1832 à 1844-17, fasc. 10), il est désormais admis qu’en dehors de ces hypothèses, l’unanimité des associés lui reconnaisse à sa demande, postérieurement à sa renonciation, cette qualité.

Au regard des réponses inédites apportées par la Cour de cassation dans cet arrêt, il le fait nul doute que les questions soulevées lors du 118e Congrès des notaires de France tenant à l’utilité de l’article 1832-2 du Code civil, dans un contexte global où nombre d’auteurs militent pour la suppression de cette disposition (A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l’article 1832-2 du Code civil, in Mél. M. Germain : LexisNexis, 2015, p. 697 ; E. Naudin, Champ d’application de l’article 1832-2 du code civil : pour une approche restrictive : JCP N 2015, n° 44, 1193), refassent surface… 

Source

Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B

SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LA MALADIE EST ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

*

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

COOPERATIVE AGRICOLE ET RETRAIT D’UN ASSOCIE COOPERATEUR :

CAS DE FORCE MAJEURE OU MOTIF VALABLE ?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

CUMA : La dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes,

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

2. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 novembre 2021), Mme [N], agricultrice, adhérente de la CUMA, a été placée en liquidation judiciaire et la société Actis a été désignée comme mandataire-liquidateur.

3. Par ordonnance du 24 juillet 2020, le juge-commissaire a retenu que la connexité n’était pas établie entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, et rejeté la demande de compensation formée à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La CUMA fait grief à l’arrêt de rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès d’elle, alors « que la Coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon – Cuma se prévalait de la nature des créances réciproques des parties pour conclure à leur connexité, précisant à cet égard que les parts sociales détenues par Mme [X] correspondaient à des fractions d’équipements et de matériels agricoles et que la facture dont le paiement par compensation était poursuivi correspondait précisément à l’utilisation de ces équipements et matériels agricoles pour lesquels Mme [X] détenait des parts sociales ; que, pour écarter la connexité des créances invoquées, la cour d’appel a retenu que « s’il est exact que la coopérative aux termes de l’article 12, présente un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, il n’en résulte pas, contrairement à ce qu’elle soutient, un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors qu’elles ne sont pas défraies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats ; au contraire, l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et d’autre part le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, telle que définie ci-dessus, et réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves. Il en résulte qu’il n’est défini aucune interdépendance entre ces deux contrats » ; qu’en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la nature des créances réciproques des parties, ayant trait au remboursement de parts sociales afférentes à du matériel agricole et dans la dépendance de la facturation de l’utilisation de ce même matériel, ne révélait pas leur lien de connexité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-7 du code de commerce et L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime :

5. Aux termes du premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes.

6. Selon le second, ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative que les coopératives dont les statuts prévoient l’obligation pour chaque coopérateur d’utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d’activité.

7. Pour rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, l’arrêt retient, après avoir relevé que la coopérative présentait un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d’affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d’engagement, qu’il n’en résultait pas un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l’associé au titre des prestations réalisées, dès lors que celles-ci n’étaient pas définies à titre d’avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats.

8. Il énonce, ensuite, que l’obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n’est pas prévue au titre de l’apurement des comptes résultant de la cessation des droits d’associés, et, enfin, que le remboursement des parts intervient au terme de l’adhésion à hauteur de leur valeur nominale, et se trouve réduit à due concurrence de la contribution de l’associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves.

9. En statuant ainsi, alors que la contribution au capital social donne le droit d’utiliser un matériel déterminé et que la facturation rémunère son temps d’utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l’utilisation du matériel sont connexes, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de compensation de la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon, l’arrêt rendu le 16 novembre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers autrement composée ;

Condamne la société Actis mandataires judiciaires aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Actis en qualité de mandataire liquidateur de Mme [N] à payer à la coopérative d’utilisation de matériel agricole de Lambon la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes.

Cour de cassation 3e chambre civile arret du 14 Décembre 2023 Numéro de pourvoi : 22-15.598

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