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LOI EGALIM et COOPERATIVES AGRICOLES

Circuits Culture, 26/02/2021 Prix abusivement bas : finalement pas d’action  possible contre les coopératives

Circuits Culture, 26/02/2021

Le Gouvernement n’avait pas la possibilité de créer une action en responsabilité contre les coopératives agricoles en cas de fixation d’une rémunération abusivement basse des apports des membres coopérateurs. C’est ce que vient de juger le Conseil d’État dans une décision rendue le 24 février 2021.

En application de l’article 11 de la loi EGalim du 30 octobre 2018, le Gouvernement avait pris une ordonnance pour refondre complètement le droit de la négociation commerciale dans le domaine agricole. Sur ce fondement, l’article 1er de l’ordonnance du 24 avril 2019 créait une nouvelle disposition dans le Code rural et de la pêche maritime, consistant à appliquer aux coopératives agricoles le recours en justice contre les prix abusivement bas. Cette procédure est prévue par le Code de commerce.

Pour être valable, une ordonnance doit strictement respecter la loi d’habilitation. Après analyse de celle-ci, le Conseil d’État juge qu’elle n’a pas « autorisé le Gouvernement à étendre l’application de ce dispositif de responsabilité aux sociétés coopératives ». Les juges annulent donc la disposition correspondante de l’ordonnance.

Contacté par Circuits Culture, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole (anciennement Coop de France, auteur du recours) se dit satisfait d’avoir été entendu par le Conseil d’État : « J’ai mené un combat contre cette disposition car elle détourne la capacité de fonctionnement des coopératives, explique-t-il. L’idée, c’était de protéger le droit de la collectivité des coopératives et de respecter le processus de décision spécifique aux coopératives. Si vous soumettez les coopératives à une judiciarisation, la relation n’est plus du tout la même. »

Le Conseil d’État n’a cependant pas pris en compte ces arguments d’ordre quasi philosophique. Il s’est attelé à vérifier si l’ordonnance respectait la loi d’habilitation, ce qui n’était donc pas le cas ici.

Olivier HIELLE

PRODUITS HERBICIDES et le pouvoir de police spéciale et compétence du maire malgré l’existence de circonstances locales exceptionnelles justifiant son intervention au titre de son pouvoir de police générale ne peut qu’être écarté.

Le préfet du Val-de-Marne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 2 septembre 2019 par lequel le maire d’Arcueil a interdit l’utilisation à certaines fins de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur l’ensemble du territoire de la commune, dans l’attente des mesures réglementaires devant être prises par l’Etat pour garantir la protection des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009. Par une ordonnance n° 1908137 du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l’exécution de cet arrêté.

Par un arrêt n° 19PA03833 du 14 février 2020, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la commune d’Arcueil contre cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 mars, 18 mars et 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune d’Arcueil demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) statuant en référé, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
– la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune d’Arcueil ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu du troisième alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, repris à l’article L. 554-1 du code de justice administrative, le représentant de l’Etat peut assortir son déféré d’une demande de suspension, à laquelle il est fait droit si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 2 septembre 2019, le maire d’Arcueil a interdit l’utilisation de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés au premier alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur l’ensemble du territoire de la commune pour l’entretien des jardins et espaces verts des entreprises, des propriétés et copropriétés, des bailleurs privés, des bailleurs sociaux publics, des voies ferrées et de leurs abords, des abords des autoroutes A6a et A6b, et de l’ensemble des routes départementales traversant la commune. Par une ordonnance du 8 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, saisi par le préfet du Val-de-Marne sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de cet arrêté. La commune d’Arcueil se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 février 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre cette ordonnance.

3. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime :  » Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre « . Aux termes de l’article L. 253-7 du code du même code :  » I.- Sans préjudice des missions confiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et des dispositions de l’article L. 211-1 du code de l’environnement, l’autorité administrative peut, dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits mentionnés à l’article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. / L’autorité administrative peut interdire ou encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l’article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (…) « . L’article L. 253-7-1 du même code prévoit que :  » A l’exclusion des produits à faible risque ou dont le classement ne présente que certaines phrases de risque déterminées par l’autorité administrative : / 1° L’utilisation des produits mentionnés à l’article L. 253-1 est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l’enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l’enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public ; / 2° L’utilisation des produits mentionnés au même article L. 253-1 à proximité des lieux mentionnés au 1° du présent article ainsi qu’à proximité des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d’éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement. Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l’autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux. (…) Les conditions d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire « . Par ailleurs, le III de l’article L. 253-8 du même code, entré en vigueur le 1er janvier 2020, dispose :  » (…) l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d’application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique. / Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l’intérêt de la santé publique, l’autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, restreindre ou interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III. / Un décret précise les conditions d’application du présent III « .

4. D’autre part, aux termes de l’article R. 253-1 du code rural et de la pêche maritime :  » Le ministre chargé de l’agriculture est, sauf disposition contraire, l’autorité compétente mentionnée au 1 de l’article 75 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, ainsi que l’autorité administrative mentionnée au chapitre III du titre V du livre II du présent code (partie législative) « . L’article R. 253-45 du même code dispose que :  » L’autorité administrative mentionnée à l’article L. 253-7 est le ministre chargé de l’agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l’article L. 253-7 concernent l’utilisation et la détention de produits visés à l’article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation.  » L’article D. 253-45-1 du même code prévoit que :  » L’autorité administrative mentionnée au premier alinéa de l’article L. 253-7-1 est le ministre chargé de l’agriculture. / L’autorité administrative mentionnée au troisième alinéa du même article est le préfet du département dans lequel a lieu l’utilisation des produits définis à l’article L. 253-1 « . En vertu de l’article D. 253-46-1-5 du même code, entré en vigueur le 1er janvier 2020, lorsque les mesures prévues dans la charte d’engagements des utilisateurs élaborée en application de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime sont adaptées et conformes aux exigences fixées par la réglementation, la charte est approuvée par le préfet de département concerné. Enfin, en vertu de l’article 5 de l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime,  » en cas de risque exceptionnel et justifié, l’utilisation des produits peut être restreinte ou interdite par arrêté préfectoral « , ce dernier devant  » être soumis dans les plus brefs délais à l’approbation du ministre chargé de l’agriculture « .

5. Il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, confiée à l’Etat et dont l’objet est, conformément au droit de l’Union européenne, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, alors que les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l’état des connaissances scientifiques, incertains. Les produits phytopharmaceutiques font l’objet d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché, délivrée par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail s’il est démontré, à l’issue d’une évaluation indépendante, que ces produits n’ont pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine. Il appartient ensuite au ministre chargé de l’agriculture ainsi que, le cas échéant, aux ministres chargés de la santé, de l’environnement et de la consommation, éclairés par l’avis scientifique de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de prendre les mesures d’interdiction ou de limitation de l’utilisation de ces produits qui s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l’environnement, en particulier dans les zones où sont présentes des personnes vulnérables. L’autorité préfectorale est également chargée, au niveau local et dans le cadre fixé au niveau national, d’une part, de fixer les distances minimales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité de certains lieux accueillant des personnes vulnérables, d’autre part, d’approuver les chartes d’engagements d’utilisateurs formalisant des mesures de protection des riverains de zones d’utilisation des produits et, enfin, en cas de risque exceptionnel et justifié, de prendre toute mesure d’interdiction ou de restriction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques nécessaire à la préservation de la santé publique et de l’environnement, avec une approbation dans les plus brefs délais du ministre chargé de l’agriculture. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 22122 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’Etat de prendre.

6. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la commune d’Arcueil, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, malgré l’absence de mesure de protection des riverains des zones traitées dans l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, que le pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l’Etat faisait obstacle à l’édiction, par le maire de la commune, de mesures réglementaires d’interdiction de portée générale de l’utilisation de ces produits. Dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait inexactement qualifié les faits ou les a dénaturés en écartant la compétence du maire malgré l’existence de circonstances locales exceptionnelles justifiant son intervention au titre de son pouvoir de police générale ne peut qu’être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune d’Arcueil est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Arcueil, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Conseil d’État – 3ème – 8ème chambres réunies

  • N° 439253
  • Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Coopérative agricole et preuve par écrit, conformément à l’article 1315 du code civil, de démontrer par tous moyens l’existence de l’obligation de paiement dont elle réclame l’exécution.

Une Cour d’appel rappelle la nécessité de rapporter la preuve par écrit des commandes et livraisons qu’elle facture, il demeure qu’elle est tenue, conformément à l’article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, de démontrer par tous moyens l’existence de l’obligation de paiement dont elle réclame l’exécution.

Or, elle se borne à produire ses statuts, son règlement intérieur, les factures de fourniture de semence et d’engrais, et les relevés du compte coopérateur de M. C. en laissant entendre que son adhérent ne les aurait contestés que tardivement, pour les besoins de la cause.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Si la société Triskalia ne produit ni bon de commande, ni bon de livraison des semences et engrais qu’elle prétend avoir fournis à M. C. et dont elle réclame le paiement, elle établit en revanche que celui-ci était bien son adhérent depuis l’absorption de la société Coopagri Bretagne, dont il était associé coopérateur.

Il ressort en effet des dispositions de l’article R. 522-2 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime que la qualité d’associé coopérateur s’acquiert par la souscription de parts sociales de la coopérative agricole prouvée par le registre des associés de la coopérative prévu par l’article R. 522 alinéa 3 de ce code, document obligatoire soumis au contrôle des autorités administratives.

Or, en l’espèce, le bulletin d’adhésion du 3 avril 2000 révèle que M. C. s’était vu attribuer un numéro d’associé coopérateur de la société Coopagri après avoir effectué un apport de 100 francs.

D’autre part, aux termes des dispositions de l’article L. 526-5 du même code, à la date d’effet de la fusion ou de la scission, les statuts des sociétés bénéficiaires des apports sont opposables aux associés coopérateurs et non coopérateurs de la coopérative ou de l’union qui disparaît.

Il s’en évince que les statuts et le règlement intérieur de la société Triskalia sont devenus opposables à M. C. qui est tenu des obligations qui en découlent, notamment, selon l’article 4 du règlement intérieur, relativement aux modalités de fonctionnement d’un compte appelé ‘compte coopérateur’ regroupant divers comptes d’activités, et à l’application d’intérêts de retard de 9,6 % par an prévu par l’article 7 des statuts.

La société Triskalia prétend qu’il existerait un usage agricole la dispensant d’administrer la preuve par écrit de la commande et de la livraison des fournitures laissées impayées, et que l’obligation de règlement de ces fournitures pesant sur son adhérent résulterait suffisamment de la passation de l’opération au débit de son compte coopérateur sans protestation, ni réserve de sa part.

Il est à cet égard exact que le règlement intérieur stipule qu’un relevé de compte est adressé mensuellement à chaque associé pour notification des sommes dues à la coopérative, et il est produit les factures et les relevés mensuels du compte d’activité générale de M. C. faisant apparaître des fournitures d’engrais Granuforce le 7 octobre 2011 et de semences de moutarde le 2 novembre suivant ainsi que leur passation au débit du compte coopérateur pour, respectivement, 7 239,43 euros et 315 euros les 31 octobre et 30 novembre 2011.

Cependant, M. C. expose avoir toujours contesté la commande et la livraison d’engrais Granuforce et, du fait de ce différend avec la coopérative, avait cessé de s’approvisionner auprès d’elle, se bornant à régler le 23 juillet 2014 une somme de 1 973,01 euros correspondant au solde de son compte coopérateur arrêté au 30 septembre 2011 (1 658,01 euros) et au prix des semences de moutarde livrées en novembre 2011.

À supposer même que l’usage dispenserait la coopérative d’administrer la preuve par écrit des commandes et livraisons qu’elle facture, il demeure qu’elle est tenue, conformément à l’article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, de démontrer par tous moyens l’existence de l’obligation de paiement dont elle réclame l’exécution.

Or, elle se borne à produire ses statuts, son règlement intérieur, les factures de fourniture de semence et d’engrais, et les relevés du compte coopérateur de M. C. en laissant entendre que son adhérent ne les aurait contestés que tardivement, pour les besoins de la cause.

Néanmoins, il sera observé que M. C. soutient avoir protesté dès 2012 à l’occasion de divers échanges téléphoniques, et il justifie avoir adressé un courrier de contestation à la coopérative dès le 20 mars 2013, avant même d’avoir été mis en demeure par la société Triskalia.

En outre, étant rappelé que la coopérative revendique elle-même un usage agricole dispensant d’écrits, ni les statuts, ni le règlement intérieur n’imposent aux adhérents des conditions particulières de forme ou de délai pour contester les relevés de compte.

Enfin, il n’est pas anodin d’observer que l’analyse des relevés du compte coopérateur révèle que, postérieurement aux opérations litigieuses d’octobre et de novembre 2011, plus aucune autre opération n’est entrée en compte, hormis la facturation d’intérêts débiteurs, ce qui donne force et crédit aux explications de M. C. selon lequel le refus de prise en compte de ses légitimes protestations l’a conduit à mettre un terme à ses relations avec la coopérative.

Il en résulte que la société Triskalia n’apporte pas la preuve suffisante de la fourniture de produit Granuforce et n’est donc pas fondée à en réclamer le paiement.

En revanche, il est constant que les opérations passées en compte avant le 30 septembre 2011 et dont le paiement était exigible dès le 25 octobre 2011, ainsi que la fourniture de semences de moutarde, passée en compte le 30 novembre 2011 et dont le paiement était exigible dès le 25 décembre 2011, n’ont été réglées que le 23 juillet 2014.

M. C. est donc tenu au paiement des intérêts de retard courant sur ces sommes au taux statutaire de 9,6 % l’an de leur date d’exigibilité jusqu’au paiement.

Partie principalement succombante, la société Triskalia supportera les entiers dépens.

Elle sera en coutre condamnée, au titre des frais irrépétibles d’appel de M. C., au paiement d’une indemnité de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Quimper en ce qu’il a rejeté la totalité de la demande de la société Triskalia ;

Condamne M. C. à payer à la société Triskalia les intérêts de retard au taux de 9,6 %, du 25 octobre 2011 au 23 juillet 2014 sur la somme de 1 658,01 euros, et du 25 décembre 2011 au 23 juillet 2014 sur la somme de 312 euros ;

Déboute la société Triskalia du surplus de sa demande ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Condamne la société Triskalia à payer à M. C. une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Condamne la société Triskalia aux dépens d’appel ;

Cour d’appel Rennes 2e chambre 5 Février 2021 Répertoire Général : 17/06007 Numéro d’arrêt : 84

Coopérative agricole et départ anticipé de l’associé coopérateur : Aucun motif valable

FAITS ET PROCÉDURE

Le 15 décembre 1997, M. Jean-Louis C. a conclu avec la Coopérative agricole des fermiers de l’Orléanais (la CAFO) un contrat de bonne fin d’enlèvement de production de volailles pour une durée de cinq années. Le 13 janvier 1998, M. Jean-Louis C. a adhéré à la CAFO en s’engageant à lui livrer toute sa production de volailles.

A la suite du départ à la retraite de son mari, Mme Danièle C. a adhéré en son nom propre à la CAFO, le 3 septembre 2008, pour une durée de cinq exercices à compter de l’expiration de l’exercice en cours, et s’est engagée à lui livrer toute sa production de volailles.

Par courrier du 15 septembre 2012, Mme C. a dénoncé le contrat signé avec la CAFO au motif qu’elle était en âge de prendre sa retraite, et que la CAFO avait une créance à son profit.

Le conseil d’administration de la CAFO a refusé la demande de retrait anticipé de Mme C., par décision du 15 novembre 2012, notifiée à l’intéressée, par courrier du 27 novembre 2012.

Par décision du 19 décembre 2012, le conseil d’administration de la CAFO a décidé d’appliquer à Mme C. les sanctions pécuniaires prévues par les statuts, en raison du non-respect par celle-ci de ses obligations. Cette décision était notifiée à l’intéressée par courrier du 7 janvier 2013, la CAFO rappelant à Mme C. que son engagement coopératif n’expirait qu’au 31 décembre 2013.

Par acte d’huissier de justice du 18 décembre 2015, Mme C. a fait assigner la CAFO devant le tribunal de grande instance de Blois, aux fins notamment de voir déclarer nulle et non avenue, et à tout le moins inopposable la décision de la CAFO rejetant sa démission, de constater la validité de sa démission, et de lui rembourser le solde de son compte courant.

Par jugement du 31 janvier 2019 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Blois a’:

– déclaré inopposable à Mme C. la décision non datée du conseil de surveillance de la CAFO rejetant sa démission’;

– constaté la validité de la démission de Mme C. en date du 15 septembre 2012′;

– condamné la CAFO à rembourser à Mme C. le solde de son compte courant, soit la somme de 7’195,34 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2011′;

– débouté la CAFO de ses demandes reconventionnelles de règlement de frais fixes et de pénalités formées à l’encontre de Mme C. au titre du prétendu non-respect de ses engagements coopératifs’;

– condamné la CAFO à payer à Mme C. la somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘;

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la CAFO’;

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires’;

– condamné la CAFO aux dépens’;

– accordé à Maître Frédéric C., avocat, le droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré que’:

– la décision de rejet de la démission de Mme C. ne lui a pas été notifiée, car celle-ci a simplement reçu une lettre de la CAFO en date du 27 novembre 2012 l’informant de la teneur de la décision, non datée, que le conseil de surveillance aurait prise, de sorte que la CAFO n’a pas respecté les dispositions de l’article R.522-4 du code rural qui impliquent une délibération expresse du conseil et un procès-verbal de la réunion dudit conseil portés à la connaissance de l’intéressée’;

– la décision notifiée le 27 novembre 2012 n’est aucunement motivée, car il n’est pas précisé en quoi le retrait de Mme C. porte un préjudice au fonctionnement de la CAFO, et le procès-verbal de réunion du conseil d’administration du 15 novembre 2012 n’est également pas motivé, les membres du conseil s’étant contentés d’entériner les décisions du Président, ce qui constitue une violation de l’article 11-2-2° des statuts de la CAFO’: au surplus, la lettre informative du 27 novembre 2012 ne comporte aucune mention relative aux conditions de recours à l’encontre de la décision rendue, ce qui porte incontestablement atteinte aux droits de la défense’;

– les manquements contractuels de la CAFO à ses obligations, invoqués par Mme C. lors de sa démission, sont établis et justifient l’application des dispositions de l’article 1184 du code civil‘; par voie de conséquence, il y a lieu de débouter la CAFO de ses demandes reconventionnelles de règlement des frais fixes et de pénalités formées à l’encontre de Mme C. au titre du prétendu non-respect de ses engagements coopératifs, celle-ci ayant parfaitement respecté ses obligations contractuelles à l’égard de la CAFO.

Par déclaration du 20 mars 2019, la CAFO a interjeté appel de tous les chefs du jugement à l’exception de ceux la condamnant à rembourser à Mme C. le solde de son compte courant, et faisant application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 24 octobre 2019, la CAFO demande de’:

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel et ses demandes’;

– confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au versement de la somme de 7’195,34’€’;

– infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau’:

– constater qu’elle a réglé les sommes pour lesquelles elle a été condamnée par le jugement déféré’;

– constater que les motifs invoqués par Mme C. ne constituent en aucun cas ni un cas de force majeure, ni un cas de motif valable de retrait’;

– déclarer opposable à Mme C. la décision du conseil d’administration rejetant sa demande de départ anticipé’;

En conséquence,

– condamner Mme C. à lui payer les sommes suivantes’:

– concernant le règlement des frais fixes prévus à l’article 8 § 6 des statuts de la CAFO au titre du non-respect de ses engagements coopératifs’:

7’512,37’€ au titre du second semestre 2011′;

31’476,55’€ au titre de l’exercice 2012′;

20’416,53’€ au titre de l’exercice 2013′;

– concernant le règlement des pénalités prévues à l’article 8 § 7 des statuts au titre du non-respect de ses engagements coopératifs’:

16’154,89’€ au titre du second semestre 2011′;

25’897,29’€ au titre de l’exercice 2012′;

26’921,19’€ au titre de l’exercice 2013′;

– déclarer Mme C. irrecevable, en tous cas mal fondée, en toutes ses demandes, et l’en débouter’;

– condamner Mme C. à lui payer la somme de 5’000’€ en application de l’article 700 du code de procédure civile‘;

– condamner Mme C. aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Maître Estelle G., en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 30 avril 2020, Mme C. demande de’:

À titre principal’:

– la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes’;

– débouter la CAFO de l’ensemble de ses demandes’;

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions’;

À titre subsidiaire’:

– dire les demandes reconventionnelles de la CAFO manifestement excessives’;

– les réduire à de plus justes proportions, en l’espèce un euro’;

En tout état de cause’:

– condamner la CAFO à lui verser une somme de 7’000’€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile‘;

– condamner la CAFO aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de Maître François V., avocat aux offres de droit.

Il convient de se référer aux conclusions récapitulatives des parties pour un plus ample exposé des moyens soulevés.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la régularité de la décision de la CAFO du 15 novembre 2012 :

L’appelante soutient que la décision de refus du retrait a bien été notifiée à Mme C. par courrier recommandé du 27 novembre 2012 qui mentionne qu’elle pouvait faire l’objet d’un recours devant la plus prochaine assemblée’; que le procès-verbal de réunion du conseil d’administration de la CAFO du 15 novembre 2012 permet de constater que l’ensemble des conditions de formes ont été respectées pour prendre cette décision’; qu’aucune disposition n’exige que le procès-verbal de la réunion soit communiqué à la personne intéressée, mais il convient seulement de lui faire connaître la décision motivée’; que Mme C. ne s’est pas présentée au conseil d’administration du 19 décembre 2012, n’a pas répondu aux observations de la CAFO et n’a pas saisi l’assemblée générale comme il le lui était indiqué conformément à l’article 11 § 4 des statuts’; que le tribunal a méconnu et dénaturé les dispositions légales et statutaires et n’a pas tiré toutes les conséquences de ses propres constatations’; qu’en cas d’inopposabilité de la décision de refus de retrait, il y aurait lieu de considérer que l’absence de décision équivaut à un refus conformément à l’article 11 § 2, dernier alinéa des statuts.

L’intimée indique que la décision formelle du conseil d’administration rejetant sa demande de retrait ne lui a jamais été notifiée de telle sorte qu’elle en ignorait même la date’; qu’elle a simplement reçu une lettre de la CAFO en date du 27 novembre 2012 l’informant de la teneur de la décision de refus, non datée, que le conseil d’administration aurait prise’; que les dispositions de l’article R.522-4 du code rural impliquent donc à tout le moins une délibération expresse du conseil et un procès-verbal de la réunion dudit conseil, portés à sa connaissance, ce qui n’a pas été le cas’; que la CAFO ne justifie ni du nombre des administrateurs en exercice, ni de celui des administrateurs présents le jour où ladite délibération a été prise et ce, en contravention avec les dispositions de l’article 28 des statuts de la CAFO’; que la lettre d’information du 27 novembre 2012 n’est pas motivée en ce qu’elle n’indique pas les motifs pour lesquels sa demande de retrait ne serait pas valable, ni ceux justifiant que son départ porterait un préjudice au fonctionnement de la CAFO’; qu’au surplus, la lettre informative du 27 novembre 2012 ne porte aucune mention relative aux conditions de recours à l’encontre de la décision rendue, ce qui constitue une atteinte incontestable aux droits de la défense’; que l’invitation faite à Mme C., le 27 novembre 2012, à venir s’expliquer devant le conseil d’administration avant le 15 décembre 2012 pour la réunion du 19 décembre 2012 n’est qu’une supercherie, dès lors que la décision avait déjà été arrêtée le 15 novembre 2012.

Le bulletin d’adhésion à la coopérative, signé par Mme C. le 3 septembre 2008, mentionne que celle-ci avait pris connaissance des statuts et du règlement intérieur de la CAFO qu’elle s’engageait à respecter.

L’article 11-2 des statuts de la CAFO stipule, s’agissant d’une demande de retrait anticipée d’un coopérateur’:

«’1° En cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter la démission d’un associé coopérateur en cours de période d’engagement si le départ de celui-ci ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales, d’entraîner la réduction du capital souscrit par les associés coopérateurs dans le cadre de leur engagement d’activité au-dessous des trois quarts du montant le plus élevé constaté par une assemblée générale depuis la constitution de la coopérative.

2° Le conseil apprécie les raisons invoquées à l’appui de la demande de démission en cours de période d’engagement et fait connaître à l’intéressé sa décision motivée, dans les trois mois de la date à laquelle la demande a été notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au président du conseil d’administration. L’absence de réponse équivaut à décision de refus.

3° La décision du conseil peut faire l’objet d’un recours devant la plus prochaine assemblée générale sans préjudice d’une action éventuelle devant le tribunal de grande instance compétent.

4° L’associé coopérateur désirant exercer son droit de recours devant l’assemblée générale devra, à peine de forclusion, le notifier par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au président du conseil d’administration dans les trois mois au plus suivant soit la décision dudit conseil, soit à l’expiration du délai de trois mois laissé à celui-ci pour statuer. Le conseil d’administration devra, en ce cas, porter le recours à l’ordre du jour de la plus prochaine assemblée générale convoquée postérieurement à la réception de la notification du recours’».

Le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la CAFO en date du 15 novembre 2012 mentionne, en son point n° 2, les retraits en cours d’engagement dont celui de Mme C. en ces termes’:

«’La Présidente soumet à la délibération du conseil d’administration les demandes de démission en cours de période d’engagement qui lui ont été notifiées par les 16 associés coopérateurs suivants’: […]

– Madame C. demeurant La Boulinière 45270 Fréville du Gâtinais, détenant 62 parts sociales d’activité, dont la date de ‘n d’engagement est fixée au 31 décembre 2013’;

[…]

La Présidente rappelle au conseil d’administration que l’article 11 des statuts stipule que la démission en cours d’engagement ne peut être admise par le conseil d’administration qu’à titre exceptionnel et en cas de motif valable, hors le cas de force majeure.

Aucun adhérent ne justifie d’un cas de force majeure, ni d’un motif valable de retrait anticipé dès lors que ne sont pas considérés comme des motifs valables’:

– La cessation volontaire d’activité’;

– L’âge d’un adhérent et sa décision personnelle de prendre sa retraite d’autant qu’il n’est pas rapporté la preuve de la cessation des exploitations et de l’absence de reprise par un membre de la famille ou un tiers dans le cadre d’une mutation d’exploitation’;

– Les difficultés financières rencontrées par la coopérative’;

– La maladie à moins qu’elle soit médicalement reconnue et attestée et qu’elle ne permette plus l’exercice de l’activité agricole.

Cependant suite à la réunion avec les éleveurs du 14 septembre dernier, il a été envisagé d’accepter le retrait anticipé des éleveurs qui ne souhaitent plus travailler avec la coopérative à compter du 1er janvier 2013 sans qu’il soit procédé à leur encontre à la procédure visée à l’article 8 § 8 sous réserve qu’ils acceptent d’abandonner la créance qu’ils détiennent sur la CAFO et qui a fait l’objet de la résolution prise par l’assemblée générale de la CAFO le 8 juin 2012 et qu’ils aient respecté leurs engagements coopératifs antérieurs.

[‘]

Or il apparaît que parmi les demandes de retraits anticipés, seuls 6 associés coopérateurs ont continué à travailler régulièrement avec la coopérative au cours des derniers exercices et ont accepté de signer la convention d’abandon qui leur a été proposé par la CAFO

[‘]

Après échanges de vues sur les 10 autres demandes de retrait anticipé, à savoir celles de Mesdames C. et [‘] la Présidente propose au Conseil de les refuser.

Cette résolution mise aux voix est adoptée à l’unanimité (6 voix).

Le Conseil charge la Présidente de leur transmettre cette décision de rejet.

De plus, ces 10 associés n’ont pas respecté leurs engagements au cours du ou des exercices précédents et ont suspendu en tout ou partie les mises en place, à savoir’:

[…]

– Madame C. pour ses trois bâtiments’:

o pour le 1er bâtiment à compter de la semaine 22 de l’année 2011,

o pour le 2e bâtiment de la semaine 12 de l’année 2011,

o pour le 3e bâtiment de la semaine 4 de l’année 2011.

[…]

Pour ces 10 associés coopérateurs, la présidente propose au Conseil d’administration de lancer la procédure prévue à l’article 8 § 8 des statuts visant à prononcer contre eux des sanctions pécuniaires (frais ‘xes et pénalités) en les mettant préalablement en demeure de fournir toutes explications sur les manquements constatés.

La notification aux 10 associés coopérateurs comportera, en outre, mise en demeure de respecter leurs engagements pour l’avenir.

Cette résolution mise aux voix est adoptée à l’unanimité (6 voix)’».

L’article 27-2 des statuts de la CAFO énonce’: «’le conseil d’administration doit, pour délibérer valablement réunir au moins la moitié de ses membres en exercices. Les délibérations sont prises à la majorité des membres présents’».

Le procès-verbal précité porte mention de la date de la réunion du conseil d’administration et des décisions prises, soit le 15 novembre 2012, les noms des membres présents soit six personnes permettant d’atteindre le quorum, et les noms des membres excusés, soit quatre personnes. Il est donc établi que le conseil pouvait valablement délibérer en présence de six membres sur les dix membres en exercice dont Mme C., coopératrice, ne pouvait d’ailleurs pas en ignorer leur nombre et leur identité. L’article 28-3 des statuts prévoit en outre que, même à l’égard des tiers, lesquels ignorent le nombre et l’identité des administrateurs de la CAFO, la justification du nombre d’administrateurs en exercice et de la qualité d’administrateur en exercice, résulte valablement «’de la simple énonciation, dans le procès-verbal de chaque délibération et dans les copies ou extraits qui en sont délivrés, des noms tant des administrateurs et des représentants des personnes morales administrateurs présents que des administrateurs absents’».

Il n’est donc pas établi que le procès-verbal du conseil d’administration de la CAFO du 15 novembre 2012 soit non-conforme aux statuts de la coopérative.

L’article 11-2 2° des statuts impose à la coopérative de faire connaître au coopérateur démissionnaire sa décision motivée dans le délai de trois mois à compter de sa demande mais non de notifier le procès-verbal du conseil d’administration. Le moyen de l’intimée tenant à la non-notification du procès-verbal du 15 novembre 2012 est donc inopérant.

Il convient dès lors de constater que les décisions relatives au retrait anticipé de Mme C. et à la mise en ‘uvre de la procédure pouvant conduire à des sanctions pécuniaires sont pleinement motivées aux termes du procès-verbal précité.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 novembre 2012, la CAFO, en la personne de la présidente du conseil d’administration, a notifié à Mme C. la décision prise à la suite de sa demande de retrait anticipé formée le 15 septembre 2012 en ces termes’:

«’J’ai donc soumis votre demande de retrait anticipé au Conseil d’administration, qui l’a rejetée, considérant que vos motifs ne sont pas valables et que votre départ porterait un préjudice au fonctionnement de la C.A.F.O.

En effet, l’âge d’un associé coopérateur et sa décision personnelle de prendre sa retraite n’est pas un motif valable de retrait anticipé, d’autant que l’exploitation peut être reprise par un membre de la famille ou un tiers dans le cadre d’une mutation d’exploitation.

Par ailleurs, le Conseil d’administration a constaté le non-respect de vos engagements coopératifs et le défaut de mises en place totales sur vos trois bâtiments à compter de 2011 et plus précisément’:

– pour 1er bâtiment à compter de la semaine 22 de l’année 2011,

– pour le 2e bâtiment de la semaine 12 de l’année 2011,

– pour le 3e bâtiment de la semaine 4 de l’année 2011.

Nous sommes donc au regret de vous mettre en demeure d’avoir à fournir par écrit des explications sur les manquements constatés, avant le 15 décembre 2012.

En fonction de ces explications, le Conseil d’administration sera conduit à se prononcer sur la participation aux frais fixes et sur les sanctions qu’appelle l’inexécution de vos engagements en application des articles 8.6 et 8.7 des statuts.

Vous pouvez également demander à être entendue par le conseil d’administration, pour lui présenter vos explications de vive voix avant le 15 décembre 2012, étant précisé que le prochain Conseil se réunira le 19 décembre 2012.

Enfin, je vous invite à respecter votre engagement coopératif et à reprendre vos livraisons jusqu’au 31 décembre 2013, à défaut de quoi le Conseil sera également amené à délibérer à nouveau sur votre cas, et à se prononcer sur l’une des deux options suivantes’:

– soit vous poursuivre en justice en vue d’obtenir l’exécution forcée de vos engagements sous astreinte financière,

– soit vous exclure en prononçant à votre encontre les sanctions pécuniaires fixées par l’article 8 § 6 et 7 de nos statuts au titre de vos engagements restant à courir’».

Mme C. ne conteste pas avoir reçu ce courrier recommandé mais soutient, ainsi que le tribunal l’a retenu, qu’il ne présente pas de motivation du refus de retrait anticipé.

Cependant, il convient de constater que le courrier du 27 novembre 2012 a clairement indiqué à Mme C. que son âge et sa décision de prendre sa retraite personnelle ne pouvaient constituer un motif valable de retrait anticipé, et que l’exploitation pouvait être reprise par un membre de la famille ou un tiers.

Aux termes de l’article 11-2 des statuts de la CAFO, ce n’est que lorsque le motif de retrait anticipé est considéré comme valable, que le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter la démission d’un associé coopérateur en cours de période d’engagement «’si le départ de celui-ci ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative’». Il s’ensuit que lorsque le motif de retrait anticipé est considéré comme non valable, la coopérative n’a pas à apprécier l’existence d’un préjudice quant à son bon fonctionnement et à motiver sa décision sur ce point.

Le courrier recommandé du 27 novembre 2012 notifié à Mme C. comporte la reproduction des termes de l’article 11-2 3° sur la faculté d’exercer un recours devant la plus prochaine assemblée générale de la CAFO, de sorte que l’intimée est mal fondée à soutenir qu’elle n’était pas informée des voies de recours.

S’agissant des sanctions pécuniaires suite aux manquements de Mme C. constatés par la CAFO, il convient de relever que le conseil d’administration n’a nullement prononcé lesdites sanctions lors de sa délibération du 15 novembre 2012, mais a seulement décidé de mettre en ‘uvre la procédure pouvant aboutir à de telles sanctions et de notifier à Mme C. une mise en demeure de respecter ses engagements pour l’avenir.

Dès lors, l’invitation faite à Mme C., dans le courrier du 27 novembre 2012, d’avoir à faire valoir ses observations écrites sur les manquements constatés, et la notification de son droit à être entendue par le conseil d’administration, étaient de nature à permettre à Mme C. de s’expliquer dans le respect du principe du contradictoire avant qu’il ne soit décidé d’éventuelles sanctions. Dès lors, la procédure prévue à l’article 8 des statuts de la CAFO a été pleinement respectée.

Il résulte de ces éléments que la décision du conseil d’administration de la CAFO en date du 15 novembre 2012 et le courrier d’information du 27 novembre 2012 sont réguliers en la forme, et la décision de refus du retrait anticipé de Mme C. lui est pleinement opposable.

Sur l’existence d’un motif valable de retrait anticipé :

L’appelante considère que Mme C. ne disposait d’aucun motif valable de retrait anticipé de la coopérative’; que la situation de handicap de la fille trisomique de Mme C. n’a jamais été portée à la connaissance du conseil d’administration de la CAFO qui n’a pu le prendre en compte au titre des motifs de retrait anticipé’; qu’aucun associé coopérateur ne peut se retirer en cours d’engagement, et un retrait anticipé ne peut qu’être qu’exceptionnel en application de l’article 11 § 2 des statuts de la CAFO et de l’article R. 522-4 du code rural‘; qu’aux termes de la jurisprudence, ne sont pas considérés comme des motifs valables ni le départ à la retraite ni les difficultés financières d’une coopérative notamment celles ayant conduit la coopérative à différer les règlements aux associés coopérateurs’; qu’elle n’a jamais contesté l’existence d’une créance détenue par Mme C. à son égard’; que face à la crise du secteur avicole et aux impayés auxquels a elle dû faire face, elle n’a eu d’autre choix que d’imputer une partie de ses défauts de paiements sur l’ensemble des associés coopérateurs, à défaut de quoi elle aurait dû constater la cessation des paiements et solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire’; que Mme C. ne peut exciper de l’inexécution par la coopérative de ses obligations de paiement au titre de ses livraisons de volailles en décembre 2010, alors qu’elle a continué à apporter ses volailles durant le premier semestre 2011 et à s’approvisionner en gaz auprès de la coopérative jusqu’en février 2012′; qu’elle a cessé d’apporter sa production de volailles à compter de février 2011 alors qu’elle n’a officialisé une demande de retrait anticipé qu’en septembre 2012′; que la créance de Mme C. à l’égard de la CAFO représente 6’% de ses livraisons de 2010 et 1,8’% des livraisons au titre des trois derniers exercices, de sorte que les manquements prétendus, justifiés par des motifs économiques, ne sont pas suffisamment graves pour justifier la résolution du contrat coopératif’; que la jurisprudence n’admet pas qu’un coopérateur puisse demander la résiliation des conventions le liant à une coopérative, en raison des fautes et des irrégularités commises par elle dans sa gestion, seule l’action sociale étant alors ouverte.

L’intimée indique qu’elle disposait de plusieurs motifs valables de démission’; qu’elle était motivée par l’absence de règlement du solde de son dernier enlèvement de volaille, et l’annonce par la CAFO de son incapacité à assurer le paiement des livraisons à venir dans les délais, et du redressement judiciaire en date du 4 février 2011 de la société G., filiale à 100’% de la CAFO’; qu’en accusant plusieurs retards dans les paiements, en modifiant les dispositions contractuelles notamment en supprimant les garanties liées à l’assurance-crédit et en ne respectant pas les conditions de forme dans la procédure de retrait, la CAFO n’a pas exécuté loyalement son contrat, ce qui caractérise un motif valable de retrait supplémentaire’; qu’il existait un motif d’application des dispositions de l’article 1184 du code civil‘; qu’elle a toujours indiqué aux administrateurs de la CAFO qu’elle assurait la production de volailles en partenariat avec la CAFO dans le seul but de financer un projet de chambre d’hôtes avec la création d’un poste de femme de chambre à destination de sa fille présentant un handicap lié à une trisomie 21′; qu’en outre, son âge, connu de l’ensemble des membres du bureau de la CAFO, l’a également incité à mettre un terme à son activité auprès de la coopérative, et compte tenu des incertitudes pesant sur la santé financière de celle-ci, aucun candidat à la reprise ne s’est fait connaître pour reprendre une exploitation agricole dépendante financièrement d’une coopérative au bord de la faillite et n’assurant plus ses paiements auprès de ses adhérents’; que la CAFO ne démontre pas l’existence d’un préjudice direct et certain.

L’article R.522-4 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable, dispose’:

«’Sauf en cas de force majeure dûment justifié et soumis à l’appréciation du conseil d’administration, nul associé coopérateur ne peut se retirer de la coopérative avant l’expiration de sa période d’engagement.

Toutefois, en cas de motif valable, le conseil d’administration peut, à titre exceptionnel, accepter sa démission au cours de cette période si son départ ne doit porter aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et s’il n’a pas pour effet de réduire le capital au-dessous de la limite fixée à l’article R. 523-3, alinéas 3 et 4’».

L’article 1184 du code civil dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, dispose que «’la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement’».

Le 15 septembre 2012, Mme C. a écrit à la CAFO un courrier rédigé comme suit’:

«’Je venais par ce courrier dénoncer mon contrat sur mes 3 bâtiments contrat signé le 15/12/1997 au nom de Monsieur C. Jean-Louis

1 -Je suis en âge révolu pour prendre ma retraite à 63 ans

2 – La coopérative CAFO a une créance à mon endroit’».

Si ce courrier fait référence à l’adhésion de l’époux de Mme C., dont elle a pris la suite tant pour l’élevage de volailles qu’en qualité d’adhérente de la coopérative, seule la durée d’engagement au titre du contrat d’adhésion personnelle de Mme C. doit être appréciée.

En l’espèce, Mme C. ayant adhéré à la CAFO le 3 septembre 2008 pour une durée de cinq exercices à compter de l’expiration de l’exercice en cours, elle était engagée jusqu’au 31 décembre 2013. Son retrait anticipé nécessitait donc l’existence d’un cas de force majeure ou d’un motif valable.

Il n’est pas contesté que la CAFO est redevable d’une dette à l’égard de Mme C. d’un montant de 8’267,49 euros, réduit à 7’195,34 euros à la suite d’achats réalisés par cette dernière, cette créance ayant fait l’objet d’une condamnation de la CAFO au profit de Mme C., non contestée en cause d’appel.

La CAFO justifie avoir subi des difficultés financières engendrées par un client, la société G., dont les défauts de paiement étaient évalués à 1,6 millions d’euros au 31 décembre 2010 et qui a été placée en redressement judiciaire, cette situation ayant conduit la CAFO à différer temporairement les règlements aux associés coopérateurs. Le report de paiement des sommes dues à Mme C. comme aux autres coopérateurs ne constitue pas un cas de force majeure ni un juste motif de retrait, au regard des difficultés conjoncturelles de la filière avicole et de la nécessité pour la CAFO de trouver des solutions afin d’éviter de se trouver elle-même en redressement judiciaire.

Si la CAFO a utilisé les fonds de la réserve assurance crédit pour apurer les dettes nées des difficultés financières de la société G., cette utilisation a permis de contribuer aux pertes de l’exercice de l’année 2010 et de prévenir le risque de défaillance ultérieure. Il est justifié que cette décision résulte d’une résolution de l’assemblée générale des associés de la CAFO dont il n’est pas allégué que sa validité aurait été contestée. Il n’est donc pas établi de manquement de la coopérative à ce titre.

En outre, la CAFO justifie que la créance de Mme C. envers la CAFO, d’un montant de 8’267,49 euros, représente 6’% des sommes réglées à Mme C. en 2010, au titre de ses apports de volailles, et 1,8’% des sommes réglées au titre des trois derniers exercices. Le report temporaire de paiement de ladite somme, n’a pas empêché la CAFO de régler à Mme C. les autres livraisons de volailles postérieures à l’année 2010. Le report de paiement de la somme de 8’267,49 euros ne constitue donc pas un motif grave justifiant la résiliation du contrat coopératif, au regard de son faible impact sur la trésorerie de Mme C. et du fait que cette décision était justifiée par le souci légitime de préserver la situation financière de la coopérative dans l’intérêt commun des coopérateurs.

S’agissant de l’âge révolu pour l’admission à la retraite de Mme C., il n’était pas inconnu de celle-ci lorsqu’elle s’est engagée pour cinq années auprès de la CAFO, le 3 septembre 2008, de sorte qu’il ne peut constituer un cas de force majeure. Le départ à la retraite de Mme C. avant l’expiration de la période d’engagement procède d’un choix délibéré, dont il n’est pas établi qu’il coïncide avec la cessation de son exploitation, laquelle pouvait poursuivre avec un repreneur, afin de respecter l’engagement de livrer des volailles jusqu’au 31 décembre 2013. En conséquence, le fait d’atteindre l’âge révolu pour l’admission à la retraite ne peut constituer un motif valable de retrait anticipé de la coopérative.

Mme C. ne justifiant pas d’un motif valable de retrait anticipé de la coopérative, elle se trouve mal fondée à alléguer que son retrait ne causerait pas de préjudice à la CAFO, alors qu’elle s’était engagée à livrer sa production de volailles jusqu’au 31 décembre 2013.

Le conseil d’administration de la CAFO était fondé à ne pas faire droit à la demande de retrait anticipé de Mme C..

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré inopposable à Mme C. la décision non datée du conseil de surveillance de la CAFO rejetant sa démission et en ce qu’il a constaté la validité de la démission de Mme C. en date du 15 septembre 2012.

Sur la régularité de la décision de la CAFO du 19 décembre 2012 :

L’intimée soutient que la CAFO ne justifie ni du nombre des administrateurs en exercice, ni de celui des administrateurs présents le jour où ladite délibération a été prise et ce, en contravention avec les dispositions de l’article 28 des statuts, rendant impossible tout contrôle, par les juges, de la validité de la délibération’; que la décision du 19 décembre 2012 ne saurait être considérée comme remplissant les conditions de forme légalement et statutairement exigées, de telle sorte qu’elle est nulle et non avenue et, à tout le moins, elle lui est inopposable’; que les droits de la défense ont été gravement méconnus puisque l’invitation faite le 27 novembre 2012 à venir s’expliquer devant le conseil d’administration avant le 15 décembre 2012 pour la réunion du 19 décembre 2012 n’est qu’une supercherie, le conseil s’étant prononcé sur les sanctions pécuniaires lors de la réunion du 15 novembre 2012.

Le procès-verbal de délibération du conseil d’administration de la CAFO en date du 15 novembre 2012 mentionne le vote de la résolution suivante, relatif aux sanctions pécuniaires concernant les coopérateurs défaillants dont faisait partie Mme C.’:

«’Pour ces 10 associés coopérateurs, la présidente propose au Conseil d’administration de lancer la procédure prévue à l’article 8 § 8 des statuts visant à prononcer contre eux des sanctions pécuniaires (frais ‘xes et pénalités) en les mettant préalablement en demeure de fournir toutes explications sur les manquements constatés.

La notification aux 10 associés coopérateurs comportera, en outre, mise en demeure de respecter leurs engagements pour l’avenir.

Cette résolution mise aux voix est adoptée à l’unanimité (6 voix)’».

Par courrier recommandé du 27 novembre 2012, précédemment relaté, Mme C. a été mise en demeure de respecter ses engagements pour l’avenir, et a été invitée à formuler ses observations sur les manquements contractuels qui lui étaient imputés, avant que le conseil d’administration ne se prononce sur les frais fixes et les sanctions pécuniaires.

Mme C. a été mise en mesure de faire valoir ses explications avant la décision du conseil d’administration sur les sanctions pécuniaires, ce qu’elle a d’ailleurs fait en écrivant à la CAFO, par l’intermédiaire de son conseil, le 12 décembre 2012. En outre, il n’est nullement établi que les sanctions pécuniaires avaient déjà été prononcées lors de la réunion du 15 novembre 2012, le conseil d’administration ayant seulement décidé de mettre en ‘uvre la procédure pouvant conduire au prononcé de sanctions pécuniaires, dont la première étape était la délivrance de la mise en demeure du 27 novembre 2012. L’atteinte aux droits de la défense n’est donc nullement établie, la CAFO ayant par ailleurs respecté la procédure prévue par ses statuts.

Le conseil d’administration de la CAFO, aux termes du procès-verbal de délibération du 19 décembre 2012, a décidé de l’exclusion de Mme C. à l’unanimité et de l’application des sanctions pécuniaires prévues par les statuts.

Ce procès-verbal porte mention de la date de la réunion du conseil d’administration et des décisions prises, les noms des membres présents soit neuf personnes permettant d’atteindre le quorum, et les noms des membres excusés, soit une personne. Il est donc établi que le conseil pouvait valablement délibérer en présence de six membres sur les dix membres en exercice dont Mme C., coopératrice, ne pouvait d’ailleurs pas en ignorer leur nombre et leur identité. La délibération est donc conforme aux statuts de la CAFO.

Mme C. sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer nulle, voire inopposable la décision du conseil d’administration en date du 19 décembre 2012.

Sur les sanctions pécuniaires applicables au coopérateur :

L’appelante indique que Mme C. n’a pas repris les livraisons malgré la première mise en demeure suivant courrier recommandé en date du 27 novembre 2012′; qu’il a été fait application des sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 § 6 et 7 des statuts de la CAFO’; que seule la pénalité statutaire de 20’% a la nature de clause pénale, à l’exclusion de la participation aux frais fixes qui est de droit’; que les pénalités mises à la charge de l’associé défaillant se calculent non pas sur un seul exercice, mais sur la durée de l’engagement restant à courir’; qu’elle n’a pas eu un comportement discriminatoire vis-à-vis de Mme C. par rapport à d’autres associés qui ont fait valoir leur retrait, qui n’étaient pas dans la même situation que cette dernière.

L’intimée soutient que l’application des sanctions pécuniaires n’est pas prévue d’office’; que la CAFO a accepté le départ d’autres producteurs, sans prononcer la moindre sanction à leur encontre et a signé des conventions d’abandon de créance avec d’autres producteurs qui ont donné leur démission’; que la cour pourra s’interroger sur la différence de traitement et la discrimination réalisée par la CAFO à son encontre’; que le conseil d’administration doit motiver sa décision prononçant la sanction, ce qu’il n’a pas fait’; que la CAFO ne justifie pas de son prétendu préjudice’; que les chiffres avancés par la CAFO ne correspondent pas aux charges fixes régulières visées à l’article 8 § 6 des statuts, de sorte qu’ils lui sont inopposables’; que son départ n’a causé aucun préjudice à la CAFO’; que la comptabilité de la CAFO, versée aux débats au titre de la pénalité de 20’%, est globale et ne distingue pas entre les différentes productions (avicole, spécifique ou classique), de sorte qu’elle n’est pas probante’; que les frais fixes et pénalités auxquels prétend la CAFO sont assimilables à des dommages-intérêts et seront considérés comme une clause pénale que la cour réduira, à titre subsidiaire, dès lors qu’elle n’est pas en mesure de les régler.

L’article 8 des statuts de la CAFO stipule en ses paragraphes 6 et 7′:

«’6. Sauf cas de force majeure dûment établi, le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs.

Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées et les chiffres d’affaires de l’approvisionnement non effectués pour la couverture des charges suivantes constatées au cours de l’exercice du manquement’:

– les charges correspondant à celles comptabilisées dans les comptes 61 et 62′;

– les impôts et taxes (compte 63)’;

– les charges de personnel (compte 64)’;

– les autres charges de gestion courante (compte 65)’;

– les charges financières (compte 66)’;

– les charges exceptionnelles (compte 67)’;

– les dotations aux amortissements et aux provisions (compte 68)’;

– les participations des salariés aux résultats de l’entreprise (compte 69)’;

– les impôts sur les sociétés (compte 69).

7. En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par un associé coopérateur, le conseil d’administration pourra, en outre, décider de prononcer une ou plusieurs des sanctions suivantes’:

1°) Pénalité égale à 20’% de la valeur des produits non livrés, estimés sur la base du prix de règlement aux éleveurs pendant la période où la livraison n’a pas été effectuée, ou 20’% de la valeur des approvisionnements ou des services non sollicités.

2°) Non respect des règles de production et de mise en marché’: application des dispositions du paragraphe 5 de l’article 10.

3°) L’exclusion définitive peut être prononcée par le conseil d’administration en cas de refus de reprise de livraison à la coopérative après mise en demeure et en cas de récidive dans le non-respect des règles de production et de mises en marché.

4°) La coopérative peut refuser d’accepter la livraison des produits de l’associé coopérateur ne correspondant pas aux normes fixées.

Tous frais de gestion et éventuellement tous frais de poursuites quelconques entraînés par la mise en application des sanctions ci-dessus sont à la charge de l’associé coopérateur lorsque la décision du Conseil d’administration prononçant la sanction est devenue définitive soit après recours éventuel, soit en l’absence d’un tel recours.’».

L’article 8 § 8 des statuts de la CAFO prévoit’: «’Avant de se prononcer sur la participation aux frais fixes et sur les sanctions respectivement prévues aux paragraphes 6 et 7 ci-dessus, le conseil d’administration devra, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, mettre en demeure l’intéressé de fournir des explications’».

En application de ces dispositions, la présidente du conseil d’administration a, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 27 novembre 2012 adressé à Mme C., une mise en demeure de fournir par écrit des explications sur les manquements constatés, avant le 15 décembre 2012, étant précisé qu’en fonction de ces explications, le conseil d’administration se réunissant le 19 décembre 2012 serait conduit à se prononcer sur la participation aux frais fixes et sur les sanctions en application des articles 8.6 et 8.7 des statuts.

Le procès-verbal de délibération du conseil d’administration du 19 décembre 2012 comporte la décision suivante, relative à Mme C.’: «’son courrier de réponse a été vu et transmis à Me G., le conseil a voté à l’unanimité en faveur de son exclusion et de l’application des sanctions pécuniaires prévues par les statuts’».

Cette décision succincte et non précise, ne permet pas de connaître le détail des sanctions pécuniaires que le conseil d’administration a décidé d’appliquer à Mme C., en plus de son exclusion.

Or ces sanctions devaient être choisies parmi celles énoncées par l’article 8 § 7 des statuts, qui ne s’appliquent nullement de plein-droit par seule référence aux statuts.

En outre, la délibération du 19 décembre 2012 ne mentionne pas de décision quant à la participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs qui aurait dû être mise à la charge de Mme C..

Par courrier recommandé adressé à Mme C., le 7 janvier 2013, la présidente du conseil d’administration de la CAFO a sollicité le paiement de la somme de 48’258 euros au titre de la participation aux frais fixes et de la pénalité pour préjudice subi de 2011 au 2e trimestre 2012.

Toutefois, le choix de la sanction et de la participation aux frais fixes s’appliquant à un coopérateur ne respectant pas ses engagements, ne peut résulter, aux termes des statuts de la CAFO, que d’une décision du conseil d’administration et non du président de celui-ci. Le courrier du 7 janvier 2013 ne peut donc pallier l’absence de décision claire, précise et motivée du conseil d’administration, lors de sa réunion du 19 décembre 2013, quant aux frais et aux sanctions devant s’appliquer à Mme C..

Si le conseil d’administration de la CAFO a, dans sa réunion du 3 juin 2016, décidé d’actualiser la participation de Mme C. aux frais fixes et la pénalité pour préjudice subi de 2011 à 2013, à la somme totale de 128’378,82 euros, cette délibération ne peut régulariser l’absence de choix des sanctions et de la participation aux frais fixes, lors de la décision d’exclusion de Mme C. de la coopérative, prise le 19 décembre 2012.

Il convient, en effet, de relever que le conseil d’administration avait d’ores-et-déjà prononcé la sanction d’exclusion définitive de Mme C. lors de sa réunion du 19 décembre 2012, et qu’aucune mise en demeure préalable au prononcé de la participation aux frais fixes et des sanctions pécuniaires, n’avait été adressée à Mme C. avant la réunion du conseil d’administration du 3 juin 2016, de sorte que celle-ci n’a pu faire valoir les explications prévues à l’article 8 des statuts.

La CAFO n’établissant pas l’existence d’une décision motivée du conseil d’administration sur la participation de Mme C. aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs ainsi que sur le type de sanction pécuniaire devant lui être appliquée, il convient de la débouter de ses demandes formées à ce titre.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. Mme C. succombant en ses demandes, il convient de la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu’il a’:

– déclaré inopposable à Mme C. la décision non datée du conseil de surveillance de la Coopérative agricole des fermiers de l’orléanais rejetant sa démission’;

– constaté la validité de la démission de Mme C. en date du 15 septembre 2012′;

– condamné la Coopérative agricole des fermiers de l’Orléanais à payer à Mme C. la somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘;

– condamné la coopérative agricole des fermiers de l’Orléanais aux dépens’;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT’:

DÉCLARE opposable à Mme Danièle C. la décision du conseil d’administration de la Coopérative agricole des fermiers de l’Orléanais, en date du 15 novembre 2012, rejetant sa demande de départ anticipé’;

DIT que Mme Danièle C. ne justifie pas d’un motif valable de retrait anticipé de la Coopérative agricole des fermiers de l’Orléanais’;

CONFIRME le jugement pour le surplus’;

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile‘;

CONDAMNE Mme Danièle C. aux entiers dépens de première instance et d’appel’:

AUTORISE les avocats de la cause à recouvrer directement et à leur profit, contre la partie condamnée aux dépens, ceux dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Cour d’appel Orléans Chambre civile 8 Février 2021 Répertoire Général : 19/00959

TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX ET RESPECT DE LA PROCEDURE

Selon l’article 455 du code de procédure civile :

Tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

Pour dire que les demandes de Mme Le B. étaient recevables sans tentative préalable de conciliation en première instance, l’arrêt retient que l’intervention volontaire de M. L. a été admise par le tribunal paritaire et qu’il s’en déduit que celle-ci se rattachait aux prétentions des parties originaires par un lien suffisant, de sorte qu’il est devenu une partie au procès, revendiquant le maintien du bail rural à son profit, à l’encontre de laquelle Mme Le B. pouvait présenter des demandes reconventionnelles.

En retenant que M. L. avait élevé une prétention à son profit, tout en confirmant le chef de dispositif du jugement constatant que M. L., intervenant volontaire, n’avait formé aucune demande, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Cour de cassation, 3e chambre civile, 19 Novembre 2020 – n° 19-20.980

Coopératives – La SCIC : un modèle d’avenir pour les coopératives agricoles ? – Etude par Bastien BRIGNON et Bernard HAWADIER

Document: Droit rural n° 488, Décembre 2020, étude 35

Droit rural n° 488, Décembre 2020, étude 35

La SCIC : un modèle d’avenir pour les coopératives agricoles ?

Etude par  Bastien  BRIGNON  maître de conférences HDR à Aix-Marseille universitémembre du centre de droit économique (UR 4224) et de l’institut de droit des affaires (IDA)directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés

et  Bernard  HAWADIER  avocat au Barreau de DraguignanCabinet « VINOLEX »

Accès au sommaire

La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) est une société hybride : véritable coopérative, elle est également une société commerciale. Possédant des caractéristiques propres, telles que la fiscalité des réserves impartageables, ou encore la possibilité de dépasser le seuil des 20 % d’approvisionnement extérieur maximal imposé aux coopératives, elle pourrait être une réponse, autre que la simple filialisation au moyen d’une société commerciale, aux difficultés que peuvent rencontrer les unions de caves viticoles en termes de gouvernance et de besoin de financement.

1. – Au chapitre des sociétés à statut spécial voire très spécial, il en est une qui mérite attention : la « SCIC », coopérative d’intérêt collectif. Il s’agit d’une société, à forme commerciale, régie par les articles 19 quinquies à 19 sexdecies A inclus de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. La SCIC est ainsi une société coopérative. Mais, elle est aussi une société à forme commerciale puisque selon l’article 19 quinquies précité les SCIC sont des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés à responsabilité limitée à capital variable. Elle se trouve dès lors régie tant par la loi de 1947 précitée que par le Code de commerce. D’où la question de sa nature juridique qui confine à l’hybridation, et surtout de son intérêt et de son utilité dans le secteur coopératif, en particulier celui des coopératives agricoles, et plus particulièrement encore au sein des unions de caves viticoles. En effet, nombre d’unions de caves ont d’ores et déjà fait le choix de la SCICNote 1 et ce, afin d’organiser des levées de fonds, sur le modèle d’un financement participatif, leur permettant ainsi de croître et d’acquérir également de nouvelles terres à cultiver, tout en préservant l’identité territoriale.

2. – Les unions de caves coopératives sont confrontées aujourd’hui à diverses problématiquesNote 2 : croître de manière à concurrencer efficacement les acteurs commerciaux du négoce de produits agricoles, et par voie de conséquence satisfaire aux exigences des projets d’investissement, de restructuration et de développement en répondant aux attentes légitimes des coopérateurs par rapport à leurs rémunérations, faire évoluer leur structure juridique au mieux des intérêts des coopérateurs et de leurs coopératives avec un maximum de proximité et d’intéressement, obligation de résoudre à court et moyen terme le problème lié au dépassement récurrent du seuil des 20 % d’approvisionnement extérieur maximal imposé aux coopératives, etc. De ces points de vue, la SCIC offre des opportunités et des perspectives intéressantes, pour les producteurs eux-mêmes mais pas seulement, si bien que la question se pose, pour nombre d’unions de caves viticoles, d’un passage en SCIC par la voie de la transformation (2) . Toutefois, en ce qu’elle applique à la fois les règles des coopératives et celles des sociétés commerciales, la SCIC peut apparaître comme paradoxale (1) .

1.  Le paradoxe de la SCIC

3. – La création de la SCIC s’inscrit dans l’évolution et le développement historique des sociétés coopératives. Elle est une variante originale et novatrice destinée à répondre à des besoins identifiés. La loi fondatrice du droit coopératif contemporain est celle du 10 septembre 1947. Elle a défini la coopérative de manière duale. Elle tend à supprimer des intermédiaires mais aussi vise à l’amélioration quantitative ou qualitative de la situation économique de ses membresNote 3. Il résulte de ce texte que la finalité de la coopérative est incompatible avec celle attribuée par la loi aux sociétés. Mais cette loi comportait des lacunes résultant du renoncement à un régime juridique autonome et donc du renvoi général au droit des sociétés.

4. – Plusieurs réformes sont intervenues. Celles de l’ordonnance du 26 septembre 1967, puis de la loi du 27 juin 1972 et celle de la loi du 13 juillet 1992 destinée à promouvoir le développement des outils financiers afin de renforcer les fonds propres des sociétés coopératives, pour ne citer qu’elles. La création de la SCIC est intervenue avec la loi du 17 juillet 2001 complétée ensuite pas le décret du 21 février 2002. David Hiez souligne qu’elle a été le fruit d’une lente évolution et le produit d’un contexte politique particulierNote 4. Dans sa thèse, Julie DurochNote 5 écrit que la SCIC est le résultat de la réflexion conjuguée des pouvoirs publics et du monde coopératif et associatif, sur fond d’engagements électoraux visant à créer un tiers secteur d’utilité sociale et écologique dans un contexte de tensions entre l’administration fiscale et les groupements à but non lucratifNote 6. Hélène Azarian pour sa part estime qu’elle se situe au confluent d’une double volonté celle du mouvement coopératif de lutter contre le faible développement des coopératives en suscitant la création d’une nouvelle forme juridique et la volonté des pouvoirs publics qui recherchaient un statut permettant à des activités payantes une utilité sociale d’échapper aux limites du statut associatif de la loi du 1er juillet 1901Note 7. La SCIC apparaît par conséquent comme une coopérative (A)  innovante (B) .

A. –  Une coopérative parmi d’autres

5. – L’identité coopérative est une notion autant idéologique que juridique. Selon nombre d’auteurs la coopération agricole est « fille de la misère et de la nécessité »Note 8. Claude Vienney écrit que « les coopératives ne sont pas des organisations quelconques mises à jour et identifiées par une forme et des règles qui fondent leur spécificité institutionnelle même lorsqu’elles se forment et fonctionnent ou lorsqu’elles sont utilisées dans des contextes apparemment différents »Note 9. Malgré la loi du 10 septembre 1947, certains auteurs vont jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas de définition de la coopérative dans la loi françaiseNote 10.

6. – C’est l’alliance coopérative internationale (« ACI ») qui l’a définie en 1995 dans la déclaration de ManchesterNote 11 reprise par la recommandation n° 193 de l’OIT du 3 juin 2002Note 12 : « la société coopérative est un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes coopératifs ».

7. – Selon David Hiez les principes coopératifs sont : la double qualité, l’exclusivisme, la porte ouverte, la démocratie, l’a-capitalisme, la formation et le fédéralismeNote 13. La loi de 1947 fait expressément référence à ces principes coopératifs dans son article 11 mais de manière incidente pour marquer les limites aux avantages qui peuvent être conférés aux porteurs de parts à avantages particuliers. Ce qui conduit le professeur David Hiez à s’interroger sur l’opposition éventuelle entre un ordre public coopératif résultant de la loi du 10 septembre 1947 et les principes coopératifs définis sur le plan international. Dans la filiation du travail d’Olivier FreyNote 14, Julie Duroch pour sa part recense quatre principesNote 15 : l’adhésion volontaire et ouverte à tous, la gouvernance démocratique, la participation économique de ses membres et la formation des membres de la coopération avec les autres coopérativesNote 16.

8. – Indépendamment du contenu de ces principes, il est intéressant de relever ici avec David Hiez que nous sommes face à un concept de droit souple dont la force juridique est aussi incertaine qu’aléatoire. Par ailleurs, les valeurs ainsi recensées vivent et trouvent leur force contraignante et fédératrice dans des coopératives qui prennent la forme de sociétés atypiques particulièrement dans le domaine agricole qui nous intéresse. C’est dans ce contexte que s’inscrit la SCIC.

9. – L’innovation principale de la SCIC est d’être une coopérative multi-sociétaire permettant la réalisation d’un projet économique commun entre des associés ayant des rôles différents (Salariés, usagers, producteurs, investisseurs, collectivités locales)Note 17. Les sociétés coopératives d’intérêt collectif ont un statut à part dans le monde coopératif. Leur spécificité résulte, d’une part, de l’abandon d’un certain nombre des valeurs que nous venons d’identifier, même si la force juridique de ces dernières reste sujette à caution, et, d’autre part, d’une définition légale sur la portée de laquelle il convient de s’interroger.

10. – Il est remarquable de constater que cette société ne fait pas l’objet de dispositions spécifiques. Les textes qui la régissent ont été directement intégrés dans la loi du 10 septembre 1947 aux articles 19 quinquies à 19 sexdecies A inclus. Dans ces conditions, quels sont les principes coopératifs que les textes relatifs à cette société prennent en compte ?

11. – D’abord, la SCIC s’éloigne du schéma de principe de toute coopérative qui repose sur les qualités d’associé et de collaborateur. La SCIC ferme les assemblées dans le cadre de collèges. Ainsi, le cercle coopératif s’élargit-il en laissant par ailleurs une relative liberté au fondateur puisque, si certains collèges sont imposés, d’autres peuvent être librement définis. C’est le multi-sociétariat. C’est aussi la fin de l’exclusivisme puisqu’il n’y a pas qu’une seule catégorie d’associés. Ensuite, la SCIC dispose d’une certaine liberté dans la rédaction de ses statuts lui permettant de s’éloigner du principe démocratique « un homme une voix »Note 18. Par ailleurs, le principe de gestion altruiste est maintenu dans la SCIC ; il se traduit par la notion d’impossibilité de partager les réserves. L’associé n’a pas le droit au partage des bénéfices. À son départ, il ne peut obtenir que le remboursement de son capital. Quant à la répartition des excédents, on parle ici de la notion de ristourne, elle est interdite dans les SCIC.

12. – Ce faisant, cette nouvelle forme de société s’intègre dans un monde identifié à partir de valeurs marquées par leur ambiguïté et un défaut de force juridique clairement affirmé. Pour autant, nul ne peut contester la puissance idéologique et politique du monde coopératif et la volonté de ses acteurs comme de l’État de préserver l’identité comme l’unité, précisément au regard de ses principes dont la préservation est confiée au Haut Conseil de la coopérative agricole (HCCA)Note 19. C’est au demeurant ce qui fait tout le paradoxe de ce monde bien particulier, notamment dans le domaine agricole, dans lequel les coopératives sont assorties d’un certain nombre de contraintes en particulier quant à leur forme juridique sui generis.

13. – La SCIC déroge donc à certains des principes coopératifs, tel que l’exclusivisme, compte tenu de son objet spécifique défini par la loi. Les SCIC ont en effet « pour objet la production ou la fourniture de bien et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale »Note 20. Ainsi, la constitution d’une SCIC, bénéficiant de son caractère dérogatoire, est-elle conditionnée à cette double référence à la fourniture de biens et services d’intérêt collectif ainsi qu’à leur utilité sociale. À l’origine elle était d’ailleurs soumise à l’agrément préfectoral qui a disparu avec la loi du 22 mars 2012.

14. – Que doit-on entendre par intérêt collectif et par utilité sociale ? L’intérêt collectif témoigne de l’abandon du seul intérêt des associés coopérateurs ayant cette double qualité et par voie de conséquence de l’exclusivisme marqué par la coopérative, bien qu’il ait été partiellement remis en cause par la possibilité de traiter 20 % des achats à l’extérieur de la coopérative. Il s’agit donc de rechercher un autre intérêt de nature collective dont la définition reste jusqu’à ce jour particulièrement évasive et susceptible d’être nourrie par des projets aussi divers que variés. Il en est de même de l’utilité socialeNote 21.

15. – Au demeurant, la loi et le décret sont particulièrement elliptiques à ce sujetNote 22. Quant à la jurisprudence, elle est inexistante, de telle sorte que pour un temps assez long le droit positif résultera de la pratique. Laquelle pratique sera sans doute inspirée par l’un des rares textes existant à savoir une circulaire du 18 avril 2002 qui renvoie elle-même à différents textes généraux en matière d’économie sociale et solidaire, qu’il s’agisse de la notion de service d’intérêt collectif ou du caractère d’utilité socialeNote 23. Cette coopérative à l’identité particulière se différencie par ailleurs des autres sociétés du monde coopératif et particulièrement des sociétés coopératives agricoles par sa forme juridique.

B. –  Une forme sociale innovante dans le monde de la coopération

16. – La forme juridique sociale d’une coopérative a des conséquences déterminantes sur son mode de fonctionnement. Toute l’originalité de la SCIC doit s’apprécier au regard du cadre général du droit de ces groupements originaux que sont les sociétés coopératives.

17. – Au sein de ce monde coopératif, les sociétés coopératives agricoles ont leurs spécificités. Celles-ci sont caractérisées par « l’utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité ». Les sociétés coopératives agricoles sont une catégorie spéciale de sociétés, à capital variable, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales, disposant de la personnalité morale et de la pleine capacité juridique (C. rur., art. L. 521-1). Elles constituent une véritable originalité dans le droit français.

18. – C’est le législateur qui, en 1972, a définitivement tranché, qualifiant ces sociétés de « ni civiles, ni commerciales ». La loi et les décrets organisent un statut complet qui se suffit pratiquement à lui-même selon Chantal ChomelNote 24. Elles se distinguent des sociétés commerciales à bien des égards, conformément à la jurisprudence de la CJUE : « Les coopératives ne sauraient en principe être considérées comme se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable à celles des sociétés commerciales »Note 25. Cette forme juridique sui generis conduit à l’établissement de statuts typesNote 26.

19. – L’objet des coopératives agricoles est défini par la loi et complété par l’article R. 521-1 du Code rural et de la pêche maritime. Cet objet est étroitement lié à l’activité agricole des exploitations membres de la coopérative. La coopérative est le prolongement de l’exploitation de ses membresNote 27. Il en est de même pour leurs unions.

20. – Les particularités de ce contexte et la volonté du législateur de répondre à ces différentes attentes constituent très certainement l’explication du paradoxe que constitue cette société d’une nouvelle forme totalement inédite dans le droit des coopératives comme dans celui des sociétés. Inspirées des attentes du tissu associatif, contraint par un régime juridique considéré comme étant restrictif, elles se nourrissent à la fois partiellement des valeurs coopératives définies dans la loi de 1947 et des outils juridiques mis à leur disposition par le statut des sociétés commerciales.

21. – La SCIC est donc en rupture totale avec le régime juridique des sociétés coopératives agricoles, ni civiles ni commerciales, puisqu’elle est expressément commerciale, et que les statuts sont ceux des sociétés commerciales de droit commun, avec la possibilité pour les associés de choisir l’une quelconque de ces formes, qu’il s’agisse de la SARL, de la SA ou encore de la SAS, la seule condition étant de choisir une société dont la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports.

22. – Malgré les limites de son objet, malgré l’objectif d’utilité sociale, le législateur définit bien la SCIC comme étant une société commerciale ; cependant, elle est aussi une société coopérative. Cette dualité déjà trouvée dans le monde coopératif a-t-elle des conséquences sur la nature juridique de cette société ? Si elle est une coopérative, elle ne l’est pas selon le schéma habituel puisqu’elle n’est pas constituée pour servir les intérêts de ses coopérateurs mais un intérêt collectif d’utilité sociale lui donnant ainsi vocation à servir des intérêts parfois divergents, et en tous les cas multiples que l’on retrouvera dans les différents collèges qui seront constitués pour permettre le fonctionnement de cette société. On le voit, le régime juridique de la SCIC est le produit d’une greffe coopérative et associative sur un arbre commercial, ce qui lui confère une nature spécifique sans pour autant en faire une société coopérative répondant aux canons habituels et de droit commun et encore moins à ceux des sociétés coopératives agricoles. Toutefois, force est de constater que la loi ne contient aucune interdiction pour une société coopérative agricole d’adopter cette forme juridique singulière, particulière, spécifique dès lors qu’elle inscrit son activité dans l’objet de la SCIC c’est-à-dire un intérêt collectif d’utilité sociale. Dans ces conditions, quid de la transformation d’une société coopérative agricole ou d’une union de coopératives en SCIC ?

2.  La société coopérative agricole transformée en SCIC

23. – En l’absence d’interdiction formelle et de contradictions entre l’activité agricole d’une coopérative et la poursuite d’un intérêt collectif d’utilité sociale parfaitement compatible avec les valeurs du monde agricole, voire celles de la coopération en général, la question se pose du choix d’une forme de société commerciale pure. Il s’agira de répondre à un certain nombre d’attentes et d’exigences qui résultent à la fois de l’extension du champ d’activité sous couvert de l’intérêt collectif d’utilité sociale, mais aussi de la recherche des outils les plus performants et les plus adaptés à la mise en œuvre d’une gouvernance en cohérence avec les exigences du développement d’une activité concurrentielle et complexe dans le cadre d’importantes unions de coopératives agricoles.

24. – Pour certains auteurs, il y aurait un paradoxe selon lequel la SCIC aurait une identité coopérative à la fois renforcée et dénaturéeNote 28. Nous souscrivons à cette analyse : cette dualité caractérise la SCIC ayant un objet imprégné d’une vocation agricole tenant à la nature des produits élaborés et distribués.

25. – Il faut d’abord voir les conséquences de l’abandon de certaines des valeurs comme l’exclusivisme ou l’a-capitalisme qui vont modifier significativement les caractéristiques de la SCIC (A) , avant d’étudier la transformation proprement dite (B) .

A. –  Les effets de l’abandon de certaines valeurs coopératives

26. – Le choix d’un intérêt collectif agricole d’utilité sociale comme étant l’objet même de la SCIC se traduit par l’abandon de certaines des valeurs qui sont pourtant traditionnellement au cœur de la coopérative agricole. Comme indiqué supra, la loi ne comporte pas d’interdiction. Même si l’agrément préalable du préfet pour constituer une SCIC ou pour transformer une coopérative en SCIC a disparu depuis 2012, les sociétés coopératives sont soumises au contrôle notamment du HCCA ; il apparaît nécessaire qu’une telle opération soit préalablement soumise aux autorités de contrôle. Il peut même être envisagé la consultation préalable de l’État à travers son préfet, anciennement titulaire du pouvoir d’autorisation, afin de recueillir en amont son avis, à l’instar d’un rescrit fiscal. Sous cette seule réserve qui nous apparaît de prudence plus que d’obligation, il convient donc d’envisager le cadre et les conséquences de chacune des deux modifications essentielles quant aux valeurs de la coopération à savoir, l’atteinte au principe de l’exclusivisme et à celui de l’a-capitalisme.

27. – L’exclusivisme coopératif est la contrepartie et le corollaire de la double qualité des coopérateurs. Le membre d’une coopérative en est l’associé en même temps que l’entrepreneur. La coopérative ne doit distribuer que les produits de ses associés dans la mesure où son objet est celui-ci. Avec la SCIC, l’objet n’est plus le même. Il est de poursuivre un objectif collectif d’intérêt social, de sorte que plus rien ne justifie la règle de l’exclusivisme. Ce principe doit être analysé de manière à déterminer quelle en est précisément la cause afin ensuite de s’assurer de ses conséquences.

28. – Quel est le fondement juridique de l’abandon de l’exclusivisme ? Selon l’article 3 de la loi du 10 septembre 1947, la coopérative ne doit rendre de service qu’à ses membres. Ce principe est également affirmé dans l’article 1er, paragraphe 4 du règlement (CE) n° 1435/2003 relatif au statut de la société coopérative européenne. L’exclusivisme est assimilable à la double qualitéNote 29. Considéré comme cardinal à l’origine, l’exclusivisme a été mis en cause par la loi ESS du 31 juillet 2014 qui en a assoupli la rigueur, admettant ainsi la possibilité de transactions limitées avec les tiers dans la proportion toutefois de 20 % du chiffre d’affaires. Il a fallu attendre le décret du 1er juin 2015 pour la mise en application effective de cette disposition afin de déterminer les conditions dans lesquelles les coopératives peuvent prévoir, dans leurs statuts, d’admettre des tiers non sociétaires à bénéficier de leurs activités. La sanction du dépassement de ce plafond est déterminée par ledit décret, lequel prévoit, dans ce cas, que « la coopérative régularise sa situation en ne dépassant plus le seuil au plus tard à la clôture de l’exercice social suivant celui du dépassement constaté ». S’agissant des coopératives agricoles, la même règle doit être respectée, sauf hypothèse particulière de la filialisation. Par conséquent, toute coopérative agricole qui se trouve dans l’obligation de traiter plus de 20 % de son chiffre d’affaires avec des tiers non associés doit dès lors avoir recours à la constitution de filiale. Il en est ainsi lorsque les apports de ses adhérents ne suffisent pas pour satisfaire aux besoins de la commercialisation qui a été mise en place.

29. – On le voit, malgré le tempérament apporté en 2014, cette règle de l’exclusivisme est le corollaire de l’un des principes fondateurs et cardinaux de la coopération et tout particulièrement de la coopération agricole. En tant que telle, la dérogation apportée par la solution de la transformation en SCIC ne peut donc être considérée comme licite, sauf à ce que, en raison de la transformation de son objet, la société coopérative puisse justifier d’un approvisionnement d’une autre nature et d’une autre géographie de producteurs.

30. – La possibilité pour une coopérative agricole transformée en SCIC de bénéficier ainsi d’un régime dans lequel elle ne sera plus soumise à l’exclusivisme est déterminée par la transformation de son objet. C’est l’unique condition, en même temps suffisante. Dès lors que la transformation n’est pas purement formelle, c’est-à-dire qu’elle ne se réduit pas à l’adoption de statuts d’une société commerciale, mais qu’elle correspond réellement à la mise en œuvre d’un projet, qui ne se limite plus à celui initial de la coopérative au sens classique du terme, mais qui est devenu celui d’une SCIC associant à la fois la poursuite d’un objectif intérêt collectif colorée d’utilité sociale, un approvisionnement non exclusif au-delà de 80 % ne devrait pas pouvoir être contesté.

31. – Quant à l’interdiction de pratiquer la ristourne, il s’agit certainement de l’un des points les plus sensibles sur lequel la SCIC marque une rupture avec les sociétés coopératives en général et les coopératives agricoles en particulier, sauf à observer qu’il ne s’agit peut-être au final et en réalité que d’une différence formelle tant la pratique est susceptible de s’organiser autrement ou de contourner ce type de contraintes ou de fictions juridiques.

32. – La ristourne constitue l’une des principales spécificités de la coopérative. La coopérative réalisant ces opérations pour le compte de chacun de ses coopérateurs, ce mécanisme a été imaginé de manière à ce que tous puissent bénéficier des excédents résultant en fin d’exercice sous la forme d’une sorte de trop-perçu de la coopérative à leur égard. Le vocabulaire juridique Cornu la définit comme « le reversement en fin d’année, à un coopérateur, de sa part sur les résultats positifs annuelle de la coopérative ». L’article 15 de la loi du 10 septembre 1947 dispose que « Nulle répartition ne peut être opérée entre les associés si ce n’est au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux ou du travail fourni par lui ». Et Si les associés ne peuvent prétendre au versement d’intérêt au capital, ils ont droit en revanche à ce qui peut être considéré comme étant le produit de leur activité, la coopérative étant « leur chose ». David Hiez fait ressortir combien sa nature juridique est ambivalente et qu’elle peut, d’une certaine manière, aussi bien être comparée à une forme de distribution de dividendesNote 30. Le professeur Saint-Alary écrit qu’elle est le « trop payé » réservé aux coopérateursNote 31. Marc Hérail rejoint cette analyse en soulignant qu’elle résulte de la vocation de la coopérativeNote 32. L’administration fiscale les assimile d’ailleurs à la restitution d’un trop-perçu aux associés (CGI, art. 214-1, 1°).

33. – Elle se distingue du complément de prix auquel fait référence en même temps qu’à la ristourne l’article L. 521-3-1 du Code rural et de la pêche maritime qui considère que « la rémunération de l’associé coopérateur » consiste dans le « paiement du prix des apports de produits, des services ou des cessions d’approvisionnement, notamment les acomptes et, s’il y a lieu, les compléments de prix », et « les excédents annuels disponibles » (les ristournes). Cette distinction est néanmoins à l’origine de nombreux débats, certains considérant que les ristournes constituent une partie des prixNote 33. La notion de complément de prix n’est pas non plus sans poser de problème au regard de la détermination du prix tant la question se pose de savoir si, en présence de ce complément, le prix est ferme ou ne l’est pas.

34. – L’interdiction de la ristourne est le corollaire du multi-sociétariat. Dès lors que les associés ne sont pas exclusivement constitués par les producteurs et que l’activité de la coopérative n’est plus la chose de ces derniers, il est inévitable de distinguer clairement la question de la rémunération de celle du dividende et, par voie de conséquence, de sortir de cette ambiguïté que nous venons de décrire. Il y a là incontestablement une source de clarification. Le producteur ne peut plus être rémunéré que par le prix de son service et/ou de son produit. Il ne peut plus être question que de fixer un prix selon des critères qui ne relèvent pas d’un rapport de société à associé mais de société à producteur. D’un autre point de vue Julie Duroch explique très clairement qu’« à l’évidence, la mise en œuvre du mécanisme de la ristourne s’avère impossible dans une SCIC car les relations que celle-ci entretient avec ses associés ne sont pas fondées unanimement sur la réduction du prix ou l’amélioration de la qualité d’un produit service »Note 34.

35. – Dans une SCIC il y aura donc lieu de contractualiser la relation entre cette dernière et les producteurs (les coopérateurs de la coopérative classique) afin de définir de manière précise les modalités de détermination du prix. À cet égard il sera parfaitement envisageable d’imaginer la rédaction de clauses contenant un mécanisme de détermination au sens du Code civil de telle sorte que le prix contenant une partie fixe et une partie variable n’en sera pas moins définitivement fixé au regard de la loi. Force est donc de constater que l’abandon de la ristourne pourtant considéré comme emblématique de la coopérative ne se traduira pas par une remise en cause des modalités de rémunération des producteurs associés et anciens coopérateurs…

B. –  La transformation proprement dite

36. – C’est dans ces conditions que la question peut se poser pour une coopérative agricole, ou une union de coopératives, de se transformer en SCIC. D’un point de vue juridique, il s’agit d’une transformation, ce qui signifie qu’il n’y a ni dissolution de l’union ou de la coopérative ni création d’une SCIC, mais que l’union ou la coopérative perdure, avec une continuité de la personnalité morale par application de l’article 1844-3 du Code civil ; simplement change-t-elle de forme sociale pour adopter les statuts d’une SCIC sous forme de SAS, SA ou SARL, son capital social restant variable et son numéro RCS ne changeant pas. Ceci implique une décision unanime des associés en faveur de la transformation en SCIC aux termes d’une assemblée générale extraordinaire ; ceci implique éventuellement l’intervention d’un commissaire aux comptes en vertu de l’article L. 224-3 du Code de commerce, si du moins la forme choisie est une société par actions et qu’elle ne comportait pas de commissaire aux comptes.

37. – On rappellera en effet que selon l’article 19 quaterdecies de la loi du 10 septembre 1947 :« La décision régulièrement prise par toute société, quelle qu’en soit la forme, de modifier ses statuts pour les adapter aux dispositions du présent titre n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle.Lorsqu’une société prend une telle décision, ses parts ou actions sont converties en parts sociales. L’assemblée générale arrête la valeur des parts, dont le montant peut être supérieur à celui de la valeur nominale, détenues par les associés présents dans le capital lors de l’adoption du statut de SCIC.[…]L’écart de valorisation qui peut résulter de l’opération entre la valeur nominale des parts sociales annulées et la valeur déterminée lors de la modification des statuts peut être comptabilisé, pour tout ou partie, à l’actif du bilan de la société, dans les conditions fixées par un règlement de l’Autorité des normes comptables ».Si la forme choisie est la SAS, l’unanimité de l’article L. 227-3 du Code de commerce (texte applicable à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, qui se transforment en SAS), s’impose de manière cumulative avec l’article 19 quaterdecies précité.Dès lors, il pourrait être opportun d’organiser une consultation préalable au sein de la coopérative ou de l’union des coopératives afin d’anticiper les éventuelles oppositions à pareille transformation. En présence d’associés hostiles au projet, il serait alors préférable de devancer la difficulté et d’organiser le retrait ou l’annulation prévus par l’article 19 quaterdecies, alinéa 3. Ainsi, les associés des coopératives récalcitrants au projet de transformation, sortiraient avant la transformation et une fois la réduction de capital faite, serait votée à l’unanimité ladite transformation.

38. – Une dernière question peut être envisagée, celle de la valorisation de la société à l’occasion de sa transformation. Un commissaire à la transformation peut être amené à intervenir si la SCIC opte pour une forme de société par actions. Celui-ci devra nécessairement s’interroger sur le montant des capitaux propres et sur la valeur nette des actifs, et en particulier de la marque de la société. Une réévaluation (imposée par les règles comptables, dont le principe de sincérité) n’est donc pas à exclure à l’occasion de la transformation, ce qui pourrait constituer une opportunité très intéressante. En effet, en tant que coopérative, la SCIC ne peut pas avoir de valeur patrimoniale. Cependant, la forte valeur de certains actifs est incontestable, si bien que cette valorisation pourrait apparaître au moment de la transformation de l’union ou de la coopérative en SCIC.

39. – La SCIC ouvre des perspectives très intéressantes. Elle n’est pas sans contrainte. Mais elle présente des avantages indéniables en vue d’un développement différencié d’union de caves coopératives, tout en conservant un attachement fort aux valeurs coopératives traditionnelles qui peuvent être contractualisées dans les statuts en cas de choix de la forme de SAS de manière par ailleurs à ne pas sortir d’un système coopératif dont les fondements identitaires reviennent en vogue avec le développement des formes de l’économie sociale et solidaire.▪

L’essentiel à retenir :
• La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), tout en étant une véritable coopérative, est également une société à forme commerciale. • La SCIC dispose d’atouts indéniables : possibilité de dépasser le seuil des 20 % des tiers non sociétaires, réserves impartageables non fiscalisées, gouvernance démocratique avec des collèges et catégories d’associés, réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers, etc. • Elle préserve les valeurs de toute coopérative mais peut s’en extraire pour partie et ce, au service même des coopérateurs et des coopératives, des producteurs et des consommateurs. • Société a-capitalistique, la SCIC ne peut pratiquer la ristourne. • Dans le domaine vitivinicole, la SCIC répond aux besoins de financement. Inscrite dans une logique de développement local et durable, ancrée dans son territoire, la SCIC présente un intérêt collectif et un caractère d’utilité sociale. • La SCIC Valorise une marque, en préservant en même temps l’identité territoriale et l’authenticité des produits. • La SCIC : de forme privée, à caractère commercial, demeure d’utilité sociale et s’inscrit dans le courant de l’économie sociale et solidaire.

Note 1 Ardèche Vignobles, Rhonéa Vignobles, etc.

Note 2 R. Rangeard, Les mutations du modèle coopératif confronté au marché, G. Jazottes (dir.) : Th., université de Toulouse, 2019.

Note 3 D. Hiez, Société coopérative : Dalloz Action, 2018-2019, n° 021. 82.

Note 4 D. Hiez, préc., n° 022.51.

Note 5 J. Duroch, La société coopérative d’intérêt collectif à l’épreuve du statut de la coopération et du droit des sociétés, D. Gibirila (dir.) : Th., université de Toulouse, 2017.

Note 6 J. Duroch, thèse préc., p. 17, n° 10.

Note 7 , JCl. Société Traité, fasc. 170-90, 2019, n° 3, SCIC, par P. Le Vey et H. Azarian. – Adde JCl. Sociétés Formulaire, fasc. S-1230, Sociétés coopératives d’intérêt collectif, 2019, par H. Azarian.

Note 8 J. Defrouny, Pratiques coopératives et mutations sociales : L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 1995, p. 16.

Note 9 C. Vienney, Socio économie des organisations coopératives : Paris, C.I.E.M., coll. Tiers secteur, 1980, p. 8.

Note 10 C. Chomel, Le cadre juridique et la gouvernance des coopératives agricoles dans les coopératives agricoles : Larcier, 2014.

Note 11 Déclaration internationale : www.ica.coop.

Note 12 Recommandation n° 193 : www.ilo.org.

Note 13 D. Hiez, préc., n° 021.91 et s.

Note 14 O. Frey, in Les coopératives agricoles : Larcier, 2015, p. 40 et 41.

Note 15 J. Duroch, thèse préc., p. 13.

Note 16 C. Chomel, La gouvernance des coopératives agricoles à la lumière des récentes modifications législatives : RD rur. 2017, étude 25.

Note 17 C. Chomel, préc., p. 70.

Note 18 C. Schmitt, Le principe « un homme, une voix » dans les sociétés coopératives, J.-P. Legros (dir.) : Th., université de Franche-Comté, 2015.

Note 19 www.hcca.coop

Note 20 L. 10 sept. 1947, art. 19 quinquies, al. 2.

Note 21 Préc., chap. 1, p. 33 et s.

Note 22 En ce sens : H. Azarian, préc.

Note 23 JCl. Sociétés, fasc. 170-90, n° 13 et s., par P. Le Vey et H. Azarian.

Note 24 C. Chomel, préc., p. 75.

Note 25 CJUE, 8 sept. 2011, aff. C-78/08.

Note 26 www.juricoop.coop.

Note 27 C. Chomel, préc., p. 81 et s.

Note 28 En ce sens : J. Duroch, thèse préc.

Note 29 L. Coûtant, L’évolution du droit coopératif de ses origines à 1950 : RID comp. 1954, 6, 3, p. 587-589. – D. Hiez, préc., n° 121-11.

Note 30 D. Hiez, préc., n° 334-13.

Note 31 R. Saint-Alary, Éléments distinctifs de la société coopérative : RTD com. 1952, p. 485.

Note 32 M. Hérail, Aspects contractuels : RD rur. 2011, dossier 9.

Note 33 M. Hérail, art. cit., n° 10.

Note 34 J. Duroch, thèse préc., n° 310.

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RESILIATION D’UN BAIL RURAL et EXPLOITATION

Vu les articles L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime et 500 du code de procédure civile :

Le cessionnaire du bail doit, comme tout repreneur, se consacrer immédiatement à l’exploitation du bien et participer aux travaux sur les lieux de façon effective et permanente.

Pour rejeter la demande de résiliation formée par le groupement bailleur, l’arrêt retient que celui-ci ne peut pas utilement reprocher au preneur de ne pas s’être personnellement consacré à l’exploitation des parcelles louées dès le 30 avril 2014, date de l’arrêt autorisant la cession du bail à son profit, dès lors qu’un pourvoi avait été formé à l’encontre de cette décision et que, même si celui-ci n’avait aucun effet suspensif, la cession définitive n’est intervenue que le 8 octobre 2015, lorsque la Cour de cassation a validé la cession.

En statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier l’abstention d’exploiter du preneur postérieure au 30 avril 2014, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 3 Décembre 2020 – n° 19-23.990

PERSONNALITE MORALE D’UNE COOPERATIVE AGRICOLE

C’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que, si l’article L. 521-1 du code rural et de la pêche maritime attribue la personnalité morale aux sociétés coopératives agricoles, c’est à la condition qu’elles soient immatriculées au registre du commerce et des sociétés, et en a déduit qu’en l’absence d’immatriculation avant le 1 novembre 2002, la société coopérative agricole Technique et solidarité avait perdu la personnalité morale et était devenue, de ce fait, une société en participation.

Par ailleurs, ayant, à bon droit, retenu que la société coopérative agricole Technique et solidarité avait perdu la personnalité morale faute de s’être immatriculée avant le 1 novembre 2002 et qu’elle était ainsi devenue une société en participation à cette date, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle ne pouvait être liquidée selon les règles propres aux sociétés coopératives agricoles, peu important l’expiration du temps pour lequel elle avait été constituée.

Cour de cassation 1re chambre civile 6 Janvier 2021 Numéro de pourvoi : 19-11.949

Coopérative agricole et perte de la qualité d’associé coopérateur

La perte de la qualité d’associé coopérateur est soumise à un ensemble de règles statutaires précises et ne se perd pas par la cessation de livraison des récoltes. Faute d’avoir notifié son retrait conformément aux dispositions statutaires, M. G. avait toujours la qualité d’associé coopérateur lors de l’ouverture de la procédure collective de la coopérative, peu importe qu’il ait cessé tout apport.

La Cour de cassation confirme la force obligatoire des statuts en cas de perte volontaire de la qualité d’associé-coopérateur d’une coopérative agricole.

lexis nexis

– À défaut de s’être régulièrement retiré dans les formes et conditions statutaires, l’adhérent d’une coopérative ne saurait exciper, pour dénier sa qualité de coopérateur, avoir cessé d’utiliser dans les faits les services de la coopérative.

– Cette décision est une nouvelle illustration d’un principe déjà dégagé par la jurisprudence, selon lequel les relations entre une coopérative et ses membres sont exclusivement régies par les dispositions statutaires.

– Elle est un rappel salutaire au droit coopératif, à une époque où les coopérateurs ont de plus en plus tendance à vouloir prendre des libertés avec leur engagement coopératif.

LEXIS NEXIS

Cass. 1re civ., 25 mars 2020, n° 18-17.721, F-P+B : JurisData n° 2020-0076

Cass. 1re civ., 20 mai 2020, n° 18-18.138 à 18-18.141 : JurisData n° 2020-014576

RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE. – Responsabilité du fait des produits défectueux. – Mise en circulation du produit. – Lien de causalité

Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.689, P+B+R+I : JurisData n° 2020-016555 (CA Lyon, 11 avr. 2019, n° 17/06027). – Rejet

Après avoir retenu, à bon droit, que la mise en circulation du produit correspond à l’entrée dans le processus de commercialisation, l’arrêt relève que le produit, acquis par la victime en avril 2004, a été livré en juillet 2002 à la coopérative agricole par le demandeur, qui n’apporte aucun élément de preuve relatif à un stockage du produit de longue durée en son sein. La cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que le produit avait été mis en circulation par son producteur postérieurement au 22 mai 1998 et que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux était dès lors applicable.

Ayant fait ressortir que la société demanderesse se présentait comme le producteur sur l’étiquette du produit, la cour d’appel a pu en déduire qu’elle devait être assimilée au producteur.

Ayant estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans présumer l’existence d’un lien causal, que les éléments de preuve rapportés constituaient des indices graves, précis et concordants, la cour d’appel a pu en déduire qu’un tel lien était établi entre l’inhalation du produit et le dommage survenu.

Des constatations et énonciations, exemptes de dénaturation, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire qu’en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux.

Des constatations et énonciations, ne procédant d’aucune dénaturation du rapport d’expertise et desquelles il résulte qu’elle ne s’est pas seulement fondée sur l’implication du produit dans la survenue des troubles ressentis par la victime, la cour d’appel a pu déduire l’existence d’un lien causal entre le défaut et le dommage subi par celui-ci.

L’arrêt relève que les réglementations sur le fondement desquelles l’existence d’un défaut a été retenue ainsi que la fiche toxicologique établie par l’INRS en 1997 établissent qu’en juillet 2002, la société demanderesse avait toute latitude pour connaître le défaut lié à l’étiquetage du produit et à l’absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux. De ces énonciations et constatations, la cour d’appel a déduit, à bon droit, sans avoir à procéder à un nouvel examen de la date de mise en circulation du produit, que la société ne pouvait bénéficier d’une exonération de responsabilité.

L’arrêt retient que la victime a inhalé des vapeurs de produit, après avoir introduit son visage dans la cuve, que si, comme l’invoquait la société demanderesse, elle ne portait pas de protection destinée à éviter un contact du produit sur le visage, en tout état de cause, une telle protection aurait été inefficace en cas d’inhalation, en l’absence d’appareil de protection respiratoire. La cour d’appel a pu en déduire que la faute de la victime, alléguée par la société demanderesse, était sans lien de causalité avec le dommage.

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