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Droit rural – Quels circuits de proximité pour une commercialisation au « juste prix » ? – Etude par Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté

Droit rural n° 6-7, Juin-juillet 2024, dossier 29

Quels circuits de proximité pour une commercialisation au « juste prix » ?

Etude par Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté maître de conférences à l’université de Poitiers

À la croisée des questions agricoles et alimentaires émergent, sur l’ensemble du territoire, des initiatives en rapport avec les circuits de proximité au « juste prix ». Ces formes d’innovations sociales interrogent le domaine et la logique de marché du droit applicable à la commercialisation des produits agricoles. Le législateur reconnaît et accompagne des démarches expérimentales spécialement depuis la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

1. – La question du prix dans les relations commerciales agricoles est un serpent de mer jamais vaincu : les crises se succèdent et se ressemblent. La structure des marchés agricoles est défavorable au producteur. L’asymétrie entre une offre atomisée et une demande concentrée, plus ou moins marquée selon les filières, conduit souvent à priver l’agriculteur de tout pouvoir de contre-proposition. Le « puissant » est tenté d’obtenir des conditions contractuelles iniques au premier rang desquelles un prix peu rémunérateur voire insuffisant à couvrir les coûts de production. Le consommateur est invité à faire preuve de solidarité, à orienter son acte d’achat vers des produits à forte valeur ajoutéeNote 1 (en espérant qu’elle ruisselle sans entrave) ou, mieux, vers des filières à juste répartition de la valeur ajoutée. L’affichage social de type rémunérascore et les labels de commerce équitable nord-nordNote 2 ont le vent en poupe.

2. – Mais les consommateurs engagés disposant d’une capacité à payer suffisante ne constituent pas le gros des caddies. Le consommateur moyen est volatil, sans compter toutes celles et ceux qui peinent à se nourrir. L’inflation du prix de l’alimentation et l’augmentation de la pauvreté en France menacent l’accessibilité à tous les mangeurs des produits agricoles de qualité. La crise agricole en percute une autre, la crise sociale, qui invite à une approche croisée des questions du prix des produits agricoles, trop bas, et du prix des produits alimentaires, trop élevé. En la matière, les règles de droit son fortement polarisées : les pouvoirs publics s’attachent tantôt à la rémunération des producteurs, tantôt au pouvoir d’achat des consommateurs.

3. – Pour lutter contre les prix agricoles trop bas, le législateur prétend restaurer l’équilibre des relations commerciales par la contractualisation pluriannuelle obligatoire. Constamment en chantier, tiraillé entre libéralisme et interventionnisme, son corpus est formé d’un entrelacs de textes éclatés entre le Code rural et de la pêche maritime et le Code de commerce, parfois peu intelligibles, souvent inefficaces. À bien des égards le droit des relations commerciales agricoles s’apparente à un pistolet à eau face au brasier. La liberté des prix et de la concurrence demeure une loi d’airain et, dans ce petit jeu de tir à la corde entre amont et aval, la main invisible autant que les pouvoirs publics échouent à arbitrer, peut-être par crainte de l’effet inflationniste que pourraient avoir des mesures trop vigoureusesNote 3 .

4. – En miroir, pour lutter contre les prix trop élevés de l’alimentation, les pouvoirs publics s’emploient à soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs par des mesures le plus souvent provisoires qui visent tantôt à stimuler leur capacité à payer, tantôt à bloquer certains prix. Le « panier anti-inflation », mesure phare à défaut d’être lumineuse, reposait sur l’engagement moral des enseignes de grande distributionNote 4 qui s’auto-proclament volontiers défenseurs des intérêts du consommateur, avec l’assentiment plus ou moins assumé des pouvoirs publics. Pour les mangeurs les plus précaires enfin, celles et ceux qui ne peuvent pas consommer au sens économique du terme, l’État organise un système d’aide alimentaire de nature caritative. Au final, producteurs et consommateurs partagent le même risque de dépendance aux acteurs de la transformation et de la distribution alimentaires et subissent la même impuissance du droit à agir, directement ou indirectement, sur le niveau des prix dans un système d’économie libérale.

5. – En réaction certains s’organisent pour imaginer des circuits de commercialisation « au juste prix », juste prix au sens thomiste du terme c’est-à-dire raisonnablement profitable à chacun et au bien communNote 5 . La plupart de ces initiatives visent à réarmer la relation producteur/consommateur au moyen de nouvelles filières qui reposent sur une double proximité géographique et organisationnelle. Pour y parvenir, elles réagencent tout ou partie des trois dimensions classiques d’une filière agro-alimentaire : un collectif d’acteurs, un processus logistique et une chaîne de valeurNote 6 . À s’en tenir aux marchés privés alimentaires on peut citer, en vrac : AMAP, jardins partagés, fermes urbaines, épiceries solidaires, coopératives citoyennes de distribution alimentaire, caisse commune de l’alimentation… Leur diversité fait obstacle à la systématisation. On observe cependant un dénominateur commun : toutes sont des innovations, c’est-à-dire « des processus collectifs multi-acteurs qui émergent dans les territoires pour répondre [au moyen de nouvelles modalités de coordination]Note 7 à des besoins sociaux non satisfaits dans le contexte actuel des marchés et des politiques [publiques] »Note 8 . Elles constituent un modèle de transformation sociale concurrent du droit. Là où le droit repose sur une démarche descendante, obligatoire, globale et rétive à l’incertitude, l’innovation sociale repose sur une démarche ascendante, de libre initiative, locale et expérimentale. Quels rapports entretiennent-ils ? La relation entre droit et innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix mérite d’être interrogée.

6. – L’innovation sociale, c’est faire autrement avec l’existant, c’est puiser dans les ressources juridiques disponibles les instruments nécessaires à la construction de circuits de commercialisation d’un genre nouveau. Nous envisagerons en premier lieu les instruments juridiques pour l’innovation en rapport avec les circuits de proximité au juste prix. Le législateur, spécialement depuis la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, n’est plus indifférent à ces processus de transformation initiés par la base. En contexte de transition agroécologique la règle de droit a évolué pour mieux prendre en compte tout à la fois la méthode expérimentale et ses résultats. Nous envisagerons en second lieu le cadre juridique de l’innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix.

1. Les instruments juridiques pour l’innovation sociale en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

7. – Les possibilités et impossibilités juridiques d’agir, dit autrement le catalogue d’instruments disponibles, dépendent du cadre de régulation dans lequel s’inscrivent les nouveaux modèles économiques et agencements d’acteurs. Or, par hypothèse, le législateur a toujours un temps de retard en sorte que les innovations se coulent parfois mal dans les qualifications et régimes en vigueur. Les innovateurs doivent composer d’abord avec la valse-hésitation liée à la détermination du droit applicable aux circuits de proximité au juste prix. Ils doivent composer ensuite avec la logique de marchéNote 9 , dont ils cherchent à s’extraire, qui sous-tend l’ensemble du droit des relations commerciales agricoles.

A. – Composer avec le droit applicable aux circuits de commercialisation

8. – Un circuit de proximité se présente comme une chaîne plus ou moins longue de contrats translatifs de la propriété d’un produit agricole destiné à être consommé brut ou transformé. Tout contrat de vente de produits agricoles livré sur le territoire français est en principe soumis aux dispositions des articles L. 631-24 et suivants du Code rural et de la pêche maritime qui instituent une contractualisation écrite et pluriannuelle obligatoire. Dans quelle mesure s’applique-t-elle aux circuits de proximité qui poursuivent l’ambition de parvenir à un juste prix pour tous ? La réponse est en pratique essentielle car ce corpus, pensé pour des filières déséquilibrées et trans-territoriales, est largement inadapté à ces initiatives locales. Dans un avis rendu le 30 janvier dernierNote 10 , la commission d’examen des pratiques commerciales a rappelé qu’en l’absence de dispositions légales le prévoyant, la proximité géographique entre les acteurs impliqués ne suffisait pas à échapper à l’obligation de contractualisation. En l’état les exemptionsNote 11 , qui concernent certains contrats et certains acteurs considérés par le législateur comme « non pathologiques », peinent à embrasser la proximité organisationnelle, certains nouveaux agencements d’acteurs que l’on observe sur le terrain.

9. – L’obligation de contractualisation ne s’applique pas aux ventes directes au consommateur. Comment traiter les AMAP, groupements d’achats citoyens et autres coopératives de consommateursNote 12 qui proposent un modèle de distribution social et solidaire ? Tout dépend des modalités d’intervention du collectif intermédiaire, très variables en pratique. Soit il intervient en qualité d’opérateur transparent via un contrat de mandat, de courtage ou encore une stipulation pour autrui. La relation contractuelle se noue directement alors entre producteur et consommateur. L’exception de vente directe s’applique. Soit il réalise des opérations d’achat-revente et l’exception de vente directe ne s’applique pas. La taille et les motivations de l’acheteur importent peu. Si un décret fixe un seuil générique de chiffre d’affaires en-dessous duquel le « petit » producteur est exempté de contractualisation (C. rur., art. R. 631-6 I) il n’existe pas, en regard, de seuil générique susceptible d’exempter le « petit » acheteur.

10. – L’obligation de contractualisation ne s’applique pas non plus aux cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées. On imagine que le législateur, familier des approximations rédactionnelles, a voulu désigner par-là les acteurs de l’aide alimentaire, ceux qui fournissent des aliments aux personnes en situation de vulnérabilité (CASF, art. L. 266-2). L’activité d’aide alimentaire peut être réalisée librement en dehors de toute habilitation. Le texte n’y faisant pas référence, il n’y a pas lieu de réserver l’exception caritative aux seules structures habilitées. Certains acteurs de l’aide alimentaire, portés par une volonté d’accès digne à l’alimentation, cherchent à s’extraire de la gratuité et imaginent des dispositifs hybrides qui heurtent la représentation binaire du législateur : le caritatif d’un côté, le marchand de l’autre. Les épiceries sociales et/ou solidaires par exemple demandent une participation financière aux personnes en situation de précarité. Les épiceries solidaires, ouvertes à tous, ne bénéficient certainement pas de l’exception caritative. Le doute est permis s’agissant des épiceries sociales : les denrées achetées servent à la préparation de repas certes, mais par les bénéficiaires eux-mêmes.

Les innovateurs doivent composer ensuite avec la logique de marché qui sous-tend l’ensemble du droit des relations commerciales agricoles.

B. – Composer avec la logique de marché

11. – Les initiatives en rapport avec les circuits de proximité au juste prix sont nombreuses à vouloir sortir d’une logique concurrentielle, d’une logique de marché. Dans un système juridique qui repose sur la liberté des prix, elles peuvent en théorie librement attribuer au produit agricole une valeur autre que la mercuriale, intégrant les besoins et capacités respectives du vendeur et de l’acheteur et possiblement aussi l’utilité sociale des modes et conditions de production. Mais l’affaire n’est pas toujours simple. Elle dépend au premier chef des contraintes économiques supportées par chacune des parties en présence. On sait par exemple que les initiatives d’accès digne à une alimentation durable qui font le choix d’un approvisionnement direct en local peinent à imaginer des « stratégies solides de financement » (clients solidaires, subventions, bénévolat, diversification des activités …) et, partant, à « combler la différence entre prix d’achat rémunérateur et prix de vente accessible »Note 13 . Les contraintes juridiques en revanche sont peu nombreuses, mais pas inexistantes.

12. – En vente directe, un agriculteur ou un collectif d’agriculteurs (coopérative, magasin de producteurs…) a toute latitude pour s’engager dans une politique tarifaire différenciée à partir d’éléments objectifs ou déclaratifs, pourvu que le prix soit déterminé ou déterminable. La tarification différenciée peut prendre la forme soit d’une catégorisation des consommateurs soit d’une pluralité de prix, liberté étant laissée à chacun de choisir celui qui correspond le mieux à sa capacité et à son consentement à payer, soit enfin d’un prix plancher assorti d’un complément de prix libreNote 14 .

13. – En vente intermédiée soumise à contractualisation obligatoire, les formules de prix doivent « prendre en compte » des indicateurs relatifs aux coûts de production, à la qualité, à l’origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges. Ces indicateurs sont repris ensuite par les contrats d’aval installant de la sorte un continuum à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement. En vente intermédiée non soumise à contractualisation obligatoire les formules de prix sont libres d’intégrer de tels indicateurs. Encore faut-il qu’ils existent, qu’ils soient disponibles et qu’ils soient adaptés. Les interprofessions ont été choisies par le législateur pour élaborer des indicateurs de référence (C. rur., art. L. 631-24 III). Si on comprend ce choix il présente, vu sous l’angle des circuits de proximité au juste prix, deux écueils. Le premier tient à l’éviction de la dimension « locale », qui a pourtant un impact sur les coûts de productionNote 15 . Les interprofessions se focalisent sur les modalités contractuelles en considération desquelles les indicateurs ont été rendus obligatoires : des filières longues, trans-territoriales et déséquilibrées. Elles n’élaborent pas, pour l’heure et à notre connaissance, d’indicateurs dédiés aux circuits de proximité. Le second tient à l’éviction des consommateurs de cet espace de dialogue autour des modalités de construction des prix. Depuis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, « les organisations interprofessionnelles peuvent [pourtant] associer les organisations représentatives des consommateurs pour le bon exercice de leurs missions » (C. rur., art. L. 632-1)Note 16 .

14. – Ce qui se joue en creux c’est l’apprentissage de nouveaux modes de fixation des prix qui parviennent à dépasser la logique concurrentielle à l’œuvre dans les filières agroalimentaires classiques. En théorie il est toujours possible de créer des comités de liaison avec les consommateurs dans des collectifs ou organisations de producteurs ou, à l’inverse, des comités de liaisons avec les producteurs dans des groupements de consommateurs. La pratique existe mais la consultation, sans pouvoir décisionnel, sans droit de vote, et l’absence de projet économique commun ne permettent pas de dépasser la logique de marché. Des initiatives locales proposent de surmonter l’écueil par la création de collectifs dotés de la personnalité morale qui associent producteurs et consommateurs. La société coopérative d’intérêt collectif, société commerciale de nature coopérative ayant pour objet la production ou la fourniture de biens et de services qui présentent un caractère d’utilité socialeNote 17 , s’y prête. Producteurs et consommateurs décident ensemble du modèle économique et votent les prix. D’autres initiatives locales se proposent, plus avant, d’établir une démocratie alimentaire. On songe à celles qui portent ou initient une sécurité sociale de l’alimentationNote 18 . Les instances de conventionnement constituent des espaces où agriculteurs et consommateurs déterminent tout à la fois le système de tarification des produits et celui des cotisations volontaires. L’innovation est poussée ici à un très haut niveau puisque la démarche ne vise pas à optimiser les structures de filières, elle propose de socialiser l’agriculture et l’alimentation. Comment le droit peut-il accompagner ces innovations, plus ou moins disruptives ? Quel est le cadre juridique de l’innovation sociale en rapport avec la commercialisation au juste prix ?

2. Le cadre juridique de l’innovation sociale pour la commercialisation au juste prix

15. – Le législateur est mis au défi d’accompagner l’émergence et la diffusion d’initiatives de collectifs d’acteurs hétérogènes qui agissent à la croisée des questions agricoles et alimentaires.

A. – Faire émerger les innovations en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

16. – La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a entraîné un renouvellement des formes et processus d’innovation en matière agricole et alimentaire en institutionnalisant des démarches expérimentales en dehors de l’écosystème classique de la recherche et développement (INRAE, instituts techniques agricoles…). On songe aux groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) mais aussi aux projets alimentaires territoriaux (PAT) destinés à rapprocher « producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités territoriales et consommateurs » (C. rur., art. L. 111-2-2). La labellisation permet de capter des financements qui demeurent, à ce jour, le principal levier de soutien public à l’innovation.

17. – Les circuits de proximité au juste prix se situent à la croisée de deux programmes qui visent à accompagner financièrement des processus d’innovation : le programme de développement agricole et rural et le programme national pour l’alimentation. Pour la période 2022-2027, leurs préoccupations convergent. Le CASDAR est réorienté vers le soutien à des chaînes de valeur équitables favorisant une relocalisation des productions agricolesNote 19 . Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture prévoit la création de plans prioritaires pluriannuels de transition et de souveraineté visant à faire émerger et soutenir dans la durée des démarches collectives innovantes. À dire vrai, les sources de financement sont nombreuses et éparpillées : l’ADEME et les régions sont particulièrement engagées sur ces questions. Les appels à projet ou à manifestation d’intérêt fleurissent qui mobilisent des crédits régionaux ou européensNote 20 .

18. – Une autre forme de soutien consiste à supprimer, pour un temps donné, les contraintes juridiques susceptibles de contrarier l’innovation. La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit en droit français le régime de l’expérimentation. L’article 37-1 de la Constitution autorise « la loi et le règlement à comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Tantôt le dispositif expérimental déroge à une norme existante dont il préfigure l’évolution ou l’abrogation. L’article 73 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 a lancé par exemple l’expérimentation des dispositifs d’abattoirs mobiles susceptibles d’améliorer la logistique des filières animales en circuits de proximitéNote 21 . Tantôt il établit une norme applicable à une partie seulement du corps social, volontaire ou désignée, avant de la généraliser, de la corriger ou d’y renoncerNote 22 . Le 16 janvier dernier Guillaume Garot a déposé une proposition de loiNote 23 créant, face à la précarité alimentaire, des Territoires Zéro Faim dont l’objectif est de généraliser, dans les territoires volontaires, la délivrance de titres de paiement permettant d’acquérir des produits alimentaires frais, locaux, issus de circuits courts ou de qualité tout en intégrant l’ambition de soutenir, par une juste rémunération, les productions agricoles locales. Elle vise à tester un mécanisme universel de sécurité sociale de l’alimentation. L’article 72, alinéa 4 de la Constitution autorise en outre « les collectivités territoriales et leurs groupements (…) à déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». En pratique ce dispositif est peu employéNote 24 , soit que les expérimentations conduites ne nécessitent pas de dérogation, soit qu’elles s’inscrivent dans des expérimentations nationales dont l’objet est le plus souvent soufflé par elles à l’oreille du législateur. L’expérimentation nationale préfigure alors un déploiement sur l’ensemble du territoire.

B. – Déployer les innovations en rapport avec les circuits de proximité au juste prix

19. – L’aptitude des innovations éprouvées à transformer la société suppose un changement d’échelle. Comment le droit peut-il servir de caisse de résonance aux initiatives en rapport avec les circuits de proximité au juste prix ? Les instruments juridiques disponibles diffèrent selon leur niveau de maturité.

20. – La conditionnalité des aides publiques est un premier instrument de facilitation du changement d’échelle. A minima le financement de l’initiative est subordonné à la diffusion des résultats obtenus dans une logique de science ouverte. Le partage des connaissances est assuré ensuite par une mise en réseau (réseau des PAT, réseau rural…), avec l’appui d’acteurs tels que les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). A maxima le financement est subordonné à la forte réplicabilité des innovations ayant atteint un certain degré de maturitéNote 25 . Cette conditionnalité comporte un risque de verrouillage dans la mesure où certaines démarches sont fortement marquées par l’identité d’un territoire et sont donc peu duplicables par nature. Le propre de l’innovation au demeurant est d’intégrer la possibilité d’un échec : « teste, échoue, apprends ».

21. – L’innovation sociale atteint son acmé lorsqu’elle se normalise, lorsqu’elle est élevée au rang de norme. Pour les innovations stabilisées, cette normalisation peut passer par une stratégie de marque à l’initiative du collectif porteur. Un signe permet alors de distinguer une démarche réussie en rapport avec la commercialisation et de la dupliquer. Les AMAP par exemple, marque individuelle, ont choisi récemment d’évoluer vers une marque collective (CPI, art. L. 715-1) susceptible d’être exploitée par toute personne respectant le règlement d’usage sans en passer par un contrat d’exploitation. Le règlement d’usage fige l’agencement d’acteurs et les principes fondamentaux liés à cette forme originale de commercialisation de proximité au juste prix. Quiconque respecte les conditions a le droit d’utiliser la marque. Le déploiement opère alors par territoire, sur la base du volontariat.

22. – La normalisation peut passer enfin par la loi ou le règlement. L’innovation pénètre au cœur du droit. Les circuits de proximité bénéficient pour l’heure d’exceptions ponctuelles qui visent à supprimer les contraintes excessives ou inutiles en droit sanitaire, mais aussi en droit de la concurrence et, on l’a vu, en droit de la distribution. De la sorte, par petites touches, se construit un corpus dédié. La dernière petite touche en date est issue de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. L’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime prévoit désormais que les indicateurs utilisés pour la contractualisation obligatoire peuvent s’appuyer sur les modalités de fixation du prix des systèmes de garantie et des labels de commerce équitable (ce compris, pourquoi pas, les prix planchers). Une telle référence est remarquable : pour la première fois, ces filières alternatives ne sont pas regardées comme des exceptions mais sont proposées comme modèle, accréditant l’idée selon laquelle, même pour le législateur désormais, d’autres circuits de commercialisation sont possibles, partout et pour tous.▪

Mots clés : Droit rural. – Performance sociale de l’exploitation agricole . – Relations commerciales agricoles. – Innovation sociale.

Mots clés : Expérimentation. – Prix des produits. – Alimentation. – Agroécologie.

icon_paragraph_marker.gif Egalement dans ce dossier : articles 26, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36

Note 1 Type SIQO.

Note 2 WFTO, BioPartenaire, Fair for Life, Fairtrade/Max Havelaar, Agri-éthique et Bio équitable en France.

Note 3 La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation a pour finalité « d’assurer à la population l’accès à une alimentation (…) produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous » (C. rur., art. L. 1, 1°). La politique agricole commune a pour but « d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs » (TFUE, art. 39).

Note 4 I. Bouchema, Le droit à l’épreuve du risque de pénurie alimentaire : la fin de l’insouciance : RD rur. 2023, étude 13

Note 5 Un prix trop bas peut entraîner une surconsommation et donc une surexploitation des ressources naturelles. Un prix trop élevé peut avoir des répercussions sur la santé (FAO, La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 2023).

Note 6 R.-J. Aubin-Brouté, Agir sur les filières in « La relocalisation des systèmes alimentaires : un défi pour le droit » : Poitiers, Presses universitaires juridiques, 2021.

Note 7 B. Prévost, Des circuits courts à la reterritorialisation de l’agriculture et de l’alimentation : RECMA n° 331 (2014), p. 30.

Note 8 Y. Chiffoleau et D. Paturel, Les circuits courts alimentaires « pour tous », outils d’analyse de l’innovation sociale : Innovations 2016/2 (n° 50), p. 191.

Note 9 Un prix d’équilibre est censé émerger de la confrontation de l’offre et de la demande dans un contexte de concurrence pure et parfaite.

Note 10  CEPC, avis n° 24-3, relatif au champ d’application de l’obligation de contractualisation écrite pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs. 

Note 11 Sont exemptées les ventes directes au consommateur, les cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées, les cessions à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs et situés au sein des marchés d’intérêt national ou sur d’autres marchés physiques de gros de produits agricoles (C. rur., art. L. 631-24 I, al. 2).

Note 12 Certains circuits courts s’organisent sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Comme en coopérative agricole , les producteurs associés ne sont pas regardés comme des vendeurs. À la différence de la coopérative agricole , le règlement intérieur ou les règles ou décisions prévues par les statuts ou en découlant n’ont pas à comporter de dispositions produisant des effets similaires à ceux des clauses mentionnées au III de l’article L. 631-24. Cette exigence concerne en effet les seules sociétés coopératives agricoles mentionnées à l’article L. 521-1 du Code rural et de la pêche maritime (C. rur., art. L. 631-24-3).

Note 13 L. Pettgen, La fixation des prix des denrées agricoles entre producteurs et initiatives d’accès digne à une alimentation durable dans quatre métropoles françaises, mémoire master 2 : ISARA Lyon 2022.

Note 14 L’obligation d’affichage liée à l’information sur le prix des produits (C. consom., art. L. 112-1) peut rendre la pratique délicate à mettre en œuvre en point de vente physique. Elle existe toutefois : sur le marché du lavoir de Dieulefit par exemple, les clients choisissent librement entre 3 prix : accessible (65 %), juste (100 %) ou solidaire (125 %).

Note 15 Les agriculteurs peuvent y trouver un débouché pour des produits hors calibre avec des solutions logistiques à moindres frais. En pratique ils ont tendance à aligner leurs prix sur ceux pratiqués en circuit classique.

Note 16 L’interprofession des produits de la ruche prévoit la mise en place d’un « comité de liaison avec des associations de consommateurs et des organisations non gouvernementales », qui peut formuler des propositions au conseil d’administration (https://interapi.fr/fonctionnement/).

Note 17 L. n° 47-1775, 10 sept. 1947, art. 19 quinquies et s., portant statut de la coopération.

Note 18 https://securite-sociale-alimentation.org/.

Note 19 https://agriculture.gouv.fr/le-programme-national-de-developpement- agricole -et-rural-pndar-contexte-et-objectifs-2022-2027.

Note 20 PSN, p. 908.

Note 21 L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, art. 73, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Note 22 R.-J. Aubin-Brouté, Et bientôt… le rémunérascore ! : Quinzomadaire Agridroit, n° 9/2023.

Note 23 Prop. de loi n° 2064, 16 janv. 2024, créant, face à la précarité alimentaire, des Territoires Zéro Faim.

Note 24 CE, Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ?, étude 2019, p. 30 et 31.

Note 25 Par exemple : appel à manifestation d’intérêt « Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires » (www.banquedesterritoires.fr/ami-demonstrateurs-territoriaux-des-transitions-agricoles-et-alimentaires).

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SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET ASSOCIE COOPERATEUR : LA MALADIE EST ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

*

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

Illicéité des clauses de fermage basées sur la récolte

La clause d’un bail à ferme fixant le fermage à une fraction de la récolte du fermier est illicite, ce qui ouvre une action en régularisation pour fermage illicite.

Ce principe résulte des articles L. 411-11 et L. 411-14 du Code rural et de la pêche maritime, juge la Cour de cassation dans un arrêt publié le 29 février.

Selon le premier de ces textes, le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation peut être évalué en une quantité de denrées, avec des limites maximales et minimales fixées par l’autorité administrative. Cette quantité de denrées ne peut pas fluctuer au cours du bail en fonction de variables non conformes à cet article (Cass. 3e civ., 21 janv. 2009, n° 07-20.233).

Le second texte visé précise que les dispositions de l’article L. 411-11 sont d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles sont obligatoires et ne peuvent pas être contournées par un accord privé.

En l’espèce, la cour d’appel a rejeté la demande du preneur en nullité de la clause fixant le fermage, en soutenant qu’un fermage fixé par référence à la denrée visée par l’arrêté préfectoral alors applicable, mais ne respectant pas les limites fixées par l’autorité administrative, n’ouvre pas au fermier une action en nullité mais une action en révision.

La Cour de cassation annule l’arrêt des juges du fond : la cour d’appel a violé les textes susvisés en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le fermage était fixé à un cinquième de la récolte produite sur les parcelles louées.

Ainsi, si le fermage est fixé à une fraction de la récolte du fermier, cette clause est illicite. En pareil cas, le fermier peut engager une procédure judiciaire pour faire modifier le bail afin que le fermage soit fixé conformément à la loi.

Source

Cass. 3e civ., 29 févr. 2024, n° 22-17.362, FS-B

COOPERATIVE AGRICOLE ET RETRAIT D’UN ASSOCIE COOPERATEUR :

CAS DE FORCE MAJEURE OU MOTIF VALABLE ?

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Les Vins De [Localité 5], devenue la société Fonjoya, est une société spécialisée dans la production, la vinification, le stockage, l’élevage, la conservation et le conditionnement de vins.

Le 26 juillet 1993 M. [T] [P] a demandé d’en devenir associé coopérateur et il a acquis des parts sociales le 13 mai 1994.

Il a signé le 2 juin 2005 et le 5 septembre 2012, deux engagements autonomes dits « Contrats de convention de culture » aux termes desquels la cave s’est engagée à lui payer deux primes de plantation d’un montant total de 9 196,84 €, en contrepartie de son apport de la récolte primée pendant 15 années minimum.

En 2015, M. [P] a rencontré des problèmes de santé qui l’ont conduit à cesser son activité agricole .

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 avril 2016, il a rappelé à la société Fonjoya l’évolution de son état de santé et l’a informée également de la vente de ses parcelles à M. [L] [M] le 8 avril 2016, lui précisant que ce dernier avait refusé sa proposition de rachat de ses parts sociales dans la coopérative .

Le 9 mai 2017, la société Fonjoya a mis en demeure M. [P] de lui rembourser les primes dans le cadre des conventions, faute de respecter son obligation de livrer les récoltes pendant 15 années et de fournir des explications relatives à son retrait de la coopérative et la cessation de son activité.

Par lettre du 20 septembre 2017, la société l’a informé de ce que le conseil d’administration avait refusé son retrait et décidé d’appliquer les sanctions pécuniaires prévues à l’article 8 des statuts.

Après de nouveaux échanges, les parties se sont accordées sur le montant du remboursement, par M. [P], des primes de culture à hauteur de 3 892,94 euros, le litige persistant pour le surplus.

Par exploit du 19 décembre 2018, la société Fonjoya a assigné M. [P] en paiement de la somme de 3 892,94 € au titre du remboursement de cultures, celle de (64’987,4 × 3 exercices) 194’963, 70 € au titre des pénalités de participation aux charges fixes, et 19’727,04 € au titre de la pénalité de 10 % de la valeur des quantités non livrées (6 575,68 € x 3 exercices).

M. [P] a formé une demande reconventionnelle au titre de la récolte de l’année 2015 pour laquelle il lui restait dû, après un paiement partiel de la coopérative , un montant de 17’052,58 € (65’757,82 € – 48’704,24 €).

Par jugement en date du 22 mars 2022 le tribunal judiciaire de Montpellier a’:

– dit que M. [P] remboursera à la société Fonjoya la somme de 3 892,94 euros au titre des primes de plantation, conformément à l’accord des parties, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017, date de sa mise en demeure ;

– débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités ;

– dit que la société Fonjoya est redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015 ;

– ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, et condamné en conséquence, la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros diminuée des intérêts au taux légal sur la somme de 3 892, 94 euros depuis le 9 mai 2017

– ordonné l’exécution provisoire et rejeté les demandes plus amples ou contraires ;

– et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal retient les motifs suivants.

Sur le remboursement des primes de culture’:

Le tribunal constate l’accord des parties pour fixer à la somme de 3 892,94 euros le montant des primes de culture qui seront remboursées par M. [P] à la société Fonjoya au titre des contrats de convention de culture des 2 juin 2005 et 5 Septembre 2012.

Cette somme sera, comme le sollicite la société Fonjoya, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 mai 2017.

Sur le défaut de livraison des récoltes par M. [P]’:

La société FONJOYA estime que le contrat de coopération qui lie les parties est à durée déterminée et que M. [P] ne pouvait y mettre fin avant le terme qui, après renouvellements successifs était fixé en 2019.

L’obligation d’apport étant une obligation de résultat, elle soutient que M. [P] ne pouvait s’y soustraire.

Ce dernier fait toutefois valoir, au visa des articles 1147 et 1148 du code civil, qu’il existe au cas d’espèce de force majeure, dûment établi, justifiant son retrait, qui l’ exonère de son obligation d’apport.

Il résulte de l’article 1148 du code civil qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

Selon la Cour de cassation (arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006), l’événement de force majeure doit être irrésistible, imprévisible et extérieur.

La société Fonjoya considère que la maladie de M. [P] ne remplit pas le critère d’imprévisibilité dans la mesure où sa cécité est apparue en 2014, date à laquelle il a renouvelé sa dernière période d’engagement.

ll résulte des pièces médicales versées par M. [P], et notamment des certificats médicaux établis par le docteur [H] [K], qu’il est atteint d’une cécité totale au niveau de son ‘il droit depuis août 2014, s’agissant d’un ‘dème maculaire évolutif.

L’acte de cession de parts est en date du 19 mai 1994, l’engagement de M. [P] s’est donc renouvelé pour la dernière fois à compter du 19 mai 2014, date à laquelle il présentait un ‘dème maculaire évolutif, mais n’était pas encore atteint de cécité. Par ailleurs, les lombalgies paralysantes n’ont fait leur apparition qu’à compter de janvier 2015 pour ensuite s’aggraver considérablement comme en atteste le docteur [K].

C’est donc après 2015 et l’apparition des lombalgies que M. [P] n’a plus été en capacité d’exploiter ses vignes et de livrer la récolte à la cave coopérative .

La société Fonjoya estime que l’inexécution contractuelle de livraison n’est pas extérieure ni irrésistible puisqu’elle considère que c’est de sa seule volonté que M. [P] n’a pas livré sa récolte, alors que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité, en l’espèce la maladie de M. [P], qui, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure.

Dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucuns dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya.

En conséquence, la société FONJOYA sera déboutée de ses demandes au titre des pénalités.

Sur le solde de récolte 2015 et la compensation’:

Il a été vu plus haut que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation.

Par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée.

Elle sollicite que la compensation soit ordonnée entre les créances respectives des parties.

Dès lors, en application des articles 1289 et suivants du code civil, il sera opéré une compensation entre les créances réciproques des parties.

La société Fonjoya sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros au titre du solde de la récolte 2015 restant due après déduction du montant des primes de culture dont la restitution partielle a été mise à la charge de M. [P] (17 052,58 euros – 3 892,94 euros =13159,64 euros).

Il convient toutefois de préciser que devront être déduits de cette somme les intérêts au taux légal sur la somme de 3 892,94 euros à compter du 9 mai 2017, date de la mise en demeure adressée par la société Fonjoya à M. [P]. »

Par déclaration du 5 mai 2022, la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 22 décembre 2023, elle demande à la cour :

– de déclarer recevable son appel’;

statuant à nouveau, à titre principal

– de prononcer la nullité du jugement attaqué’;

à titre subsidiaire,

– de condamner M. [P] à lui payer :

– la somme de 3 892,94 euros au titre du remboursement des primes perçues sur la base des conventions de culture avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017′;

– la somme de 64 987,90 euros x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts et la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices=19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

– les intérêts au taux légal des sommes susvisées à compter du 20 septembre 2017 ;

‘ de le débouter de toutes ses demandes’;

– de le condamner, si besoin, à rembourser à la société Fonjoya la somme de 12 980, 24 euros versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2022 et la somme de 4’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 10 novembre 2022 M. [T] [P] demande à la cour, au visa des articles R522-4 du code rural, 1147 et 1148, et 1152 du code civil ‘:

– à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué’;

– subsidiairement, en cas d’infirmation ou d’annulation, de constater l’accord intervenu entre les parties sur le remboursement de la somme de 3 892,94 euros au titre des primes au prorata temporis’;

– en ce qui concerne les demandes de la société Fonjoya à titre principal, de juger que la maladie de M. [P] constitue un cas de force majeure, et de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

– à titre subsidiaire, jugeant que la maladie de M. [P] constitue un motif valable de retrait selon l’article 11 des statuts de la coopérative , de débouter la société Fonjoya de toutes ses demandes ;

-jugeant que la pénalité objet des réclamations de la société Fonjoya est une clause pénale, de la juger manifestement excessive et la réduire à néant ;

– et de condamner la société Fonjoya à lui payer la somme de 17 052,58 euros au titre du solde de la récolte 2015’et celle de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile‘; ainsi qu’aux entiers dépens’avec distraction.

Il est renvoyé, pour l’exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est datée du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le retrait

Attendu que le tribunal a retenu, pour débouter la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, que c’est l’événement constitutif de force majeure qui doit remplir les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité ; qu’ en l’espèce la maladie de M. [P],, à la date de renouvellement du contrat, était imprévisible, irrésistible et extérieure ; et que dès lors, la maladie de M. [P] est constitutive d’un cas de force majeure qui l’a empêché d’exécuter son obligation de livraison des récoltes à compter de l’année 2016 sans qu’il n’y ait lieu à aucun dommages et intérêts au profit de la société Fonjoya ;

Mais attendu que la maladie de M. [P] ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour constituer un cas de force majeure l’exonérant de ses obligations contractuelles ; que c’est ainsi que M. [P] , qui produit un certificat médical daté du 12 octobre 2017 attestant de ce qu’il est en « incapacité totale de travail sur son exploitation viticole depuis janvier 2015 », a pu se faire aider en souscrivant un contrat d’entreprise avec la société Viti’Oc pour assurer la récolte en 2015, de sorte que l’exécution de son obligation contractuelle n’était pas impossible, mais seulement plus onéreuse pour M. [P] ;

Attendu que son état de santé ne présente pas le caractère d’irrésistibilité requis pour pouvoir retenir l’existence d’un cas de force majeure, le moyen qu’il en tire pour justifier son retrait de la coopérative doit être écarté ;

Attendu qu’il s’ensuit la réformation -et non l’annulation- du jugement déféré;

Attendu que M. [P] soutient à titre subsidiaire que sa maladie constitue également un motif valable de retrait au sens de l’article 11 des statuts, reprenant les dispositions de l’article R522 – 4 du code rural, lequel prévoit que le retrait d’un associé coopérateur au cours de sa période d’engagement peut également intervenir suite à une démission d’un associé coopérateur , pour un motif valable, soumis au conseil d’administration qui peut l’accepter « à titre exceptionnel, si le départ de la coopérative ne porte aucun préjudice au bon fonctionnement de la coopérative et n’a pas pour effet, en l’absence de cession des parts sociales de l’intéressé, d’entraîner la réduction du capital souscrit par l’associé coopérateur au-dessous de trois quarts depuis la constitution de la coopérative », M. [P] ajoutant à cet égard que le bilan de l’exercice 2016 de la coopérative fait apparaître une augmentation du bénéfice réalisé de 5 % par rapport à l’exercice précédent (2’405’028 € en 2015 versus 2’521’694 € en 2017, l’année de son départ) ;

Attendu en premier lieu que comme il le soutient, la coopérative n’est pas fondée à opposer à M. [P] que dans sa correspondance il n’aurait pas soumis au conseil d’administration le même motif que celui invoqué devant le premier juge et en cause d’appel, alors que sa maladie peut constituer à la fois un cas de force majeure, et légitimer exceptionnellement sa démission et son retrait ; que le conseil d’administration a d’ailleurs estimé dans son refus qu’il n’y avait ni cas de force majeure ni un motif valable lui permettant à titre exceptionnel d’accepter une démission en cours d’engagement ;

Mais attendu que la coopérative lui a répondu, sans être contredite sur ce point, que le coût du prestataire mandaté par M. [P] s’est élevé à la somme de 10’020 € et que la rémunération de sa récolte par la coopérative s’est élevée en 2015 à la somme de 65’756,82 €, de sorte que l’appelante a pu légitimement estimer que la maladie de M. [P] ne constituait ni un cas de force majeure, ni un motif légitime justifiant à titre exceptionnel son retrait sans pénalités ;

Attendu, s’agissant du montant dû à ce titre par M. [P], qu’ en application de l’article R522-2 du code rural, la qualité d’associé coopérateur ne s’acquiert que par la souscription et l’achat effective des parts sociales de la société coopérative agricole , le seul fait d’apporter des récoltes ne permettant pas d’acquérir la qualité d’associé coopérateur , de sorte qu’il restait bien trois exercices à accomplir, et non deux contrairement à ce que M. [P] prétend;

Attendu qu’en ce qui concerne l’analyse de l’article 8 des statuts, la société coopérative soutient que cet article reproduit des dispositions impératives des statuts-type et qu’il a pour objet d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par la coopérative à la suite de l’inexécution par les adhérents de leurs obligations d’apport, préjudice résultant de la nécessité pour la coopérative de faire face à ses charges fixes en dépit de la défaillance de ses associés par rapport à la durée de leurs engagements ; que cette clause réglementaire définit les conditions d’indemnisation du retrait anticipé d’un associé coopérateur et le mode de calcul des sanctions qui lui sont applicables ; que l’article 8.6 des modèles de statuts réglementés est pré-rédigé dans son intégralité, de sorte que son contenu doit être repris in extenso dans les statuts des sociétés coopératives agricoles ; qu’il énonce les charges des comptes 61 à 69 à prendre en considération pour calculer la participation aux frais de l’associé coopérateur défaillant ; que les modalités de calcul des sanctions pécuniaires prévues à cet article 8 des statuts sont à la fois contractuelles et réglementaires ; que la participation aux frais fixes a été chiffrée par le conseil d’administration de la coopérative de la manière suivante : 916,09 hl (quantité non livrée) x 70,94 € (frais fixes par hectolitres) = 64’987,90 € x par 3 exercices = 194’963,70 € ;

Mais attendu qu’à l’article 8.6 des statuts il est dit que « le conseil d’administration pourra décider de mettre à la charge de l’associé coopérateur n’ayant pas respecté tout ou partie de ses engagements une participation aux frais fixes restant à la charge de la collectivité des producteurs. Cette participation correspond à la quote-part que représentent les quantités non livrées ou les services non effectués pour la couverture des charges constatées au cours de l’exercice du manquement (‘) »

Que l’article 8.7 des statuts ajoute :

«En cas d’inexécution totale ou partielle de ses engagements par l’associé coopérateur , le conseil d’administration pourra, en outre, décider de lui appliquer plusieurs des sanctions suivantes :

a) 10 % de la valeur des quantités qui auraient dû être livrées ou du chiffre d’affaires qui aurait dû être fait par la coopérative (‘) pour le nombre d’exercices restant à courir jusqu’au terme de l’engagement initial de 10 ans ou jusqu’au terme de la période de renouvellement de cinq ans (‘) » ;

Attendu que ces stipulations s’analysent en deux sanctions pénales contractuelles qui sont calculées sur la base d’une estimation de la quantité des récoltes qui auraient dû être théoriquement livrées alors qu’elles ne le furent pas, ou bien sur la base un pourcentage forfaitairement fixé ; que ces sanctions d’un montant dissuasif sont destinées à inciter le coopérateur à respecter ses engagements contractuels ;

Attendu que le montant de ses clauses pénales peut donc être diminué lorsqu’elles sont manifestement excessives ;

Que tel est le cas d’espèce qui conduit la société à réclamer à M. [P] un montant de 64 987,90 € x 3 exercices = 194 963,70 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-6 des statuts, outre un cumul avec la somme de 6 575,68 euros x 3 exercices = 19 727,04 euros au titre des sanctions prévues à l’article 8-7 des statuts’;

Attendu que la cour estime qu’il y a lieu de ramener le montant de chacune de ces pénalités manifestement excessives respectivement au montant de 20 000 € et celui de 10 000 €, soit au total à la somme de 30 000 € que M. [P] sera condamné à payer à la société Fonjoya ;

Attendu enfin, sur le solde de la récolte 2015 et la compensation sollicitée, que M. [P] doit restituer à la société Fonjoya des primes de plantation (3 892,94 €) et que par ailleurs, la société Fonjoya reste redevable à l’égard de M. [P] de la somme de 17 052,58 euros au titre de la récolte 2015 qui lui a été partiellement payée ;

Attendu qu’il convient d’opérer une compensation entre ces créances réciproques en application des articles 1289 et suivants du code civil ; que M. [P] sera condamné en conséquence à payer à la société Fonjoya la somme de 30 000 € et celle de 3 892,94 euros au titre de la restitution des primes de culture, dont à déduire la somme de 17 052, 58 euros au titre du solde de la récolte 2015, soit un montant total que M. [P] doit verser s’élevant à 16 840,36 € ( 33 892, 94 ‘ 17 052,58 euros), étant relevé que le montant de 30’000 € ne peut porter intérêts au taux légal qu’à compter de la présente décision qui le fixe ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer expressément sur la demande de restitution de la somme de 12’980,24 € versée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire permettant cette restitution ;

Attendu que M. [P] succombant au plus large part, devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 3 000 € à la société Fonjoya au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Fonjoya de ses demandes au titre des pénalités, condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 13 159,64 euros, et condamné la société Fonjoya à payer à M. [P] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant

Condamne M. [T] [P] à payer à la société coopérative agricole (SCA) Fonjoya, anciennement dénommée « les Vins de [Localité 5] », la somme de 16’840,36 € après compensation entre créances réciproques, au titre des pénalités des articles 8.6 et 8.7 des statuts,

Le condamne aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Cour d’appel Montpellier Chambre commerciale 19 Mars 2024 Répertoire Général : 22/02440

Exploitations agricoles – Contrôles opérés dans les exploitations agricoles : présentation de la communication du groupe de travail – Veille

source Droit rural n° 11, Novembre 2023, lexis nexis

Contrôles opérés dans les exploitations agricoles : présentation de la communication du groupe de travail

Groupe de travail sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles, communication, 12 oct. 2023

Le 12 octobre 2023, en tant que rapporteurs, Anne-Laure Blin et Éric Martineau ont présenté à la commission des affaires économiques, la communication du groupe de travail sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles.

Cette communication rappelle qu’une étude statistique de la MSA d’octobre 2022 indique que : « les assurés agricoles ont un risque plus élevé de décès par suicide que la population générale. Les personnes affiliées au régime agricole, consommant des soins et âgés de 15 à 64 ans, ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 43,2 % à celui des assurés tous régimes de la même tranche d’âge. Ce sur-risque est de 36,3 % pour les non-salariés et atteint 47,8 % pour les salariés agricoles ».

Ainsi, le groupe de travail relève que les contrôles dans les exploitations agricoles restent l’objet de fortes représentations négatives et suscitent des incompréhensions qui ne contribuent ni à l’efficacité de l’action publique, ni au renouvellement d’une profession indispensable à l’indépendance alimentaire de la France et à la protection de la biodiversité.

C’est précisément pour faire la part des ressentis et des réalités que dans l’exercice des pouvoirs de contrôle conférés par l’article 145 du règlement, la commission des affaires économiques a créé, le 12 avril 2023, un groupe de travail sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles.

Ces travaux poursuivent trois objectifs : en premier lieu, examiner la teneur et le déroulement des contrôles dont les exploitations agricoles peuvent faire l’objet ; en deuxième lieu, évaluer la proportionnalité et l’efficacité des moyens et procédures employés au regard des motifs qui ont pu justifier leur institution ; en dernier lieu, analyser les suites données aux contrôles et leur impact sur le fonctionnement des exploitations, ainsi que sur l’application du cadre normatif.

Dans cette optique, les rapporteurs ont résolu d’exclure du champ de leurs réflexions les contrôles auxquels peuvent se soumettre les agriculteurs afin d’obtenir ou de conserver un signe de qualité ; ils n’ont pas entendu davantage traiter les inspections qui participent de l’exécution d’un cahier des charges souscrit dans le cadre de relations commerciales. Le propos n’est pas ici de minorer les préoccupations que les contrôles réalisés sur un fondement conventionnel peuvent susciter. Les visites et inspections réalisées dans ce cadre peuvent en effet présenter un caractère redondant au regard des normes légales qui s’imposent aux exploitations. Et à bien des égards, elles rendent plus tangible la situation d’obligés dans laquelle se trouvent des agriculteurs tenus de se plier à des contraintes économiques pour vendre leurs produits. En cela, les contrôles conventionnels ajoutent aux contraintes qui pèsent sur les professions agricoles. Mais ce sujet mériterait en soi des travaux spécifiques. Aussi la présente communication n’examinera les implications que des contrôles résultant de prescriptions légales, réglementaires ou d’engagements internationaux.

De l’état des lieux dressé à l’issue des auditions, ainsi que du déplacement réalisé en Mayenne, il ressort deux impératifs : remédier à l’insécurité juridique et contribuer à l’émergence et à l’approfondissement de nouveaux rapports et de nouvelles pratiques entre les agriculteurs et les services ou opérateurs de l’État.

Mots clés : Exploitations agricoles. – Contrôles. – Agriculteurs. – Indépendance alimentaire. source

lexis nexis

Exploitation agricole – Agriculteur actif, jeune agriculteur ou nouvel agriculteur : dispositions réglementaires – Veille

Droit rural n° 5, Mai 2023, alerte 91

D. n° 2023-186, 17 mars 2023 : JO 18 mars 2023

Le décret du 17 mars 2023 est relatif à l’établissement de la qualité d’agriculteur actif, de jeune agriculteur ou de nouvel agriculteur, telles que définies en application du Plan stratégique national 2023-2027 relevant de la Politique agricole commune.

Il prévoit les dispositions nécessaires à l’établissement de la qualité d’agriculteur actif, de jeune agriculteur ou de nouvel agriculteur telles que définies par les articles D. 614-1 à D. 614-3 du Code rural et de la pêche maritime, en application de l’article 4 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 et du plan stratégique national français de la PAC 2023-2027 approuvé le 31 août 2022 par décision de la Commission européenne.

Il adapte :

  • le décret du 19 avril 2019 relatif à la mise en œuvre de traitements comportant l’usage du numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques ou nécessitant la consultation de ce répertoire ;
  • et, le Code de la sécurité sociale en ce qui concerne les dispositions relatives aux finalités du répertoire de gestion des carrières unique et aux destinataires des données qu’il contient.

Entrée en vigueur : 19 mars 2023.

Mots clés : Exploitation agricole. – Agriculteur actif. – Jeune agriculteur. – Dispositions réglementaires.

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L’article 1353 du code civil dispose qu’il incombe à celui qui réclame l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve, celui qui se prétend libéré devant réciproquement justifier du paiement.

A R R Ê T

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [F] [S] est inscrit comme entrepreneur individuel pour une activité de travaux de terrassement courants et travaux préparatoires qu’il exploite [Adresse 1] (64).

Il est par ailleurs le gérant de l’Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée DE LA DIGUE (ci-après EARL DE LA DIGUE), immatriculée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Pau depuis le 17 mars 1992, ayant pour activité la culture de céréales (à l’exception du riz), de légumineuses et de graines oléagineuses et dont le siège social se trouve également [Adresse 1] (64).

Suite à la facture établie par Monsieur [H] [I] le 20 août 2018 à la suite de travaux d’épandage réalisés pour plusieurs agriculteurs à la demande de la société coopérative LUR BERRI et faisant mention pour Monsieur [S] de 12 650 kg de solution azotée sur 23 ha 85, la société coopérative agricole LUR BERRI, sise à [Adresse 4] (64), a émis une facture n° 27177 en date du 18 septembre 2018 d’un montant de 4 503,06 euros établie au nom de Monsieur [F] [S] pour ces travaux d’épandage de solution azotée 30.

Monsieur [F] [S] ne s’étant pas acquitté de cette somme, elle a établi plusieurs factures d’intérêts de retard pour lesquelles elle n’a reçu aucun règlement.

Suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 18 janvier 2019, elle a tout aussi vainement adressé une mise en demeure d’avoir à payer les sommes réclamées, à Monsieur [F] [S] qui n’a pas retiré le pli recommandé.

Le courrier recommandé avec accusé de réception adressé le 26 mars 2019 à Monsieur [F] [S] par la société de recouvrement mandatée par la société coopérative LUR BERRI, n’a pas non plus été suivi d’effet.

Par requête en date du 22 mai 2019, la société coopérative LUR BERRI a saisi le tribunal d’instance de Pau aux fins d’obtenir une ordonnance portant injonction de payer à l’encontre de Monsieur [F] [S], mais par ordonnance en date du 27 août 2019, cette requête a été rejetée aux motifs de l’absence de bon de commande signé et d’autres éléments de preuve.

Elle a déposé une nouvelle requête auprès de la même juridiction le 26 mars 2020 qui a également été rejetée le 30 juin 2020 au motif qu’un débat contradictoire était nécessaire et qu’il appartenait à la société LUR BERRI de saisir la juridiction du fond.

Par exploit du 29 septembre 2020, la société coopérative LUR BERRI a fait assigner Monsieur [F] [S] devant le tribunal judiciaire de Pau, sur le fondement des articles 1103, 1193, 1104, 1231-1 et 1231-6 du code civil, aux fins de le voir condamner à lui verser :

– la somme de 4 503,06 euros assortie des intérêts aux taux légaux et contractuels de 9,5 % de retard à compter du 18 janvier 2019,

– la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article 1231-1 du code civil,

– la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais de requête et d’huissier de justice,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par jugement réputé contradictoire en date du 27 avril 2021, le tribunal judiciaire de Pau a :

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 4 503,06 euros assortie des intérêts légaux à compter du 18 janvier 2019,

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– condamné Monsieur [F] [S] à payer à la société coopérative LUR BERRI la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Monsieur [F] [S] aux entiers dépens.

Par déclaration du 15 juin 2021, Monsieur [F] [S] a interjeté appel de cette décision, la critiquant dans l’ensemble de ses dispositions.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 06 octobre 2022, Monsieur [F] [S], appelant, demande à la cour, sur le fondement des articles 1101 et suivants du code civil et des articles 1241 et suivants du même code, de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Pau, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

– débouter la société LUR BERRI de l’ensemble de ses demandes.

Y ajoutant :

– condamner la société LUR BERRI à verser à Monsieur [F] [S] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses écritures en date du 09 décembre 2021, la société coopérative LUR BERRI, demande à la cour, sur le fondement des articles 1101, 1313 et 1342-2 du code civil, de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Pau rendu le 27 avril 2021,

– débouter Monsieur [S] de l’ensemble de ses demandes,

– le condamner à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 janvier 2023.

MOTIFS

L’article 1353 du code civil dispose qu’il incombe à celui qui réclame l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve, celui qui se prétend libéré devant réciproquement justifier du paiement.

Monsieur [F] [S] soutient que le véritable débiteur de la société coopérative est l’EARL DE LA DIGUE qui, comme d’autres agriculteurs, passe commande d’azote auprès de la société coopérative LUR BERRI, laquelle mandate Monsieur [H] [I] qui procède aux épandages sur les parcelles concernées et notamment celles exploitées par l’EARL DE LA DIGUE, et émet ensuite des factures directement auprès de la société coopérative LUR BERRI, à charge pour cette dernière d’établir sa facturation à l’ordre des agriculteurs concernés ; Monsieur [F] [S] explique que l’EARL DE LA DIGUE livre par ailleurs des céréales à la société coopérative LUR BERRI et que les règlements s’effectuent entre elles par compensation.

Il explique que depuis plusieurs années, la société coopérative LUR BERRI commet l’erreur d’émettre ses factures au nom de Monsieur [F] [S] aux lieu et place de l’EARL DE LA DIGUE et que pour rectifier cette erreur, elle émet un avoir et refacture la prestation à l’EARL DE LA DIGUE.

En réponse la société coopérative LUR BERRI dément l’existence d’une erreur de facturation en soulignant que Monsieur [F] [S] ne l’a pas prévenue de cette difficulté et qu’il ne conteste pas que la prestation d’épandage d’azote a bien été réalisée.

En l’espèce, il est établi par l’extrait K BIS versé aux débats que l’EARL DE LA DIGUE est immatriculée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Pau depuis le 17 mars 1992 et qu’elle a pour activité la culture de céréales, de légumineuses et de graines oléagineuses comme cela ressort de l’extrait du répertoire SIREN la concernant.

Il est par ailleurs établi que si le gérant de cette société est Monsieur [F] [S], lui-même exploite une entreprise individuelle de terrassement comme cela ressort de l’extrait du répertoire SIREN le concernant mais qu’il n’exerce pas l’activité d’agriculteur à titre personnel.

Il s’ensuit que les travaux d’épandage de solution azotée objets de la facture n° 27177 émise le 18 septembre 2018 par la société coopérative, concerne l’EARL DE LA DIGUE et non pas Monsieur [F] [S].

Monsieur [F] [S] qui n’avait pas constitué avocat en première instance, avait adressé le 11 novembre 2020, un courrier à la société d’huissiers de justice qui lui avait délivré l’assignation, en expliquant cette situation et en indiquant que les factures qui lui étaient réclamées ne le concernaient pas mais concernaient l’EARL DE LA DIGUE.

La société coopérative LUR BERRI sera dès lors déboutée de l’intégralité de ses demandes dirigées à l’encontre de Monsieur [F] [S].

Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens.

La société coopérative LUR BERRI, perdante, supportera les dépens de première instance et d’appel et sera tenue de verser à Monsieur [F] [S] une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en ce compris les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la société coopérative LUR BERRI de ses demandes dirigées à l’encontre de Monsieur [F] [S],

Condamne la société coopérative LUR BERRI à payer à Monsieur [F] [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société coopérative LUR BERRI de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société coopérative LUR BERRI aux dépens de première instance et d’appel.

Cour d’appel, Pau, 1re chambre, 11 Avril 2023 – n° 21/01990 Infirmation Répertoire Général : 21/01990

SAFER – Demandes d’autorisation préalable à la prise de contrôle des sociétés possédant du foncier agricole – Veille

Droit rural n° 2, Février 2023, alerte 26

Demandes d’autorisation préalable à la prise de contrôle des sociétés possédant du foncier agricole

D. n° 2022-1715, 28 déc. 2022 : JO 30 déc. 2022

Le décret du 28 décembre 2022 porte encadrement des conventions conclues par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural en vue de leur instruction des demandes d’autorisation préalable à la prise de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole

Il précise les conditions dans lesquelles les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural peuvent, par voie de convention et pour l’instruction des demandes d’autorisation préalable à la prise de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole, obtenir des données issues du registre parcellaire graphique et du casier viticole.

Le décret est pris pour l’application de l’article L. 141-1-2 du Code rural et de la pêche maritime dans sa version issue de la loi n° 2021-1756 du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Entrée en vigueur : 31 décembre 2022.

Mots clés : SAFER. – Instruction des demandes d’autorisation préalable. – Prise de contrôle des sociétés possédant du foncier agricole.

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Droit de l’Union européenne – Dossier spécial réforme de la PAC – Veille

Droit rural n° 2, Février 2023, alerte 25

Dossier spécial réforme de la PAC

Le numéro de mars 2023 de la revue de droit rural comportera un dossier spécial sur la réforme 2023-2027 de la PAC. Elle est entrée en application le 1er janvier 2023 pour une durée de 5 ans, après l’approbation par la Commission en décembre 2022 du dernier projet national de plan stratégique. Le nouveau cadre juridique sera examiné à la lumière du bilan de la réforme précédente, du plan stratégique national de la France et des défis à relever en matière de verdissement, d’organisation commune des marchés et de relations contractuelles. La réforme appelle en outre une mise à niveau sans précédent des données.

Ce dossier sera composé des études suivantes :

  • la PAC 23-27 : quelles ambitions ? par Yves Petit (professeur à l’université de Lorraine, faculté de droit de Nancy, IRENEE) ;
  • Écologisation de la PAC : nouvelle illustration de la politique des petits pas par Claude Blumann (professeur émérite, université Paris-Panthéon-Assas) ;
  • le PSN de la France, une « trajectoire » vers un hypothétique développement durable de l’agriculture, par Daniel Gadbin, professeur émérite, université de Rennes (CEDRE-IODE, UMR 6262 CNRS) ;
  • révision du règlement de l’Organisation Commune des Marchés : quelles avancées pour la souveraineté alimentaire européenne ? par Frédéric Courleux (agronome et économiste, ingénieur en chef des ponts, des eaux et forêts, assistant parlementaire au Parlement européen, membre de la société française d’économie rurale) ;
  • la PAC 2023-2027 : un nouvel équilibre dans les relations contractuelles au sein de la filière agroalimentaire par Irene Canfora (professeur de droit rural à l’université de Bari, Italie)… ;
  • données agricoles et nouveau modèle de mise en œuvre de la PAC : quelle transition numérique ? par Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté, MCF Droit privé, université de Poitiers, CECOJI (UR 21665).

Mots clés : Droit de l’Union européenne. – Dossier spécial. – Réforme de la PAC.

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Décret n° 2022-1515 du 2 décembre 2022 relatif à la procédure de délivrance de l’autorisation préalable à la prise de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole

Publics concernés : sociétés détenant ou exploitant des biens immobiliers à vocation ou usage agricole, Etat, sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, notaires.

Objet : procédure, autorisation préalable, foncier agricole, seuil d’agrandissement significatif.

Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication soit le 3 décembre 2022.

Notice : le décret précise les conditions dans lesquelles le préfet de région arrête le seuil d’agrandissement significatif à partir duquel les mouvements de parts sociales des sociétés possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole conduisent à une prise de contrôle soumise à autorisation préalable.

Il précise également les modalités d’instruction des demandes par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural et le préfet de département. Il précise en outre les modalités de transmission des informations relatives à la cession entre le notaire, le cédant ou cessionnaire de parts ou actions de société et la société d’aménagement foncier et d’établissement rural.

Enfin, le décret fixe la date de réalisation des opérations à partir de laquelle l’article 1er de la loi n° 2021-1756 du 23 décembre 2021) s’applique.

Références : le décret est pris pour l’application des articles L. 141-1, L. 333-2, L. 333-3 et L. 333-5 du code rural et de la pêche maritime), dans leur version issue de la loi n° 2021-1756 du 23 décembre 2021) portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Le code rural modifié par le décret peut être consulté dans la version issue de cette modification sur le site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr).

source LEGIFRANCE

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